3. Trois Chablais, un territoire
3.1. Le territoire
3.1.1. Situation géographique
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-Géopatrimoines des trois Chablais
3.1. Le territoire
Le patrimoine géologique est plus ou moins reconnu selon les pays et selon les
régions. Dans les Chablais et en particulier dans le Chablais haut-savoyard, les
découvertes scientiiques de la in du 19
esiècle (théorie glaciaire, théorie des
nappes de charriage) suivies par des décennies de recherches dans le domaine
du Quaternaire (Evian, Thonon, plaine du Rhône, Léman) ont débouché, dès les
années 2000 sur une volonté politique de s’appuyer sur le patrimoine géologique
pour orienter une part du développent régional. Cette volonté se concrétise
dans plusieurs projets locaux, européens et transfrontaliers (projets au sein des
programmes LEADER : géoroute du Chablais, carte de randonnée « le Léman et
ses sommets », itinéraires alpestres, balades acoustiques, festival Lind’Art ; projets
Interreg : 123 Chablais). Cette thèse contribue, à sa manière à cette dynamique
territoriale de valorisation du patrimoine géologique chablaisien.
3.1.1. Situation géographique
Notre terrain d’étude est communément appelé « Chablais ». Il s’étend sur le
département de la Haute-Savoie (France), le canton du Valais (Suisse) et le canton
de Vaud (Suisse) (Fig. 3.1). Les territoires concernés sont limités au nord et à l’ouest
par le Léman, au sud par la vallée du Giffre, les Dents du Midi, le massif des Dents
de Morcles et à l’est, par le massif des Diablerets (Fig. 3.2). La supericie de cette
zone est estimée à 1650 km
2, dont 850 km
2sur territoire français et 800 km
2sur
territoire helvétique.
Fig. 3.1 : Les Chablais administratifs : France, Suisse, Vaud et Valais. Carte produite par le
SIAC, 2009.
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-Trois Chablais
Précisions étymologiques et identitaires
Le vocable « Chablais » signiie, étymologiquement, « tête du lac ». Cette
zone correspond approximativement aux Préalpes situées en bordure S et SE
du Léman. Elle comprend la plaine du Rhône depuis l’aval de Martigny jusqu’à
son embouchure dans le Léman, les vallées des Dranses (Abondance, Morzine,
Brevon), le Bas-Chablais entre Douvaine et Saint-Gingolph, ainsi que les vallées de
la rive droite du Rhône, entre les Dents de Morcles et les Rochers de Naye, et de la
rive gauche entre la Tour Sallière et le Grammont (Fig. 3.2).
La dénomination régionale est relativement complexe et a évolué au cours du
temps, notamment dans les articles géologiques. On rencontre une appellation
commune « massif du Chablais » (Lamory, 2005) qui désigne l’ensemble du
territoire montagneux compris entre le Léman, la vallée du Giffre et la plaine du
Rhône, et qui correspond donc aux Chablais haut-savoyard et valaisan. Les auteurs
géologues suisses utilisent le terme de « Préalpes romandes » (Mosar, 1991) qui
désigne actuellement la partie suisse des Préalpes (vaudoises, valaisannes et
fribourgeoises). Le terme de « Préalpes lémaniques » est utilisé pour l’ensemble du
territoire alors que « Préalpes du Chablais » peut désigner la partie haut-savoyarde
(Guyomard et al., 2009) ou l’ensemble du territoire (Charollais & Badoux, 1990).
On rencontre encore « Préalpes chablaisiennes » (Plancherel, 1979), cette dernière
appellation étant utilisée plutôt par les auteurs suisses.
Si la région bénéicie d’une certaine homogénéité géologique (couverture
sédimentaire des Préalpes) et géomorphologique (sommets peu élevés, zone
rapidement déglacée dès l’amorce du Tardiglaciaire), les limites ixées par le projet
Fig. 3.2 : Terrain d’étude, situation. Les Chablais entre le Jura et les Alpes.
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-Géopatrimoines des trois Chablais
« 123 Chablais » sont en partie administratives (Fig. 3.1). Toutes les communes
adhérentes au projet sont prises en compte dans cette étude.
Les frontières nationales et cantonales qui compartimentent cette région impliquent
également une séparation dans l’imaginaire des habitants. En effet, le « Chablais »
envisagé par les citoyens français s’arrête en général à la frontière franco-suisse,
alors qu’il existe pour les citoyens suisses un « Chablais suisse romand », voire un
« Chablais vaudois » et un « Chablais valaisan ».
Ces identiications ont une origine historique liée à l’établissement des frontières
politiques internationales et intranationales et ne sont, a priori, pas fondées sur
une distinction émanant des données physiques du territoire. Cette remarque
préliminaire est à mettre en lien avec le dernier chapitre de ce travail (cf. chapitre
6 Valorisation) et nous encourage à prendre en compte le fait qu’une portion
de territoire dont le paysage présente une certaine homogénéité n’est pas
nécessairement identiiée par ses habitants ou usagers comme un tout, malgré
une histoire géologique, géomorphologique et glaciaire commune. Le moment
de la valorisation venu, il sera d’autant plus important de présenter le terrain dans
son ensemble, voire dans un cadre encore plus large, englobant au minimum les
Préalpes lémaniques.
Nous proposons d’utiliser le terme de « Chablais » pour l’ensemble du terrain
envisagé par cette étude, à la place du peu commode « trois Chablais » ou du
pluriel « les Chablais ». Au besoin, nous préciserons « massif du Chablais »,
« Chablais vaudois », « Chablais valaisan » ou « Chablais haut-savoyard ». Pour
le territoire français, nous faisons fréquemment la distinction entre le «
Haut-Chablais » et le « Bas-Haut-Chablais ». En réalité, le découpage administratif est plus
complexe (Fig. 3.1). Dans ce travail, nous entendons par « Haut-Chablais » les
trois vallées des Dranses
1et par « Bas-Chablais » le Pays d’Evian, les collines du
Léman et le Bas-Chablais
2(au sens administratif de « communauté de communes
du Bas-Chablais »).
Contexte de développement territorial : urbanisation versus
espaces naturels
La région du Chablais s’étend entre la moyenne montagne et le piémont à des
altitudes comprises entre 400 et 3000 m. Elle est rendue très attractive par la
présence du Léman, qui remplit de multiples fonctions : ressource naturelle,
voie de communication, attraction touristique, etc. Situé en zone carrefour,
entre Suisse, France et Italie, ce territoire est fortement anthropisé (Fig. 3.3) et
sa population est en hausse. Le tissu urbain représente actuellement 9% de sa
supericie (données Corine Land Cover 2006). Les zones habitées se concentrent
sur les rives du Léman et dans la plaine du Rhône mais s’étendent également
dans les vallées de montagne, occupation qu’il faut mettre en relation avec une
activité de sports d’hiver bien développée et en pleine mutation. Les services, le
tourisme en majorité, représentent le plus grand secteur économique avec 72%
1 Syndicat Intercommunal à la carte de la Vallée d’Abondance, communauté de
communes de la Vallée d’Aulps, SYVOM du Haut-Chablais, communes des Gets et de
Morzine.
2 Communauté de communes du Pays d’Evian, communauté de communes des
collines du Léman, communauté de communes du Bas-Chablais, communes de
Thonon-les-Bains, Lully, Fessy, Brenthonne.
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-Trois Chablais
des emplois dans ce domaine pour le Chablais français (SIAC, 2012), suivi par
l’industrie (17%), la construction (8%) et l’agriculture (3%). Cette répartition de
l’activité économique est assez similaire du côté suisse : une majorité de services
(56%), une part importante d’industrie (40%) et une faible part d’exploitation des
ressources naturelles (4%) (Chablais Région, 2013). La majeure partie du territoire
est mise à proit pour les activités humaines, d’exploitation (carrières, agriculture,
tourisme, eaux minérales), de transport, d’habitat ou de loisirs (plages, stations
de sports d’hiver, thermalisme). Une certaine pression sur les espaces se fait donc
sentir. Les divers usages, des terrains de montagne par exemple, donnent lieu
à de véritables problématiques d’aménagement et de gestion des terrains mais
également d’autres ressources telles que l’eau (Magnier, 2013). Parallèlement à
l’urbanisation croissante, le territoire rencontre des problèmes dans la gestion
des transports. Le Chablais, côté français, souffre de sa position enclavée et
manque de voies de communication rapides. La situation des transports est moins
problématique du côté suisse drainé par l’autoroute du Valais et soutenu par un
service ferroviaire plus adapté.
Malgré cette forte empreinte humaine, le Chablais est riche en milieux naturels
préservés : réserves Pro Natura (CH), Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique
Faunistique et Floristique (ZNIEFF) (FR), réserves de chasse (CH), hauts-et
bas-marais (CH), réserves naturelles régionales (CH, FR), etc. Les niveaux de protection
se superposent, du patrimoine mondial de l’UNESCO aux arrêtés de classement
cantonaux en passant par la convention de Ramsar. Les sites qui bénéicient d’une
protection ou d’une simple inscription dans un inventaire sont presque aussi
nombreux que diversiiés. Deux types de cible ressortent clairement : le maintien de
la biodiversité (par exemple, les réserves biologiques, les réserves de biosphère ou
les sites de reproduction des batraciens) et le maintien de la qualité des paysages
(par exemple, les parcs naturels régionaux, l’inventaire fédéral des paysages ou
l’inventaire des sites marécageux). Les objets géologiques ne sont pas protégés
spéciiquement mais peuvent être inclus dans les inventaires de type « protection
du paysage » (Jordan et al., 2004). En France comme en Suisse, des inventaires
de géotopes ou de patrimoines géologiques sont en cours d’élaboration. Ils ne
sont généralement pas contraignants, sauf dans certains cantons suisses (par
ex. Hipp, 2004). Au niveau national, ces inventaires font igure de garde-fou. Le
Chablais compte en outre, un important couvert forestier (41%) et des nombreux
pâturages naturels dans sa partie montagneuse (Fig. 3.3).
Cette situation tendue entre préservation des ressources naturelles et des paysages
et développement local pousse les Chablaisiens à élaborer des outils de gestion sur
le long terme, cherchant à intégrer des concepts de développement durable dans
l’aménagement du territoire.
Pour gérer son territoire eficacement et faire face à la pression démographique
tout en conservant les paysages et milieux naturels qui font son attractivité,
le Chablais français s’est doté de plusieurs outils administratifs : Schéma de
Cohérence Territoriale (SCoT), Contrat de Développement Durable Rhône-Alpes
(CDDRA), programme européen « Liaison entre actions de développement de
l’économie rurale » (LEADER), Geopark Chablais, Chablais Horizon 2020. Le
Chablais suisse, quant à lui, cherche à développer la coopération intercantonale.
Plusieurs projets sont en cours portant, par exemple, sur l’aménagement du
territoire (Chablais Agglo, Rhône 3), l’amélioration du réseau de transport (ligne
du Tonkin, ligne H144), l’amélioration des services médicaux (Hôpital
Dans le document
Géopatrimoine des trois Chablais : identification et valorisation des témoins glaciaires
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