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Kymè en Éolide : le décret d’Euippos relatif aux stratèges

IV. 3 Le règlement de Téos et Kyrbissos

IV.4- Kymè en Éolide : le décret d’Euippos relatif aux stratèges

Il s’agit d’une inscription fragmentaire, découverte à Kymè à proximité du théâtre (ou du

bouleutérion) lors d’une campagne de fouilles, menées par la Mission italienne en 2002 et

conservée au Musée d’Izmir. C’est sur cette plaque de marbre sombre, probablement de Phocée, brisée, dont une trentaine de fragments ont été trouvés qu’est gravé le décret visant à protéger le régime démocratique.

L’inscription éditée et commentée une première fois par G. Manganaro en 2004426 est reprise par P. Hamon en 2008427. Ce dernier nous offre un nouveau commentaire avec quelques améliorations apportées au texte initial et propose de rapprocher le fragment d’une autre inscription partielle, relative à la sécurité de la cité, découverte au même endroit à quinze ans d’intervalle. Cette dernière mentionne également le nom d’Euippos. P. Hamon postule qu’il s’agit là du début et de la fin d’un même texte, séparés par une longue lacune qu’il comble très partiellement par d’autres fragments publiés par G. Manganaro428 .

Le décret ainsi reconstitué nous permet d’avoir un aperçu de la politique législative de la cité.

Décret de Kymè :

Editeurs : G. MANGANARO, « Doveri dello stratego nella Kyme eolica, a regime democratico, nel III sec. A.C », Ephigraphica Anatolica n°37, 2004, p. 63-68 (avec photographie du fragment A) ; P. HAMON, « Kymè d’Éolide, cité libre et démocratique et le pouvoir des stratèges », Chiron 38, 2008, p. 63-106.

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ROBERT 1983. Selon l’auteur, les deux frères Pancratès et Ménippos, encore jeunes au moment des faits, s’approchent du site et le mettent à mort. Par leur geste, ils libèrent du danger leur patrie mais également Héraclée du Latmos, mentionnée elle aussi dans le décret. Les faits datent du règne d’Antiochos III qui tient la région, il est dès lors inconcevable selon L. Robert que la cité soit directement aux mains d’un tyran. L’affaire ne semble pas réglée pour autant, Pancratès nommé stratège participe avec ses concitoyens à une expédition. La disparition de la partie gauche de l’inscription ne permet toutefois pas de conjecturer les faits.

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MANGANARO 2004, p. 63-68. Restitution du texte avec commentaire et traduction italienne. La plaque a été photographiée par l’auteur, p. 64. Cf. également BRIXHE 2005 (BE), n°396.

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HAMON 2008, p. 63-106.

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Texte et traduction : Hamon. Fragment A 1 [Ἔδοξε τᾷ βο]λλᾴ· Εὔιππος Λαονικω εἷπε·ἴνα ἁ πόλ[ι]ς ἀσφα[λὴς και ἐλευ]- [θέρα ? διασώζ]ηται, τὸν ἐπιμήνιον τῶν στραταγῶν [----] [...]κ υρίαν ὲκκλησίαν καὶ προθέμεναι [... τὰν] [γνώμαν τᾶς] βολλᾶς, ἵν ά πόλις ὲλευθέρα [κ]αὶ αὐτόνο[μος και δημο]- 5 [κρατημένα ὥς]π ε ρ πάτριός ἐστι ἄμμι διασώ[ι]ζηται Δ[---] [---]Σ τὰν πρὸς τοὶς θεοὶς εὐσέβεια ν καὶ ΔΙ[---] [---]Σ ὲλευθερίας βολλευομένων ἀμμ[έων ---] [---] στον ἔμμενια τοῖς καλῶς γεγονόντε[σσι---] [---]Α συναντιλαμβανομένας τᾶς Άγατας Τύχας μετὰ 10 [τᾶς τῶν ἄλλ]ων θεῶν εὐ ν οίας, οἵτινες ἐξέδωκαν τοὶς χρησμοὶς [---]Ν τοῖς θεοῖς εὔδεκτα ἔμμεναι, δε δόχθαι τῷ δάμῳ· αἴ κέ [τις τῶν ἀνδρ]ῶν, ὧν κε ό δᾶμος χε[ιρο]τ ονήσῃ ὲπὶ τὰς ἑαυτῶ στρατ[α]- [γίας καὶ φυλα]κ ᾶς, μὴ παραδοῖ τὰν π [ό]λ ιν ἐλευθέραν καὶ δαμοκρατημέ- [ναν, ἢ παραχ]ωρήσῃ τοῖς καταλυόντεσσι τὸν δᾶμον τᾶν κλ[αἵ]- 15 [δων, ἢ ἐκ τῶ ? στ]ραταγίω ὑπείξῃ τοῖς ἐπιτιθεμένοισι τᾷ πόλει Χ [--] [---]ος, ἢ ὰποδειλιάσῃ ἢ λιπῃ τὰν τάξιν ἢ μὴ βαθοήσῃ [τᾷ δημοκρατί]ᾳ ἕκαστος αὐτῶν ἀγονιζόμενος πρὸς τὸ διασώι- [ζεσθαι τὰν π]όλιν, ἢ ἐάσῃ τινα εἷπ αι ὡς χρὴ ἐπιτρέπην τὰν πόλιν [τινὶ καὶ φρο]υ ρὰν παραδέχεσθαι ἢ τᾶν κλαἵδων παραχωρῆσα[ι] 20 [---]Σ καταλῦσαι τὰν δαμοκρατίαν, καὶ μὴ συνλάβῃ δυ[να]- [τος ἐὼν τὸν ε]ἴπαντα ἢ μὴ εἰσαγγέλλῃ εἰς τὸν δᾶμον τὸν τ[ούτων] [τι ---] ενον, ἢ παραβᾶι τι τῶν ἐν τῷ Ψαφισματι τούτ[ῳ γεγραμ]- [μένων, ὑπόδικος ἔστω τᾷ προ]δοσιᾳ καὶ καταλύσει τῶ δάμω [---] [--- κ]α ὶ ἔσω κατ᾽ αὐτῶ εἰσαγγελία ὡς π [αραβαν]- 25 [τος τοὶς νόμοις τοὶς πε]ρὶ τούτων ἐόντας καὶ τὸ Ψάφισμα [τοῦτο] [---] δυνατὸν μηδεὶς λαμβάνῃ προς [---] [---]ρ εύσῃ τᾶς πό λιος [---]

Fragment C Ι Ι Α Fragment D : ΤΟΔ Ε ΙΚΕ Ι Σ καὶ Α ΝΕΓΙ [δα]μ οκρατ. ΑΤΕΘ ΝΕΣΤ Τ Η Ι Fragment B 1 [— — —τὸ ] [δὲ ἀν άλωμα τὸ ἐσσόμενον εἴς τε τ]αὶς στ[άλλαις καὶ τοὶς πρεσβεύ]- [ταὶς παρακαλέσσαι τὸ]ν ταμίαν Εὔ [ιππον] προεισε[νέγκαι ἐπὶ πόρῳ τοῖς] [πρώτοις πορισ]σθησομένοι[σι εἰς τὰμ] φυλακὰν τᾶ[ς πόλιος μετὰ πρύτα]- 5 [νιν Ἡρακλε]ίδαν, τοὶς δὲ χρ[εοφύλα]κ ας ἀναγράψαι αὐ[τῷ τὰν πόλιν] [ὀφέλλοισ]α ν τόκω ἕκτω· καὶ τ[ὸν ταμί]α ν τὸν ἀπ οδειχθησ [όμενον ἐπὶ τᾶς] [διοικ]ήσιος ἀποδόμεναι αὐτῷ τό τε ἀρχαῖον καὶ τὸν τ[όκον ἐκ τῶ πόρω] [τῶ γε]γραμμένω· τᾶς [δ]ἐ ἀ ναγραφᾶς [καὶ] τᾶς ἀναθέ[σιος] τοῖς θ[εοῖσι] [ἐπ]ιμελήθην το[ὶς ἄνδρας το]ὶς ἀπ[οδειχθησο]μένοις· ἔ[μμεν]αι δὲ τὸ ψ[άφισ]- 10 [μα τ]οῦτο εἰς φυλ [ακὰν καὶ σω]τηρίαν τᾶς πό]λιος καὶ [τᾶς χώρ]ας [κύ]ρ[ιον εἰς] [πάντα] τὸν χρ[όνον· τὸν δὲ ἀ]ποδεδειγμένον εἰσα[γωγέα τῶ νόμω Ε…]- [ρον] εἰσενέγ[και αὐτὸ εἰ]ς τὸ νο[μοθ]ετικὸν δ[ικαστήριον, ἵνα ὑπάρχῃ] [ἀσφ]άλεια τᾷ π[όλει καὶ] τᾷ χώ[ρᾳ ἐν]νόμως κα τὰ [πάντα τρόπον· ἀναγινώ]- [σκ]εσθαι δὲ τὸ ψ[άφ] ι σμα κατ’ ἑκάσταν ἐκ[κ]λησία [ν, ἐπεί κε ἀποδείχθῇ] 15 [τὸ] στρατάγιον. ·v πρεσβευταί· v Εὔιππος Λ [αο]νικω, [v Ἀνδρ]έα[ς Ἡροστράτω], [Νικ]ήρατος Ἀπολλοδώρω, v Πολύφρων [Ε]ὐ μήσω· v ἐ[κ]υ ρώθ[η ἐπὶ πρυτάνιος ] [Ἡρ]α κλείδα τῶ Ζω[ῒ]λω μην νὸς Ἀμαλωίω τρίτᾳ ἀπιόντ[ος στραταγῶ] [ἐπεστ]ακότος τᾷ ἐκ [κ]λ ησία ν Ἀνδρέα τῶ Ἡροστράτω, vac. Fragment A

« Il a plu au Conseil. Euippos, fils de Laonikos, a fait la proposition :

Afin que la cité [soit préservée ( ?)] dans la sécurité [et la liberté ?], que le président mensuel des stratèges […]une assemblée souveraine et mette en délibération [… la proposition] du Conseil, afin que la cité soit préservée, libre, autonome [et gouvernée par ses propres citoyens], comme le veut notre tradition ancestrale […] la piété à l’égard des

dieux […] lorsque nous délibérons […] les évènements heureux […], la Bonne Fortune nous venant en aide, avec la bienveillance des [autres] dieux, qui ont délivré les oracles […] soient bien reçus par les dieux,

Plaise au Peuple :

Si l’un des hommes que le Peuple aura élus à main levée à la stratégie et à la défense ne transmet pas (à ses successeurs) la cité libre et gouvernée par ses propres citoyens, ou s’il cède les clefs à ceux qui chercheraient à renverser le régime démocratique, ou s’il se rend, [en abandonnant ?] son poste de stratège, à ceux qui chercheraient à attaquer la ville […], ou s’il fait preuve de couardise ou abandonne son rang ou si chacun d’entre eux ne vient pas au secours [de la démocratie ?] en luttant pour que la cité soit préservées ;

Ou s’il laisse quiconque faire une proposition selon laquelle il faut remettre la ville [à quelqu’un] et accueillir une garnison ou bien céder les clefs à [ceux qui tenteraient de ?] renverser la démocratie et qu’il n’appréhende pas, alors qu’il en a la capacité, l’auteur de la proposition et ne défère pas [celui qui ferait une pareille tentative ?] devant le Peuple, ou s’il enfreint l’une ou l’autre des clauses du décret, qu’il soit passible de poursuite pour haute trahison ou pour tentative de renversement du régime démocratique […] et qu’il soit permis de le déférer (devant le Peuple) comme [ayant enfreint les lois ?] relatives à cette question et le présent décret […] »

Lacune

Fragment B

« Que l’on invite le trésorier Euippos à avancer la somme qui sera dépensée pour les stèles et pour les ambassadeurs, en ayant comme garantie (de remboursement) le fonds constitué par les premières rentrées recueillies au titre de la défense de la cité après le prytane Hèrakleidas ; que les conservateurs des créances inscrivent la cité comme étant sa débitrice, au taux d’un sixième, et que le trésorier désigné à la charge de l’administration lui rembourse le capital et l’intérêt au moyen du fonds susdit. Que les personnes qui seront désignées se chargent de la transcription et de la consécration (des stèles) aux dieux.

Que ce décret ait le rang de décret relatif à la défense et au salut de la ville et du territoire et qu’il soit validé éternellement ; qu’E[…]ros, désigné introducteur de la loi, l’introduise devant le tribunal nomothétique afin que la sécurité soit assurée, pour la ville et le territoire, en conformité avec la loi et par tous les moyens ; que le décret soit lu lors de chaque assemblée où le collège des stratèges sera désigné.

Ambassadeurs : Euippos, fils de Laonikos ; Andréas fils d’Hèrostratos ; Nikèratos, fils d’Apollodôros ; Polyphrôn, fils d’[E]umèdès.

(Ce décret) a été ratifié sous le prytane Hèrakleias, fils de Zôilos, le 28 du mois Amôloios, le stratège qui présidait l’assemblée étant Andréas, fils d’Hèrostratos. ».

Dès l’introduction, nous apprenons que le projet de loi initial revient à Euippos fils de Laonikos, un notable de Kymè. Adopté, il vient renforcer la législation en cours dans la cité. L’objectif premier est de préserver les intérêts de la cité dans un contexte géopolitique troublé. La loi touche le collège des stratèges, élément central mais vulnérable du système politique kyméen. Élus à main levée pour un an, ils veillent à la bonne conduite des affaires de la cité. La présidence du collège est assurée par rotation entre les douze membres, issus des douze tribus kyméennes.

Ainsi, afin d’éviter les abus de pouvoir ou tout acte de trahison, la cité réaffirme les grands principes qui doivent régir l’attitude des stratèges. Elle leur rappelle leurs obligations, à savoir maintenir l’intégrité politique et territoriale de la cité et remettre le pouvoir au collège suivant. Cela implique de ne pas céder les clés de la cité en cas de stasis (l. 14-15) et/ou d’attaque extérieure. Tout stratège doit, dans de telles circonstances, faire preuve d’une loyauté indéfectible envers le peuple en assurant la sécurité de la cité. Il est également interdit au stratège de sacrifier la liberté de la cité au nom d’une quelconque alliance avec un roi, un dynaste ou un groupe de séditieux. Il doit également veiller sur le plan politique à ce que personne ne tente d’introduire un projet de loi contraire aux intérêts de la démocratie et ne doit pas céder à la menace ou l’intimidation d’un groupe séditieux429.

Le spectre d’un renversement ou d’une trahison semble omniprésent dans l’esprit des Kyméens ; le danger de renversement, κατάλυσις, est mentionné à trois reprises au moins. Il est vrai que le contexte politique extérieur favorise les relations entre certains citoyens issus de l’opposition, en l’occurrence l’oligarchie locale et un roi ou un dynaste. Le danger d’une alliance entre un groupe oligarchique désireux de reprendre le pouvoir et un roi ou un dynaste prompt à soutenir un tel groupe pour prendre le contrôle des cités, n’est pas écarté en ce début de IIIe siècle.

Aucun écart de conduite n’est donc toléré et, comme il est d’usage dans ce type de loi, tout contrevenant à l’une des clauses s’expose à de graves sanctions. Dans le cas précis de Kymè, il est passible de poursuites pour trahison, ou tentative de renversement de la démocratie, προδοσίᾳ καὶ τᾷ καταλύσει τῶ δάμω (l. 23) et doit être déféré devant le peuple.

429

D’après l’écriture, P. Hamon place sans hésitation le texte dans le premier quart du IIIe siècle environ430. Il serait néanmoins, pour reprendre l’auteur, téméraire et inutile de chercher à mettre le décret d’Euippos en rapport avec des évènements précis, tant l’histoire de la cité reste énigmatique durant cette période d’insécurité générale ou les cités sont tiraillées entre Séleucides, Attalides et exposées à l’invasion des Galates431. Seule certitude, le décret a été proposé et voté sur fond de vécu récent et douloureux, telle qu’une tentative de renversement du régime démocratique, la trahison d’un stratège ou encore un changement d’allégeance.