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3 Les luttes civiles dans les cités d’Asie Mineure continentales de 336 à 332

L’existence d’une stasis dans la cité mysienne de Zéléia est communément admise. Deux indices vont en ce sens. Le premier se trouve dans un décret concernant la constitution d’une commission d’arbitrage en vue de la restitution de terres publiques aux mains de particuliers : il mentionne la prise de l’acropole par les citoyens (l. 4 à 7) « οἱ Φǀρὑγες ἔχοντες φὁρον ἐτἑλεον, εἴ τις ǀ τι κατέκτηται ἰδιὡτης ἐξ οὖ ἡ ἀκρὁπολ|[ι]ς ατελἁφθη ὑπὀ τῶν πολιτῶν »248

. Le second nous vient d’une décision de l’assemblée du peuple

concernant l’attribution de terres confisquées à des bannis. Malgré son état lacunaire, il semble que les dites terres, soient attribuées pour exploitation à des particuliers, moyennant un « loyer », à verser annuellement à la cité au mois de Kerkypôsos.

Vente de biens confisqués :

Éditeur ; M. BARTH & J. STAUBER, Inschriften Mysia & Troas, 1993, n° 1136. Traduction personnelle. 1 ἔδοξεν τῶι δήμωι· τὰς γέας τῶμ φυγάδων ἀποπεράσαι, τὸν [δὲ πρι]άμενον τὴν τιμὴν ἀποδοῦναι τεσσάρων ἐτέων, τέταρτομ μ[έ]- ρος ἔτεος ἑ[κ]ά[σ]το[υ δ]ιὰ μηνὸς Κε[κ]υπ[ώσου]· 5 οἵδε ἐπρίαντο τὴμ ΠΛΛΛΗΣ[ — — ] δώδεκα στατήρων [— — — Ἐ]- ρύλεως Διοδώρο[υ — — — ] ωμ τὴμ Πινδά[ρου — — — σ]- τατήρων ἐκτ[— — — ] 247

SEG 2001, n° 1075. Edité par MALOUCHOU 2000-2003, p. 275-287 ; KHOLOD 2012, p. 21-33.

248

« Il a plu au peuple : reporter les terres des bannis, donner l’estimation pour l’achat, pour quatre ans, en quatre part chaque année au mois de Kerkypôsos ».

Le reste du texte est trop lacunaire pour être traduit : il est question de sommes en statères (douze, l. 6 et d’une autre somme l.8) et de noms au génitif (Euryleus fils de Diodore, l. 6-7 et d’un certain Pindare l. 8).

Pourtant, la prudence reste de mise, rien ne permet à l’heure actuelle d’insérer ces documents avec certitude dans ce contexte historique. L’hypothèse de placer les évènements en 334, comme l’a déjà suggéré M. Corsaro, nous semble judicieuse249

. Nous savons que c’est non loin de la cité que l’armée perse rassemblée au printemps tient conseil pour délibérer sur la marche à suivre face aux troupes macédoniennes fraîchement débarquées sur le sol asiatique. Après la victoire d’Alexandre au Granique, ce dernier, arrivé dans la cité, ne sévit pas contre les habitants, enrôlés de force par les Perses. Nous pouvons supposer que le démos chasse le gouvernement en place avec exil et confiscation de biens et ce, avant même l’arrivée des troupes macédoniennes dans la cité, peut-être encouragé par la politique de « libération des cités » d’Alexandre ou simplement à l’annonce de la débâcle perse au Granique. Du reste, la nature du régime antérieur à cette date (oligarchique, tyrannique) ne nous est pas connu.

La situation d’Éphèse au lendemain du Granique en 334, nous est mieux connue et pour cause : Arrien nous livre un récit unique et détaillé des luttes civiles qui secouent la cité. Il nous apporte également un éclairage sur les évènements de 335.

Alexandre arrive le quatrième jour après l’évacuation de la cité par la garnison, à l’annonce de la défaite perse au Granique. Il réinstalle les bannis chassés de la cité à cause de lui, à savoir les démocrates de 335 et met un terme à l’oligarchie afin de restaurer la démocratie. Le phoros payé auparavant à l’empire perse doit être versé à la déesse Artémis, patronne de la cité. Malgré la présence macédonienne et les mesures adoptées par Alexandre en faveur du peuple éphésien, la cité sombre dans l’anarchie.

Arrien, I, 17, 10 « Τετάρτῃ δὲ ἡμέρᾳ ἐς Ἔφεσον ἀφικόμενος τούς τε φυγάδας, ὅσοι δι' αὐτὸν ἐξέπεσον τῆς πόλεως, κατήγαγε καὶ τὴν ὀλιγαρχίαν καταλύσας δημοκρατίαν κατέστησε. τοὺς δὲ φόρους, ὅσους τοῖς βαρβάροις ἀπέφερον, τῇ Ἀρτέμιδι ξυντελεῖν ἐκέλευσεν. ὁ δὲ δῆμος ὁ τῶν Ἐφεσίων, ὡς ἀφῃρέθη αὐτοῖς ὁ ἀπὸ τῶν ὀλίγων φόβος, 249 CORSANO 1984, p. 491-492 ; KNOEPFER 2002, p. 190.

τούς τε Μέμνονα ἐπαγομένους καὶ τοὺς τὸ ἱερὸν συλήσαντας τῆς Ἀρτέμιδος καὶ τοὺς τὴν εἰκόνα τὴν Φιλίππου τὴν ἐν τῷ ἱερῷ καταβαλόντας καὶ τὸν τάφον ἐκ τῆς ἀγορᾶς ἀνορύξαντας τὸν Ἡροπύθου τοῦ ἐλευθερώσαντος τὴν πόλιν ὥρμησαν ἀποκτεῖναι. καὶ Σύρφακα μὲν καὶ τὸν παῖδα αὐτοῦ Πελάγοντα καὶ τοὺς τῶν ἀδελφῶν τοῦ Σύρφακος παῖδας ἐκ τοῦ ἱεροῦ ἐξαγαγόντες κατέλευσαν…».

« Alexandre arriva à Éphèse le quatrième jour ; il y réinstalla les bannis, qui avaient été chassés de la cité à cause de lui ; il mit fin au régime oligarchique et établit la démocratie. Les impôts qu’ils payaient aux Barbares, il leur ordonna de les verser à Artémis. N’ayant plus à craindre les oligarques, le peuple éphésien se rua au massacre de ceux qui avaient amené Memnon, de ceux qui avaient pillé le temple d’Artémis, renversé la statue de Philippe dans le temple et profané sur l’agora le tombeau d’Héropythe, le libérateur de la cité. Syrphax, son fils Pélagon et les enfants de ses frères, furent poussés hors du temple et lapidés…»250

.

Le récit d’Arrien montre bien que la colère aveugle du peuple dirigée contre les partisans de l’oligarchie remonte à 335. Il s’avère qu’après avoir renversé le gouvernement démocratique porté au pouvoir en 336, les oligarques au rang desquels un certain Syrphax, se sont rendus coupables d’actes de violence et d’impiété avec le sac du temple d’Artémis et le renversement de la statue de Philippe. Il est en effet fort probable que le tombeau placé sur l’agora et identifié comme étant celui d’Héropythe, le libérateur de la cité soit celui de l’instigateur du mouvement de 335, peut-être tombé lors des affrontements. Devant un tel passif, et n’ayant en ce printemps 334 plus à craindre les oligarques, le peuple cède aux passions aveugles, massacrant sans discernement et ni jugement adultes et enfants251. Selon Arrien, Alexandre conscient de la nature humaine, s’oppose à la continuation des poursuites et châtiments afin d’éviter des débordements excessifs.

Arrien, I, 17.10

« τοὺς δὲ ἄλλους διεκώλυσεν Ἀλέξανδρος προσωτέρω ἐπιζητεῖν καὶ τιμωρεῖσθαι, γνοὺς ὅτι ὁμοῦ τοῖς αἰτίοις καὶ οὐ ξὺν δίκῃ τινάς, τοὺς μὲν κατ' ἔχθραν, τοὺς δὲ κατὰ ἁρπαγὴν χρημάτων ἀποκτενεῖ, ξυγχωρηθὲν αὐτῷ, ὁ δῆμος. καὶ εἰ δή τῳ ἄλλῳ, καὶ τοῖς ἐν Ἐφέσῳ πραχθεῖσιν Ἀλέξανδρος ἐν τῷ τότε εὐδοκίμει.».

« Mais Alexandre s’opposa à la continuation des poursuites et châtiments : il savait que, si on laisse faire le peuple, il fera périr les innocents aussi bien que les

250

Traduction SAVINEL 1984.

251

coupables, tuant les uns pour des haines privées, les autres pour s’emparer de leurs richesses […]. »252.

Durant le séjour d’Alexandre à Éphèse, les habitants des cités voisines de Tralles et Magnésie viennent à sa rencontre pour lui remettre leurs cités. Il est possible que ces cités aient connues, elles aussi, des troubles civils plus ou moins violents après la défaite perse au Granique. La proximité d’Alexandre et de ses troupes a pu motiver les partisans de la démocratie à se soulever contre le régime en place dans ces cités avec plus ou moins de succès. De tels troubles ou la persistance d’un régime pro-perse pourraient expliquer l’envoi à Tralles et à Magnésie de Parménion à la tête de forces armées évaluées par Arrien à cinq mille deux cents hommes : deux mille cinq cent fantassins étrangers, à peu près autant de Macédoniens et des cavaliers pris parmi les Compagnons au nombre de deux cent environ253.

En longeant la côte, la cité d’Érythrée a probablement rallié la cause macédonienne dès 336 ou au plus tard en 334 après la bataille du Granique. Située en face de Chios, il n’est pas exclu que la cité ait été touchée par la contre-offensive perse entre 333 et 332254. Un décret d’amnistie découvert à Küçükbahçe au nord d’Érythrée nous amène à aller en ce sens, bien qu’en l’état des connaissances, il ne nous est toujours pas possible d’en déterminer le contexte historique exact. Selon H. Engelmann et R. Merkelbach, les éditeurs du texte, ce dernier peut être daté par l’écriture après 340255

. Il concerne les décisions prises par la cité en vue d’un rappel de bannis256

.

Amnistie des bannis :

Éditeur : H. ENGELMANN & R. MERKELBACH, Inschriften von Erythrai und

Klazomenai, 1972, n°35, p. 62-63. Traduction personnelle. a.1 [γράφειν δὲ μηδένα τῶν προ]γ- [εγρ]α μμένω ν [μηδαμῶς παρὰ μη]- [δε]μιῇ τῶν ἀρχ[έ]ω[ν μήτε τέχνη]- [ι] μήτε παρε[υ]ρέσει μ [ηδεμιῆι·] 252 Traduction SAVINEL 1984. 253

Arrien, I, 18, 1. Sur la politique d’Alexandre dans la région, voir également BADIAN 1966. WALLACE 2017, p. 51.

254

Quinte Curce, IV, 5. L’auteur nous rapporte que Pharnabaze impose Milet ce qui laisse suggérer une reprise en main d’une ou plusieurs places notamment en Ionie.

255

GEHRKE 1985, p. 69.

256

Contra DEBORD 1999, p. 467, n°355, selon lequel en fonction de la forme des lettres, une datation vers le

5 ἢν δέ τις γράψηι, ὀφείλ [ειν ἕκ]- αστ[ο]ν τῶγ γραψάντων τάλ[αντ]- ον ἀργυρίου τῇ πόλει, καὶ τῶι ὑπέχοντι τὴν δίκην ἕτερον τ- οσοῦτον. τῶν δὲ ὁμοσάντων ἀν- 10 αγραψάτωσαν οἱ ὁρκίζοντες τὰ ονόματα εἰς πετεύρια· καὶ προσπερονῆσαι πρὸς τὴν στο- [ι]ήν· γράψαι δὲ τὸ ψήφισμα εἰσ- τήλας λιθίνας δύο, καὶ στῆσα- 15 ι μίαμ μὲν ἐν τῶι Ἀθηναίωι, μί- αν δὲ εἰς τὴν ἀγορήν· Ἕρμωγ Γ[ρ]- ύτιος· τὰ μὲν ἄλλα καθάπερ Ἀ[π]- αρχ αῖος· οἳ δὲ νενίκηνται τ[ῶ]- [ν] φευγόντων δίκας ἀπεῦντες, 20 [τ]αο τα ἀδίκαστα εἶναι, καὶ ε[ἴ] [τ]ι τούτων φάσιμόν ἐστι.

« Nul n’a le droit d’accuser auprès d’une autorité pour quelque raison que ce soit ceux inscrits auparavant. Si quelqu’un porte plainte, qu’il paye à la cité un talent et autant à celui qu’il accuse. Ceux qui reçoivent le serment doivent noter sur une tablette en bois le nom de tous ceux qui prêtent serment ; que celle-ci soit affichée vers le portique ; que ce décret soit transcrit sur deux stèles de pierre et qu’elles soient dressées l’une dans le sanctuaire d’Athéna et l’autre sur l’agora.

Hermon fils de Grytis a proposé : conformément à l’avis d’A[p]archaios ; si un des bannis a été condamnés en son absence, cette décision doit être annulée et les cas qui font l’objet d’une accusation doivent être annulés. ».

Ce décret d’amnistie est voté non pas sur proposition d’une commission, de magistrats ou d’un stratège, mais sur celle d’un citoyen du nom d’Aparchaios, comme le montre l’amendement proposé par Hermon fils de Grytis, conformément à l’avis du rogator précédent (l. 16 et 17). La cité connaîtrait donc une constitution démocratique et le rappel concernerait des démocrates bannis sous un régime précédent. Le texte qui nous est parvenu était probablement précédé par les dispositions concernant la réintégration des bannis et sans doute le contexte et les raisons pour lesquelles le peuple devait prendre ces décisions. Seule une disposition habituelle dans le cadre d’une amnistie, à savoir l’interdiction de poursuivre les bannis rentrants, sous peine de forte amende et le devoir de prêter serment pour les deux partis, nous sont conservés. Les noms de ceux qui prêtent

serment doivent être inscrits sur une tablette en bois affichée, πρὸς τὴν στοιήν, qui doit sans doute jouxter un espace central de la cité où se trouvent les principales institutions politiques telles le Conseil ou le Prytanée. Le décret quant à lui, doit être transcrit sur deux stèles érigées dans les lieux publics les plus en vue, dont le sanctuaire d’Athéna et l’agora. Ces mêmes prescriptions sont reprises en grande partie dans une seconde copie découverte à Chios257.

Pouvons-nous rapprocher l’érection de la statue du tyrannicide Philitès avec le contexte de 334-332 ? C’est du moins l’hypothèse émise par D. Teegarden qui propose de faire un parallèle avec la situation d’Érésos. L’existence de cet épisode de l’histoire d’Érythrée ne nous est connue qu’à travers deux décrets attribués à la cité, concernant la restauration de la statue du tyrannicide et découverts à Chios.

Décrets concernant la statue du tyrannicide Philitès :

Éditeur : I. Erythrai, n° 503 ; A.J. HEISSERER, « The Philites stele », Hesperia 48, 1979, p. 281-293 (avec photographie) ; D. TEEGARDEN, Death to tyrants! : Ancient Greek democracy and the struggle against tyranny, Princeton Univ. Press, 2014, p. 115-141.

Cf. : P. BRUN, Hégémonie et sociétés dans le monde grec. Inscriptions grecques de

l’époque classique, 2017, n° 84, p. 207 (trad. française).

Texte I. Erythrai, n° 503. Traduction : Brun. 1 ἔδοξεν τῆι βουλῆι καὶ τῶι δήμωι· Ζωίλος Χιά- δου εἶπεν· ἐπειδὴ οἱ ἐν τῆι ὀλιγαρχίαι τῆς εἰ- κόνος τῆς Φιλίτου τοῦ ἀποκτείναντος τὸν τύραννον τοῦ ἀνδριάντος ἐξεῖλον 5 τὸ ξῖφος, νομίζοντες καθόλου τὴν στάσιν καθ’ αὑτῶν εἶναι· ὅπως ἂν ὁ δῆμος φαίνηται πολλὴν ἐπιμέλειαν ποιούμενος καὶ μνημο- νεύων ἀεὶ τῶν εὐεργετῶν καὶ ζώντων καὶ τετελευτηκότων, ἀγαθῆι τύχηι δεδόχθαι 10 τῆι βουλῆι καὶ τῶι δήμωι· τοὺς ἐξεταστὰς το[ὺ]- 257

I.Erythrai und Klazomenai, 10 : b1 : [τ τέχνηι μήτ ] παρ υρέ[σ ]ι ǀ[μηδ μιῆι· ἢν] δέ τις γράψῃ ὀφ [ί]ǀ[λ ιν

ἓκαστ] ν τῶγ γραψάντωνǀ [τάλαντ ν] άργυρί υ τῆι πόλ ι , ǀ [καὶ τῶι ὑ]πέχ ντι τὴν δίκην ǀ [ἕτ ρ ν] τ σ ῦτ ν· τῶν δὲ ὀμ ǀ [σάντω]ν ἀναγραψάτωσαν ἱ ὁρǀ[κίζ ]ντ ς τὰ ὀνόματα ἰς π ǀ[τ ύρ]ια· καὶ πρ σπ ρ νῆσαι ǀ [πρὸς τὴν] στ ήν· γράψαι δὲ τὸ ǀ [ψήφισμα ἰς] στήλας λιθίν[ας] ǀ [δύ , καὶ στῆσ]αι μίαμ μὲν [ἐν τῶι] ǀ [Ἀθηναίωι, μί]αν δὲ ἰς τὴ [ν ἀγ ]- . Sur le verso de la même stèle, il est possible de reconnaître le début d’un autre décret : c.1 [ἔ]δ< >ξ ν τ[ῶι δήμωι· στρατηγῶν, πρυ]-ǀτάν ων, ἐξ [ ταστῶν γνώμη·ǀ λ λύσθαι [— τ ὺς ἄλ]-ǀλ υς πάντας [—] ǀὅσα ἔμπρ [σθ ν —] ǀτῶγ κ ι[νῶν—] ǀ․ υ χ [—].

ς ἐνεστηκότ[α]ς ἐγδοῦναι τὸ ἔργον διαστολὴν ποιησαμένους μετὰ τοῦ ἀρχιτέκτονος, καθ’ ὅτι συντελεσθήσεται ὡς πρότερον εἶχεν· ὑπηρετε[ῖ]ν δὲ αὐτοῖς τὸγ κατὰ μῆνα ταμίαν. ὅπως δὲ καθαρὸς 15 ἰοῦ ἔσται ὁ ἀνδριὰς καὶ στεφανωθήσεται ἀεὶ ταῖς νουμηνίαις καὶ ταῖς ἄλλαις ἑορταῖς, ἐπιμελεῖσθαι τοὺς ἀγορανόμους. ἔδοξεν τῆι βουλῆι καὶ τῶι δήμωι· Ζωίλος Χιάδου εἶπεν· ἐπειδὴ ἐν τῶι πρότερον ψηφίσματι προσε- 20 τάχθη τῶι ἀγορανόμωι ἐπιμελεῖσθαι τῆς εἰκόνος τοῦ ἀνδριάντος τοῦ Φιλίτου, ὅπως στεφανω- θήσεταί τε καὶ λαμπρὸς ἔσται, ὁ δὲ ἀγορανόμος φησὶν εἰς ταῦτα πόρου δεῖσθαι, ἀγαθῆι τύχηι δεδόχθαι τῆι βουλῆι καὶ τῶι δήμωι· τὸ μὲν καθ’ ἕ- 25 τος εἰς ταῦτα διδόναι τὸ ἀνάλωμα τοὺς [κα]τὰ μῆνα ταμίας, ἐπιμελεῖσθαι δὲ τὸν [ἀγορα]νόμον· εἰς δὲ τὸν λοιπὸγ χρόνον οἱ [ἀ]- [γορανόμο]ι πωλοῦντες τὰς ὠνὰς προστι[θέ]- [τωσαν τὴν πο]ί[ησιν] τῶν στεφά[νων] 30 [—]τε[—]

« Il a plu au Conseil et au peuple, Zôlios fils de Chiadès a proposé. Attendu que les partisans de l’oligarchie ont enlevé l’épée de la statue (andrias) portrait de Philitès, celui qui avait tué le tyran, dans la pensée qu’elle avait été érigée à leur encontre, et afin qu’il apparaisse que le peuple montre qu’il prend le plus grand soin et qu’il se souvient éternellement de ses bienfaiteurs, vivants autant que morts, à la Bonne Fortune ! Plaise au peuple d’inviter les exetastai en fonction de mettre le travail en adjudication, après en avoir fait réaliser le devis par l’architecte, de façon à ce que la statue soit complétée comme elle l’était auparavant. Que le trésorier mensuel les paye. Que les agoranomes veillent à ce que la statue soit nettoyée de son vert de gris et soit couronnée pour les fêtes de la nouvelle lune et les autres fêtes.

Il a plu au Conseil et au peuple, Zôlios fils de Chiadès a proposé. Attendu que dans le précédent décret, il a été prescrit à l’agoranome de prendre soin de la statue de Philitès, de telle sorte qu’elle soit couronnée et brillante et que l’agoranome dit que, pour cela, il faut des revenus, à la Bonne Fortune ! Plaise au Conseil et au peuple. Pour cette année, que le trésorier mensuel fournisse à la dépense pour ce travail, que l’agoranome y veille et que, dans le futur, les agoranomes, lors de l’adjudication des fermes, y ajoutent la fabrication des couronnes [---]. »

Dans les faits, c’est sous un régime oligarchique que les détenteurs du pouvoir ont profané la statue du tyrannicide Philitès, en retirant l’épée. La statue n’a aujourd’hui encore, pas été retrouvée. Elle devait probablement être en bronze et en toute vraisemblance érigée sur l’agora ; les agoranomes sont chargés d’en prendre soin. Différentes hypothèses sur les raisons d’une telle profanation ont été émises et reprises par D. Teegarden dans son commentaire. Selon l’auteur, la dégradation de la statue par l’enlèvement de l’épée a été un élément de propagande dans la stratégie de « maintien du régime » oligarchique. Afin que cette propagande soit efficace, l’auteur admet également que les oligarques ont mis en place une sorte de campagne d’intimidation, bien qu’elle ne soit pas mentionnée258

.

À quand remontent les faits relatés ?

Il est généralement admis de dater les évènements ayant conduit à l’érection de la statue de Philitès au début de l’époque hellénistique. Selon W. Dittenberger les évènements suivent la conquête d’Alexandre en Asie Mineure aux alentours de 334-332 et sa politique de démocratisation de la région259. H. Engelmann et R. Merkelbach suggèrent quant à eux, en raison de l’écriture, que les évènements remontent à ca 280 après la bataille de Couroupédion260. A.J. Heisserer ne s’accorde pas avec la conclusion de W. Dittenberger, parce que le nom d’Alexandre n’est pas mentionné comme dans les autres documents de l’époque (Érésos, Mytilène) et propose de placer les évènements au lendemain de la bataille d’Ipsos261. Pour P. Debord, il n’est nullement assuré que les deux décrets puissent être connectés à l’histoire interne de la cité entre 334 - 332, comme cela a parfois été proposé, pour illustrer les turbulences traversées par les cités lors de la conquête d’Alexandre. Rien ne permet non plus, selon P. Debord, de faire un lien entre Philitès, magistrat monétaire dans la période de 350 à 340, et le tyrannicide. Il conclut qu’il est « impossible en l’état de notre connaissance de la documentation de relier ces évènements à la ‘grande histoire’» 262

.

La théorie émise par A.J. Heisserer de voir dans ces décrets une copie (datée entre ca 275 et 200) d’un document plus ancien est peu recevable selon P. Gauthier263

. La forme des lettres interdit, selon ce dernier, de placer les décrets au IVe siècle mais oblige à les situer plutôt vers le milieu du IIIe siècle. Ce dernier est rejoint par P. Fröhlich qui estime que le milieu du IIIe siècle paraît être le plus plausible. L’absence d’alpha à barre brisée, dans les

258 TEEGARDEN 2014, p. 150-151. 259 DITTENBERGER 1901, Syll.3, n°284. 260

I.Erythrai und Klazomenai, n° 503.

261 HEISSERER 1979, p. 291-293. 262 DEBORD 1999, p. 437-438. 263 GAUTHIER 1982, p. 215.

textes du IIe siècle, interdit en effet selon l’auteur de descendre trop bas, dans le IIIe siècle264. H.-S. Lund propose plutôt le début du IIIe siècle, en raison du parallèle qu’offrent les textes avec ceux de cette période concernant la forme des lettres et les

apices prononcées265.

D. Teegarden reprend ces différentes analyses mais ignore toutefois la position de P. Debord et P. Fröhlich.

Au regard des différents arguments et tenant compte d’une datation des décrets dans le premier tiers du IIIe siècle, D. Teegarden propose une reconstruction des faits. Pour démontrer le caractère violent de la révolution, l’auteur s’appuie sur le décret en l’honneur de Phanès266 et l’amnistie des bannis politiques pour proposer la chronologie suivante : érection de la statue après la conquête d’Alexandre (ca 332), dégradation de la statue par des oligarques dans les suites d’Ipsos (301) et restauration de la statue par les démocrates après la bataille de Couroupédion (280).

Bien que minoritaires, les oligarques pro-perses détiennent le pouvoir dans la cité depuis plusieurs décennies. L’arrivée d’Alexandre change la donne. Soutenus par le peuple, les démocrates se soulèvent, en un élan collectif contre les oligarques. Philitès joue un rôle clé dans l’affaire. Il est peut-être selon D. Teegarden, le premier à tuer un chef de file oligarque. La révolte est un succès mais Philitès trouve la mort. Le peuple, inspiré par l’idéologie anti-tyran promue par Alexandre267

, considère Philitès comme « son » Harmodios. Dans une phase qualifiée de phase de refondation pour la cité et la démocratie après la conquête (ca 332), elle décide d’ériger en l’honneur de Philitès, une statue de bronze sur l’agora.

Après la victoire de Lysimaque à Ipsos en 301, les oligarques arrivent au pouvoir et à un moment donné, enlèvent l’épée de la statue. La présence d’un régime non démocratique ne peut être qu’inféré selon D. Teegarden, mais les indices épigraphiques vont en ce sens. L’auteur note l’absence d’inscriptions publiques pouvant être datées avec certitude des deux premières décades du IIIe siècle. Après un nouveau renversement de régime, les

264 FRÖHLICH 2004, p. 544-545. 265 LUND 1992, p. 239, n°78 ; TEEGARDEN 214, p. 163. 266

I.Erythrai und Klazomenai, n° 21. Phanès est honoré par la cité pour avoir avancé une importante somme

d’argent, sans intérêts permettant le renvoi de soldats et la démolition de l’acropole. Il est couronné d’une couronne d’or de cinq statères de Philippe.

267

En référence notamment à l’intention d’Alexandre de renvoyer à Athènes la statue d’Harmodios et Aristogiton (Arrien, III, 16,7 ; III, 7,19), mais également à sa décision de remettre les tyrans à leurs cités respectives pour y être jugés.

démocrates de retour au pouvoir décident de rendre son épée à la statue. La cité lui redonne ainsi, sa signification politique originelle268.

Cette reconstruction des faits paraît tout à fait convaincante. La séquence supposée, à savoir la mise à mort d’un tyran suivie d’une démocratie, puis installation d’une oligarchie et à nouveau un retour à la démocratie, suppose, comme le souligne fort bien P. Debord, un laps de temps relativement long. L’état d’oxydation de la statue, à laquelle il faut redonner son éclat d’antan, vient confirmer qu’un laps de temps important sépare l’érection de la statue et la publication des décrets269

.

Il convient néanmoins de souligner les incertitudes et les zones d’ombre qui subsistent dans la chronologie de l’histoire d’Érythrée entre 332 et 283. En effet, rien ne permet d’exclure que l’équilibre de la cité n’ait été menacé voire même troublé entre 332 et 301. Suivant, la tradition, D. Teegarden met le décret voté en l’honneur de Phanès en lien avec les évènements de 334 - 332270. Pourtant, la datation de ce texte n’est pas assurée comme le montre J.-C. Couvenhes qui place la contribution apportée par Phanès à la libération de la cité et au démantèlement de l’acropole entre 323 et 315271

.

D’autre part, la séquence (tyrannie, démocratie, oligarchie et retour à la démocratie) peut aussi cadrer avec le contexte politique troublé qui suit la défaite d’Antigone à Ipsos en 301. Période durant laquelle une recrudescence de régimes forts est visible. Une tyrannie plus ou moins éphémère a très bien pu supplanter la démocratie au lendemain d’Ipsos (301) pour être à nouveau renversée par les démocrates peu de temps après. Le passage à l’oligarchie peut être envisagé dans les suites, bien que dans les faits, nous ne disposions d’aucun indice. Nous savons que Séleucos intervient dans la région en 283, à la demande des cités, ce qui correspond comme le suggère D. Teegarden avec le retour à la démocratie.

Y a-t-il eu une stasis à Priène ? Une inscription gravée sur l’ante du temple d’Athéna Polias nous amène à nous interroger. En effet, la première partie du document, copie d’un

diagramma royal relatif à la fiscalité des Priéniens installés à Naulochos se laisse assez

bien interpréter272. La suite du texte très mutilé, laisse entrevoir des dispositions de nature

268 TEEGARDEN 2014, p. 157-164. 269 DEBORD 1999, p. 437-438 ; BRUN 2017, p. 208. 270

Cf. également ENGELMANN & MERKELBACH 1972, p. 66-68 ; MIGEOTTE 1984, n°84 ; DEBORD 1999, p. 457.

271

COUVENHES 2004b, p. 95. La datation proposée repose sur la valeur de la couronne d’or. L’auteur renvoi à l’article de VARINLIOGLU & alii 1990, p. 77-78.

272 SHERWIN-WITH 1985, p. 69-89 estime que cette copie de diagramma date des années 280 sous le règne de

différente. Il est question (l.15) d’une garnison, « τήν φρουρ[ά]ν έφ… » mais également, en fin de texte, de justice (l. 18), « …τάς δίκας… », et de tribunal (l. 20) « …δίκαστήριον… »273 , sans que nous puissions en déterminer ni les circonstances, ni le contexte historique.

Rien n’interdit dans l’état actuel de proposer un rapprochement avec la situation d’autres cités telle Chios.

Après son arrêt forcé pour maladie en Cilicie, à Tarse, Alexandre reprend la conquête de la région. Il inflige une amende de deux cents talents à la cité de Soles pour avoir favorisé les Perses et y installe une garnison. De là, il s’attaque aux Ciliciens des montagnes et