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De la référentialité historique au contexte fictionnel

1. Paysage de la Société coloniale

1.4. La Société Française

La société française est celle du puissant, du conquérant, du dominant. C‟est la société d‟une population instruite, lettrée et civilisée. Une population composée de Français arrivés de la Métropole, qui bénéficient, au premier plan, de tous les privilèges, au second plan, les autres, des migrants européens, de divers pays : « Les bistrots des alentours, fréquentés par des ouvriers espagnols, maltais, italiens, petit peuple méditerranéen qui, depuis la conquête, arrivé par vagues » LEDNM (p.225).

C‟est une communauté minoritaire dont les membres occupent les meilleurs postes administratifs, habitent dans les plus beaux quartiers, et leur enfants jouissent des droits à l‟enseignement, au loisir et aux vacances dans la Métropole:

[…] comme ses frères, s‟acharner à ignorer pour toujours le monde qu‟installent et développent les immigrants qui font la loi, qui s‟enrichissent, qui se bâtissent des villas de plus en plus grandes dans leur quartiers, demeure au style emprunté à chacune des provinces de France. LEDNM (p.181).

Selon Djebar, la société européenne, en plus de la jouissance des meilleures conditions de vie et de tous les privilèges, il lui est réservé même le droit de rêver et de fonder des projets d‟avenir, sans se soucier de la misère de l‟indigène : « On pouvait maintenant les imaginer dans les fermes familiales, silhouettes toujours exquises, arrêtées sur le seuil de leur maison de maître, au milieu des blés et des vignes » LEDNM (p.83).

Les Européens éprouvent un sentiment de supériorité vis-à-vis des autochtones, ils les snobent et leurs rapports sont restreints : « Les « autres », comme tu dis, sont fiers parce qu‟ils sont Européens » LCDP (p. 96). Leur xénophobie atteint le monde des enfants, au point d‟interdire à leurs petits de jouer avec ceux des indigènes. Ils construisent une barrière entre leur vie et la vie de ceux qu‟ils considèrent comme barbares.

La guerre de libération, n‟est pas au goût des Européens, les attentats, les bombes, les assassinats des policiers, met cette population dans une situation critique, de peur, d‟insécurité et d‟incertitude. Les biens des colons sont ravagés par les opérations de sabotage, ainsi que les biens publics : « Pourquoi cette maudite guerre, ces troubles qui

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m‟empêchent de sortir, de partir à cheval, de faire du tennis ? » LEDNM (p.89). Certains Européens abandonnent le pays, et partent vers la patrie d‟origine, qui pour certains, elle est inconnue, d‟autres restent car l‟Algérie est leur pays, c‟est là où ils sont nés et grandis, beaucoup contribuent à semer la haine meurtrière contre l‟indigène : « Ils veulent nous chasser de notre terre, ils disent que notre pays est la France » LCDP (p.202).

Il y une catégorie vénale de la société française, pour laquelle, cette Révolution est une opportunité pour évoluer sur les débris de la guerre. Le commissaire adjoint, Martinez, dès son jeune âge, ils côtoie la société des indigènes, il est donc le mieux placé à gérer la nouvelle situation : « Plus la guerre continue, plus on a besoin de lui, de sa connaissance parfaite de la population indigène, des éléments politisés et suspects de la région…il a toutes les chances de devenir commissaire principal avant quarante ans » LEDNM (p.136). Cet esprit opportuniste de Martinez l‟entraine à un conflit de point de vue sur la manière à agir avec les indigènes. Pour Jean son supérieur, il n‟est pas question d‟utiliser la torture dans les interrogatoires surtout quand il s‟agit de femmes ou d‟un détenu sans preuves. Martinez est convaincu que le recours à la violence est la solution la plus judicieuse pour mettre fin au soulèvement : « J‟agis en accord avec ma conscience ! » la conscience ! va te faire foutre ! Le « Vieux » aurait fait un bon directeur d‟école et il aurait interrogé de la même façon polie les petits « bicots » au certificat d‟études » LEDNM (p.136).

1.5. Le regard croisé : colonisateur/colonisé

Il s‟agit de savoir quel regard porte l‟Européen sur l‟indigène, le colonisateur sur le colonisé ? l‟Arabe offre une image insupportable à voir, une image dérangeante par sa misère, son apparence physique et son ethnie vu d‟en haut par le colonisateur :« Le colon Ferrand, assis seul au principal café de la place, détourne les yeux des miséreux qui passent » LEDNM (p.224). Pour les Européens, l‟indigène est considéré comme un serviteur, un domestique déclassé, abhorré, car barbare, qui ne sera jamais reconnu

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comme un citoyen. Cette ségrégation est apparente dans le discours du colonisateur où l‟Arabe est souvent qualifié de « bicot » de « bête sauvage », d‟ « abruti » ou de « mauresque » ; il n‟a pas le droit à l‟instruction au-delà du certificat d‟études, ne doit pas accéder aux endroits réservés aux Européens, ni à leur vie, sauf pour servir ces derniers. Tout en recevant un salaire dérisoire, l‟indigène n‟a pas le droit à la sécurité sociale, ou à une retraite : « Son père cheminot à la capitale, après son accident rentrant à la maison et disant : « La France m‟a renvoyé », puis la misère, la mort du père » LEDNM (p.208).

Même s‟il est un policier au servir des intérêts de la France, Hakim est détesté par son supérieur Martinez de par son origine d‟indigène : « Il me hait, songe-t-il. Il ne sait comment me considérer et il n‟a que deux manières de traiter les hommes : en valet ou en complice » LEDNM (p.137). Martinez doute du dévouement de Hakim pour la France il veut mettre à l‟épreuve sa conscience professionnelle, il lui propose d‟interroger l‟un de ses voisins « Saidi », l‟ancien gérant de café « Bagdad » : « C‟est toi qu‟on éprouve…toi dont je veux savoir quel genre d‟instrument tu es ; car je crains fort que tu ne relèves un couteau à double tranchant » LEDNM (p.137). Cette méfiance de l‟indigène accompagne les colonisateurs dès les premières années de l‟occupation. Ils sont persuadés que l‟Algérie leur appartient, et qu‟à tout moment ils peuvent la revendiquer.

Dans les deux romans, nous rencontrons des rapports moins tendus entre colonisateurs et colonisés, au point où certains Français éprouvent une certaine sympathie pour l‟indigène, une forme d‟humanisme, sans pour autant dépasser les limites d‟une relations très superficielle et d‟un échange assigné : « Les Européens avaient de l‟estime pour lui » LCDP (p.27).

Depuis les événements du 8 mai 1945, le regard des Européens est plus grave qu‟auparavant, c‟est un regard de haine plus que de mépris, le « bicot » s‟est transformé en « une bête sauvage », un homme sanguinaire qui mérite l‟extermination : « Je considérais ces hommes qui se faisaient passés pour des révolutionnaires comme des

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tueurs sauvage et sans scrupules, semant la terreur en rasant n‟importe qui. » LCDP (p.239).

De son côté, l‟indigène réserve un regard plein de haine et de hargne au colon européen. Depuis son jeune âge, ses parents se sont chargés de l‟informer sur l‟Histoire de son pays, qu‟il est dans le passé celui d‟un peuple libre et fier. C‟est le colonisateur qui, depuis son occupation illégitime, ne conserve pas les moyens pour le priver de ses droits, et de lui faire subir la misère et la marginalisation sur sa propre terre.

Après la guerre, la haine vis-vis du colonisateur change de forme, elle est mise en œuvre, et cède la place aux armes, qui sauront faire entendre son intensité : « La conscience profonde de l‟injustice de leur disparition due à la cruauté des barbares » LCDP (p.26). De par l‟injustice, l‟assujettissement et l‟humiliation, l‟indigène condamne l‟ensemble de la communauté française, et ne voit en ses membres qu‟un symbole de tyrannie et d‟atrocités : « Les autres, ils sont égoïstes et cruels » LCDP (p. 204). Mais avec l‟évolution de la guerre, le regard devient différent pour une catégorie d‟Européens convaincus de la légitimité de la cause de l‟indigène, ils contribuent à la libération du peuple algérien ; Ces Européens font preuve d‟une conscience libre et épousent les valeurs humanistes. Nous citons deux personnages : Suzanne l‟épouse d‟un avocat et M. Kimper le professeur de musique :

« L‟avocat avait été informé par Suzanne pour la détention de Salima…Mahmoud a manifesté une estime profonde pour Suzanne » LEDNM (p.157)

« M. Kimper, aurait pu mener une vie tranquille…mais non, cet homme doux et affable avait, depuis longtemps, choisi de lutter pour un idéal qu‟il avait fait sien : la justice et le droit des hommes d‟être libres sur leur terre » LCDP (p. 45)