• Aucun résultat trouvé

L’accessibilité au réseau d’enseignement collégial anglophone au Québec : un débat

CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE

1.3 L’accessibilité au réseau d’enseignement collégial anglophone au Québec : un débat

Au Québec, l’accès au réseau d’enseignement collégial anglophone constitue, depuis plusieurs décennies, un débat récurrent dans les sphères publiques et politiques (Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, 2001; Conseil supérieur de la langue française, 2011; Forcier, 2011; Poirier & Rousseau, 2015; Proulx et al., 2018). La question est discutée de manière relativement fréquente dans la presse30, où différents éléments concernant

l’accessibilité du cégep anglophone sont abordés. Parmi les aspects traités dans les écrits journalistiques, citons par exemple les positions politiques et partisanes en faveur du prolongement de la Loi 101 au collégial (Lacroix, 2017b; Lavallée, 2017; Marois, 2012), les positions politiques et partisanes contre l’application de la Loi 101 au collégial (Breton, 2011; Dion-Viens, 2011; Lessard & Chouinard, 2012; Pilon-Larose, 2017; Plante, 2017) et la croissance des demandes d’admission dans les cégeps anglophones chez les francophones et les allophones de l’ensemble du Québec31 (Cloutier,

2016; Labbé, 2017; Lacoursière, 2011; Meloche-Holubowski, 2016; Pratka, 2013; Valiante, 2017). Le débat s’articule essentiellement autour de l’enjeu du maintien de l’équilibre démolinguistique entre le français et l’anglais au Québec. Il soulève des points de vue divergents, tant chez les acteurs syndicaux, étudiants, patronaux, politiques et citoyens (Forcier, 2011) que scientifiques (Baril, 2001; Bourdon, 2011; Langlois, 2012; Poirier & Rousseau, 2015; Proulx, 2000). Deux positions principales se dégagent de ce débat : étendre la Loi 101 au collégial et maintenir le libre choix quant à la langue d’études au collégial.

La première position propose d’étendre la Loi 101 au collégial afin de restreindre l’accès aux cégeps de langue anglaise aux francophones et aux allophones. Cette position est notamment avancée par

30 Nous n’avons pas effectué une revue de presse « exhaustive », l’idée étant de montrer la diversité et la récurrence des

publications journalistiques sur la question.

31 Il est pertinent de préciser que l’article de presse de Labbé (2017) fait certes état de l’augmentation du nombre de

demandes d’admission au cégep anglophone par des francophones, mais également de la situation inverse, c’est-à-dire de l’augmentation du nombre de demandes d’admission au cégep francophone par des anglophones. Les articles de presse de Cloutier (2016), pour la région de Québec, et de Lacoursière (2011), pour la région de Montréal, soulignent que si les cégeps anglophones reçoivent davantage de demandes d’admission, il en est de même pour les cégeps francophones de manière générale.

des membres du Parti Québécois32 dont Pierre Curzi (2010, 2011) – ex-député de Borduas, des

groupes militants et indépendantistes comme la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (Préfontaine, 2012), Charles Castonguay (Bourdon, 2011) – professeur retraité de l’Université d’Ottawa, la Centrale des syndicats du Québec (Forcier, 2011), l’Institut de recherche sur le français en Amérique (Sabourin, Dupont, & Bélanger, 2010a, 2010b) ainsi que des journaux dits « alternatifs » comme L’Aut’Journal (Dubuc, 2017; Lacroix, 2017a). Selon les tenants de cette position, la scolarisation collégiale en anglais serait un tremplin vers une scolarisation universitaire et une intégration future dans un marché du travail en anglais. Ce point de vue s’articule autour de la proposition suivante :

Le passage par le cégep anglais est beaucoup plus qu’une expérience temporaire permettant de perfectionner sa connaissance de l’anglais avant de revenir à un environnement à prédominance francophone. De ce passage résultent des effets anglicisants notables autant chez les allophones que chez les francophones, et cela, tant au plan de la langue d’usage privé que public. En somme, étudier en anglais, travailler en anglais, consommer en anglais et entretenir un réseau social anglophone facilitent grandement l’anglicisation. (Curzi, 2011, p. 4)

Ainsi, selon cette première position, l’application de la Loi 101 au collégial pourrait freiner l’anglicisation, plus spécifiquement à Montréal, et préserverait la langue française et la culture franco-québécoise33

(Curzi, 2011). En outre, selon les tenants de cette position, la proportion de places disponibles dans le réseau d’enseignement supérieur de langue anglaise du Québec dépasserait le nombre d’anglophones en âge de fréquenter ces établissements. Si les universités anglophones34 peuvent être fréquentées

par une population nationale et internationale, les cégeps sont une spécificité québécoise. Ce faisant, selon Sabourin et ses collaborateurs (2010a), les places vacantes sont dès lors occupées par des francophones et des allophones.

Une autre position favorise le maintien du statu quo en revendiquant le principe du libre choix aux études à l’enseignement supérieur. Cette position a notamment été mise de l’avant par la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec (2001), le Conseil

32 Cette position n’est pas soutenue par l’ensemble des membres du Parti Québécois qui, eux-mêmes, divergent sur la

question (Lavallée, 2017; Lessard & Chouinard, 2012).

33 Les arguments présentés par Pierre Curzi, ex-député de Borduas, sont tirés des travaux réalisés par Sabourin, Dupont

et Bélanger (2010a, 2010b) pour l’Institut de recherche sur le français en Amérique. Nous ferons état de ces travaux dans la recension des écrits (Chapitre 2).

34 Au Québec, trois universités sont anglophones : l’Université McGill (Montréal), l’Université Concordia (Montréal) et

supérieur de la langue française (2011) et la Fédération des cégeps (2011). Parmi les arguments avancés par la Fédération des cégeps (2011), notons celui selon lequel les études collégiales ne s’inscrivent plus dans la formation scolaire obligatoire. Au collégial, les étudiants sont également devenus de jeunes adultes en mesure de choisir l’établissement qui répond le plus adéquatement à leurs aspirations. De plus, il ne peut à lui seul régler l’enjeu du maintien de la vitalité de la langue française au Québec. Enfin, pour la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française (2001) :

Sur le plan idéologique, la Commission considère que cette question présente une dérive potentielle, car le débat est mal engagé lorsqu’il fait reposer surtout sur l’attitude d’une minorité d’étudiants au collégial, fils et filles de nouveaux arrivants pour la plupart, le sort du français au Québec. Il est mal engagé lorsqu’il envisage d’imposer une mesure draconienne à l’ensemble des citoyens, en en faisant porter l’odieux à cette minorité de jeunes. Pour la Commission, le libre de [sic] choix de la langue d’enseignement n’est pas à remettre en question, comme en font foi les statistiques de fréquentation des cégeps qui suivent. La question principale est de savoir si le réseau collégial de langue française et de langue anglaise répond efficacement aux besoins de formation et aux attentes des jeunes et des adultes en ce qui concerne l’acquisition de leurs compétences linguistiques en langue française, en langue anglaise ou dans une autre langue. (Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, 2001, p. 58‑59)

En ce sens, au lieu de favoriser une mesure coercitive, des acteurs proposent plutôt la mise en place d’outils, comme celui d’augmenter le nombre d’heures d’enseignement du français dans les cégeps anglophones et le nombre d’heures d’enseignement de l’anglais dans les cégeps francophones, l’obligation de réussir une épreuve uniforme dans la langue seconde (en français dans les cégeps anglophones et en anglais dans les cégeps francophones), le rehaussement du niveau de la formation en français offerte dans les cégeps anglophones et la mise en place de programmes de jumelage entre les cégeps anglophones et francophones35 (Bourdon, 2011)36.

Le débat sociopolitique sur l’accès aux établissements d’enseignement collégial anglophones au Québec renvoie donc à l’enjeu du maintien de l’équilibre démolinguistique entre le français et l’anglais dans la province. Il se cristallise autour de la politique linguistique qu’est la Loi 101 comme outil de

35 À ce jour, des programmes de jumelage entre des cégeps francophones et des cégeps anglophones ont été mis en

place, par exemple à Québec entre le cégep Limoilou et le campus St-Lawrence du Collège Champlain (Cloutier, 2018) ainsi qu’entre le Centre d’études collégiales de Sainte-Marie et le campus St-Lawrence du Collège Champlain.

maintien de cet équilibre. Au-delà du débat, qu’en est-il réellement, sur le plan statistique, de la fréquentation des établissements collégiaux de langue anglaise au Québec ?