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1 Les luttes civiles en Eubée entre 358/7 et 341

Située en face de l’Attique et de la Béotie, dont elle n’est séparée que par l’Euripe, l’île représente par sa situation géographique et stratégique évidente, un enjeu militaire majeur, et suscite la convoitise des États aux prétentions hégémoniques. Alliées d’Athènes en 377, les cités de l’île changent de camp pour rejoindre l’alliance de Thèbes après la bataille de Leuctres en 371 et ce, jusqu’à la rupture de 357. Cette année là, commence une période nouvelle, les cités d’Eubée s’éloignent de l’amitié béotienne probablement devenue encombrante depuis la bataille de Mantinée, lors de laquelle disparaît Épaminondas. Amitié dont les Eubéens n’avaient, selon O. Picard, pas toujours à se louer. Au moment des faits, la politique des cités est aux mains de quelques personnages, issus des plus anciennes familles de propriétaires terriens68.

Selon Diodore, les premières luttes civiles éclatent parmi les habitants de l’île, οἱ τὴν Εὔβοιαν κατοικοῦντες et, remontent à 358/7.

68

Diodore, XVI, 7 ,2 « … ἅμα δὲ τούτοις πραττομένοις οἱ τὴν Εὔβοιαν κατοικοῦντες ἐστασίασαν πρὸς ἀλλήλους καὶ τῶν μὲν τοὺς Βοιωτούς, τῶν δὲ τοὺς Ἀθηναίους ἐπικαλεσαμένων συνέστη πόλεμος κατὰ τὴν Εὔβοιαν. γενομένων δὲ πλειόνων συμπλοκῶν καὶ ἀκροβολισμῶν ὁτὲ μὲν οἱ Θηβαῖοι προετέρουν, ὁτὲ δ' οἱ Ἀθηναῖοι τὴν νίκην ἀπεφέροντο. μεγάλη μὲν οὖν παράταξις οὐδεμία συνετελέσθη: τῆς δὲ νήσου διὰ τὸν ἐμφύλιον πόλεμον καταφθαρείσης καὶ πολλῶν ἀνθρώπων παρ' ἀμφοτέρων διαφθαρέντων μόγις ταῖς συμφοραῖς νουθετηθέντες εἰς ὁμόνοιαν ἦλθον καὶ τὴν εἰρήνην συνέθεντο πρὸς ἀλλήλους…».

« Tandis que ces évènements se déroulaient, les habitants de l’Eubée entrèrent en lutte les uns contre les autres et, comme les uns avaient fait appel aux Béotiens, les autres aux Athéniens, une guerre s’engagea en Eubée. Il y eu de nombreux engagements et de nombreuses escarmouches : tantôt les Béotiens avaient le dessus, tantôt les Athéniens remportaient la victoire mais aucune grande bataille rangée ne fut livrée. L’île ayant été ruinée par la guerre civile et beaucoup d’hommes ayant péri dans chaque camp, ce fut à grand peine que, rappelés à l’ordre par leurs malheurs, ils se réconcilièrent et conclurent la paix les uns avec les autres. »69.

L’auteur précise que chaque parti en conflit en appel à un allié étranger ; les uns aux Béotiens, τῶν δὲ μὲν τοὺς Βοιωτούς et les autres aux Athéniens, τῶν δὲ τοὺς Ἀθηναίους. La guerre devient générale mais aucune des forces armées athénienne ou béotienne, n’arrive à prendre réellement le dessus. Ravagée par la guerre intestine, ἐμφύλιος πόλεμος, les partis, affaiblis par les pertes réciproques, décident de faire la paix. Les modalités de la réconciliation ne nous sont toutefois pas connues.

Le récit de Diodore n’apporte aucune précision sur les causes de cette guerre intestine à l’échelle de l’île qui restent obscures. Son origine, malgré les apparences, ne doit pas être cherchée dans le contexte politique extérieur, qui ne lui sert finalement que de ferment, mais bien au cœur même des cités de l’île où selon O. Picard, les luttes politiques font rage70. Il semble qu’afin de mener leur propre jeu politique, les partis d’opposition mettent à profit les rivalités entre Athènes et Thèbes. Quelques indices vont en ce sens. Nous

69

Traduction GOUKOWSKI 2016.

70

savons que Mnésarchos de Chalcis, dont les Athéniens ont eu beaucoup à se plaindre71, change de camp pour s’allier avec elle, en 357. Un autre homme fort de la politique en Eubée à cette période, Thémisôn d’Érétrie, connu pour avoir enlevé Oropos aux Athéniens en 366, détient le pouvoir dans la cité durant une dizaine d’années72. Son régime sombre au plus tard en 357 quand éclate la stasis73.

De plus, en regardant les évènements de plus près, nous constatons qu’à chaque nouvel épisode de stasis, des bannis politiques sont directement impliqués, voire même à l’origine du conflit.

Si nous admettons la datation basse de l’ouvrage d’Énée le Tacticien, le récit détaillé que nous livre ce dernier sur les circonstances, qui mènent à la prise sanglante de Chalcis, cadre parfaitement avec le contexte de 357.

Selon l’auteur, la cité fait l’objet d’une attaque fomentée par un banni parti d’Érétrie qui tente de s’emparer de sa patrie avec l’aide de troupes mercenaires. Pour arriver à ses fins, il bénéficie de la complicité d’un Chalcidien chargé de faire pénétrer les troupes dans la place. Pour ce faire, ce dernier renouvelle sans cesse un pot à feu dans le coin le plus désert de la cité contre une porte jamais ouverte. En l’y conservant jour et nuit, il arrive finalement une nuit à l’insu de tous, à brûler entièrement la barre qui retient la porte, ce qui permet aux troupes postées à l’extérieur de s’engouffrer dans la place. La prise de la cité est sanglante. Deux mille hommes environ se rassemblent en toute hâte sur l’agora après que l’alarme soit donnée. Dans la confusion qui règne, beaucoup sont tués faute de s’être rangés sous le coup de la frayeur et de la surprise au côté de l’ennemi. C’est ainsi que la plupart d’entre eux périt. Ce n’est qu’une fois la cité occupée que la population réalise réellement ce qui vient de lui arriver74. Comme à son habitude, Énée ne mentionne pas de nom, il n’est donc pas possible d’identifier le banni en question. Il n’est pas interdit pour autant, de se demander s’il ne s’agit pas de Mnésarchos, chassé de la cité par une faction rivale.

À l’issue de ces luttes civiles, les cités de l’île renouent avec Athènes, comme le suggère le décret d’alliance avec la cité de Carystos75

. Les cités sont gouvernées

71

Eschine, Contre Ctésiphon, 85 : « Athéniens, vous avez subi des torts graves et répétés de la part de Mnésarchos de Chalcis, père de Callias et de Taurosthène, pour lesquels cet homme aujourd’hui, acheté à prix d’argent, a l’audace de proposer le droit de cité, puis de nouveau de la part de Thémisôn d’Érétrie, qui nous avait enlevé Oropos en pleine paix ». MARTIN & de BUDÉ 2002 [1928].

72

Eschine, Contre Ctésiphon, 85. Traduction française MARTIN & de BUDÉ 1928.

73

KNOEPFLER 2002, p. 406.

74

Énée le Tacticien, IV, 1 – 3. Traduction BON 2002 [1967]. Si nous partons sur une datation basse de l’ouvrage d’Énée entre 357/6 et 356/5, proposée par BON, p. 9. Cf. également PICARD 1996, p. 184.

75

démocratiquement et nombre de factieux ont probablement pris le chemin de l’exil après ces premiers affrontements, comme le montre la suite des évènements.

En 352, la cité d’Érétrie connaît un gouvernement de type tyrannie avec Ménestratos à sa tête. Ce dernier est qualifié de dynaste par Démosthène et non de tyran, précaution d’usage pour un personnage considéré comme ami d’Athènes. Il est possible selon D. Knoepfler que ce dernier détienne le pouvoir depuis 355 mais son gouvernement n’est pas à l’épreuve du temps puisqu’en 349, nous retrouvons à la tête de la cité, Ploutarchos qui a séjourné un temps à Athènes76. Son régime n’en est pas pour autant plus démocratique que le précédent, mais il s’agit d’un protégé d’Eubule et de Midias d’Anogyronte, ennemi juré de Démosthène77. Nous ne savons par contre pas ce qu’il est advenu de Ménestratos. Ce changement politique peut être, à en croire Démosthène, à l’origine des lettres que Philippe adresse sans succès aux Eubéens, les mettant en garde contre Athènes.

Démosthène, Première philippique, XXXVII

« Ὁ δ' εἰς τοῦθ' ὕβρεως ἐλήλυθεν ὥστ' ἐπιστέλλειν Εὐβοεῦσιν ἤδη τοιαύτας ἐπιστολάς ». « Lui, cependant, en est venu à un tel degré d’insolence qu’il adresse aux Eubéens des lettres telles que celle-ci (lecture de lettres de Philippe aux Eubéens) » 78.

En 348 puis en 343/1, l’île va à nouveau être secouée par des affrontements entre partis. Ces derniers semblent des plus confus. Mais c’est visiblement le rejet du modèle politique athénien par des riches propriétaires terriens (oligarques) qui est à l’origine de ces conflits, comme nous le voyons par ailleurs dans d’autres cités grecques. Les rares indications dont nous disposons nous sont parvenues pour l’essentiel à travers les plaidoyers peu impartiaux de Démosthène et d’Eschine. La chronologie des faits reste difficile à reconstituer. Pour O. Picard, l’implication de Philippe dans les affaires de l’île dès 348 est loin d’être établie ; alors que pour P. Brun, celui-ci ne dispose pas encore des outils diplomatiques nécessaires à une intervention si loin de ses bases79. Au moment des faits, la cité d’Érétrie est gouvernée par le tyran Ploutarchos, arrivé comme nous venons de le voir au pouvoir à une date incertaine entre 352 et 349. Malgré l’opposition de Démosthène, Ploutarchos peut compter sur le soutien des Athéniens80. La révolte fomentée en 348, est une fois de plus l’œuvre d’un banni politique, Kleitarchos

76

Démosthène, Contre Aristocratès, XXIII,124. KNOEPFLER 2002, p. 197 ; TEEGARDEN 2014, p. 66.

77

C’est contre lui que Démosthène prononce son « Contre Midias».

78

Traduction CROISET 1924. Le discours est daté de 351.

79

BRUN 2015, p. 147.

80

probablement un des chefs de file de l’oligrachie locale81

. De retour sur le sol érétrien, il va entrer en conflit avec Ploutarchos.

Une scholie à Eschine (Contre Ctésiphon, 86) vient en témoigner :

« ὁ Πλούταρχος ἤν Έρετριέων τύραννος· Τούτῳ ὁ Κλείταρχος φυγὰς ὢν ἐξ Ἐρετρίας ἐπολέμει καὶ λαβὼν παρὰ Φαλαίκου τῶν Φωκέυων τυράννου δύναμιν ἐστράτευσεν ἐπὶ τὸν Πλούταρχον · Τῷ δὲ Πλουτάρχῳ οἱ Ἀθηναῖοι ἐβοήθησαν Φωκίωνος στρατηγοῦντος καὶ γιγομένης ἐν Ταμύναις μάχης ἐνίκων Ἐρετριεῖς ».

« Ploutarchos était un tyran d’Érétrie. Kleitarchos qui s’était exilé d’Érétrie, le combattait et obtint des troupes de Phalaicos, le tyran de Phocide, pour faire campagne contre Ploutarchos. Les Athéniens portèrent secours à Ploutarchos, sous les ordres du stratège Phocion et les Érétriens furent victorieux au combat à Tamynai »82.

Débarquant dans un endroit éloigné du territoire d’Érétrie, Kleitarchos soutenu dans son action par des troupes mercenaires phocidiennes ne marche pas directement sur la cité. Il rallie d’abord une partie de la population à sa cause, « τούτῳ ἐπανέστη Κλείταρχος καί ἅμα οἱ πολίται συνεπέθεντο …» (scholie à Démosthène, Sur la paix, V, 5), s’empare d’une ou plusieurs places fortes dans la région de Tamynes aux confins septentrionaux de l’Érétriade créant ainsi un véritable contre pouvoir. Ceci explique que le corps expéditionnaire envoyé par Athènes contre l’avis de Démosthène83 et dirigé par Phocion n’assiège pas la cité même, mais pénètre au centre de l’île en direction justement de Tamynes84. Ce que rien ne laisse présager, c’est le retournement politique de Callias qui décide contre toute attente athénienne de marcher aux côtés de Kleitarchos85. Après le départ de Phocion et la trahison de Ploutarchos, la guerre est un échec pour Athènes qui ne peut que reconnaître l’indépendance des cités eubéennes.

Kleitarchos disparaît des devants de la scène jusqu’en 343/2 où nous le retrouvons dans les rangs de Philippe, au côté de deux autres membres du groupe oligarchique de l’île, Hipparchos et Automédon. La cité est à nouveau en proie à la stasis, le modus operandi

81

PICARD 1979, p. 251. Selon l’auteur, tous les protagonistes que ce soit Ploutarchos, Kleitarchos ou Philistidès d’Oréos sont les chefs de puissants groupes artistocratiques. Il partage par là l’opinion déjà émise par BERVE 1967, p. 300-301.

82

Texte grec et traduction PICARD 1979, p. 241.

83

Démosthène donne la priorité au front septentrional (Olynthe au détriment de l’Eubée, soutenue par Eubule et Midias. Sur les raisons d’un tel choix, voir BRUN 2015, p. 146-150.

84

Eschine, Contre Ctésiphon, 86. KNOEPFLER 1981, p. 290.

85

rejoint celui de 348 : les luttes politiques amènent les factions à faire appel à une puissance extérieure à l’île.

Démosthène, Troisième philippique, IX, 57, 58

« … Οὐ τοίνυν παρὰ τούτοις μόνον τὸ ἔθος τοῦτο πάντα κάκ´ εἰργάσατο, ἄλλοθι δ´ οὐδαμοῦ· ἀλλ´ ἐν Ἐρετρίᾳ, ἐπειδὴ ἀπαλλαγέντος Πλουτάρχου καὶ τῶν ξένων ὁ δῆμος εἶχε τὴν πόλιν καὶ τὸν Πορθμόν, οἱ μὲν ἐφ´ ὑμᾶς ἦγον τὰ πράγματα, οἱ δ´ ἐπὶ Φίλιππον. ἀκούοντες δὲ τούτων τὰ πολλά, μᾶλλον δὲ τὰ πάνθ´ οἱ ταλαίπωροι καὶ δυστυχεῖς Ἐρετριεῖς, τελευτῶντες ἐπείσθησαν τοὺς ὑπὲρ αὑτῶν λέγοντας ἐκβαλεῖν. καὶ γάρ τοι πέμψας Ἱππόνικον ὁ σύμμαχος αὐτοῖς Φίλιππος καὶ ξένους χιλίους, τὰ τείχη περιεῖλε τοῦ Πορθμοῦ καὶ τρεῖς κατέστησε τυράννους, Ἵππαρχον, Αὐτομέδοντα, Κλείταρχον· καὶ μετὰ ταῦτ´ ἐξελήλακεν ἐκ τῆς χώρας δὶς ἤδη βουλομένους σῴζεσθαι, τότε μὲν πέμψας τοὺς μετ´ Εὐρυλόχου ξένους, πάλιν δὲ τοὺς μετὰ Παρμενίωνος … ».

« … À Érétrie, quand débarrassé de Ploutarchos et de ses mercenaires, le peuple était maître de la ville et de Porthmos, les uns le poussait à se tourner vers nous, les autres vers Philippe. Eh bien, c’est en prêtant l’oreille trop souvent, ou plutôt toujours, à ces derniers que les pauvres et malheureux Érétriens finirent par se laisser persuader d’expulser ceux qui parlaient dans leur intérêt. Et alors Philippe, leur allié et leur ami, ayant envoyé Hipponicos et mille mercenaires, abattit les murs de Porthmos et installa trois tyrans Hipparchos, Automédon, Kleitarchos. Après quoi, il chassa du pays ces gens qui, à ce moment, demandaient plutôt deux fois qu’une, à être sauvés (ce fut alors qu’il expédia les mercenaires que commandait Eurylochos, puis ceux de Parménion) …»86.

Comme l’évoque ici Démosthène dans sa Troisième philippique, Érétrie est divisée en deux factions, l’une favorable à Athènes de tendance démocratique, l’autre à Philippe. Après avoir expulsé Ploutarchos et sa milice étrangère, le peuple, ὁ δῆμος, est maître de la cité et de Porthmos. Pourtant, les citoyens se laissent persuader par les partisans de Philippe, οἱ δ´ ἐπὶ Φίλιππον , d’exiler ceux qui parlent dans leur intérêt, à savoir les démocrates favorables aux Athéniens. Ces derniers trouvent refuge dans la cité portuaire de Porthmos et semblent actifs. Philippe détache, à la demande de ses partisans, mille mercenaires sous la conduite d’Hipponicos. Ce dernier rase les murs de Porthmos et impose à la contrée trois dirigeants qualifiés de tyrans, τυρρανοί, dans les discours de Démosthène et d’Eschine, Hipparchos, Automédon et Kleitarchos l’ancien adversaire de

86

34887. L’opposition n’est pas muselée pour autant, puisque Philippe dépêche par deux fois des troupes pour soutenir les dirigeants, une première fois dirigées par Eurylochos et une seconde fois par Parménion.

Dans Oréos (Histiée), la situation n’est guère meilleure, toujours selon Démosthène, Philistidès y intrigue pour le compte de Philippe, Φιλιστίδης μὲν ἔπραττε Φιλίππῳ, avec la complicité de Ménippos, de Socratès, de Thoas et d’Agapaios dans le but de s’emparer de la cité88. En 343/2, Euphraios, disciple de Platon, dénonce leurs agissements, mais une foule ameutée par les gens de Philippe fait jeter ce dernier en prison. Toujours selon l’auteur, les traîtres préparent la prise de la cité sans que personne n’ose bouger. Lorsque l’ennemi, à savoir les troupes de Philippe, se présente sous les murs de la cité, les uns la défendent, les autres la trahissent : « οἱ μὲν ἠμύνοντο, οἱ δὲ προὐδίδοσαν » (Démosthène,

Troisième philippique, 61). Alors que Philistidès et ses partisans deviennent les maîtres

dans Oréos, les partisans d’Euphraios sont bannis ou mis à mort. Euphraios lui-même préfére se donner la mort89.

À Chalcis, Callias se sentant menacé, cherche à nouveau l’alliance d’Athènes. Les revirements politiques successifs de ce dernier lui valent d’être comparé par Eschine à l’inconstance du cours de l’Euripe90

.

Le répit est de courte durée. En 341, Athènes lance, probablement à la demande des bannis d’Érétrie et d’Oréos, deux expéditions. La première, conduite par Képhisophôn vers juin-juillet 341, permet de provoquer la chute de Philistidès d’Oréos. La seconde expédition, menée contre Kleitarchos à Érétrie sous l’archonte de Nikomachos, soit au début de la nouvelle année civique (mais encore durant le même été), est dirigée par Phocion. Bien qu’appuyés par les démocrates érétriens, ramenés d’exil, la prise de la cité nécessite un siège. Kleitarchos est finalement tué et la cité est rendue aux bannis avec instauration d’un régime démocratique.

Cette campagne met en échec les ambitions eubéennes de Philippe91. Callias obtient par l’intermédiaire de Démosthène une remise des dix talents de subsides (syntaxeis) demandés par Athènes92. Ces derniers sont censés alimenter les caisses du koinon, mais il semble qu’il ne s’agisse là, selon D. Knoepfler, que d’une manœuvre pour amener les cités

87

Démosthène, Quatrième philippique, VIII.

88

Démosthène, Troisième philippique, IX, 59.

89

Démosthène, Troisième philippique, IX, 62.

90

Eschine, Contre Ctésiphon, 90.

91

KNOEPFLER 2002, p. 195.

92

à ne plus payer directement les contributions dont elles sont redevables en tant que membres de la Ligue athénienne.

Selon l’auteur, « on peut discuter, bien entendu, des intentions de l’homme politique

chalcidien et de la réalité effective de l’union eubéenne qu’il prônait »93. L’alliance nouée par Callias avec Athènes en 341 n’engage que la seule cité de Chalcis.

Le degré de violence et d’exactions commises lors de ces luttes civiles n’est probablement pas étranger à la loi contre l’oligarchie et la tyrannie votée par les Érétriens, bien qu’il n’y soit pas directement fait allusion.

Datée de 340, il s’agit de l’une des plus anciennes lois de ce genre qui nous soit connue et la seule à côté de celle d’Athènes livrée par une cité en Grèce propre94

. Elle constitue également un puissant rempart contre tout nouveau conflit. Il s’agit de deux fragments, dont le premier (fragment A) a été découvert au XIXe siècle à Aliveri, à une vingtaine de kilomètres de l’ancien site d’Érétrie et aujourd’hui perdu. La deuxième partie (fragment B) a, quant à lui, été découvert en 1958, non loin de là. Le fragment A est très abîmé. Dans la traduction proposée par D. Knoepfler, les restitutions sont signalées en italique.

Loi contre l’oligarchie et la tyrannie :

Editeur : D. KNOEPFLER, « Loi d’Érétrie contre la tyrannie et l’oligarchie, 1ère partie »,

BCH 125, 2001, p. 195-238 et D. KNOEPFLER, « Loi d’Érétrie contre la tyrannie et

l’oligarchie, 2ème

partie », BCH, 126, 2002, p. 249-204.

Cf. : D. TEEGARDEN, Death to tyrants! : Ancient Greek democracy and the struggle against tyranny, Princeton University Press, 2014, p. 62-64 (texte grec et trad. anglaise) ; P. BRUN, Hégémonies et sociétés dans le monde grec. Inscriptions grecques de l’époque

classique, 2017, n°63 p. 155-156 (trad. française).

Texte et traduction : D. Knoepfler.

Fragment A [θε]ο[ί] [Οἱ πρόβουλοι καὶ οἱ στρατηγοὶ εἶπον· Tύ]χεί Ἀ[γα]θεῖ τοῦ δ[ήμου το]- [ῦ Ἐρετριῶν · ὅπωρ ἂν καθιστῆται ἐν τεῖ πόλει ὴ] μ[ετὰ] ἀλλήλω[ν ὁμό- [οια καὶ φιλίη, ἔδοξε τεῖ βουλεῖ καὶ τοῖ δήμοι ἄτι]μον εἷναι τὸ[ν τ]- 5 [ύραννον καὶ γένος τὸ ἐξ αὐτοῦ καὶ ὅς ἂν] τυραννίδι ἐπι[θ]ῆται ὅς [δ]- 93 KNOEPFLER 2016, p. 138. 94 KNOEPFLER 2004, p. 405.

[ὲ ἂν ἀποκτείνει τὸν τυραννίζοντα ἢ τὸ]ν τ[ύ]ραννον, ἂμ μὲν π[ο]λ[ἱτη]- [ς εἷν δίδοσθαι αὐτοῖ ---10--- καὶ στῆσα]ι αὐτ[ου π]αρὰ [τὸν βωμὸ]- [ν τὸν ---18--- εἰκόνα χαλκῆν] καὶ εἶ[ναι αὐτοῖ προε]- [δρίην εἰς τοὺς ἀγῶνας οὓς ἡ πόλις τίθηριν] καὶ σίτηριν αὐτ [ι ὲμ] 10 [πρυτανείοι ἕως ἃν ζεῖ · ἐὰν δὲ ἀπ]οθάνει ὁ ἀποκτε[ίν]ας τὸν [τύραννο]- [ν ἢ τὸν ήγεμόνας τῆς ὀλιγαρχίας ? ἐκείνου ] τοῖς παιρὶ δ[ίδ]οσθαι ἂμ]- [μὲν ἄρρενες ὧριν, έκάστοις τὴν δωρειὰν] τὴν γεγραμμέ[νην ὅταν] [εἰς τὴν νομίμην ἡλικίην ἀφίκωνται · θυγα]τέρες δὲ [ἂν ὧριν, λαμβά]- [νειν ἑκάστην αὐτῶν εἰς ἔκδοσιν χιλίας ? ] δραχμ[ὰς ὅταν τεττάρω]- 15 [ν καὶ δέκα ἐτέρων γέγωνται --12--- ] ΙΝΑ [----15----]

« Dieu(x) (proposition des probouloi et des stratègoi ?). À la bonne fortune du peuple (des Érétriens). (Afin que s’établissent dans la cité), des uns avec les autres (la

concorde et l’amitié ?), (le Conseil et l’Assemblée du peuple ont décidé ?) : que soient

frappés d’atimie (le tyran et sa progéniture) et l’homme qui vise à la tyrannie : quant à celui (qui tuera ce partisan de la tyrannie ?) ou le tyran, s’il s’agit d’un citoyen, (qu’on

lui donne…. En récompense) et que l’on dresse de lui, près (de l’autel de… ?, une statue de bronze) et qu’il ait (un siège d’honneur dans les concours qu’organisent la cité ?) et qu’il soit nourri (au Prytanée ?, aussi longtemps qu’il restera en vie) , et si

disparaît ce meurtrier de tyran (ou du chef de l’oligarchie ?) que l’on prenne soin de ses enfants : (si ce sont des garçons, qu’on leur octroie à chacun) le don prescrit (quand ils atteindront l’âge légal), si ce sont des filles (qu’elles reçoivent chacune

mille ?) drachmes (pour leur établissement lorsqu’elles auront quatorze ans ?) …

Entre les 2 fragments manquent au moins quatre lignes.

Fragment B [---33--- εἰ δ ὲ ?] μή, ὅσ [οι] ἂ ν βούλων- [ται---23--- εἰς τὴν ? βουλὴ ν ἢ εἰ[ς] τὰ ἱερὰ ἐν Τ - [--- 32 ---] Ι ΑΝ ἢ ν τ ι [ς] τ ῶν βουλευτέ- ων ἢ ἀρχόντων, καὶ (περ ou τῆς) βουλῆς ἀπα]γορ [ευ]ούρης αὐτοῖ ἀποδημεῖ, πα - 5 [ραχρῆμα ἐκεῖνος ? τῆ]ς τε ἀρχῆς [ἀποπαυέσ θ]ω καὶ ἔστω ἄτιμος καὶ [α]- [ὐτὸς καὶ γένος ὡς ὁ ] τ ὸν δῆμον καταλύ[ω]ν · καὶ ἐάν τις τήνδε τὴν πο[λ]- [ιτείην ἐπιχειρε]ῖ καταλύειν [τ ὴ ν ν ῦ ν ] οὕρην ἢ λέγων ἢ ἐπιψηφίζ[ω]- [ν, ἄν τε ἄρχων ἄν τε] ἰδιώτης, ἄτιμος ἔστω καὶ τὰ χρήματα αὐτοῦ δ [ημ]- [όσια ἔστω καὶ τῆς ] Ἀρτέμιδος τῆς Ἀ μ αρυρίης ἱερὸν τὸ ἐπιδέκατ[ο]- 10 [ν καὶ ταφῆναι μὴ ἐ]ξέστω ἐν τ ι γ ι τ ι Ἐρετριάδι· καὶ ἄν τις [αὐτὸ]-

[ν ἤ τινα αὐτοῦ ἀπο]κ τείνει95 , καθαρὸς ἔστω χεῖρας καὶ αἱ δωρεια ὶ [ἔ]- [στων κατὰ ταὐτὰ κ]α θάπερ γέγραπται ἐν τεῖ στήλει ἐάν τις τὸν [τύ]- [ραννον ἀποκτείν]ει τοῖ δὲ λέγοντι παρὰ τοῦτα ἢ πρήττο[ν] τ ι κατ[α] - [ρᾶσθαι ἱερέρας κ]αὶ ἱερίδας Διονυρίοις τε καὶ Ἀρτεμιρίοις μ ή [τ] - 15 [ε παῖδας ἐξ αὐτῶν] γυναῖκας τίκτειν κατὰ νόμον, μήτε πρόβ ατα μ[ή]- [τε γῆν εὐθηνεῖσ]θ αι· εἰ δὲ καὶ γίνοιντο, μὴ γίνεστθαι αὐτῶν [γ]ν ηρ [ί]- [ους παῖδας, ἀλλὰ] τ ούσδε πανοικίει πάντας ἀπολέσθαι· Ἐἁν τις ἐ[πι]-96 [ψηφίζει ἢ γράφει] ἢ φέρει, ἄν τε ἄρχων ἄν τε ὶδιώτης, ώς δεῖ ἄλλην τι- [νὰ καθιστάναι πο]λιτείαν Ἐρετριᾶς ἀλλ ' ἢ βουλὴν καὶ πρυτανείη- 20 [ν ἐκ πάντων Ἐρετ]ρι ῶν κληρωτὴν καθάπερ γέγραπται· ἂν δέ τις κ[αθ] – [ιστεῖ ἢ τυραννίδα] ἢ ὀλιγαρχίην καὶ ἐγβιάρηται, παραχρῆμα βοη- [θεῖν πολίτας ἁπάντ]ας τοῖ δήμοι97 καὶ μάχην ἅπτειν τοῖς διακωλύ- [ρουρι τὴν ἐκκληρίη]ν καὶ πρυτανείην, ἕκαστον ήγείμενον αὐτόν [ἱκανὸν μάχεσθαι ( ?) ἄν] ε υ [π]αρανγέλματος. Ἄν δέ τι συμβαίνει ἀδυνα- 25 [τέον κατασχεῖν ( ?) τὸ Ἀγ]ο ρ αῖον παραχρῆμα ὥστ’ ὲ [ξ]ε[ῖν]αι τεῖ βουλεῖ- [καθῖσαι κατὰ νόμον ἢ ἂν] ἀποκλεισθεῖ ό δῆμος τῶν τειχέων , καταλ- [αμβάνειν χωρίον τι τῆ]ς Έρετριάδος ὅ τι ἂν δοκεῖ σύνφορον εἶνα- [ι πρὸς τὸ ἐκεῖ συνελθεῖ]ν τοὺς β[οη]θέοντας πάντας · καταλαβόντα- [ς δὲ ὑποδέχεσθαι τὸν ἐλθ]όντα καὶ βολόμενον τῶν Ἑλλήνων βοηθε- 30 [ῖν τ ι δήμοι τ ι Έρετριῶν]. Ἄν δέ τις Ἐρετριῶν μὴ βοηθήρει τοῖ δή- [μοι, εἰσανγέλλειν ( ?)τεῖ πρυ]τανείει καθάπερ γέγραπται καὶ μάχη- [ν συνάπτειν αὐτοῖ· ὁπόροι] δʹ ἂν Ἐρετριῶν καταλαβόντες τι τῆς χώ- [ρης τʹ αὐτόνομον ( ?) καὶ ἐλεύθ]ερον ποιήρωρι τὸν δῆμον τὸν Ἐρετριῶ- [ν, τούτοις ( ?) μέρος τι διαδιδ]όσθω τῆς γῆς καὶ τῆς οὐσίης τῶν ὑπομε- 35 [ινάντων ἄρχεσθαι τεῖ τυρα]ννίδι ἢ ἄλλει τινὶ πολιτείει ἀλλʹ ἢ β- [ουλεῖ ἐκ πάντων κληρωτεῖ] vacat

Le reste des deux dernières lignes conservées ne sont guère traduisibles.

« (…) ou si l’un des bouleutes (ou des archontes, quand bien même le Conseil ?) lui en fait défense, part à l’étranger (que celui-là ?) soit aussitôt destitué de son mandat et qu’il soit privé de ses droits lui (et sa progéniture), comme celui qui renverse la démocratie, et si quelqu’un (tente) d’abolir la constitution actuellement en vigueur en proposant un projet de loi ou en mettant aux voix un projet, (au titre de magistrat) ou

95

DÖSSEL 2007, p. 115-116. L’auteur propose une autre restitution de la clause « καὶ ἄν τις [τὸν ἐlπιχ ιρ ῦντα ἀπ ]κτ ίν ι κτλ. » à laquelle D. Knoepfler ne souscrit pas (BE 2008, n°265).

96

PARKER 2005, p. 152-154. L’auteur propose une nouvelle restitution pour la ligne 17 « μὴ γίυ σθαι αὐτῶν [ὅ]ν ηρι[ν μηδὲ τέρψιν, αὐ]τ ὐς δέ παν ικί ι κτλ. » en suivant une suggestion de P. Thonenmann. Traduction KNOEPFLER 2007 (BE), n° 211 : « qu’ils ne tirent d’eux ni profit ni jouissance, mais qu’eux-mêmes (ces enfants ?) périssent avec toute leur famille ».

97

en tant que simple particulier, qu’il soit privé de ses droits et que ses biens soient confisqués (au profit de la cité), la dîme étant consacrée à l’Artémis d’Amarynthos, et que défense soit faite (d’inhumer ses restes) dans la terre d’Érétrie ; et si quelqu’un (le

tue) (ou l’un des siens ?), qu’il ait les mains pures, et que les récompenses lui soient

octroyées (selon les mêmes règles), exactement, que celles qui ont été définies dans la stèle pour le cas où quelqu’un tue le tyran. À l’égard de celui qui parle ou agit contre ces dispositions (les prêtres) et prêtresses prononceront, à l’occasion tant des Dionysia que des Artémisia, une imprécation pour que, (de ces gens là), les femmes ne mettent point au monde (d’enfants) selon la loi naturelle et que leur bétail ni (leur terre) ne prospère davantage ; si néanmoins il leur venait une progéniture, que ce ne soient pas des (enfants) légitimes, (mais ?) que ceux-ci périssent, eux et leur famille, tous tant qu’ils sont.

Si quelqu’un met aux voix (ou rédige) ou soutient, soit à titre de magistrat soit en tant que particulier, une motion stipulant que les Érétriens doivent (établir) une autorité politique – quelle qu’elle soit – autre qu’un Conseil et une Prytanie dont les membres sont tirés au sort (parmi tous les Érétriens) ainsi qu’il est écrit ; si, d’autre part, quelqu’un établit (une tyrannie) ou une oligarchie et s’impose par la violence, que, sur le champ (tous les citoyens) se portent au secours du peuple et engagent le combat contre ceux qui entravent (le fonctionnement de l’Assemblée ?) et de la Prytanie, chacun devant s’estimer (parfaitement apte à combattre ?) sans attendre de consigne. S’il survient un évènement rendant impossible (d’occuper ?) immédiatement l’Agoraion en sorte qu’il soit permis au Conseil (de siéger dans la légalité ?) ou si le peuple se trouve retenu à l’extérieur des murailles, que l’on s’empare (d’une place) située dans l’Érétriade, n’importe laquelle, que l’on estimera appropriée (au

rassemblement en ce lieu) de tous les partisans du peuple ; une fois qu’on l’aura prise,

(que l’on y accueille) ceux des Hellènes qui seront venus avec volonté de porter secours (au peuple des Érétriens). Si quelqu’un, parmi les Érétriens, ne soutient pas la cause du peuple, (qu’on le dénonce) auprès du collège des prytanes en conformité avec ce qui est écrit et que l’on engage le combat (contre lui. Quant à ceux des) Érétriens qui, en occupant une portion du territoire, auront rendu le peuple des Érétriens (indépendants ?) et libre, (qu’il leur soit distribué) à tous une part de la terre et de la