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2 Les conséquences de la guerre des Alliés (357-354) : renversements constitutionnels

L’année 357 est marquée par le début de la révolte des grands alliés de la Seconde Confédération athénienne, situés dans l’Est égéen, conduite par Byzance, Chios, Rhodes et Kos, bien que cette dernière n’ait sans doute jamais rejoint la Ligue108. Elle est concomitante à la prise d’Amphipolis par Philippe et relatée par Diodore109

. Elle se solde, comme en vient témoigner un décret émis par la cité, par la condamnation et le bannissement de deux meneurs pro-athéniens, Philôn et Stratoclès, ainsi que toute leur descendance.

Décret d’Amphipolis :

Editeurs : Syll.3, n° 194 ; M.N. TOD, A Selection of Historical Greek Inscriptions: from 403 to 323 B.C, 1948, n° 150, p. 149-150 ; P. RHODES & R. OSBORNE, 2003, Greek Historical Inscriptions, 404-323 BC, n° 49, p. 242.

Cf. : J.-M. BERTRAND 1992, Inscriptions historiques grecques, n° 57, p. 112 (trad.

française) ; P. BRUN 2017, Hégémonies et sociétés dans le monde grec : inscriptions

grecques de l’époque classique, n° 59, p.147 (trad. française).

Texte : Rhodes et Osborne. Traduction : Brun. ἔδοξεν τῶι δήμωι Φί- λωνα καὶ Στρατοκλέ- α φεόγειν Ἀμφίπολι- ν καὶ τὴγ γῆν τὴν Ἀμφ- 5 ιπολιτέων ἀειφυγί- ην καὶ αὐτὸς καὶ τὸς παῖδας καὶ ἤμ πο ἁλί- 15 υμόνος, τὸς δὲ προστ- άτας ἀναγράψαι αὐτ- ὸς ἐστήλην λιθίνην· ἢν δέ τις τὸ ψήφισμα ἀναψηφίζει ἢ καταδ- 20 έχηται τούτος τέχν- 108

BRULÉ, DESCAT et alii 2004, p. 55-56.

109 Diodore, XVI, 8,2 : « μ τὰ δὲ ταῦτα τῶν τὴν Ἀμφίπ λιν ἰκ ύντων ἀλλ τρίως πρὸς αὐτὸν διατ θέντων καὶ π λλὰς ἀφ ρμὰς δόντων ἰς πόλ μ ν ἐστράτ υσ ν ἐπ' αὐτ ὺς ἀξι λόγῳ δυνάμ ι. πρ σαγαγὼν δὲ τ ῖς τ ίχ σι μηχανὰς καὶ πρ σβ λὰς ἐν ργ ὺς καὶ συν χ ῖς π ιησάμ ν ς κατέβαλ μὲν τ ῖς κρι ῖς μέρ ς τι τ ῦ τ ίχ υς, παρ ισ λθὼν δ' ἰς τὴν πόλιν διὰ τ ῦ πτώματ ς καὶ τῶν ἀντιστάντων π λλ ὺς καταβαλὼν ἐκυρί υσ τῆς πόλ ως καὶ τ ὺς μὲν ἀλλ τρίως πρὸς αὐτὸν διακ ιμέν υς ἐφυγάδ υσ , τ ῖς δ' ἄλλ ις φιλανθρώπως πρ σηνέχθη ». « Cependant les habitants d'Amphipolis n'aimaient pas Philippe. Celui-ci, ayant plusieurs motifs pour leur faire la guerre, marcha contre eux à la tête d'une puissante armée; il fit approcher des murs les machines de guerre, livra des assauts vigoureux et fréquents, et ouvrit à coups de bélier une brèche, par laquelle il pénétra dans la ville. Il s'en rendit maître après avoir tué un grand nombre d'ennemis. Il condamna à l'exil tous ceux qui étaient mal disposés contre lui, et traita les autres avec humanité ». Traduction HOEFER 1865.

σκωνται πάσχειν αὐ- τὸς ὡς πολεμίος καὶ 10 νηποινεὶ τεθνάναι. τὰ δὲ χρήματ’ αὐτῶν δ- ημόσια εἶναι, τὸ δ’ ἐπ- ιδέκατον ἱρὸν τοῦ Ἀ- πόλλωνος καὶ το Στρ- ηι ἢ μηχανῆι ὁτεωιο - ν, τὰ χρήματ’ αὐτο δημ- όσια ἔστω καὶ αὐτὸς φεογέτω Ἀμφίπολιν 25 ἀειφυγίην. vacat

« Il a plu au peuple d’exiler pour toujours Philôn et Stratoclès d’Amphipolis et du territoire d’Amphipolis, eux et leurs enfants. Et si jamais ils sont pris en quelque endroit, qu’ils soient traités en ennemis et mis à mort en toute impunité. Que leurs biens deviennent propriété publique et que la dîme en soit consacrée à Apollon et à Strymon. Que les prostatai fassent inscrire leurs noms sur une stèle de pierre. Si quelqu’un propose d’abolir ce décret ou les accueille par quelque ruse ou machination, que ses biens deviennent propriété publique et qu’il soit condamné à l’exil pour toujours. ».

Il est généralement admis que la guerre des Alliés et la prise d’Amphipolis sont liées, mais l’absence de chronologie des faits rend toute interprétation difficile. Deux hypothèses sont possibles : soit la guerre des Alliés a débuté avant la prise d’Amphipolis et Philippe a pu profiter des difficultés d’Athènes pour passer à l’action, soit, dans le cas inverse, les Alliés ont pu refuser de contribuer financièrement (syntaxis) à une guerre contre Philippe et/ou au siège d’Amphipolis110

. La mauvaise réputation d’Athènes auprès de ses alliés n’est certainement pas non plus étrangère à la guerre. Il est reconnu que le synœcisme de Kos en 366, œuvre des démocrates, est une mesure destinée à faire front contre Athènes et probablement en lien avec l’expulsion des Samiens et l’installation de clérouquies111

. Il est donc fort probable que la guerre des Alliés ait servi, comme en Grèce continentale, de ferment aux tensions préexistantes, les oligarques y voyant l’occasion de renverser la démocratie et prendre le pouvoir avec le soutien tout du moins financier de Mausole112. L’interprétation et la chronologie des faits restent néanmoins très difficiles à établir, vu l’indigence des sources.

Aristote impute la chute de la démocratie à Kos aux excès des démagogues amenant les principaux citoyens, οἱ γνώριμοι, à se liguer : « Καὶ γὰρ ἐν Κῷ ἡ δημοκρατία μετέβαλε πονηρῶν ἐγγενομένων δημαγωγῶν (οἱ γὰρ γνώριμοι συνέστησαν)… » (Aristote, 110 CARLIER 1995, p. 83 ; DEBORD 1999, p. 380-382. 111 SHERWIN-WITH 1978, p. 67. 112

L’Hécatomnide tient à faire entrer les îles voisines dans la mouvance de sa satrapie de Carie en y favorisant des gouvernements oligarchiques.

Politique, V, 1304b, 2). Place stratégique, en face d’Halicarnasse, la cité est incorporée

après la guerre des Alliés, selon S. Sherwin-White, aux territoires contrôlés par Mausole et ce, jusqu’à sa libération en 332, avec néanmoins maintien d’une garnison113

.

L’auteur observe, dans de tels cas de figures, des comportements démagogiques analogues qui poussent les notables à renverser la constitution, à savoir brimades à leur encontre, partage de leurs propriétés, absorption de leurs revenus par les liturgies imposées ou encore par l’usage de la calomnie dans le but de confisquer leurs biens. L’idée que les démagogues ne cherchent qu’à plaire à la multitude est également soutenue par Isocrate114.

À Rhodes, les démocrates pourtant hostiles à Athènes sont renversés par les oligarques, οἱ γνώριμοι. Cet évènement peut être imputé à la guerre mais également à des raisons similaires à celles que nous venons d’évoquer, ainsi, à Rhodes, les gnorimoi s’insurgèrent contre le peuple pour se soustraire aux jugements auxquels ils avaient été soumis : « …ὥσπερ ἐν Ῥόδῳ συνέστησαν οἱ γνώριμοι ἐπὶ τὸν δῆμον διὰ τὰς ἐπιφερομένας δίκας… »(Aristote, Politique, V. 1302b, 2).

En 357, la cité connaît encore, selon les discours de Démosthène, une constitution démocratique alors qu’en 353, elle est oligarchique. Dans ce laps de temps de quatre ans, le pouvoir a basculé au profit des oligarques avec l’aide des démocrates modérés qui sont ensuite, selon l’auteur, bannis par leurs anciens alliés.

Démosthène, Sur la liberté des Rhodiens, XIV

« Οὐ μἠν οὐδ' ἂν εἰ δἱ αὑτῶν εἶχον τἠυ πὁλιν οἱ νῦν ὄντες ἐν αὐτῇ Ῥὁδιοι, παρῄνεσ' ἂν ὑμῖν τοὑτους έλέσθαι, οὐδ' εἰ πἁνθ' ὑπισχνοῦνθ' ὑμῖν ποιἡσειν. Όρῶ γἀραὐτοὐς τὀ μἐν πρῶτον, ὅπως καταλὑσωσι τὀν δῆμον, προσλαβὁντας τινἀς τῶν πολιτῶν, ἐπειδἠ δε τοῦτ' ἔπραξαν, πἁλιν ἐκβαλὁντας τοὑτους… ».

« Toutefois, si ceux des Rhodiens qui tiennent maintenant la cité, en étaient maîtres à eux tout seul, je ne vous conseillerais pas de les prendre pour alliés, quand même ils vous feraient les plus belles promesses. Je vois en effet que tout d’abord, pour renverser la démocratie, ils attirèrent à eux quelques citoyens (démocrates modérés) et qu’ensuite, le coup une fois fait, ils les ont exilés… »115

.

En 351, la cité est gouvernée par une faction oligarchique et occupée par une garnison hékatomnide. Vitruve nous rapporte l’offensive lancée par les Rhodiens contre Halicarnasse, soit disant indignés de voir Artémise régner sur les cités de Carie lors de la

113

SHERWIN-WHITE 1978, p. 68-69.

114

Isocrate, Sur la paix, 129 ; Sur l’échange, 310-319 ; Aristote, Politique, V, 1304b, 5.

115

disparition de Mausole. L’entreprise est un échec cuisant pour les Rhodiens, la reine s’empare de l’île par la ruse, fait mettre à mort les principaux habitants et érige une statue à son effigie116. La démocratie n’est restaurée que sous Alexandre avec la présence d’une garnison, chassée après sa disparition en 323.

Cependant, rien ne permet de rapprocher avec certitude l’épisode relaté par Aristote, qui mène à la chute de la démocratie à Rhodes au contexte qui nous occupe. Il nous apprend en effet, qu’afin de conserver les fonds pour payer l’indemnité de fonction, les démagogues empêchent le paiement des triérarques. Ces derniers accablés par des procès intentés contre eux pour impayés, s’unissent pour renverser la démocratie.

Aristote, Politique, V, 1304b, 2

« …καὶ ἐν Ῥόδῳ· μισθοφοράν τε γὰρ οἱ δημαγωγοὶ ἐπόριζον, καὶ ἐκώλυον ἀποδιδόναι τὰ ὀφειλόμενα τοῖς τριηράρχοις, οἱ δὲ διὰ τὰς ἐπιφερομένας δίκας ἠναγκάσθησαν συστάντες καταλῦσαι τὸν δῆμον …».

« … à Rhodes également, les démagogues faisaient attribuer une indemnité de fonction, mais ils empêchaient de payer leur dû aux triérarques ; ceux-ci à cause des poursuites intentées contre eux furent contraints de se liguer et de renverser la démocratie […] »117

. S’agit-il là, de l’un des motifs du renversement après 357 ? La question reste ouverte.

Selon P. Debord, la cité de Chios a certainement, elle aussi, changé de système politique juste avant le début de la guerre118. Les seuls indices pouvant abonder en ce sens nous viennent d’Énée. Ils concernent un complot fomenté par une faction de Chios destiné à livrer la cité à l’ennemi119

. La foule de détails et la précision du récit laissent à penser que l’auteur fait référence à un évènement récent qui lui est bien connu. Or, si nous adoptons la datation basse de l’ouvrage, les faits décrits peuvent concorder avec la révolte de 357/4. Aussi, au moment de trahir la cité, l’un des magistrats qui fait partie des conjurés, trompe ses collègues en les amenant à prendre des mesures qui vont les aider, eux et les troupes ennemies, à investir la place. Ainsi, des travaux de rénovation d’une partie des hangars, du dépôt et de la tour où logent les magistrats sont entrepris, ce qui permet de mettre à disposition des assaillants des échelles. Le licenciement de la majorité des hommes de la garnison facilite l’attaque. La suspension de filets de chasse aux hauts des murs pour les faire sécher et à un autre endroit, des voiles de bateaux avec leurs cordages pendants à

116Démosthène, Sur la liberté des Rhodiens, 3, 14 et 19 ; Vitruve, II, 8. 117

Traduction AUBONNET 2002 [1973].

118

DEBORD 1999, p. 382.

119

l’extérieur, favorisent l’escalade de nuit des remparts pour les troupes alliées. La cité restée alliée de Mausole est gouvernée en 351 par un régime oligarchique, comme le reconnaît Démosthène120, mais il ne semble pas y avoir de garnison carienne avant Idrieus121.

D’après l’hypothèse émise par A. P. Matthaiou, la découverte sur l’acropole d’Athènes, d’une stèle fragmentaire, comportant une liste de noms et initialement attachée à un décret viendrait corroborer les évènements qui se sont produits durant la guerre des Alliés et les années qui ont suivi122. En effet, selon l’auteur les noms mentionnés sur la stèle sont majoritairement attestés en Ionie, ce qui laisse à penser que ces personnes ont pu être originaires de cette région. Sur les vingt noms conservés, quatorze sont communs en Ionie dont dix à Chios et huit à Érythrée. Il se pourrait donc, comme le suggère l’auteur, s’agir de démocrates chassés du pouvoir et cherchant refuge ou aide auprès d’Athènes. Cette dernière aurait pris des mesures en faveur de ces personnes, suite à l’envoi d’une ambassade (l. 41 : Oἵδε ἐπρέ[σβευον – -])123. La présence des huit noms connus à Érythrée constitue également pour l’auteur, un élément en faveur d’une oligarchisation du pouvoir dans la cité. Élément conforté par la mention faite à la cité (l. 4-5) τὴν πόλιν τὴν Ἐρυ-ǀθραίων, et non au peuple, τὸν δῆμον, dans un décret honorant Mausole daté des années 350124. Le rapprochement proposé par l’auteur présente un intérêt certain, mais il convient de rester prudent, devant le maigre faisceau d’indices à notre disposition.

D’autres luttes civiles sont connues dans les îles égéennes. Celles-ci sont probablement à mettre sur le compte de l’affaiblissement d’Athènes au lendemain de la guerre des Alliés et à sa capacité de faire régner l’ordre dans ses positions en Égée et à l’influence grandissante de l’empire perse dans la région125.

En effet, bien que restée fidèle à Athènes durant la guerre des Alliés, l’île de Lesbos n’est pas épargnée ; Mytilène connaît des mouvements internes. La démocratie est renversée au profit d’une oligarchie en place vers 353/2 comme le confirme Démosthène dans son discours Sur l’organisation financière de 350 : « ἐπὶ πολλῆς μὲν ἡσυχίας καὶ ἐρημίας

120

Démosthène, Sur la liberté des Rhodiens, XIX : « Θαυμάζω δ' ἰ μηδ ὶς ὑμῶν ἡγ ῖται Χίων ὀλιγαρχ υμένων καὶ Μυτιληναίων, καὶ νυνὶ Ῥ δίων ». 121 DEBORD 1999, p. 382. 122 IG II2, 2391 ; MATTHAIOU 2010. 123 MATTHAIOU 2010, p. 156. 124

I. Erythrai & Klazomonai, 8 ; RHODES & OSBORNE 2003, n° 56.

125

L’échec de la flotte athénienne à Embata précipite la fin de la guerre. Charès afin de pouvoir payer ses troupes se met au service d’Artabaze en rébellion contre le Grand Roi. Devant la menace de ce dernier, Athènes s’incline et consent à la paix. Pour une analyse plus approfondie de la guerre des Alliés, voir DEBORD 1999, p. 375-399.

ὑμῶν ὁ Μυτιληναίων δῆμος καταλέλυται »126

. Celle-ci se transforme en tyrannie avec à sa tête Kammys127. Or, en 346, Mytilène qui semble être revenue à un régime plus modéré, renoue avec Athènes128. Elle s’engage visiblement sur la voie de la réconciliation en rappelant tout du moins certains de ses bannis politiques, οἱ φεύγοντες. Ce changement est

très certainement la conséquence d’une stasis. L’amnistie leur garantit la restitution des biens confisqués comme le laisse entendre Isocrate dans sa lettre adressée aux archontes de Mytilène en faveur d’Agénor qui a enseigné la musique à ses petits-enfants ainsi qu’en faveur du père et du frère de celui-ci, tous réfugés à Athènes129.

Isocrate, Lettre aux archontes de Mytilène, VIII, 3

« … Ἡγοῦμαι δὲ καλῶς ὑμᾶς βεβουλεῦσθαι καὶ διαλλαττομένους τοῖς πολίταις τοῖς ὑμετέροις, καὶ πειρωμένους τοὺς μὲν φεύγοντας ὀλίγους ποιεῖν, τοὺς δὲ συμπολιτευομένους πολλούς, καὶ μιμουμένους τὰ περὶ τὴν στάσιν τὴν πόλιν τὴν ἡμετέραν. Μάλιστα δ᾽ ἄν τις ὑμᾶς ἐπαινέσειεν ὅτι τοῖς κατιοῦσιν ἀποδίδοτε τὴν οὐσίαν· ἐπιδείκνυσθε γὰρ καὶ ποιεῖτε πᾶσι φανερὸν ὡς οὐ τῶν κτημάτων ἐπιθυμήσαντες τῶν ἀλλοτρίων, ἀλλ᾽ ὑπὲρ τῆς πόλεως δείσαντες ἐποιήσασθε τὴν ἐκβολὴν αὐτῶν… ».

« … Je pense que vous avez pris une heureuse décision en vous réconciliant avec vos concitoyens, en cherchant à diminuer le nombre de bannis et à augmenter celui de votre population civique et en imitant notre cité pour les différends politiques. Ce dont on peut surtout vous louer, c’est d’avoir rendu leur fortune aux citoyens rappelés ; car vous avez montré par vos actes et rendu évident à tous que ce n’était pas par convoitise du bien d’autrui, mais par crainte pour l’État que vous aviez procédé à ces expulsions… »130

.

À la lecture du document, il est admis de penser que les bannis autorisés à rentrer sont des partisans de l’oligarchie, accusés d’avoir mis en danger la constitution quelques années auparavant. Ces évènements, dont la chronologie reste incertaine, sont à placer peu avant 338, année de la disparition du rhéteur. Pourtant, un nouveau changement a lieu dans la cité puisqu’en 336, elle est à nouveau dirigée, comme nous le verrons, par un groupe de tyrans.

126

Démosthène, Sur l’organisation financière, VIII.

127

Démosthène, Plaidoyers civils II, LX, 37.

128

Syll.3, n° 205. BRUN 2005, p. 138, n°75.

129

Cf. également LABARRE 1996, p. 18-19.

130

Méthymna, une autre des cités de Lesbos vit elle aussi un changement de régime vers la même période, avec installation d’une oligarchie sous laquelle des bannissements et des confiscations ont lieu. Peu de temps après, vers ca 350, Cléommis, le tyran « démocrate » pour reprendre les termes de H.-J. Gehrke prend la tête de la cité et réussit selon l’auteur à contenir les excès des oligarques par l’instauration de lois morales131

. Il entretient de bonnes relations avec Athènes qui l’honore vers 345 pour avoir délivré des Athéniens aux mains de pirates132. La lettre d’Isocrate adressée à Timothée donne une image très positive du dirigeant qui intervient pour le bien commun.

Isocrate, Lettre à Timothée, VII, 8

« Ἀκούω δὲ Κλέομμιν τὸν ἐν Μηθύμνῃ ταύτην ἔχοντα τὴν δυναστείαν περί τε τὰς ἄλλας πράξεις καλὸν κἀγαθὸν εἶναι καὶ φρόνιμον, καὶ τοσοῦτον ἀπέχειν τοῦ τῶν πολιτῶν τινας ἀποκτείνειν ἢ φυγαδεύειν ἢ δημεύειν τὰς οὐσίας ἢ ποιεῖν ἄλλο τι κακόν, ὥστε πολλὴν μὲν ἀσφάλειαν παρέχειν τοῖς συμπολιτευομένοις, κατάγειν δὲ τοὺς φεύγοντας, ἀποδιδόναι δὲ τοῖς μὲν κατιοῦσι τὰς κτήσεις ἐξ ὧν ἐξέπεσον, τοῖς δὲ πριαμένοις τὰς τιμὰς τὰς ἑκάστοις γιγνομένας, πρὸς δὲ τούτοις καθοπλίζειν ἅπαντας τοὺς πολίτας, ὡς οὐδενὸς μὲν ἐπιχειρήσοντος περὶ αὐτὸν νεωτερίζειν, ἢν δ᾽ ἄρα τινὲς τολμήσωσιν, ἡγούμενον λυσιτελεῖν αὑτῷ τεθνάναι τοιαύτην ἀρετὴν ἐνδειξαμένῳ τοῖς πολίταις μᾶλλον ἢ ζῆν πλείω χρόνον τῇ πόλει τῶν μεγίστων κακῶν αἴτιον γενόμενον ».

« J’entends dire que Cléommis, qui possède à Méthymna ce genre de pouvoir, montre dans tous ses actes de la vertu et de la sagesse, et que bien loin de faire périr, d’exiler certains citoyens, de confisquer leurs biens ou de leur faire quelques autre mal, il accorde toute sécurité à ses compatriotes, rappelle les bannis, rend à ceux qui rentrent les biens dont ils avaient été dépossédés et en rembourse la valeur aux gens qui les avaient achetés ; et qu’en outre il donne des armes à tous les citoyens, en pensant que personne n’essaiera de se révolter contre lui et que, si quelques uns l’osaient, mieux vaudrait pour lui mourir après avoir donné aux citoyens l’exemple d’une telle vertu que vivre plus longtemps en causant à la cité les maux les plus grands.» 133.

Abstraction faite de l’admiration que porte Isocrate au dirigeant de Méthymna, ce document nous apporte de précieuses informations concernant le processus de réconciliation dans lequel s’est engagé Cléommis avec des bannis politiques chassés sous

131

GEHRKE 1985, p. 113 qui s’appui les FGrH, F 227.

132

Syll.3, n° 263. Traduction BRUN 2005, p. 139, n°76.

133

l’oligarchie. L’amnistie prononcée leur permet semble-t-il de recouvrer l’intégralité des biens confisqués et aux acquéreurs de ces mêmes biens d’être indemnisés très certainement aux frais de l’État à hauteur des sommes versées. Il s’agit là, tout du moins à notre connaissance, de l’un des seuls témoignages d’une restitution complète de biens confisqués durant cette période. En armant tous les citoyens et en réintégrant les bannis politiques, Cléommis espère stabiliser la situation politique de la cité et museler l’opposition. Néanmoins, vers 340, Cléommis est chassé par le tyran philo-perse Aristonicos, proche de Memnon de Rhodes134.

I.3 - Les interventions de Philippe II en Grèce et leurs conséquences