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2 La chute des tyrans dans les cités insulaires voisines de l’Asie Mineure de 334 à

En 334, la défaite perse au Granique et la fuite des plus hauts dignitaires ouvre la route de l’Asie Mineure à Alexandre qui prend la direction du Sud pour se diriger vers Éphèse. Alkimachos est envoyé en Éolide, en Ionie et probablement dans les îles avec pour instruction de mettre fin aux régimes oligarchiques, d’établir des démocraties et de rendre à chaque cité ses propres lois. Elles sont également exemptes du phoros versé jusque-là à l’empire achéménide210

.

La décision d’Alexandre de licencier sa flotte et son projet d’abattre la puissance maritime perse par une conquête systématique du littoral comporte des risques considérables notamment en raison de l’étendue du front méditerranéen, de la faiblesse numérique des garnisons et d’une Carie méridionale loin d’être sous contrôle car, dans cette région, Orontobatès tient toujours des places fortes. La stratégie d’Alexandre laisse la voie libre à la flotte perse tout du moins à court terme. C’est durant son séjour à Gordion que le roi apprend que Memnon de Rhodes nommé par Darius III commandant de toutes les forces navales et de tout le littoral, s’est lancé dans une vaste campagne de reconquête maritime, en commençant par les îles. Nos sources lui prêtent même l’intention de détourner la guerre vers le continent européen, en corrompant à prix d’or les Grecs pour les inciter à faire cause commune avec l’empire achéménide211.

Face au danger, Alexandre consent de gros efforts financiers pour permettre la reconstitution d’une flotte. Le commandement des troupes terrestres est confié à Hégélochos et celui de la flotte de l’Hellespont à Amphotéros et les Alliés doivent

210

Arrien, I, 18,2.

211

également apporter leur contribution à l’effort de guerre. La mission d’Hégélochos et d’Amphotéros consiste à reprendre le contrôle de la mer Égée. S’engage alors, une véritable guerre pour l’hégémonie dans la région égéenne. L’offensive maritime lancée par Memnon de Rhodes vers avril-mai 333 lui permet de reconquérir le terrain perdu et rétablir dans les cités insulaires, les partisans de l’empire achéménide chassés par les troupes d’Alexandre en 334.

C’est à Érésos, à Mytilène et à Chios que la situation est la mieux documentée grâce aux inscriptions qui nous sont parvenues.

Érésos

Le dossier d’Érésos est constitué de deux blocs gravés sur plusieurs faces. Selon A.J. Heisserer, il s’agit de deux stèles différentes (alpha et bêta), gravées par étapes sur une période de trente ans. Ce point de vue généralement accepté a été remis en question par A. Ellis-Evans212. Selon ce dernier, les deux grands blocs de pierre ont été initialement joints, pour ne former qu’une seule stèle monumentale reproduisant des archives publiques, gravée entre 306 et 301. La stèle vient rappeler les moments marquants de l’histoire de la cité concernant tout ce qui a été décidé contre les tyrans « πάν]τα [τὰ γράφεντα] κατὰ τῶν τυρ[άν]ǀνων» et célèbrer les valeurs démocratiques de la cité213. Même si les documents n’ont effectivement pas été gravés de façon chronologique comme le suppose A.J. Heisserer, cela ne change rien à l’analye de ces derniers. Nous avons décidé de placer les textes dans l’ordre qui nous paraît le plus pertinent, et suivi par d’autres éditeurs et commentateurs.

Les deux premiers textes sont les décrets de mise en accusation et la condamnation à la peine capitale des deux tyrans Agonippos et Eurysilaos qui ont détenu le pouvoir dans la cité entre 334/3. Le déroulement des procès a lieu à l’identique.

Le dossier d’Érésos : Les rois de Macédoine et les tyrans d’Érésos, 336 ca 301 :

Éditeurs : M.N. TOD,A Selection of HistoricalGreek Inscriptions : from 403 to 323 B.C, 1948, n° 191, p. 253-263 ; A.J. HEISSERER, Alexander and the Greek ; the epigraphic

evidence, 1980, p. 27-28 ; C. KOCH, « Prozesse gegen die Tyrannis. Die Vorgänge in

Eresos in der 2. Hälfte des 4 Jh. V. Chr. », Diké 4, 2001, p. 169-177 ; P. RHODES & R. OSBORNE ,Greek Historical Inscriptions, 404-323 BC, 2003, n° 83, p. 406-418 ; A.

ELLIS-EVANS, « The Tyrants dossier from Eresos» , Chiron 42, 2012, p. 183-212 ; D.

212

ELLIS-EVANS 2012, p. 187.

213

TEEGARDEN, Death to tyrants! Ancient Greek Democracy and the Struggle against

Tyranny, 2014, p. 115-142.

Cf. : J.-M. BERTRAND, Inscriptions historiques grecques, 1992, n°68, p. 128-131 (trad.

française) ; P. BRUN 2017, Hégémonie et sociétés dans le monde grec. Inscriptions

grecques de l’époque classique, n°83 p. 201-206 (trad. française).

Textes : Rhodes & Osborne. Traduction : Brun.

Les mises en accusation d’Agonippos et Eurysilaos

Agonippos [— — — — — — — — τοὶς πολ]ιορκήθε[ντας] [εἰς τὰν] ἀ [κρ]όπολιν [ἀ]νοινο [μ]ό[λη]σε καὶ τοὶ[ς πο]- [λίτα]ις δισμυρίοις στάτηρας εἰσέπραξε [καὶ] [τοὶ]ς Ἔλλανας ἐλαΐζετ [ο] καὶ τοὶς βώμοις ἀ[νέ]- 5 [σ]καψε τῶ Δίος τῶ [Φ]ιλιππί[ω], καὶ πόλεμον ἐξε[νι]- [κ]άμενος πρὸς Ἀλέξανδρον καὶ τοὶς Ἔλλανας τοὶς μὲν πολίταις παρελόμενος τὰ ὄπλα ἐξε- κλάϊσε ἐκ τᾶς πόλιος [πα]νδ άμι, ταὶς δὲ γύνα[ι]- κας καὶ ταὶς θυγάτερας συλλάβων καὶ ἔρξα[ις] 10 ἐν τᾶ ἀκροπόλι τρισχιλίοις καὶ διακοσίο[ις] στάτηρας εἰσέπραξε, ταν δὲ πόλιν καὶ τὰ ἶρ[α] διαρπάσαις μετὰ τῶν [λα]ΐσταν ἐνέπρησε κα[ὶ] σ[υ]γκατέκαυσε σώματα [τῶν] πολίταν, καὶ τὸ τ[ε]- λεύταιον ἀφικόμενος πρὸς Ἀλέξανδρον κατ[ε]- 15 ψεύδετο καὶ διέβαλλε τοὶς πολίταις· κρῖνα[ι] [μ]ὲν αὖτον κρύπται ψάφιγγι ὀμόσσαντας περ[ὶ] [θ]ανάτω· αἰ δέ κε καταψαφίσθη θάνατος, ἀντιτ[ι]- μασαμ[έ]νω Ἀγωνίππω τὰν δευτέραν διαφόραν ποήσασθαι, τίνα τρό[πο]ν δεύει αὖτον ἀποθά- 20 νην· αἰ δέ κε καλλάφθε[ν]τος Ἀγωνίππω τᾶ δίκα κατάγη τίς τινα τῶν Ἀγωνίππω ἢ εἴπη ἢ πρόθη περὶ καθόδω ἢ τῶν κτημάτων ἀποδόσιος, κατά - ρατον ἔμμεναι καὶ αὖτον καὶ γένος τὸ κ<ή>νω [κ]αὶ τἆλλα ἔ[ν]οχος ἔστω τῶ νόμω [τῶ] ‹ἐπὶ τῶ› τὰν στάλλαν 25 ἀνέλοντι τὰν περὶ τῶν τυράννων καὶ τῶν ἐκγ[ό]- [ν]ων· ποήσασθαι δὲ καὶ ἐπάραν ἐν τᾶ ἐκλησία α[ὔ]- [τικ]α τῶ μὲν δικάζοντι καὶ βαθόεντι τᾶ πόλε[ι] κ αὶ τᾶ δικαία εὖ ἔμμεναι, τοῖς δὲ παρὰ τὸ δίκα[ι]- Eurysilaos Vac. [παρ]ήλετο τὰ ὄπλ[α καὶ] [ἐξ]εκλάϊσε ἐκ τᾶς [πό]- [λι]ος πανδάμι, ταὶ[ς] [δὲ] γύναικας καὶ τ[αὶς] 5 [θ]υγάτερας συλλάβ[ων] [ἦ]ρξε εἰς τὰν ἀκρόπ[ο]- [λ]ιν καὶ εἰσέπραξε δισχιλίοις καὶ τρι[α]- κοσίοις στάτηρα<ς>, τ[ὰ]ν 10 δὲ πόλιν καὶ τὰ ἶρα [δι]- [α]ρπάξαις μετὰ τῶν [λ]αΐσταν ἐνέπρησ[ε] [κ]αὶ συγκατέκαυσε σώματα τῶν πολί[ταν]· 15 [κ]ρίνναι μὲν αὖτον [κ]ρύπται ψάφιγγι κα- [τ]ὰ τὰν διαγράφαν τ[ῶ] [β]ασίλεος Ἀλεξάνδ[ρω] [κ]αὶ τοὶς νόμοις· [αἰ δέ] 20 [κ]ε καταψαφίσθηι [κα]- [τ’] αὔτω θάνατος, ἀ [ντι]- [τι]μασαμένω Εὐρ[υ σι]- [λ]ά ω τὰν δευτέραν [κρί]- [σ]ιν ποήσασθαι διὰ 25 [χ]ειροτονίας, τίνα [τ]ρόπον δεύει αὖτον [ἀ]- [π]οθάνην· λάβεσθαι δ[ὲ] [κ]αὶ συναγόροις τὰ[ν]

[ο]ν τὰν ψᾶφον φερόντεσσι τὰ ἐνάντια τούτων. 30 ἐδικάσθη· ὀκτω κόσιοι ὀγδοήκοντα τρεῖς· ἀπ[ὸ] ταύταν ἀπέλυσαν ἔπτα, αἰ δὲ ἄλλαι κατεδίκασ - σ αν. πόλιν δέκα, οἴτινε[ς] 30 [ὀ]μόσσαντες Ἀπόλ[λω]- [ν]α Λύκειον ὄ[μ]ασ [υνα]- [γ]ορήσοισι [τᾶ πόλι ὄπ]- [πω]ς κε δύνα[νται — —] [---]

Mise en accusation d’Agonippos

« [---]ceux qui étaient assiégés sur l’acropole et (Agonippos) a extorqué vingt mille statères aux citoyens, a commis des pillages sur les Grecs et a renversé les autels de Zeus Philippios. Ayant pris part à la guerre contre Alexandre et les Grecs, il s’est emparé des armes des citoyens et les a tous chassés de la cité et, après avoir enlevé leurs épouses et leurs filles, il les a retenues sur l’acropole et leur a extorqué trois mille deux cents statères. Avec l’aide de pirates, il a mis le feu à la ville et aux sanctuaires et, après les avoir pillés, il a brûlé le corps des citoyens. Enfin, arrivé devant Alexandre, il a menti et calomnié les citoyens. Qu’il soit jugé au scrutin secret après serment des juges et passible de la peine de mort. S’il est condamné à mort, après qu’Agonippos aura fait une contre-proposition, qu’un second jugement soit prononcé de manière à décider de quelle façon il devrait être mis à mort. Si, une fois Agonippos condamné à l’issue du procès, quelqu’un ramène un proche d’Agonippos, fait une proposition ou met en délibération un décret tendant à son retour ou à la restitution de ses biens, qu’il soit maudit, lui et sa famille et qu’il soit passible de poursuite en vertu de la loi votée contre quiconque détruirait la stèle concernant les tyrans et leurs descendants. Que l’on fasse dès que possible à l’assemblée une imprécation afin que tout aille bien pour celui qui juge et vient en aide à la cité et à la justice, mais que ce soit tout le contraire à qui portera un vote contraire à la justice. Ont voté : 883. Sept ont voté pour l’acquittement, les autres ont condamné.».

Mise en accusation d’Eurysilaos

« [---]… (Eurysilaos) s’est emparé de leurs armes et les a tous chassé de la cité et, après avoir enlevé leurs épouses et leurs filles, il les a retenus sur l’acropole et leur a extorqué deux mille trois cents statères. Avec l’aide de pirates (leistai), il a mis le feu à la ville et aux sanctuaires, et après les avoir pillés, il a brûlé les corps des citoyens. Qu’il soit jugé au scrutin secret conformément à la prescription du roi Alexandre et aux lois. S’il est condamné à mort, après qu’Eurysilaos aura fait une contre-proposition, qu’un second procès à main levée soit organisé de manière à décider de quelle façon, il devrait être mis à mort. Que la cité engage dix avocats qui, après avoir prêté serment à Apollon Lykaios, plaideront pour la cité ainsi qu’ils le pourront [---] ».

Ce décret mentionne tous les crimes reprochés aux deux tyrans Agonippos et Eurysilaos ramenés dans la cité en 333 lors de la contre-offensive perse. Ils sont accusés d’avoir renversé la démocratie avec le soutien de troupes mercenaires et de pirates et d’avoir désarmé le peuple pour instaurer une tyrannie. Le décret souligne la brutalité de la conduite des tyrans ainsi que leur cupidité. Les débordements excessifs notés par ailleurs, actes de profanation, pillages, destructions, massacres et bannissements, restent caractéristiques d’un tel contexte de lutte civiles. H. Börm y voit une exagération probable des faits par les auteurs des décrets pour prouver l’illégimité de leur pouvoir214

. La victoire des Macédoniens face aux troupes perses en 332 provoque la chute d’Agonippos et d’Eurysilaos. Déférés devant le roi, ce dernier après les avoir entendu, les renvoie devant le peuple d’Érésos afin qu’ils y soient jugés conformément aux directives contenues dans sa diagraphé et conformément aux lois locales. S’engage alors pour Érésos le long et pénible processus de stabilisation qui amène la cité à juger les crimes du passé et les punir.

Alors que dix synégores sont désignés par la cité pour plaider sous serment en sa faveur, aucun synégore n’est mentionné du côté des deux tyrans qui assurent eux-même leur défense. Cela montre clairement qu’aucun synégore n’a souhaité ou n’a osé les assister lors du procès215. La procédure judiciaire rejoint celle connue dans d’autres cités notamment Athènes. Un temps de parole est accordé à l’accusation et à la défense avant que les juges ne passent au vote par bulletin secret. Un second scrutin à main levée détermine les modalités d’exécution de la sentence. Le résultat du vote est très parlant, puisque sur huit cent quatre-vingt-trois votants, huit cent soixante-seize se sont prononcés pour la peine de mort. Sept votants se sont déclarés pour l’acquittement. Bien que ce dernier nombre puisse paraître dérisoire, il montre toutefois que les deux hommes disposent encore de partisans au sein de la cité et de l’assemblée le jour même du verdict216. Les modalités d’exécution de la sentence ne nous sont pas parvenues.

Afin de protéger la constitution contre toute nouvelle tentative de réinstallation d’une tyrannie, les descendants sont bannis et leurs biens sont confisqués. De lourdes sanctions visent également tout sympathisant des tyrans, susceptible d’intervenir en faveur de leurs descendants. Le texte nous apprend à cette occasion (ligne 24 et 25) que la cité dispose déjà d’une loi « contre les tyrans » et sur laquelle nous allons revenir.

214 BÖRM 2019, p. 265. 215 LABARRE 1996, p. 26. 216

KOCH 2001, p. 195. Les huit cent quatre-vingt-trois votants de l’assemblée permettent selon l’auteur d’estimer la population totale d’Érésos entre trois à quatre mille citoyens au moment des faits.

Pourtant l’affaire n’en reste pas là. La cité va devoir répondre aux prétentions des descendants des tyrans successifs dans les décennies suivantes, comme viennent en témoigner les autres inscriptions de la stèle.

Tentative de retour de descendants de tyrans

[ἔ]γνω δᾶμ[ο]ς· περὶ ὦν οἰ πρέσβεες ἀπαγγέλλοισ[ι] [ο]ἰ πρὸς Ἀλέξανδρον ἀποστάλεντες καὶ Ἀλέ- 35 ξανδρος τὰν διαγράφαν ἀπέπεμψε, ἀφικομέ- νων πρὸς αὖτον τῶν πρότερον τυράννων ἀπογ[ό]- νων Ἠρωίδα τε τῶ Τερτικωνείω τῶ Ἠραείω κα[ὶ Ἀ]- γησιμένεος τῶ Ἐρμησιδείω καὶ ἐπαγγελλα[μέ]- [ν]ων πρὸς Ἀλέξανδρον ὄτι ἔτοιμοί ἐστι δίκ[αν] 40 [ὐ]ποσκέθην περὶ τῶν ἐγκαλημένων ἐν τῶ δά[μω]· [ἀγάθα τύχα δ]έ[δο]χ θ [αι] τῶ δάμω· ἐπειδ ὴ ἀ [---] […. ποή]- [σασθαι δὲ καὶ ἐπάραν] [ἐν τᾶ ἐκκλησία αὔτι]- 1 [κα τῶ μὲν δικ]αίω [ὐπ]- [άρχο]ντι καὶ βαθόεν- [τι τᾶ] πόλει καὶ τοῖς [νόμο]ισι τᾶ δικαία εὖ 5 [ἔμμε]ναι καὶ αὔτοισι [καὶ ἐκγόνοισι], τῶ δὲ [πα]ρὰ τοὶς νόμοις κα[ὶ] τὰ δίκαια δικαζόν- τεσσι τὰ ἐνάντια· ὄ- 10 μνυν δὲ τοὶς πολίτ [αις] τοὶς δικάζοντας [ν]αὶ δικάσσω τὰν [δίκαν] [ὄ]σσα μὲν ἐν τοῖς [νό]- [μ]οισι ἔνι κατ τοὶ[ς νό]- 15 [μο]ις, τὰ δὲ ἄλλα ἐκ [φιλο]- [π]ονίας ὠς ἄριστα κ[αὶ] [δ]ικαί<ό>τατα, καὶ τιμά- [σ]ω, αἴ κε κατάγνω, ὄρθω[ς] καὶ δι<καί>ως· οὔτω ποήσω 20 ναὶ μὰ Δία καὶ Ἄλιον."

« Le peuple a décidé à propos de la prescription qu’Alexandre a adressée, et que les ambassadeurs envoyés auprès d’Alexandre ont rapportée. Les descendants des anciens tyrans, Héroidas fils de Tertikon, fils d’Héraios et Agésiménès fils d’Hermésidas étant venus auprès d’Alexandre et lui ayant promis qu’ils étaient prêts à répondre dans un procès devant le peuple des accusations (portées contre eux), à la Bonne Fortune ! Plaise au peuple, attendu que ( lacune d’importance inconnue ) que l’on fasse dès que possible à l’assemblée une imprécation afin que tout aille bien pour

celui qui juge et vient en aide à la cité et aux lois en exerçant la justice, mais que ce soit tout le contraire à qui portera un vote contraire à la justice. Que ceux des citoyens qui jugeront prêtent ce serment : « je jugerai l’affaire dans le respect des lois, conformément aux lois, et pour tout le reste, de façon assidue, au mieux et au plus juste. Si je condamne, j’estimerai (la peine) avec droiture et justice, j’agirai ainsi, par Zeus et par Hélios ».

Ce décret peut s’intégrer au contexte de 324 et à la promulgation de l’amnistie générale de tous les bannis politiques, à la faveur de laquelle les descendants des anciens tyrans (Héraios, Hermos et Apollodoros chassés en 336), τῶν πρότερον τυράννων ἀπογ[ό]νων, peuvent prétendre réintégrer la patrie. Prétention somme toute légitime puisque l’édit annule toutes les condamnations antérieures mais à laquelle la cité souhaite s’opposer. L’ambassade envoyée auprès du roi avait très certainement pour mission de négocier les dispositions de l’édit. Un passage de Diodore permet d’aller en ce sens. Il nous apprend qu’Alexandre donne une audience à Babylone lors de laquelle il reçoit dans l’ordre : les mandataires des sanctuaires, ceux qui apportent des présents, ceux en litiges avec leurs voisins, ceux venus pour affaires personnelles et en dernier, ceux qui avaient des objections à formuler au retour des bannis, τοῖς ἀντιλέγουσι περὶ τῆς καθόδου τῶν φυγάδων (Diodore, XVII, 113,3).

Afin de répondre aux sollicitations des bannis et à celles de la cité, le roi remet une

diagraphé aux ambassadeurs dans laquelle il laisse ses instructions en vue du procès

auquel les descendants sont prêts à se soumettre. L’état fragmentaire du décret ne nous permet pas d’en savoir davantage concernant le procès, si ce n’est que ce dernier confirme leur condamnation et leur maintien en exil comme la suite des évènements va le montrer. Les descendants des tyrans ne s’en tiennent pas à cet échec au vu de l’intervention de Philippe Arrhidée.

Lettre de Philippe Arrhidée

vac. Φιλίππω. vac. αἱ μὲν κατὰ τῶν φυγά- δων κρίσεις αἱ κριθε[ῖ]- σαι ὑπὸ Ἀλεξάνδρου 25 κύριαι ἔστωσαν καὶ [ὧ]ν κατέγνω φυγὴν φε[υ]- [γ]έτωσαμ μέν, ἀγώγιμο[ι] δὲ μὴ ἔστωσαν. vac.

« Philippe. Que les jugements pris à l’encontre des bannis par Alexandre demeurent valides ; que ceux qu’il a condamnés à l’exil restent exilés, mais qu’ils ne puissent pas être saisis.».

Cette nouvelle tentative de réintégration, sous le règne de Philippe Arrhidée au lendemain de la promulgation de l’édit de Polyperchon, en 319, se solde encore une fois par une fin de non-recevoir pour les bannis. Les décisions prises sous Alexandre sont à nouveau confirmées. Les descendants des tyrans restent bannis. L’interdiction d’être saisis de corps hors du territoire d’Érésos suggère que cette mesure entrait dans le cadre de la loi contre les tyrans et était applicable jusque-là.

Lettre d’Antigone le Borgne

Πρότανις Μελίδωρος· 30 βασιλεὺς Ἀντίγονος Ἐρεσίων τῆι βουλῆι καὶ τῶι δήμωι χαίρειν· παρεγένοντο πρὸς ἡ- μᾶς οἱ παρ’ ὑμῶν πρέ[σ]- 35 βεις καὶ διελέγοντ[ο], φάμενοι τὸν δῆμον κομισάμενον τὴν παρ’ [ἡ]- μῶν ἐπιστολὴν ἣν ἐγρ[ά]- ψαμεν ὑπὲρ τῶν Ἀγωνίπ- 40 [π]ου υἱῶν ψήφισμά τε π[ο]- [ήσ]ασθαι ὃ ἀνέγνωσα[ν] [ἡμῖ]ν καὶ αὐτοὺς ἀπε- [σταλκέναι ].. λσ[…].

« Mélidôros est prytrane. Le roi Antigone au Conseil et au peuple des Érésiens, salut. Des ambassadeurs dépêchés par vous sont venus à nous et ont dit que le peuple, ayant reçu de notre part une lettre que nous avons écrite au sujet des fils d’Agonippos, avait voté un décret qu’ils nous ont lu et qu’il leur avait envoyé (lacune d’importance inconnue) à Alexandre. Portez vous bien [---] ».

La troisième tentative de retour a lieu sous le règne d’Antigone le Borgne et concerne cette fois-ci, non pas les descendants des anciens tyrans mais ceux d’Agonippos. Ces derniers se sont adressés à Antigone le Borgne entre 306 et 301 afin qu’il intervienne en leur faveur auprès du peuple d’Érésos. La cité reste une nouvelle fois inflexible en rappelant au roi les décisions prises par le passé.

Le dernier document du « dossier d’Érésos » reprend toutes les décisions prises au cours des trois décennies qui séparent le procès d’Agonippos et d’Eurysilaos, et la réitération du refus de réintégrer les bannis, suite à l’intervention d’Antigone le Borgne.

Décret sur les décisions prises contre les tyrans et leurs descendants

Textes : Rhodes & Osborne. Traduction : Bertrand.

[ἔ]γν[ω δᾶμος· περὶ ὦν ἀ βό]λ[λα] προεβόλλε[υσε, ἢ ἔδο]- 5 [ξ]ε ἢ [μ]ετέδ[οξε τᾶ βόλλα καὶ οἰ] ἄ νδ [ρ]ες οἰ χειροτο- [ν]ή[θεν]τε[ς πάν]τα [τὰ γράφεντα] κατὰ τῶν τυρ[άν]- νων [κα]ὶ τ[ῶν ἐ]μ πό[λει οἰκη]θέντων καὶ τῶν ἐκγ[ό]- [νω]ν [τῶν τούτων παρέχ]ονται καὶ ταὶς γράφαι[ς] [ε]ἰσ[κομίζοισ]ι ε ἰς τὰν ἐκλησίαν· ἐπειδὴ καὶ π[ρό]- 10 [τε]ρον ὀ βασίλευς Ἀλέξανδρος διαγράφαν ἀποσ- [τέ]λλαις π[ροσέτ]αξε [Ἐρ]εσίοις κρίναι ὐπέρ τ[ε] [Ἀγ]ωνίππω καὶ Εὐ[ρυσ]ιλ[ά]ω, τί δεῖ πά[θ]ην αὔτοις, [ὀ] [δὲ δᾶμος ἀκο]ύ[σ]αις τὰ[ν] διαγράφαν δικαστήριο[ν] [καθί]<σ>σα[ι]ς κ[ατὰ] τοὶς νόμοις ὀ ἔκριν[ν]ε Ἀγώνι[π]- 15 [π]ομ μὲν καὶ Εὐρυσίλ[αο]ν τε[θ]νάκην, τοὶς δὲ ἀπο[γό]- [νοις] αὔτων ἐνόχοις [ἔμμε]ναι τῶ νόμω τῶ ἐν τᾶ [στ]άλα, τὰ [δ]ὲ ὐπάρχον[τα π]έπρασθαι αὔτων κατὰ [τ]ὸν νόμον· ἐπιστέλλ[αντος] δὲ Ἀλεξάνδρω καὶ ὐ- πὲρ τῶν Ἀπολλ[οδ]ωρε[ίων] < κ>αὶ τῶν κασιγνήτων [αὔ]- 20 [τ]ω Ἔρμωνος καὶ Ἠραίω τῶν πρότερον τυραννη- σάντων τᾶς πόλιος καὶ τῶν ἀπογόνων αὔτων γ[νῶ]- ναι τὸν δᾶμον πότερο[ν δόκ]ει καταπορεύεσθ[αι] αὔτοις ἢ μή, [ὀ] δὲ δᾶμος ἀκούσαις τᾶς διαγράφα[ς] δικαστήριόν τε αὔτοισι συνήγαγε κατὰ τὸν [νό]- 25 [μο]ν καὶ τὰν διαγράφαν τῶ βασίλεος Ἀλεξάνδρ[ω], [ὂ ἔ]γνω λό[γ]ων ῥηθέντων παρ’ ἀμφοτέρων τόν τε ν[ό]- [μο]ν τὸν κατὰ τῶν τυράννων κύριον ἔμμεναι κα[ὶ] [φ]εύγην αὔτοις κατ [τὰ]μ π[όλιν]· δέδοχθαι τῶ δάμ[ω] [κ]ύριομ μὲν ἔμμεναι κατὰ [τῶν] τυράννων καὶ τῶ[ν] 30 [ἐ]μ πόλι οἰκηθέντων καὶ τῶν ἀπογόνων τῶν το[ύ]- [τ]ων τόν τε νόμον τὸμ περὶ [τ]ῶν τυράννων γεγρά[μ]- [μ]ενον ἐν τᾶ στάλα τᾶ [παλαί]α καὶ ταὶς διαγρά- [φ]αις τῶν βασιλέων ταὶς κατὰ τούτων καὶ τὰ ψα-

[φ]ίσματα τὰ πρότερον γράφεντα ὐπὸ τῶν προγό - 35 [ν]ων καὶ ταὶς ψαφοφο[ρ]ίαις ταὶς κατὰ τῶν τυράννων· [αἰ] [δ]έ κέ τις παρὰ ταῦτα ἀλίσκηται τῶν τυράννω[ν ἢ ] τῶν ἐμ πόλι οἰκηθέντων ἢ τῶν ἀπογόνων τῶν [τού]- τ ων τις ἐπιβαίνων ἐπὶ τὰν γᾶν τὰν Ἐρεσίων [ἄφ]- [.]ω τὸν δᾶ μ ο ν βουλεύσασθαι καὶ πρ [---] [...]α λλ[...]τα [...] vac.

«Le peuple a décidé pour ce dont le conseil a préalablement délibéré, ou a proposé, ou a amendé, vu l’ensemble des documents fournis contre les tyrans, ceux qui ont habité la ville ou leurs descendants, par les citoyens élus qui les ont présentés à l’assemblée ; attendu que, précédemment, le roi Alexandre, ayant fait connaître ses instructions, a prescrit aux Érésiens de faire passer en jugement Agonippos et Eurysilaos, et de fixer quelle peine ils devraient subir ; attendu que le peuple, obéissant à ces instructions, a installé un tribunal en conformité avec les lois, celui-ci a condamné Agonippos et Eurysilaos à la peine de mort, et leurs descendants, aux peines prévus par la loi inscrite sur la stèle, ainsi qu’à la vente de leurs biens conformément à la loi ; attendu qu’Alexandre a aussi envoyé une lettre concernant, les enfants d’Apollodoros, ainsi que ses frères Hermon et Héraios, anciens tyrans de la cité, demandant que le peuple décide s’ils pourraient ou non revenir, le peuple, obéissant aux instructions, a réuni un tribunal pour les juger selon la loi et les instructions du roi Alexandre, que ce tribunal, après un débat contradictoire, a décidé que la loi contre les tyrans leur serait applicable, et qu’ils resteraient en exil ; plaise au peuple que soient applicables à l’égard des tyrans, ceux qui ont habité la ville et leurs descendants, la loi contre les tyrans inscrite sur l’ancienne stèle, les instructions des rois concernant, les décrets des ancêtres, et les votes du tribunal réuni pour les juger ; si en contravention avec ces textes, l’un des tyrans, ou l’un de ses descendants, est pris sur le territoire d’Érésos, [---] que le peuple délibère [---] ».

Ce dernier document vient entériner toutes les décisions prises par la cité à l’encontre de ses bannis. Il rejoint probablement le contenu du décret donné en lecture devant Antigone le Borgne et mentionné dans la lettre fragmentaire datée entre 306 et 301. D’après ce texte, les enfants d’Apollodoros et ses frères Hermon et Héraios ont probablement profité de la politique de réintégration d’Alexandre en 332 pour demander leur retour. Retour rejeté par la cité.

Notons que dans ce dernier décret est fait mention non seulement des tyrans, τῶν τυράννων mais également pour la première fois de ceux qui ont habité la ville, τῶν ἐμ πόλι

οἰκηθέντων et les descendants des deux groupes, ἢ τῶν ἀπογόνων217

. La même règle s’applique aux deux groupes de bannis, à savoir les peines prévues par la loi contre les tyrans.

Faut-il voir dans ces individus des sympathisants ou des proches parents d’Agonippos et d’Eurysilaos, intervenus en leur faveur, malgré l’interdiction formulée dans le décret d’accusation ? Rappelons que malgré les atrocités commises, sept citoyens ont voté pour leur acquittement en 332.

Où s’agit-il de partisans chassés en même temps que les anciens tyrans en 336 puis en 335 ou chassés en même temps que ceux de 334 ? Rien ne permet de se positionner, les deux possibilités sont à prendre en considération.

Il est plusieurs fois fait référence dans tous ces documents à une stèle concernant la loi contre les tyrans, bien distincte, non reproduite et aujourd’hui perdue. Nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une loi votée par le peuple afin de contrecarrer toute attaque contre la constitution démocratique et se prémunir contre tout éventuel retour à la tyrannie ou l’oligarchie. Nous pouvons déduire que la loi frappe d’atimie tout particulier ou magistrat à l’origine d’un projet de loi permettant le retour ou la restitution des biens à un banni, sanction accompagnée d’une confiscation de biens. Les biens des condamnés sont confisqués et vendus, alors que leur descendance se voit bannie avec interdiction de fouler le sol érésien. Une prise de corps en dehors du territoire d’Érésos ne peut être exclue. Le texte de loi pouvait également comporter certaines dispositions concernant l’activité et le devoir de la boulè, en charge de défendre la démocratie contre tout régime autre que la constitution en vigueur. L’usage veut également qu’un tel décret se termine par une imprécation contre tout contrevenant à la loi. Rien ne permet d’exclure des dispositions visant à récompenser et amnistier un tyrannicide comme cela nous est connu dans les décrets de lois d’Érétrie votée vers 342/1, d’Athènes en 337 ou encore Ilion en 283. La datation de cette loi fait encore débat. Ainsi, A.J. Heisserer admet dans son étude l’existence d’une ancienne stèle, « old stele », contenant la loi mais qui a disparu. Il pense qu’elle date soit de l’époque où Érésos a rejoint la Seconde confédération athénienne soit de la fin de la Guerre des Alliés vers 355. Cette hypothèse est partagée par D. Knoepfler dans son article concernant la loi d’Érétrie. L’auteur estime toutefois qu’il ne faut pas lire dans le texte ἐν τᾶ στάλα τᾶ [παλαί]α mais restituer simplement par ἐν τᾶ στάλα τᾶ [λιθίν]α qui semble plus approprié pour une loi encore en vigueur218

. A.B. Bosworth propose de dater la loi, sans argument particulier après la chute d’Agonippos et

217

Cf. également KOCH 2001, p. 175.

218

HEISSERER 1980, p. 27 ; KNOEPFLER 2001a, p. 206, n°47 ; KOCH 2001, p. 180 opte également pour une datation haute avant 357.

d’Eurysilaos en 332. Plus récemment, D. Teegarden suggère quant à lui de placer la datation de la loi en 336, lorsque la cité d’Érésos rejoint la Ligne de Corinthe et au moment de la chute des anciens tyrans219.

Quoi qu’il en soit, le comportement de la cité vis-à-vis de ces bannis peut se justifier par le