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2 Le conflit générationnel de Termessos

En Asie Mineure, dans la cité de Termessos située en Pisidie, c’est un conflit d’un autre genre qui se prépare. Nous sommes en 319, Antigone le Borgne, satrape d’Anatolie occidentale et stratège des forces royales, se lance dans une guerre contre les derniers amis et parents de Perdiccas. Il marche donc vers la Pisidie où Alcétas, le frère de Perdiccas, semble avoir pris ses quartiers depuis la mort de ce dernier en 321. À l’approche d’Antigone, Alcétas qui engage le combat est défait, la déroute est totale. Attalos, Docimos, Polémos et d’autres officiers de haut rang macédonien sont fait prisonniers, tandis qu’Alcétas réussit à prendre la fuite accompagné de ses alliés pisidiens. Il gagne la cité de Termessos322.

Arrivé dans la région, Antigone accompagné de toute son armée établit son camp à proximité de la cité et exige qu’Alcétas lui soit livré. Cette requête divise l’opinion, avec d’un côté les anciens, οἱ πρεσβύτεροι, qui conseillent de céder à la demande d’Antigone et, de l’autre, les plus jeunes, οἱ νεώτεροι, qui mettent au défi leurs parents, prêts à tout pour protéger Alcétas. Ces neoteroi sont issus d’une classe d’âge généralement située entre vingt et trente ans. Formés, armés, ils participent à la défense de la cité. Ils semblent, dans le cas de Termessos, politiquement actifs, puisqu’ils prennent part aux débats,

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STUCCHI, p. 90 reprend l’opinion de MACHU 1951, p. 47. Un second argument concerne les lois sacrées attribuées par S. Stucchi à ces années-là et dont la formule d’introduction lui apparaît être d’inspiration démocratique. LARONDE 1987, p. 360 montre toutefois que cette interprétation est sujette à caution.

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délibèrent et votent. Au demeurant, ce groupe est très influent, puisque les anciens ne parviennent pas à faire prévaloir leur opinion :

Diodore, XVIII, 46,3

« … ἔτι δὲ τῶν πρεσβυτέρων συμβουλευόντων ἐκδοῦναι συστραφέντες οἱ νεώτεροι πρὸς τοὺς γονεῖς διαστάντες ἐψηφίσαντο πᾶν ὑπομένειν δεινὸν ἕνεκα τῆς τούτου σωτηρίας …».

« … si les Anciens conseillèrent de le livrer, les jeunes gens, entrant en conflit avec leurs parents, décrétèrent que l’on affronterait n’importe quel danger pour le sauver … »323.

En effet, malgré les mises en garde des anciens qui commandent de ne pas admettre que la cité soit conquise par les armes à cause d’un seul Macédonien, rien ne vient ébranler leur détermination à protéger Alcétas.

Face à cette situation, les anciens décident d’envoyer secrètement, de nuit une délégation auprès d’Antigone avec promesse de lui livrer Alcétas. Les députés proposent de recourir à un subterfuge consistant à attaquer la cité sur plusieurs jours, par petites escarmouches afin d’attirer les défenseurs hors les murs. Ainsi, occupés à combattre au loin, les anciens peuvent guetter le moment opportun à la réalisation de leur dessein.

Convaincu, Antigone engage ses troupes légères, amenant comme convenu les jeunes à combattre hors les murs. Alcétas demeuré seul, les anciens passent à l’action. Afin de s’emparer de sa personne, ils s’entourent de leurs plus fidèles esclaves et de citoyens dans la force de l’âge, οἱ ἀκμαζόντες πολιτῶν (Diodore, XVIII, 46, 7), n’ayant jamais fait campagne avec lui. Conscient de la situation, Alcétas prend les devants et se donne la mort pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi. Les anciens décident de livrer la dépouille du stratège à Antigone.

Par ce forfait, ils écartent certes l’imminence de la guerre, mais provoquent la colère des jeunes gens, qui se sentent à juste titre trahis. Emportés par la colère, ces derniers commencent par s’emparer d’un quartier de la cité et décrètent d’incendier les habitations, de porter les armes hors les murs, d’occuper les montagnes et ravager le plat pays soumis à Antigone : Diodore, XVIII, 47,1-2 « Διὰ δὲ τῆς ἰδίας ἐπινοίας ἐκ τῶν κινδύνων ἐξελόμενοι τὴν πατρίδα τὸν μὲν πόλεμον ἀπεστρέψαντο, τὴν δὲ πρὸς τοὺς νέους ἀλλοτριότητα φυγεῖν οὐ κατίσχυσαν· οὗτοι 323 Traduction GOUKOWSKY 2002.

γὰρ ἀπὸ τῆς μάχης ἐπανελθόντες καὶ τὸ πεπραγμένον ἀκούσαντες πρὸς τοὺς ἰδίους ἀπηγριώθησαν διὰ τὴν πρὸς Ἀλκέταν ὑπερβολὴν τῆς εὐνοίας. καὶ τὸ μὲν πρῶτον καταλαβόμενοι μέρος τῆς πόλεως ἐψηφίσαντο τὰς μὲν οἰκίας ἐμπρῆσαι, μετὰ δὲ τῶν ὅπλων ἐκχυθέντας ἐκ τῆς πόλεως καὶ τῆς ὀρεινῆς ἐχομένους πορθεῖν τὴν ὑπ´ Ἀντίγονον τεταγμένην χώραν, ὕστερον δὲ μετανοήσαντες τοῦ μὲν ἐμπρῆσαι τὴν πόλιν ἀπέσχοντο, δόντες δ´ ἑαυτοὺς εἰς λῃστείας καὶ καταδρομὰς πολλὴν τῆς πολεμίας χώραν κατέφθειραν».

« Ayant arraché leur patrie au péril grâce à leur ingénieuse trouvaille, ils écartèrent d’eux la guerre sans parvenir à esquiver les réactions hostiles des jeunes gens. En effet, quand ils apprirent au retour du combat ce qui s’était passé, ceux-ci se déchainèrent contre leurs parents, en raison de leur extrême dévouement envers Alcétas. Ils commencèrent par s’emparer d’un quartier de la ville et décrétèrent d’incendier les habitations, de se porter en armes hors de la ville, d’occuper les montagnes et de ravager le plat pays soumis à Antigone. Ils changèrent d’avis par la suite et s’abstinrent d’incendier la ville. Mais ils s’adonnèrent au brigandage et lancèrent des raids en territoire ennemi, dont ils ravagèrent une grande étendue.»324.

Le récit succinct de Diodore ne nous livre guère plus de détails, si ce n’est que, revenus par la suite à de meilleures intentions, les jeunes s’abstiennent d’incendier la cité, mais s’adonnent au brigandage et à des raids en territoire ennemi, dont ils détruisent un vaste territoire. Nous savons qu’après avoir pris possession du corps d’Alcétas et l’avoir maltraité durant trois jours, Antigone abandonne sa dépouille sans sépulture et quitte la Pisidie.

Conservant leur dévouement envers Alcétas, considéré comme un bienfaiteur, voire même comme un héros par les jeunes gens dont certains ont probablement combattu sous ses ordres, ils recueillent sa dépouille et le porte au tombeau en lui offrant de splendides funérailles :

Diodore, XVIII, 47,3

« … οἱ δὲ τῶν Τερμησσέων νέοι φυλάττοντες τὴν πρὸς τὸν ᾐκισμένον εὔνοιαν τό τε σῶμα ἀνείλαντο καὶ λαμπρῶς ἐκήδευσαν ».

« … conservant leur dévouement envers la victime de ces indignités, les jeunes gens de Termessos recueillirent le corps et lui firent de splendides funérailles ».

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Des fouilles réalisées sur le site antique de Termessos ont permis de mettre au jour dans la nécropole haute qui domine la cité, une tombe rupestre qui peut, selon A. Pekridou, correspondre à celle d’Alcétas. De nombreux indices vont en ce sens. Le décorum de cette tombe est en effet largement inspiré de l’imagerie alexandrine. La posture du cavalier gravé dans la cavité rocheuse rappelle largement celle d’Alexandre au combat (sarcophage de Sidon). L’aigle qui dévore un serpent, symbolique lui aussi (signe de victoire malgré la mort), a déjà été utilisé sur le bûcher d’Héphaistion325. On trouve selon R. van Bremen, un écho du rituel funéraire pratiqué à Termessos dans des inscriptions hellénistiques ultérieures326.

Même si nous ne pouvons atteindre les raisons profondes du conflit, nous voyons bien que se greffent, sur un choix de politique extérieure, des oppositions internes entre des catégories d’âge. C’est sans doute un conservatisme interne à la cité que les néoi tentent de bousculer en se ralliant à Alcétas.

Alors qu’Antigone gagne la Phrygie, lui parvient la nouvelle de la disparition d’Antipatros et la nomination de Polyperchon à la charge d’épimélète des Rois, régent de Macédoine. À cette nouvelle, le stratège décide de poursuivre ses propres desseins à savoir s’emparer de l’Asie327

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III.3 - Les guerres entre diadoques et les conflits générés par les