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Les luttes civiles de Priène

III. 4 La lutte hégémonique entre Pyrrhos et Antigone Gonatas

IV. 1- Les luttes civiles de Priène

C’est grâce au décret d’arbitrage rendu début du IIe

siècle par des juges rhodiens dans la querelle territoriale opposant Priène à Samos que les luttes civiles, qui déchirent la première entre 300 et 297, nous sont parvenues406.

Décision de juges rhodiens, dispute territoriale entre Priène et Samos :

Éditeurs : F. HILLER von GAERTRINGEN, Inschriften von Priene I, 1906, n°37 ; W. BLÜMEL & R. MERKELBACH,Inschriften von Priene, 2014, n°132, p. 310-328.

Texte : Hiller von Gaertringen. Traduction personnelle.

Extrait lignes 65 à 85 [— ἐπὶ στεφαναφόρου Μακαρέως] [τοῦ μ]ε τὰ Ἀθηναγόραν συμφυγεῖν εἰς τὸ Κ[άρι]ον, φρουραρχοῦν- [τος ἑν]ὸς τῶν πολιτᾶν, καὶ τόν τε φρούραρ[χο]ν καὶ τοὺς φύλα- [κας] διὰ τὸ αἱρεῖσθαι τὰ τοῦ τυράννου πάν[τ]ας διαφθε<ῖ>ραι, καὶ [ὑπὲ]ρ τούτων ἐπεδείκνυον ψάφισμ [α τ]ὸ ἀπο[στ]αλὲν ποτὶ 70 [αὐτ]οὺς ὑπὸ τῶν περὶ τὸν τύραννο[ν κ]αὶ τὰ ψαφίσμα[τ]α τὰ [ἀποστ]α λέντα πὸτ αὐτοὺς καθ’ ὃν καιρὸν ἦσαν ἐκπεπ[τω]- [κότες ὑ]πὸ τῶν περὶ τὸν τύραννον καὶ συμπεφ[ευ]γότες 406

εἰς τὸ Κάριον, ἃ ἦν ὑπὸ πλειόνων πολίων ἀπε[στα]λμένα· ἐπ[ε]- δείκνυον δὲ καὶ τὸ ψάφισμα ὃ ἔγραψαν ποτὶ τὸν δᾶμον τὸν 75 [Ῥ]οδίων, ἐόντες ἐν τῶι Καρίωι, ὑπὲρ τοῦ καταγαγε[ῖ]ν αὐτοὺς εἰς τὰν πόλιν, καὶ Πριανέων ποτὶ τοὺς βασιλ[έας Δη]μήτριόν τε καὶ Λυσίμαχον ὑπὲρ αὐτῶν δύο [ψα]φ [ί]σμ [ατα,] κα[ὶ] ἄλλο ψάφισμα παρὰ Ῥοδίων ὑπὲρ τοῦ καταφυγε[ῖν το]ὺς περὶ [τὸν τ]ύραννον, καὶ ἄλ- λο ὑπὲρ ὅπλων δόσιος καὶ ποτὶ Ῥοδίους ὑπὲρ δανεισμοῦ 80 χρημάτων· ἔφασαν δὲ καταλυθείσας τᾶς τυραν- νίδος, ἃ ἐ[γ]έ[νετο ἐπ’ ἔτ]η τ[ρ]ία, κατελθόντε ς ἐκ τοῦ Καρίου ἐς τὰμ πόλιν ἐπὶ στ[εφα]ναφόρου Λύκου, καὶ τὸ φρούριον ἔχειν καθὰ καὶ πρότερο[ν, κ]αὶ τ[ὰν χ]ώραν νέμεσθαι· καὶ μετ’ ἐνιαυτὸν ἐπὶ στεφανα[φόρου Καλ]λιστράτου τᾶς ἀ πολειπομένας 85 [ἐν] τῶι τόπωι δ[αμοσίας χ]ώρ ας ἀπ[οδ]ό σ θ [αι]

« [--- Dans l’année du stéphanophore Makaréos] après Athénagoras, ils ont fui ensemble dans le Karion, dont l’un des citoyens est phrourarque, et le phrourarque ainsi que la garnison sont tués du fait qu’ils s’étaient alliés au tyran. Pour preuve, ils ont montré le décret qui leur a été adressé par les partisans du tyran et les décrets qui leur ont été adressés en ces temps par plusieurs cités, quand ils avaient été chassés par les partisans du tyran et qu’ils avaient fuit dans le Karion.

Ils ont également montré le décret qu’ils écrivirent au peuple de Rhodes, pendant qu’ils étaient dans le Karion, pour qu’on les ramenât dans la cité, et deux décrets des Priéniens les concernant aux rois Démétrios et Lysimaque, et un autre décret des Rhodiens sur la fuite des partisans du tyran, et un autre sur une fourniture d’armes et (un autre) aux Rhodiens sur un emprunt de fonds.

Ils avaient également dit que, après que la tyrannie qui aurait duré 3 ans a été renversée dans l’année du stéphanophore Lykos, ils sont revenus du Karion dans la cité et que le phrourion comme auparavant était resté en leur possession et qu’ils habitaient la région. Et après, dans l’année du stéphanophore Kallistratos, ils avaient également vendu une partie des terres [publiques] restantes … ».

C’est ainsi que nous apprenons que peu après la défaite d’Antigone à Ipsos en 301, la cité tombe aux mains d’un certain Hiéron considéré comme tyran, ὁ τύραννος, et de ses partisans, τῶν περὶ τὸν τύραννον, qui vont contrôler la cité durant trois ans. Une partie des citoyens chassés de la cité, se réfugient dans un fortin nommé Karion où ils s’établissent afin d’engager leur lutte. Les faits peuvent être reconstitués comme suit.

Le renversement de la démocratie a visiblement lieu dans l’année du stéphanophore Makaréos (ca 301/0). Il est fort à croire selon H.-S. Lund, que Hiéron agit pour lui-même. Rien ne permet d’exclure selon l’auteur que Hiéron soit un ancien ennemi de Démétrios qui exploite la perte de crédibilité et de pouvoir de ce dernier après Ipsos pour s’emparer du pouvoir407. C’est à ce moment qu’une partie des Priéniens fuit dans le Karion où l’un de leurs concitoyens occupe le poste de phrourarque. Alliés au tyran, αἱρεῖσθαι τὰ τοῦ τυράννου, ce dernier et la garnison sont passés au fil de l’épée ; le fortin dont la localisation exacte n’est pas encore établie avec certitude, est investi408

. Le texte vient témoigner de l’acharnement dont font preuve les bannis afin de libérer leur cité de la tyrannie et la réintégrer, comme le montre ce second extrait.

Conflit entre Priène et Samos pour la possession de la plaine de la Dryoussa et du Karion (extrait des l. 109 à 112) :

Editeurs : F. HILLER von GAERTRINGEN, Inschriften von Priene I, 1906, n°37 ; W. BLÜMEL & R. MERKELBACH, Inschriften von Priene, 2014, n°132, p.310 – 328 ; O. CURTY : « L’historiographie hellénistique et l’inscription n° 37 der Inschriften von Priene »,

Historia Testis, Mélanges d’épigraphie d’histoire ancienne et de philologie offerts à T. Zawadzki, 1989, p. 21-35.

Texte : Hiller von Gaertringen. Traduction Curty.

109 Πριαινε[ῖς ὡς ὑδάτ]ων ῥοα ί, Ε ὐάγωνά τε καὶ Ολύμπιχον κ[αὶ] Δοῦρ ιν, [τὸ] δὲ Κάριον ἔφασαν αὐτῶν κατα- 110 λαβέσθαι Πριανε[ῖς τ]ο[ὺς ἐκπ]εσόντας ὑπ[ὸ] τ[οῦ Ἱέρωνος τοῦ προσποιησαμένου τὰν τυραννίδα καὶ τῶν περὶ αὐτόν,] 111 ἐξ οὗ ὁρμουμένους κατατρέχειν καὶ κακοποιεῖν τόν τε Ἱέ[ρωνα καὶ τοὺς τὰ αὐ]τὰ τῶι Ἱέρωνι αἱρε[υμένους, καὶ κα]- 112 τασχόντας ἔτη τρία κατελθεῖν εἰς τὰμ πόλιν ἐκπολιορκηθέντος τοῦ τυράννου τοῦ ἐν τᾶ ι [πόλει· καὶ]

«… Priéniens selon le cours des eaux ce sont Evagôn, Olympichos et Douris. Les Samiens dirent que c’étaient les Priéniens chassés par Hiéron qui s’était arrogé la tyrannie et par ses partisans, qui leur avaient pris le Karion d’où ils s’étaient mis à faire des incursions et des ravages contre Hié[ron et ceux qui avaient pris son parti] ;

407

LUND 1992, p. 122.

408

WIEGAND & SCHRADER 1904. Pour une discussion sur la localisation hypothétique du Karion sur le Kale Tepe, près de Güzelçamlı, voir Labarre 2004, p. 229-230.

après l’avoir occupé trois ans durant, ils rentrèrent dans la cité dont le tyran avait été forcé de se rendre ».

Les documents produits lors du procès montrent que les bannis se sont constitués en véritable contre-pouvoir. Ils entretiennent des relations diplomatiques avec nombre de cités, dont Rhodes qui est sollicitée à plusieurs reprises pour les soutenir dans leur lutte (armes, prêt d’argent) mais également après la fuite des partisans du tyran, réfugiés visiblement, tout du moins en partie sur l’île.

Au terme des luttes civiles, probablement en 297, les Priéniens du Karion retournent dans leur patrie mais restent en possession du fortin et continuent à exploiter le territoire409. L’histoire de ce conflit ne s’arrête pas là. Nous avons connaissance d’un décret d’Éphèse daté de 300, honorant des exilés priéniens (l.1), τῶμ πολιτῶν τῶν ἐκ Πριήνης. Il apparaît dès lors, que les bannis se sont scindés en deux groupes dont le second est accueilli sur le territoire d’Éphèse. Ils s’installent au Charax, place forte située sur le territoire d’Éphèse probablement sur la frontière, en face du territoire priénien. Établis dans le fortin, les bannis promettent de tout faire pour le défendre à eux seuls. L’ambassade envoyée auprès des Éphésiens demande des armes et certainement le matériel nécessaire à cette défense410. Pour récompenser leur zèle et l’amitié témoignée envers leur cité, les Éphésiens décernent l’éloge aux bannis et leur accorde les armes réclamées411

. Afin de pourvoir à la dépense, Éphèse n’hésite pas à vendre le droit de cité à environ une quinzaine d’hommes libres de naissance pour un montant de six mines. Le total des ventes rapporte à la cité, la somme d’un talent et demi. Les fonds récoltés sont administrés par les Essènes, prêtres d’Artémis et les synèdres préposés aux affaires relatives à Priène à savoir, celles des bannis. Ils sont chargés de rembourser les créanciers et acheter avec le reste des fonds les armes destinées à la défense du Charax. Éphèse décerne également l’éloge à Ainétos, stratège de Démétrios qui s’est attaché à leur salut et qui doit veiller à ce que la place forte reste bien entre leurs mains412.

Le conflit prend un tournant décisif en 297 probablement au détour d’un combat qui permet de chasser le tyran et ses partisans de la cité. C’est du moins ce que nous pouvons déduire d’un décret relativement mutilé voté pour instaurer des sôteria.

409

LABARRE 2004, p. 236-237.

410

Ephesos inscriptions, n° 58 ; MIGEOTTE 1984, n° 89; AGER 1996, p. 197-202 ; FEYEL 2009, p. 336-337.

411

HOLLAUX 1916, p.35.

412

La cité y fait l’éloge des hommes qui se sont montrés valeureux au combat et dignes de la gloire des anciens et des actions militaires du peuple413. Une fois la cité libérée et l’autonomie retrouvée, la constitution démocratique est rétablie. L’état fragmentaire du texte et les nombreuses restitutions ne permettent guère de conjecturer davantage des faits. Afin que ce jour reste gravé dans la mémoire de la cité et par action de grâce envers les dieux qui ont sauvé la cité, des sôteria sont instaurées. Ce jour là, chaque année au mois de Métageitnion, tous les citoyens et les étrangers présents dans la cité portent des couronnes. Chaque citoyen et le peuple réunit doivent offrir un sacrifice au nom de Zeus Sôter et Athéna Nikê. Les sôteria doivent être fêtées sur deux jours consécutifs et selon les tribus (l. 29 et 30) : « …καὶ ἄγειν ἑορτήν Σωτήρ[ια, καὶ πανηγυριάζειν]κατὰ φυλὰς ἡμέρας δύο…». Tous les prêtres et les prêtresses de la cité et de la chôra doivent également régler les sacrifices. Ceux qui refusent de s’en acquitter sont sanctionnés mais le texte, particulièrement mutilé à cet endroit, ne permet pas de tout appréhender, seul le terme « timouques » peut être partiellement restitué : (l.31 à 35) : «… καὶ τοὺς ἱερεῖς καὶ

τὰ[ς ἱερείας τοῖς τε θεοῖς πᾶσι] καὶ τοῖς ἥρωσι τοῖς κατέχου[σι τήν τε πόλιγ καὶ τὴγ χώραν τὴμ] Πριηνέωγ κατὰ τὴν ἀνατ[— τοῖς δὲ μη]δὲν τετελεσμένοις γε[νέσθαι —] [․․․κ.10․․․] τ ιμο [υχ —] ».

Devons-nous y voir un signe de désaccord persistant au sein du corps civique réunifié ? Rien ne permet de l’écarter.