• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 CADRE THÉORIQUE

3.1 La sociologie de l’éducation et la socialisation

3.1.2 Le déclin de l’institution

Alors que le fonctionnalisme et le marxisme se sont principalement attardés aux structures sociales et au système, les théories qui leur succèdent ont davantage porté leur attention sur les interactions et les processus sociaux (Plaisance & Vergnaud, 2001; Wotherspoon, 1998). C’est le retour de l’acteur79

(Touraine, 1984) dans des modalités de compréhension différentes de la socialisation et du système scolaire en s’intéressant maintenant à la capacité interprétative de ce dernier (Lapassade, 1996) ainsi qu’à la « boîte noire » que représentent l’école et ses processus internes (Ferréol & Noreck, 1993). Cette sociologie considère certes les structures sociales, mais elle donne la primauté de la compréhension du social par le biais de l’existence et du sens qu’en donnent les acteurs au quotidien (Lapassade, 1996). Ici, la socialisation devient un « processus de construction, déconstruction et reconstruction d’identités » avec lequel l’individu doit apprendre à composer afin de devenir un acteur (Dubar, 2010). Plus encore, ces approches mettent de l’avant l’hétérogénéité du Moi social (Lallement, 2012) et montrent le déclin de l’institution des différents appareils de socialisation, notamment de l’école. Les modalités de production des individus par les institutions ne relèvent plus du « clonage » devant la montée de l’individualisme de plus en plus marquée (Dubet, 2017). On regroupe donc ces théories sous les appellations constructivistes (Duru-Bellat & Van Zanten, 2006), interprétatives, compréhensives ou microsociologiques (Forquin, 1997).

Dans ce contexte, où les individus ne sont pas que des agents des structures sociales mais bien des acteurs de leur socialisation (Schmitt & Bolliet, 2008), Boudon (1985) propose une réponse critique aux théories précédemment discutées. Sa théorie de l’individualisme méthodologique est basée sur l’acteur et ses motivations pour expliquer les phénomènes sociaux. En éducation, notamment, un calcul des coûts et bénéfices permet de justifier les choix scolaires d’acteurs qui ne possèdent pas les mêmes ressources, c’est-à-dire une rationalité limitée (Duru-Bellat & Van Zanten, 2006; Farmer & Heller, 2008). Plus précisément, le calcul des coûts et des bénéfices passe par la considération de paramètres qui concernent les avantages et les désavantages présents et futurs, tout comme les risques. Ces paramètres possèdent toutefois une valeur différenciée au regard du contexte social dans

79 Si le concept d’« acteur » possède des significations multiples en sciences humaines et sociales et s’associe ou se

dissocie de l’« individu » selon les approches théoriques (Gaudin, 2001), nous renvoyons ici à l’idée d’un acteur telle que Touraine (1984) la présente. L’acteur, ou le sujet, est un individu qui n’est plus complètement soumis aux structures sociales, mais qui possède une réflexivité critique de la vie sociale. En d’autres mots, il s’agit d’un acteur qui possède une marge de manœuvre (Angers, 2003).

lequel s’inscrit chaque individu. L’individu doit donc faire des arbitrages, non seulement face à des choix « inégalement risqués » mais aussi « inégalement rentables » (Duru-Bellat & Van Zanten, 2006). Ainsi :

Mais même si formellement tous les individus font preuve de rationalité, les choix effectifs restent très divers, car ces arbitrages raisonnables s’effectuent dans des contextes de contraintes sociales et scolaires variés, qui recoupent l’appartenance à tel ou tel groupe social. Dans cette perspective, le milieu social est avant tout un point de référence à partir duquel l’agent [l’individu] s’efforce de mesurer les avantages, les désavantages et les risques qu’il prend en choisissant tel ou tel type d’orientation. (Duru-Bellat & Van Zanten, 2006, p. 211)

C’est dans les travaux de Berger et Luckmann (2012) que l’on voit des évolutions théoriques significatives dans la compréhension du concept de socialisation. En effet, la socialisation n’y est plus vue comme l’incorporation des manières d’être associées à un groupe ainsi que l’intégration sociale et culturelle, mais bien comme l’interaction et l’incertitude d’un monde vécu qui est construit et reconstruit tout au long de la vie par l’individu, qui devient dès lors un acteur (Dubar, 2010). Ce changement de conception de la réalité sociale s’opère notamment par la distinction entre socialisation primaire et socialisation secondaire. À l’instar de Dubar (2010), le concept de socialisation dépasse maintenant l’enfance et l’école pour intégrer de nouvelles sphères sociales, comme le monde du travail. Les socialisations sont ainsi maintenant multiples (Martuccelli, 2005).

La socialisation primaire se produit dans l’enfance et elle permet la mise en place de structures mentales qui mènent à une certaine intégration de l’individu dans sa société. Cette acceptation, présente tant dans les théories macrosociologiques que microsociologiques, constitue une forme de lieu commun en sociologie (Darmon, 2010; Schmitt & Bolliet, 2008). Dans une perspective constructiviste, si la socialisation primaire est vue comme une socialisation de l’enfant qui a lieu dans la famille, la famille n’est pas vue comme un agent de socialisation homogène, puisque l’héritage des parents n’est pas le même en tout point. Cela conduit forcément à des impacts différents sur les enfants (Lahire, 2013). Aussi, la famille n’est pas le seul agent de socialisation constitutif de la socialisation primaire. Darmon (2010) discute notamment de la présence de deux théories opposées quant au monopole de la famille dans la socialisation familiale. La première réfère aux travaux d’Elias (2002) pour qui la famille arrive, au fil de l’histoire, à acquérir le monopole de la socialisation familiale qui était auparavant détenu, entre autres, par les couches supérieures sur les couches inférieures de la société, les domestiques. La deuxième théorie souligne la pluralité de la socialisation primaire, relevant la

présence de plusieurs agents de socialisation à l’enfance. Ceci conduit à ne pas considérer la famille comme unique socle de la socialisation primaire alors que l’école et les pairs, entre autres, influencent largement l’individu dès son plus jeune âge. Ce faisant, l’école, les pairs, les sphères culturelles – pour ne nommer que ceux-ci – deviennent tout aussi importants que la famille dans l’enfance (Darmon, 2010). L’intériorisation de la société et de l’identité qui se produit lors de la socialisation primaire n’est toutefois pas un point final dans le parcours de vie de l’individu. Selon Berger et Luckmann (2012), elle a cours tout au long de la vie puisqu’elle n’est jamais totale et achevée et qu’elle se renouvelle constamment.

La socialisation secondaire se produit dans des espaces sociaux plus spécialisés, des sous-mondes institutionnels, comme le monde scolaire et le monde du travail. Ce qui induit forcément une continuation dans la construction de l’identité avec l’incorporation de nouveaux modèles et l’endossement de nouveaux rôles (Berger & Luckmann, 2012; Schmitt & Bolliet, 2008). Cette reconstruction de l’individu ne se fait pas ex nihilo de la socialisation primaire déjà produite. En effet, durant la socialisation primaire, l’enfant intériorise le monde de ses autruis significatifs, qui devient dès lors son seul référent. Cela rend la socialisation primaire si forte qu’elle laisse des traces durant les socialisations secondaires qui ont lieu plus tard dans le parcours de vie (Berger & Luckmann, 2012). L’articulation entre socialisation primaire et secondaire devient alors particulièrement importante (Berger & Luckmann, 2012). La socialisation secondaire est d’abord diverse, puisqu’elle s’articule au sein de plusieurs institutions (formation scolaire et professionnelle, marché du travail, couple, pairs, etc.). Elle est ensuite concomitante, puisque différentes sphères de socialisation peuvent agir en même temps, soit dans la congruence ou la concurrence. Enfin, elle se produit dans le temps au regard de la socialisation primaire. Elle doit donc être vue de manière continue au fil du parcours biographique de l’individu (Darmon, 2010).

À cet effet, Darmon (2010) propose trois mouvements de socialisation secondaire en lien avec la socialisation primaire. Les socialisations de renforcement modèlent – fixent – fortement l’individu sans le transformer. Les socialisations de conversion, à l’inverse, modifient radicalement et totalement l’individu. Les socialisations de transformation présentent une transformation à un degré ou à un autre de l’individu et sur un plan ou un autre. Elles se distinguent des socialisations de conversion en ce

sens qu’elles n’impliquent pas une transformation radicale et totale. Elles peuvent aussi être limitées dans le temps et à certains domaines sur lesquels elles agissent.

Ce changement dans la conception de la socialisation se manifeste dans ce que Dubet (2002) appelle le déclin de l’institution80. Ce passage entre le pouvoir institutionnel – entendu ici comme le programme

institutionnel, c’est-à-dire une structure ou un cadre symbolique – et le déclin de l’institution se traduit entre autres dans les identités individuelles et collectives.