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CHAPITRE 6 FAIRE L’EXPÉRIENCE DU CHOIX D’UN CÉGEP ANGLOPHONE

6.1 Choix stratégique

Le choix stratégique est l’expérience de choix du cégep anglophone de huit participants sur 37. Ce type se caractérise par une nette dominance de la logique de la stratégie, reléguant ainsi la logique de la subjectivation au second plan dans l’articulation de cette expérience. Dans ce type, la logique de la stratégie se présente au travers d’un discours sur la valeur et l’importance de l’anglais dans le marché social de l’emploi (Dubet, 1994b, 2008, 2017). C’est dire ici que pour ces francophones, la perception de l’utilité des études dans un cégep anglophone est manifeste. En effet, les études dans une langue seconde, en l’occurrence en anglais, sont vues comme une manière d’acquérir des qualifications linguistiques profitables sur le marché de l’emploi (Dubet, 2008). Le calcul du coût et des bénéfices associés aux études dans un cégep anglophone est considéré comme positif dans une projection sur le marché du travail (Dubet, 1996; Dubet & Martuccelli, 1998). Cette importance de l’anglais est manifeste, tant dans un marché du travail québécois qu’international où, rappelons-le, l’anglais détient un pouvoir important et où le bilinguisme est vu comme une ressource (Heller, 2005; Heller & Boutet, 2006). Ces discours stratégiques sur l’importance de l’anglais et des études dans un cégep anglophone sont parfois renforcés par la famille et, dans une moindre mesure, par l’école et les pairs. Ainsi, le choix

stratégique met de l’avant un acteur stratège et calculateur (Dubet, 1994b) dans la compréhension du

choix du cégep anglophone.

Si le choix stratégique du cégep anglophone renvoie à l’acquisition de qualifications jugées profitables sur le marché de l’emploi (Dubet, 2008), celles-ci concernent essentiellement la langue anglaise et le bilinguisme qui en découle. En effet, chez les participants qui s’inscrivent dans ce type, on retrouve une conscience éclairée de l’importance de l’anglais et d’être bilingue pour le marché du travail : « Donc ça va m’aider à mieux comprendre l’anglais. Puis le but c’était de devenir vraiment bilingue pour le marché du travail. C’était vraiment… une démarche consciente » (Olivier, Collège Marianopolis). En ce sens, les connaissances en anglais acquises lors des études collégiales en anglais sont perçues comme une manière d’élargir ses possibilités sur le plan professionnel, « d’ouvrir des portes ».

L’importance que représente l’anglais sur le marché du travail semble significative pour les participants, même dans une province francophone comme le Québec : « Ça m’intéressait d’apprendre l’anglais. Veut, veut pas, je trouvais dans... au Québec, même si on travaille en français, l’anglais est primordial »

(Marc-André, campus Saint-Lambert du Collège Champlain). Il y a une conscience que le Québec n’évolue pas en vase clos dans une Amérique du Nord anglophone et dans une économie mondialisée où l’anglais occupe une place centrale :

Rendu au point où est-ce que j’en étais, j’avais comme réalisé l’importance de cette langue-là... En fait, les portes que ça ouvre au point de vue professionnel pour pouvoir, non seulement travailler à l’extérieur, mais même travailler ici, mais en étant en contact avec des gens de l’extérieur, même ici avec des gens d’ici qui font affaire en anglais. Donc, c’était vraiment... c’était vraiment ça pour moi, d’aller apprendre l’anglais, d’être capable de travailler dans cette langue-là d’un point [de] vue professionnel. (Pierre, campus Saint-Lambert du Collège Champlain)

Les connaissances en anglais découlant des études dans un cégep anglophone sont considérées comme la clef de voûte pour accéder à un marché de l’emploi compétitif : « Je voulais pas, si on peut dire, être trié [non retenu] avec seulement une langue [le français] » (Guillaume, Collège Vanier). Dans une perspective certaine de concurrence à l’embauche (Dubet & Martuccelli, 1996b, 1998), elles sont considérées comme un avantage sur de potentiels candidats unilingues :

C’est sûr que tu sais, si je m’étais dit ça servira à rien dans ma vie, je le ferai pas… Mais je savais que pour moi, ça allait me donner un edge [plus-value] par rapport à d’autres personnes qui auraient pas… Parce que dans la profession que je me voyais, dans la carrière que je voulais obtenir je savais que j’en avais de besoin puis je voulais me différencier des autres de cette façon-là. (Alexandre, campus St-Lawrence du Collège Champlain)

Plus encore, le choix du cégep anglophone et les qualifications linguistiques qui en découlent sont manifestes, autant chez les participants dont le plan de carrière est déterminé que chez ceux pour qui il ne l’est pas. Pour ceux dont le plan de carrière est établi, la connaissance de l’anglais représente un atout, voire une nécessité pour atteindre des objectifs professionnels :

Pourquoi un cégep en anglais ? C’était pour commencer à apprendre l’anglais. Rendu en secondaire 5, je me suis quand même rendu compte que je parlais pas très bien anglais et que l’anglais était quand même assez nécessaire. Moi, je savais que je voulais aller dans un domaine plus scientifique et que l’anglais était nécessaire pour pouvoir percer ou pour au moins réussir dans le domaine. Ça pouvait se faire en français, mais ça diminuait quand même mes chances. Puis je trouvais que la meilleure manière d’apprendre l’anglais, c’était d’aller étudier, commencer par étudier en anglais […] C’est vraiment mon but, c’est d’apprendre l’anglais pour ma carrière. C’était vraiment ça la principale motivation. C’est pour atteindre mon objectif de carrière final que j’avais… que je suis allé là surtout […] Je savais très bien dans quoi fallait que j’étudie. Mon plan était très bien dessiné si on peut dire ça. (Simon, campus St-Lawrence du Collège Champlain)

Dans le cas de ceux qui n’ont pas encore de projets de carrière, cela ne les empêche pas de comprendre déjà l’importance de l’anglais sur le marché du travail :

En fait, je savais que c’était important, mais tu sais je savais pas encore pour quel objectif précisément. Tu sais, c’était pour le travail, ça, je le savais, mais... C’était comme le premier but, c’était de l’apprendre puis la suite viendra. Parce que je savais qu’il aurait pas de suite sans ça en fait. (Philippe, campus St-Lawrence du Collège Champlain)

Si le choix du cégep anglophone se fait pour avoir un avantage sur le marché de l’emploi, il se rattache parfois à un projet de mobilité géographique : « Je savais que je voulais voyager à l’étranger dans ma carrière plus tard » (Philippe, campus St-Lawrence du Collège Champlain). En effet, une carrière à l’extérieur du Québec, notamment à l’international, est, dans certains cas, ciblée et la connaissance de l’anglais apparaît alors comme incontournable :

Parce que j’ai toujours voulu voyager, j’ai toujours voulu avoir une carrière, disons, multinationale. Donc je réalisais dès ce moment-là que… avec seulement le français, j’aurais peut-être été limité dans mes ambitions […] Je suis allé en anglais parce que je voulais garder des portes ouvertes, mais j’avais pas un métier ciblé en tant que tel, mais je voulais… je savais que… j’ai toujours trouvé la notion de pouvoir travailler dans d’autres pays comme étant quelque chose de très… cool. Donc, je voulais absolument garder ça d’ouvert comme option. (Guillaume, Collège Vanier)

Ainsi, la langue anglaise est considérée comme une langue de mobilité géographique pour le travail : Bien professionnellement parlant. Je pense que c’est ça parce que… à l’époque, je pense que l’anglais était vraiment vu comme la langue de l’avenir. Il y avait beaucoup de choses qui étaient faites en anglais puis à part… Québec et la France, en gros là, c’est sûr qu’il y a d’autres pays francophones ou d’autres états [où] on parle français, mais tu sais il y avait beaucoup plus… de pays ou de places où on parlait anglais que français donc c’est ça. Ça pouvait ouvrir des portes à ce niveau-là. (Sandrine, campus St-Lawrence du Collège Champlain)

Le choix stratégique est parfois renforcé par la famille et, dans une moindre mesure, par l’école et les pairs qui véhiculent des discours quant à l’importance de la langue anglaise.

Dans certains cas, l’influence stratégique de la famille se remarque dès l’enfance et l’adolescence alors que des parents ne tardent pas à mentionner l’existence des cégeps anglophones au Québec, mais surtout la possibilité d’y réaliser des études pour les francophones :

Je me rappelle qu’il [son père] m’a parlé de l’obligation d’aller en français et tout ça et du fait aussi que dès qu’on allait terminer le secondaire, qu’on devrait aller en anglais parce

que là, on avait le choix. Donc ça… il me l’a probablement dit assez souvent pour me convaincre. (Olivier, Collège Marianopolis)

D’autres parents mentionnent même les expériences positives et les effets profitables que des connaissances francophones de leur entourage ont retirés après avoir effectué ce choix :

Arrive, mettons je dirais autour de secondaire 4, commence à penser à nos choix... à nos choix futurs. Puis, sans insister, mes parents me posent des questions sur qu’est-ce que je voulais faire et tout. Puis, ils mentionnent que des gens qu’ils connaissent ont fait leur collégial en anglais puis qu’ils avaient pas regretté. Puis, pour rendu au niveau cégep, bien on peut choisir la langue d’enseignement à notre gré. (Pierre, campus Saint-Lambert du Collège Champlain)

Plus encore, des parents soulignent clairement les avantages liés à la connaissance de l’anglais pour la carrière professionnelle : « Ma mère trouvait que c’était une opportunité géniale de maîtriser ces deux langues [le français et l’anglais] qui, selon elle, sont très importantes dans le monde des affaires et dans le monde international » (Guillaume, Collège Vanier). L’apprentissage de l’anglais, dans le cadre des études collégiales en anglais, est dès lors vu comme un « investissement » qui représente une plus-value, voire une nécessité dans le marché de l’emploi actuel. C’est parfois par leur expérience personnelle et professionnelle, où l’anglais est présent, que des parents encouragent l’apprentissage de l’anglais avant l’entrée sur le marché du travail :

Mes parents me faisaient beaucoup réaliser l’importance de parler anglais surtout dans... beaucoup plus dans la région de Montréal. On le réalisait de plus en plus. Mon père avait des offres d’emploi qui requéraient beaucoup plus le bilinguisme et ma mère tout autant. Et puis, elle, ça la bloquait d’autant plus. Fait qu’elle trouvait ça bien important qu’on soit capable de se débrouiller dans cette langue-là. Puis elle avait vu une grosse, grosse différence entre mettons Québec et Sherbrooke et la banlieue de Montréal au niveau de ce requis-là d’avoir la langue pour travailler. (Pierre, campus Saint-Lambert du Collège Champlain)

Au sein de la famille, c’est aussi parfois les frères ou les sœurs plus âgés qui nourrissent un discours sur l’importance de l’anglais, alors qu’eux-mêmes ont fréquenté le cégep anglophone. Leur choix, leur expérience et le parcours qu’ils ont réalisé encourage certains dans leur choix d’emprunter la même voie :

Mon frère avait fait le saut comme ça auparavant et je voyais qu’il se débrouillait très bien en anglais étant donné qu’il a 10 ans de plus que moi. Comme moi je commençais à y penser à faire le saut en anglais, lui il avait déjà presque fini l’université donc il se débrouillait très bien en anglais. (Guillaume, Collège Vanier)

Si l’influence familiale est la plus manifeste dans le choix stratégique de fréquenter un cégep anglophone, les influences des groupes de pairs et de l’école ont néanmoins une certaine importance. En effet, certains pairs avec lesquels des francophones ont réalisé leur scolarité primaire et secondaire influencent le choix. Dans certains cas, un groupe d’amis décide de s’inscrire au cégep anglophone, créant ainsi un « effet de gang » : « Bien dans ma classe au secondaire, je vous dirais il y en a, peut- être la moitié, qui sont venus à ce cégep-là » (Marc-André, campus Saint-Lambert du Collège Champlain).

L’école aussi participe à véhiculer un discours sur l’importance de l’anglais, ce qui renforce le choix

stratégique du cégep anglophone. Ce discours provient parfois des enseignants :

Les professeurs à l’école insistaient là-dessus, puis pas seulement les professeurs d’anglais, les professeurs aussi. Bon, on avait des cours de choix de carrière aussi, ce genre de cours là, puis entre... ça se jasait un petit peu veut, veut pas entre étudiants aussi. Fait que c’était juste une impression générale que j’ai dans ce temps-là, que c’était un petit peu une préoccupation quand même, qu’on entendait ou que j’entendais souvent. (Pierre, campus Saint-Lambert du Collège Champlain)

Il est aussi véhiculé par les conseillers en orientation qui sont des acteurs de l’orientation scolaire et professionnelle :

C’était valorisé dans un discours puis c’est bien apprendre l’anglais. Et que c’était comme, l’anglais est nécessaire maintenant dans notre société pour idéalement avoir plus d’options de carrière et que c’est plus… le discours que je me souviens un peu du conseiller en orientation, c’est un peu que c’est plus [moins] comme dans le temps de nos parents où quelqu’un peut… va nécessairement réussir à bien gagner sa vie s’il reste toujours dans la même ville. Donc c’est pas sûr, on n’est pas garanti de pouvoir vivre à Québec si on veut dire dans un milieu francophone. C’est d’ouvrir ses portes, puis aller à aller à Ottawa, Montréal ou même ailleurs si nécessaire. (Simon, campus St-Lawrence du Collège Champlain)

Le choix stratégique du cégep anglophone est donc l’un des types d’expérience de choix qui constitue notre typologie. Dans ce choix, la logique de la stratégie domine alors que des considérations essentiellement liées à la valeur de l’anglais sur le marché du travail se manifestent (Dubet, 2008). Cela étant dit, le choix stratégique n’est pas la seule explication du choix du cégep anglophone, puisque plusieurs francophones font également ce choix dans une perspective de développement personnel.