• Aucun résultat trouvé

4 La situation en Grèce jusqu’à l’amnistie générale des bannis de 324

Chez les auteurs anciens, la conquête de l’empire perse éclipse l’histoire des cités de Grèce propre. Les seuls évènements qui nous soient parvenus concernent le soulèvement fomenté par le roi Agis III de Sparte contre la domination macédonienne. Ce dernier est encouragé et soutenu financièrement dans son action par Darius276. Les échecs de ce dernier à Issos et la perte de l’Asie Mineure ne l’empêchent pas de continuer ses préparatifs. Des États péloponnésiens vont se joindre au soulèvement, alors qu’Athènes préfère s’abstenir. Un tel comportement laisse suggérer une situation proche de celle de 336 et 335. Le seul fait concret que nous connaissions est la défaite de la coalition composée des Éléens, des Achaïens et des Arcadiens au printemps 330 à Mégalopolis, et il sonne le glas de la révolte. Antipatros installe ou ramène au pouvoir les factions fidèles à la Macédoine et bannit les opposants277. Les cités ne font plus parler d’elles jusqu’en 324 avec la promulgation de l’édit de Suse.

De retour des confins de l’Inde, Alexandre prend la décision d’amnistier tous les bannis politiques hormis les sacrilèges et les meurtriers. Nicanor de Stagire est envoyé aux Jeux Olympiques en juillet 324 afin de faire proclamer sa décision en public par le héraut vainqueur.

Le contenu de la lettre est rappelé par Diodore (XVIII, 8,1) :

«Βασιλεὺς Ἀλέξανδρος τοῖς ἐκ τῶν Ἐλληνίδων πόλεων φυγάσι. τοῦ μὲν φεύγειν ὑμᾶς οὐχ ἡμεῖς αἴτιοι γεγόναμεν, τοῦ δὲ κατελθεῖν εἰς τὰς ἰδίας πατρίδας ἡμεῖς ἐσόμεθα πλὴν τῶν ἐναγῶν. γεγράφαμεν δὲ Ἀντιπάτρῳ περὶ τούτων, ὅπως τὰς μὴ βουλομένας τῶν πόλεων κατάγειν ἀναγκάσῃ.»

« Le roi Alexandre aux Grecs bannis. Nous n’avons pas été responsables de votre exil, mais nous le serons de votre retour dans vos patries respectives, les sacrilèges exceptés. Nous avons écrit à Antipatros sur ce sujet, afin qu’il oblige les cités réfractaires à rappeler leurs bannis » 278.

276

Il faut croire que Darius avait pour objectif d’isoler Alexandre en Asie Mineure et/ou le pousser à rebrousser chemin, grâce à sa contre offensive maritime, qui pouvait aussi le couper de tout ravitaillement, mais également en provoquant un second foyer de conflit en Grèce continentale.

277

Quinte Curce, VI, 1.

278

Diodore précise que plus de vingt mille exilés étaient présents lors de cette annonce « … ἦσαν δ´ οἱ φυγάδες ἀπηντηκότες ἅπαντες ἐπὶ τὴν πανήγυριν, ὄντες πλείους τῶν δισμυρίων… » (Diodore, XVIII, 8,5).

Acte politique aussi fort qu’habile, Alexandre se pose clairement en protecteur des exilés. Une connexion entre la promulgation de l’amnistie générale et un contexte social jugé tendu au sein des cités expliquent cette décision royale qui relève avant tout d’une volonté de stabilisation des cités, toujours en proie à des dissenssions plus ou moins latentes, et par là même de l’empire. Bien qu’il puisse être vu comme une intervention dans la vie politique interne des cités, l’édit de Suse apparaît comme un moyen efficace pour lutter contre la stasis en neutralisant l’un de ses principaux facteurs, les bannis. L’édit intervient également à un moment où Alexandre a achevé sa conquête : sa suprématie est incontestable, plus aucun État n’est en mesure de rivaliser avec sa puissance. Privés d’alliés extérieurs, les factions n’ont plus guère d’autre choix que de se plier à l’ordre établi. Il faut attendre 168 pour retrouver à nouveau une telle conjoncture avec la suprématie de Rome.

Mais pour en revenir à 324, à en croire Diodore, la plupart des cités accueille le retour des bannis comme un bien, mais la réalité a très certainement été tout autre279. Les réticences ont dû être importantes, vu les objections politiques et économiques qu’un tel retour suscite. Les plus réfractaires restent les Étoliens qui sont sommés par Alexandre de restituer à ses habitants la cité d’Oiniadia en Acarnanie enlevée en 330, sous peine de représailles, et Athènes qui a le plus à y perdre. Cette dernière, méfiante, refuse de réintégrer ses bannis réfugiés à Mégare. Ces individus sont vus comme une menace pour la démocratie, sans que nous ne sachions qui ils sont réellement : oligarques ? partisans déclarés de la Macédoine ? rien ne permet réellement de trancher280. Quinte-Curce n’hésite pas dans son récit à les qualifier de rebut de la société : «Prohibuere igitur exules

finibus omnia potius toleraturi, quam purgamenta quondam urbis suae, tunc etiam exilii admitterent » (Quinte-Curce, VIII, 10,2). Mais c’est l’évacuation de ses importantes

clérouquies, installées depuis 365 à Samos, qui inquiète le plus Athènes et pour cause : ces dernières comptent, selon les estimations de C. Habicht, au plus fort de leur implantation, près de douzemille familles. Familles qu’ils faudraient rapatrier et installer en Attique281.

279

Justin, XII, 5 ; Orose, III, 23,14 : l’édit de Suse serait à l’origine de la guerre lamiaque.

280

Dinarque, I, 94 ; Quinte-Curce, VIII, 10, 2. SEIBERT 1979, p. 159-160.

281

En effet, la décision de réintégrer des bannis politiques implique pour une cité de faire rentrer ces derniers en possession de leurs biens confisqués. Cette restitution est garantie par la loi et est probablement vue par les bannis comme une réparation pour le préjudice dont ils s’estiment victimes. Cette dernière, qui peut à première vue apparaître comme une évidence et/ou une simple formalité, s’avère en réalité bien plus complexe282

. De nombreux obstacles viennent entraver cette démarche.

Les biens confisqués initialement au profit de l’État font couramment l’objet d’une vente publique, dont les bénéfices viennent alimenter le trésor. Leur adjudication en lots plus ou moins importants (terres, maisons, boutiques, mobiliers) mène immanquablement à leur dispersion et plus particulièrement tout ce qui a trait aux biens mobiliers (meubles, bétails, esclaves etc.). Ceux qui échappent à la vente publique servent occasionnellement de donation à un bienfaiteur, difficile d’imaginer la cité lui réclamer par la suite le bien ainsi offert283. La durée de l’exil, qui peut parfois se prolonger sur plusieurs décennies, réduit d’autant les chances de récupérer les biens. Ces derniers ont pu changer de mains soit par héritage ou dot, soit par simple rachat.

La rétrocession des biens fonciers est néanmoins facilitée lorsque l’État garde la jouissance de ces derniers en les mettant à disposition de particuliers moyennant une redevance. Il est advenu que les biens soient confiés à la garde de proches restés dans la cité, c’est du moins ce que laisse supposer l’amnistie d’Élis (l.9-10) : « τοὶρ δὲ ἐπ' ἄσιστα μὰ ἀποδόσσαι μάτε ἐκπέμψαι τὰ χρǀήματα τοῖρ φυγάδεσσι· »284

. L’autre obstacle et non le moindre, est juridique. Ces biens ont fait l’objet d’une acquisition tout ce qu’il y a de plus légal et, en dépouiller les acheteurs pour satisfaire les bannis rentrants par une restitution, n’est autre qu’une atteinte au droit de propriété. Trouver un compromis satisfaisant pour tout un chacun, rentrants et résidents, s’impose et ce, sans léser aucune des parties : les rentrants et ceux présents dans la cité.

Le règlement de la cité de Tégée en Arcadie, daté de 324, atteste de ces difficultés. Le décret qui nous est parvenu est un ajustement à un règlement antérieur concernant la réintégration des bannis politiques suite au diagramma royal. Celui-ci n’a probablement pas pu se faire sans l’aval préalable d’Alexandre.

282

Isocrate, Lettre aux archontes de Mytilène, 3 : l’auteur loue en 348 les archontes de la cité pour avoir rendu « à ceux qui rentraient dans leur pays les biens dont ils avaient été dépouillés ». Cf. LONIS 1991, p. 94.

283

IGXII, 9, n° 196. Inscription provenant d’Érétrie et datée de 319,: « …τὀν νὁμ ν δ ῦναι δέ Τιμ θέωι τῶν ῖκιῶν φυγαδἱκῶν… » (l. 23-24).

284

Le règlement de Tégée :

Éditeurs : Syll.3, n°306 ; A. PLASSART, « Le règlement tégéate concernant le retour des bannis à Tégée en 324 av. JC », 1914, BCH 38, p. 101-188 (avec photographie) ; A.J. HEISSERER, Alexander the Great and the Greeks. The Epigraphic Evidence, 1980, p. 205-229 (avec photographie) ; L. DUBOIS, Recherche sur le dialecte arcadien ; corpus

dialectal II, 1986, p. 61-77 ; G. THÜR & H. TAEUBER, Prozessrechtliche Inschriften der Griechischen Poleis : Arkadien, 1994, n°5, p. 51-70.

Cf. : J.-M. BERTRAND, Inscriptions historiques grecques, 1992, n° 76, p. 139 (trad.

française) ; A. CASSAYRE 2010, La justice sur les pierres. Recueil d’inscriptions à

caractère juridique des cités grecques à l’époque hellénistique, n°4, p. 18-26 (texte grec et

trad. française).

Texte : Dubois. Traduction : Bertrand. [---] ση[— — — βασι]- [λεὺς Ἀλέξ]ανδρος τὸ διάγ ρ [α]μμα, γραφῆναι κατὺ τά ἐ - [πανωρ]θώσατυ ἁ πόλις τὰ ἰν τοῖ διαγράμματι ἀντιλ- εγόμενα. τὸς φυγάδας τὸς κατενθόντας τὰ πατρῶια 5 κομίζεσθαι, ἐς τοῖς ἔφευγον, καὶ τὰ ματρῶια, ὅσαι ἀ- νέσδοτοι τὰ πάματα κατῆχον καὶ οὐκ ἐτύνχανον ἀδ- ελφεὸς πεπαμέναι. εἰ δέ τινι ἐσδοθένσαι συνέπεσ- ε τὸν ἀδελφεὸν καὶ αὐτὸν καὶ τὰν γενεὰν ἀπολέσθα- ι, καὶ τανὶ ματρῶια ἦναι, ἀνώτερον δὲ μηκέτι ἦναι. ἐ- 10 πὲς δὲ ταῖς οἰκίαις μίαν ἕκαστον ἔχεν κατὺ τὸ διά- γραμμα. εἰ δέ τις ἔχει οἰκία κᾶπον πὸς αὐτᾶι, ἄ‹λλ›ον μ- ὴ λαμβανέτω. εἰ δὲ πὸς τᾶι οἰκίαι μὴ πόεστι κᾶπος, ἐ- ξαντίαι δ’ ἔστι ἰσόθι πλέθρω, λαμβανέτω τὸν κᾶπον· εἰ δὲ πλέον ἀπέχων ὁ κᾶπός ἐστι πλέθρω, τωνὶ τὸ ἥμι- 15 σσον λαμβανέτω, ὥσπερ καὶ τῶν ἄλλων χωρίων γέγρα- πται. τᾶν δὲ οἰκιᾶν τιμὰν κομιζέσθω τῶ οἴκω ἑκάστ- ω δύο μνᾶς, τὰν δὲ τιμασίαν ἦναι τᾶν οἰκιᾶν κατάπε- ρ ἁ πόλις νομίζει, τῶν δὲ κάπων διπλάσιον τὸ τίμαμ- α κομίζεσθαι ἢ ἐς τοῖ νόμοι, τὰ δὲ χρήματα ἀφεῶσθα- 20 ι τὰν πόλιν καὶ μὴ ἀπυδ{ι}ῶναι μήτε τοῖς φυγάσι μήτ- ε τοῖς πρότερον οἴκοι πολιτεύονσι. ἐπὲς δὲ ταῖς π- αναγορίαις, ταῖς ἐσλελοίπασι οἱ φυγάδες, τὰν πόλ- ιν βωλεύσασθαι ὅ τι δ’ ἂν βωλεύσητοι ἁ πόλις, κύριο- ν ἔστω. τὸ δὲ δικαστήριον τὸ ξενικὸν δικάζεν ἑξήκ-

25 οντα ἁμερᾶν. ὅσοι δ’ ἂν ἰν ταῖς ἑξήκοντα ἀμέραις μὴ διαδικάσωντοι, μὴ ἦναι αὐτοῖς δικάσασθαι ἐπὲς τ- οῖς πάμασι ἰν τοῖ ξενικοῖ δικαστηρίοι, ἀλλ’ ἰν τοῖ πολιτικοῖ ἀΐ· εἰ δ’ ἄν τι ὕστερον ἐφευρίσκωνσι, ἰν ἁ- μέραις ἑξήκοντα ἀπὺ ταῖ ἂν ἁμέραι τὸ δικαστήριο- 30 ν καθιστᾶ. εἰ δ’ ἂν μηδ’ ἰν ταῖννυ διαδικάσητοι, μηκέ- τι ἐξέστω αὐτῶι δικάσασθαι· εἰ δ’ ἄν τινες ὕστερον κατέ νθωνσι, τῶ δικαστηρίω τῶ ξενικῶ [μ]ηκέτι ἐόντ- ος, ἀπυγραφέσθω πὸς τὸς στραταγὸς τὰ πάματα ἰν ἁμ- έραις ἑξήκοντα, καὶ εἰ κἄν τι αὐτοῖς ἐ[π]απύλογον ἦ- 35 ι, δικαστήριον ἦναι Μαντινέαν· εἰ δ[αν] μ[ὴ] διαδικάσ- ητοι ἰν ταιν‹ὶν› ταῖς ἁμέραις, μηκέτ[ι] ἦναι αὐτοῖ δι- κάσασθαι. ἐπὲς δὲ τοῖς ἱεροῖς χρήμασι Ν ․ΛΩ․․․Ν τ- οῖς ὀφειλήμασι, τὰ μὲμ πὸς τὰν θεὸν ἁ πόλις διωρθώ- σατυ, ὁ ἔχων τὸ πᾶμα ἀπυδότω τῶι κατηνθηκότι τὸ ἥμ- 40 ισσον κατάπερ οἱ ἄλλοι· ὅσοι δὲ αὐτοὶ ὤφηλον ταῖ θ- εοῖ συνινγύας ἢ ἄλλως, εἰ μὲν ἂν φαίνητοι ὁ ἔχων τὸ πᾶμα διωρθωμένος ταῖ θεοῖ τὸ χρέος, ἀπυδότω τὸ ἥμ- ισσον τῶι κατιόντι, κατάπερ οἱ ἄλλοι, μηδὲν παρέλ- κων· εἰ δ’ ἂν μὴ φαίνητοι ἀπυδεδωκὼς τᾶι θεοῖ, ἀπυδό- 45 τω τοῖ κατιόντι τὸ ἥμισσον τῶ πάματος, ἐς δὲ τοῖ ἡμ- ίσσοι αὐτὸς τὸ χρέος διαλυέτω· εἰ δ’ ἂν μὴ βόλητοι δ- ιαλῦσαι, ἀπυδότω τοῖ κατιόντι τὸ πᾶμα ὅλον, ὁ δὲ κο- μισάμενος διαλυσάτω τὸ χρέος τᾶι θεοῖ πᾶν. ὅσαι δ- ὲ γυναῖκες τῶν φυγάδων ἢ θυγατέρες οἴκοι μίνονσ- 50 αι ἐγά[μ]αντυ ἢ φυγόνσαι ὕστερον ἐγάμαντυ [ἰ]ν Τεγέ- αν κα[ὶ] ἐπίλυσιν ὠνήσαντυ οἴκοι μίνονσαι, ταννὶ μ- ήτ’ ἀ[πυδοκ]ιμ άζεσθαι τὰ πατρῶια μήτε τὰ ματρῶια μ- ηδὲ τὸς ἐσγόνος, ὅσοι μὴ ὕστερον ἔφυγον δι’ ἀνάγκα- ς καὶ ἰν τοῖ νῦν ἐόντι καιροῖ καθέρπονσι ἢ αὐταὶ ἢ 55 παῖδες ταννί, δοκιμάζεσθαι καὶ αὐτὰς καὶ τὸς ἐς τ- αιννὶ ἐσγόνος τὰ πατρῶια καὶ τὰ ματρῶια κὰ τὸ διά- γραμμα. ὀμνύω Δία Ἀθάναν Ἀπόλλωνα Ποσειδᾶνα, εὐν- οήσω τοῖς κατηνθηκόσι τοῖς ἔδοξε ταῖ πόλι κατυδ- έχεσθαι, καὶ οὐ μνησικακήσω τῶν νυ οὐ δε ν[ὶ] τ[ὰ] ἂν ἀμ - 60 π[ε]ίση ἀπὺ τᾶι ἁμέραι τᾶι τὸν ὅρκον ὤμοσα, οὐδὲ δια- κωλύσω τὰν τῶν κατηνθηκότων σωτηρίαν, οὔτε ἰν τᾶ- ι ․․․․․․․․ οὔτε ἰν τοῖ κοινοῖ τᾶς πόλιος ․․․․․

․․…..․․․․․․․․δ ι ά γραμματι [τ]οῖ πὸς τὸς κατηνθηκό- [τ]ας ․․․․․..․․․․․․ τᾶι πόλι ․․․․․․․․․․․․․․․․․

65 ․․.․․․.. [τ]ὰ ἰν τοῖ διαγράμματι γεγραμμένα … ․․․․․․․․․․․․․․[․․ ο]ὐδὲ βωλεύσω πὸς οὐδένα.

« « […] le roi Alexandre a envoyé le règlement, que soit transcrit ce que la ville a apporté comme modifications aux clauses du règlement qui étaient contestées. Que les exilés, à leur retour, recouvrent les biens de l’héritage paternel dont l’exil les avaient privés ainsi que ceux de l’héritage maternel : les filles aussi, du moins celles qui étaient en possession de leurs biens pour n’avoir pas été mariées et n’avoir pas de frère, si telle, après mariage, a vu disparaître son frère ainsi que les descendants de celui-ci, qu’elle reçoive ses biens au titre de l’héritage maternel, mais que l’on ne remonte pas au-delà dans la parenté.

Pour ce qui est des maisons, que chacun en ait une, conformément au règlement ; si quelqu’un a une maison avec un jardin attenant, qu’il ne prenne pas d’autre jardin ; s’il n’y a pas de jardin attenant à la maison, mais qu’il y en ait un en face, d’une superficie inférieure ou égale à un plèthre, qu’il le prenne ; si le jardin est d’une superficie supérieure à un plèthre, qu’il en prenne la moitié, tout comme il est prévu pour les autres biens-fonds ; qu’il reçoive pour chaque maison deux mines ; que l’estimation se fasse selon la coutume de la cité, mais que, pour les jardins l’estimation soit faite au double du taux légal ; que la cité n’ait pas à charge de rembourser les sommes versées, ni aux exilés, ni à ceux qui sont restés dans la ville ; pour ce qui est des fêtes auxquelles n’ont pas participé les exilés, que la cité décide et que sa décision soit souveraine ; que le tribunal étranger siège durant soixante jours, ceux qui, dans les soixante jours, n’auront pas introduit leur action ne pourront introduire une action concernant leurs propriétés devant les juges étrangers, ils le feront devant le tribunal de la cité ; s’ils trouvent donc plus tard quelque raison de le faire, qu’ils le fassent dans un délai de soixante jours après le début de la session du tribunal : s’ils n’introduisent pas leur action dans ce délai, qu’il ne leur soit plus possible de le faire ensuite ; si certains rentrent plus tard, le tribunal étranger ne siégeant plus, qu’ils fassent déclaration écrite de leurs biens auprès des stratèges, dans un délai de soixante jours, et s’ils ont quelque raison de récuser le tribunal de la cité, leur cas sera jugé à Mantinée ; s’ils n’entament pas la procédure dans ce délai, il ne leur sera plus possible de le faire ensuite.

Pour ce qui est de l’argent sacré et [---] des dettes, si la cité les a payées à la déesse, le détenteur du bien-fonds en rendra la moitié à celui qui revient, comme font les autres ; pour ceux qui sont personnellement redevables envers la déesse, en tant qu’ils

sont garants solidaires ou pour une autre raison, que le détenteur du bien, s’il appert qu’il a remboursé la dette à la déesse, rende à celui qui revient la moitié du bien sans rien garder frauduleusement par devers lui, s’il n’a pas effectué de remboursement, qu’il donne à celui qui revient la moitié du bien et rembourse avec l’autre moitié, s’il ne veut pas payer, qu’il donne à celui qui revient le bien tout entier, à charge pour celui qui l’aura reçu de rembourser l’entier de la dette.

Pour celles des femmes et des filles d’exilés qui sont restées dans la ville, qui s’y sont mariées ou qui après être parties sont rentrées après avoir libéré leur biens par rachat, que celles-ci ne soient pas soumises à enquête sur leurs biens, tant d’origine paternelle que d’origine maternelle ; en revanche, pour toutes celles qui sont parties plus tard et sans y être forcées, qui rentrent aujourd’hui avec leurs enfants, on enquêtera sur leurs biens paternels et maternels conformément au règlement.

Je jure par Zeus, Athéna, Apollon, Poséidon, je serai bien disposé à l’égard des exilés qui sont rentrés et à qu’il a plu à la cité d’accueillir, je ne garderai aucun ressentiment pour les malheurs passés à l’égard de quiconque, et, ce du jour où j’aurai prêté serment, je ne ferai rien de nuisible à la sauvegarde de ceux qui sont rentrés […] dans la communauté de la cité […] règlement […] délibérations contraires aux intérêts de quiconque […] .».

Ce règlement aux mesures très complexes vise quelques points, matière à contestation suite à la réintégration de bannis rentrés, τὸς φυγάδας τὸς κατενθόντας, avec restitution des biens confisqués. La nature politique du bannissement de ces derniers, de conditions sociales aisées, ne fait guère de doute. Parmi eux, se trouvent probablement des citoyens bannis sous le règne de Philippe II, lorsque l’Arcadie bascule dans son camp entre 348 et 344 après l’échec de la diplomatie athénienne dans la région, mais également des partisans d’Agis III de Sparte, dont la révolte est matée par Antipatros en Arcadie à Mégalopolis au printemps 330. En effet, les clauses concernant les successions peuvent suggérer des bannissements remontant à plusieurs années, voire décennies.

En effet, la première clause vise justement le recouvrement, par les bannis, des successions maternelles et paternelles. Celle-ci a néanmoins fait l’objet d’interprétations divergeantes, en fonction du sens donné aux termes τἀ πατρῶια et τἀ ματρῶια. Ainsi, A. Plassart y voit les biens provenant de la succession paternelle ou maternelle, restitués aux bannis rentrants, suivi par G. Thür et H. Taeuber. De son côté R. Lonis rapproche la clause de la règle d’épiclérat, à savoir les biens dont une femme est titulaire suite à la mort de son père en l’absence de frère vivant ou déjà mariée qui hérite des biens dans les mêmes conditions. Les biens ainsi détenus, sont transmis à son fils qui hérite de ces ματρῶια. A. Cassayre, quant à elle, préfère suivre l’hypothèse de H. Kasten (1922) et propose d’y voir

deux groupes distincts : le premier groupe rentre en possession de ses biens, πατρῶια, dont il a été privés lors de l’exil, le second groupe rentre également en possession de son héritage, les ματρῶια, et ce groupe serait composé de femmes exilées285. Quoi qu’il en soit, le règlement fait mention d’autres catégories de femmes. Nous avons d’abord les femmes et filles pour qui tout reste en l’état, à savoir celles qui sont restées dans la cité après l’exil de leurs époux ou parents, qui s’y sont mariées ou qui, après être parties, sont rentrées et ont libéré leurs biens par rachat. En revanche, celles qui sont parties plus tard pour rejoindre leur parent ou époux, sans y être forcées et qui rentrent avec leurs enfants, sont soumises à une enquête concernant leurs biens paternels et maternels. Cette clause montre que les bannissements peuvent remonter à plusieurs années, voire même décennies.

Le texte porte également sur la restitution selon le diagramma d’une maison, rétrocédée par le détenteur et d’un jardin entier s’il est attenant ou à moins d’un plèthre (trente mètres), au-delà doit s’appliquer la règle prévue pour les biens-fonds286. Ces derniers ont été abordés dans le règlement initial qui ne nous est pas parvenu.

Une autre partie du règlement concerne les dettes contractées auprès d’Athéna qui viennent grever la propriété. Ces dettes ne sont pas le fait de l’acheteur de la propriété, mais bien de celui qui la possédait avant le bannissement et qui n’a pas payé ses dettes ou une partie de ses dettes avant le départ. L’hypothèque continue donc à grever la propriété confisquée et vendue par la cité. Certaines de ces dettes pouvaient, selon L. Migeotte, découler de fermages ou de loyers impayés, voire même de crédits aux particuliers. Il peut également s’agir, selon A. Plassard, d’amendes infligées au profit de la déesse287

. Quelle que soit la nature exacte de ces dettes, la cité s’est efforcée de régler la situation de la manière la plus équitable possible. Dans certains cas, la cité s’acquitte elle-même de la dette pour des raisons que nous ignorons288. Dans ces cas, la restitution se fait à l’identique comme pour tous les biens-fonds, à savoir le détenteur du bien-fond concerné rend la moitié à celui qui revient. Lorsque le remboursement n’a pas eu lieu, trois cas de figures peuvent se présenter. Dans les deux premiers cas, que le détenteur ait payé la dette ou qu’il consente à le faire, il rend la moitié du bien-fond à celui qui revient. Dans le dernier cas, lorsque le détenteur du bien refuse de payer la dette, il doit rendre la globalité du bien à celui qui revient, à charge pour ce dernier de rembourser la totalité de la dette.

285

PLASSART 1914, p. 128-129 ; LONIS 1991, p. 99 ; THÜR & TAEUBER 1994, p. 51-70 ; CASSAYRE 2010 (pascal.delahaye1.free.fr/aude.cassayre/RECUEIL.pdf), p. 24 ; LODDO 2016, p. 237 -256.

286

IPArk, n° 5. Pour les autres maisons, il est indemnisé à hauteur de 2 mines chacune selon les usages locaux

mais l’estimation des jardins doit se faire au double du taux légal (l. 16-17).

287

PLASSART 1914, p. 152-153 ; MIGEOTTE 2014, p. 220.

288

C’est visiblement pour des raisons d’impartialité et de neutralité que la cité va avoir recours aux compétences de tribunaux, dont deux étrangers. Il s’agit là d’un des premiers témoignages d’une pratique qui devient à l’époque hellénistique une véritable institution permettant de régler de manière pacifique des litiges plus ou moins importants d’ordre public ou privé289.

Pour en revenir à Tégée, le premier tribunal étranger, dont la cité d’origine n’est pas mentionnée, siège pour une durée de soixante jours durant lesquels les bannis peuvent introduire une action concernant les propriétés. Ceux qui n’y ont pas eu recours, pour quelque raison que ce soit, peuvent encore mener une action en justice, mais cette fois-ci devant le tribunal civique dans un nouveau délai de soixante jours. Les bannis rentrés après la levée du tribunal étranger peuvent adresser une demande écrite concernant les biens revendiqués auprès des stratèges dans un délai également de soixante jours. En cas de récusation du tribunal civique, le jugement relève de la compétence du tribunal de Mantinée. Passé ce délai plus aucune action n’est possible (l. 34 à 37).

Puisque l’heure en est à la réconciliation, il convient de tourner définitivement le dos au conflit. Aussi, le texte de Tégée se termine par le serment d’amnistie prêté par l’ensemble du corps civique, qui doit assurer aux bannis rentrés, οἱ κατηνθηκότες, la sécurité de leur personne et celle de leurs biens.

Par la prestation du serment, tous les citoyens rassemblés s’engagent à oublier les malheurs causés par le passé et ne plus jamais les évoquer. Cet « oubli » s’exprime à travers le verbe (οὐ) μνησικακεῖν, dans le sens « (ne plus) se souvenir des mauvaises choses »290. Il s’agit de tirer symboliquement un trait sur un passé encore douloureux, afin de reprendre le cours normal de la vie politique de la cité, comme si rien n’était advenu à savoir ni conflit, ni meurtre, ni bannissement, ni colère ou rancœur ou tout autre trait caractéristique du conflit291. La présence de cette notion d’oubli dans le décret de Tégée suggère que des luttes civiles accompagnées d’actes plus ou moins violents ont été à l’origine du bannissement. Fragmentaire, le serment prêté sur Zeus, Athéna, Apollon et Poséidon engage les Tégéens à ne plus nuire de quelque manière que ce soit aux bannis et à œuvrer pour leur sauvegarde.

289

ROBERT 1973.

290

Dans le cas de Tégée (l. 59) : « …καὶ ὐ μνησικακήσω τῶν νυ ὐδ ν… ».

291

Les bannis concernés

Trait caractéristique du monde grec, le bannissement est omniprésent et n’épargne personne. Le chiffre de vingt mille bannis présents aux Jeux Olympiques en juillet 324, nous semble tout à fait plausible au regard des évènements qui perturbent le IVe siècle (guerre, pauvreté, conflits politiques et sociaux entre autres), alors que l’expulsion de groupes entiers n’est pas chose rare lors de luttes civiles ou lors d’une prise de cité.

En admettant que le diagramma couvre également la période postérieure à 338 et la création de la Ligue des Hellènes, l’édit rappelle dans les cités grecques tous les opposants