• Aucun résultat trouvé

Reconstitutions glaciaires : les problématiques actuelles

4. Quaternaire

4.1. Etat des connaissances sur le Quaternaire des Chablais

4.1.6. Reconstitutions glaciaires : les problématiques actuelles

Comme nous avons pu le constater en effectuant cette brève synthèse

bibliographique, les éléments de connaissance des luctuations glaciaires

chablaisiennes sont à la fois riches et pauvres, anciennes et récentes, précises et

vagues. Nous voyons plusieurs facteurs possibles à cette ambiguïté. Tout d’abord,

le bassin lémanique est une zone intermédiaire sur le passage du glacier du Rhône

lors de son extension maximale. Il est très proche de la ligne d’équilibre estimée

par Coutterand (2010) à 1350 m lorsque que le volume de glace est important.

Dans ces conditions, cette région n’enregistre que des formes d’érosion. Ce

n’est que lors de phase de retrait ou de récurrence que des accumulations de

- 98 - Quaternaire

matériaux erratiques sont possibles. Ensuite, cette zone intermédiaire est située à

la bifurcation des lux de glace SW et NE du glacier du Rhône. Une dissymétrie des

dépôts de la rive gauche et de la rive droite du Léman ne serait pas surprenante. La

comparaison des différentes chronologies fait apparaître certaines concordances,

comme l’existence de récurrences glaciaires. Les discordances quant à elles

Fig. 4.7 : Représentation des différentes chronologies glaciaires proposées dans la région

du Chablais. Les ordonnées et les abscisses varient en fonction des études. Les dates

indi-quées sont reprises des publications originales (

14

C non calibrées). Seuls les encadrés C et F

sont calqués sur des présentations proposées sous cette forme par les auteurs. Les autres

ont été dessinés par nos soins sur la base d’articles et sont donc extrapolés.

99

99

-Géopatrimoines des trois Chablais

nous semblent plus reposer sur l’absence de certains marqueurs que sur des

informations véritablement incompatibles. Les témoins quaternaires sont pourtant

bien connus pour leur sporadicité, leur variabilité dans l’espace et leur vulnérabilité

face à l’érosion. L’absence de till ne devrait pas, selon nous, exclure la possibilité

d’une progression glaciaire, surtout en cas d’observations ponctuelles. Outre

ces incertitudes, une deuxième thématique alimente le débat des luctuations

glaciaires. Les éléments de datation sont apportés à la rélexion sur le Quaternaire

depuis les années 1950, d’abord par l’intermédiaire des proils polliniques, puis

grâce aux datations radiocarbones. Ces marqueurs chronologiques sont utilisés

pour établir des chronologies locales mais également pour établir des corrélations

avec des terrains voisins. Avec l’établissement des courbes isotopiques océaniques

et antarctiques, et l’émergence de signaux climatiques globaux, les corrélations

se font maintenant à l’échelle mondiale. De manière générale, nous pouvons

noter, au il du temps et des nouveaux travaux, une augmentation du nombre de

luctuations envisagées. Les périodes de retrait semblent pouvoir être accélérées

alors que les périodes d’avancée sont considérées comme plus lentes que les

retraits.

La question non élucidée de la chronologie glaciaire

La chronologie des avancées et retraits glaciaires alpins est étudiée depuis le

début du siècle dernier (Penck & Brückner, 1909). Le lux NE du complexe glaciaire

Isère  -  Rhône est examiné par les Universités du Nord de la Suisse (Schlüchter,

1988), le bassin lémanique par les Universités de Genève (Moscariello et al., 1998b)

et du sud de la France (Blavoux, 1988), les environs de Lyon par les Universités de

l’Est de la France (Mandier, 1984). Dès les années 1950, des datations numériques

sont proposées par certains auteurs pour caler dans le temps certains témoins

quaternaires. Cependant, les données qui concernent directement le bassin

lémanique restent peu abondantes et sont parfois soumises à caution par leurs

auteurs (Guiter et al., 2005; Moscariello et al., 1998b). Il s’agit exclusivement des

dates

14

C qui sont publiées, souvent sans calibration.

La question principalement débattue par les chercheurs est celle de la période du

dernier maximum d’extension glaciaire et ce, à l’échelle du globe (Clapperton,

1995; Gillespie & Molnar, 1995). Pour résumer très brièvement la situation, la

majorité des régions alpines semble avoir connu un maximum d’extension glaciaire

correspondant au LGGM (Last Global Glacial Maximum) tel que déini à un niveau

mondial sur la bases des carottes antarctiques et océaniques, vers 20 ka BP. Ce

constat est essentiellement basé sur des âges d’exposition (SED) des cordons

morainiques frontaux par l’intermédiaire de blocs erratiques. Quelques régions

cependant fournissent des indications différentes. Au niveau du lobe lyonnais et

dans la région d’Evian, les datations

14

C témoignent d’une extension maximale

antérieure au LGGM. Dans la région d’Evian cette extension maximale pourrait

avoir eu lieu vers 40 ka BP (âges

14

C calibrés) suivie d’extensions plus réduites

(27 ka BP, âges

14

C calibrés) (Triganon et al., 2005). Il découle de ces résultats

contradictoires un postulat : le maximum d’extension glaciaire à l’échelle mondiale

pourrait être - largement - asynchrone selon les massifs (Schoeneich, 1998b).

L’asynchronisme pourrait également concerner la chaîne alpine (Brun, 2000). Cette

hypothèse est avancée sur le constat que certaines régions des Alpes connaissent

actuellement des différences climatiques notables. Cependant, à l’échelle d’un

même appareil glaciaire comme celui du glacier du Rhône et bien que séparé en

deux lux formant un important lobe de piémont, l’asynchronisme reste dificile à

- 100 - Quaternaire

envisager. Le Chablais se situant en position intermédiaire entre le terminus SW

(région genevoise) et le terminus NE (Wangen) du glacier du Rhône, la recherche

sur ce territoire doit tenir compte des éléments des deux lux glaciaires. En effet,

la glace doit passer par le bassin lémanique pour s’étendre sur le plateau suisse

(Guiter et al., 2006). On peut encore mentionner que les dépôts chablaisiens

enregistrent les luctuations latérales du glacier alors que les dépôts du NE de

la Suisse enregistrent les luctuations frontales du même glacier. Le terminus SW

quant à lui ne semble pas avoir laissé de traces reconnaissables.

Le LGGM semble être suivi, toujours d’un point de vue global, d’une déglaciation

généralisée ponctuée de récurrences dont certaines ont pu être importantes. De

ce point de vue, la situation lémanique pourrait correspondre au schéma général.

En ce qui concerne le Tardiglaciaire, les études se sont concentrées sur les glaciers

secondaires, qui présentaient le plus de témoins observables. Le comportement du

glacier du Rhône pendant cette période est mal cerné.

De tous ces éléments, l’enjeu principal des recherches actuelles nous semble être

la conirmation ou l’inirmation de la correspondance des dynamiques glaciaires

locales par rapport au signal climatique global enregistré par les calottes et océans.

Cet enjeu souligne une question également débattue  : le comportement des

glaciers peut-il être utilisé comme un outil de reconstruction des paléoclimats ?

Du glacier du Rhône au glacier du Valais

La déglaciation du bassin lémanique implique essentiellement le glacier du Rhône,

secondairement, la calotte jurassienne et les glaciers locaux (Dranse, Grande Eau,

etc.). L’abondance des matériaux erratiques, dont de volumineux blocs cristallins,

a permis d’établir rapidement - une fois les bases de la théorie glaciaire acceptées

- le contour des anciens appareils glaciaires lors de leurs extensions maximales. Les

représentations qui en ont été faites ont contribué à iger une image des Alpes

recouvertes de glace dans une temporalité imaginaire. Cette représentation est

due à la simpliication obligatoire que sous-entend le processus cartographique.

Elle est rarement soulignée par les chercheurs (Bini et al., 2009). Suite à des travaux

récents, les quaternaristes se rendent compte que la dénomination de glacier du

« Rhône » mériterait d’être modiiée tant elle induit une conception biaisée des

lux glaciaires (Bini et al., 2009). Lors de périodes de fort développement de la

glace, cette dernière semble s’affranchir des réseaux de vallées qui préexistent

à son installation et poursuivre une croissance en dômes plus qu’en glaciers

de vallée. C’est ce qui a été constaté dans les Alpes helvétiques, sur la base de

relevés des traces d’érosion glaciaire enregistrant la direction des lux (Florineth &

Schlüchter, 1998; Kelly et al., 2004). Les grands appareils reconstitués à l’aide de

modèles numériques apparaissent, lors du LGM (Last Glacial Maximum), comme

des glaciers de transsection, dont la direction des écoulements n’a plus

grand-chose à voir avec le réseau hydrographique actuel, les « dômes » provoquant des

difluences et transluences. Dans le cas du glacier du « Rhône », les lux de glace

proviennent essentiellement du sud du Valais (dôme du Mattertal) alors que la

glace formée dans la région de Conches, soit le bassin du glacier du Rhône actuel

« perd » de la glace en direction du sud-est (col du Nufenen), du nord-est (col

de la Furka) et du nord (col du Grimsel) (Kelly et al., 2004). Ces découvertes ont

poussé le collectif quaternariste en charge de la publication de la nouvelle version

de la carte « La Suisse durant le dernier maximum glaciaire (LGM) » à modiier

la dénomination de glacier du Rhône en glacier de Valais. Toujours selon Kelly

101

101

-Géopatrimoines des trois Chablais

et al. (2004), il faut envisager une grande complexité des lux glaciaires qui ont

transporté le matériel erratique valaisan (de rive droite et de rive gauche) jusqu’à

Wangen, terminus enregistré du glacier du Valais au NE, sur le plateau helvétique.

Des événements de surge sont probables.

Des nouveautés sont également enregistrées au niveau des lobes de piémont.

L’une des plus intéressantes découvertes de ces dernières années est d’avoir pu

distinguer les différents lux formant le qui s’avançait jusqu’à Lyon. Depuis la

synthèse de Penck et Brückner (1909) et malgré les travaux de Falsan et Chantres

(1879), le lobe lyonnais est attribué aux glaces des Alpes centrales, selon la

dénomination de « glacier du Rhône » (Rhodanischer Gletscher). Cette conception

est longuement reprise par les auteurs postérieurs (Campy, 1985; Buoncristiani &

Campy, 2002) jusqu’à ce que Mandier (2003) soulève la question de l’alimentation

des lobes de piémont. La remise en question du modèle est lancée et interrogée

par Schoeneich (1998b, 2002), Coutterand et al. (2009) et Coutterand (2010).

Ces recherches ont montré que le lobe lyonnais est essentiellement alimenté,

lors du LGM, par les glaces de l’Isère et de l’Arc. Ces recherches se fondent sur

une reconsidération des zones d’alimentation glaciaire et de la ligne d’équilibre

ainsi que sur une étude détaillée des matériaux erratiques par l’intermédiaire des

minéraux lourds. Ramenant, les appareils à des proportions plus équilibrées, le

glacier de l’Arve, séparé entre vallée de l’Arve et val d’Arly, arrive à hauteur de

Belley alors que la branche SE du glacier du Valais ne dépasse par la montagne

du Grand Colombier (Fig. 4.4). Il est intéressant de noter que selon cette nouvelle

vision du glacier du Valais, le lux méridional n’est plus associé à aucune moraine

frontale au LGM. Il devient en outre envisageable que le front de Wangen puisse

présenter une assynchronie par rapport au front de Lyon, puisqu’en dissociant

les lux glaciaires, ce sont également les zones d’accumulation glaciaire qui sont

dissociées.

Asynchronisme des maximums d’extension glaciaire dans le

monde

La reconstitution des luctuations glaciaires concerne trois niveaux de littérature

différents. Les articles régionaux apportent généralement de nouveaux éléments

dans la rélexion tels que des datations, des proils polliniques ou des logs

sédimentaires (par ex. Triganon et al., 2005). La bibliographie de ces articles

renseigne sur le champ global de rélexion envisagé par l’article et des corrélations

avec les données climatiques mondiales sont parfois tentées (Preusser & Schlüchter,

2004; Ivy-Ochs et al., 2006), parfois non (Guiter et al., 2005). Des articles de

synthèse reprennent différentes données et tentent d’organiser la rélexion en

posant des jalons. Ces articles peuvent fournir des éléments théoriques (Monjuvent

& Nicoud, 1988a). Ils ne donnent aucune nouvelles dates mais choisissent celles qui

leur semblent les plus iables. Ils s’efforcent en général d’asseoir une chronologie

régionale (Monjuvent & Nicoud, 1988a, 1988b). Enin, les synthèses au niveau

mondial rendent compte de sérieux problèmes de synchronicité (Clapperton,

1995; Gillespie & Molnar, 1995).

Une des caractéristiques des témoins quaternaires, nous l’avons mentionné, est

leur sporadicité et leur fragilité et paradoxalement, dans certains contextes, leur

longévité. D’importantes lacunes peuvent être constatées dans les coupes, forages

et autres séquences sédimentaires étudiées (Blavoux et al., 1980; Nicoud et al.,

1993; Triganon, 2002). Ces lacunes peuvent être dues au fait que le sédiment (till,

- 102 - Quaternaire

épandages luvioglaciaires, etc.) ne s’est pas déposé. Par exemple, certains glaciers

sont, selon leurs stades de développement, riches ou pauvres en sédiments inclus

dans la masse de glace. Il peut donc arriver qu’un glacier se retire sans laisser de till

derrière lui. Ces mêmes lacunes peuvent également être dues au fait que le sédiment

a été érodé par un épisode postérieur et ne laisse qu’une empreinte partielle ou

aucune empreinte. Par exemple, une faible épaisseur de till peut correspondre à

un épisode de grande ampleur. Dans ces conditions, l’asynchronicité constatée

est-elle due à des impulsions climatiques ou est-ce qu’il s’agit d’un problème de

dépôt et de conservation des témoins quaternaires ?

Des régions relativement éloignées peuvent connaître des différences climatiques

notables. Même au niveau des Alpes, les inluences des courants Nord ou Sud

impliquent des particularités climatiques importantes. Cependant, dans le cas du

glacier du Valais dont le lobe de piémont possédait deux lux divergents (NE et

SW), il est dificile de concevoir des maximums d’extension éloignés de dizaines de

milliers d’années. Plus troublants, les témoins quaternaires du bassin lémanique,

qui se trouvent sur le « chemin obligé » (Monjuvent & Nicoud, 1988b) du lux

septentrional du glacier du Valais enregistrent un maximum ancien et même, une

suspicion de conservation de l’interstade éemien (ISO 5) à une altitude de 860 m

(Guiter, 2003; Guiter et al., 2005) recouvert par un seul till conservé (tourbière de

Maravant, plateau Gavot, identiié par analyse pollinique), estimée par l’auteur

au Würm ancien (MIS4). Quelles sont les causes possibles de cette asymétrie  ?

Faut-il envisager deux maximums dont les témoins ne se retrouvent pas de

manière uniforme au SW et au NE ? A notre connaissance, aucun auteur (sauf S.

Coutterand) n’envisage sérieusement les possibilités de surge glaciaire, alors que

ce processus est maintenant clairement identiié et observé sur les grands glaciers

actuels (Himalaya, Alaska). Il serait surprenant que ce type d’avancée éclair, si

elle a pu affecter les glaciers alpins, n’ait pas eu une incidence sur l’organisation

des dépôts glaciaires, dépôts qui sont aujourd’hui utilisés pour contraindre la

chronologie des luctuations.

En conclusion

Le Chablais apparaît, à travers les nombreuses études qui y ont été réalisées

comme un terrain à la fois riche en connaissances (la région d’Evian, par exemple)

et encore plein de lacunes (le massif du Chablais, notamment). Ces zones d’ombre

se situent à deux échelles, l’une spatiale et l’autre temporelle. D’un point de vue

spatial, on constate la nécessité d’investiguer les zones d’altitude ainsi que les

vallées secondaires (massif du Chablais, vallée de la Vièze, massif des Dents du

Midi, vallées de la Gryonne et de l’Avançon). D’un point de vue temporel, les

données régionales nécessitent d’être placées dans un schéma de compréhension

plus global, au minimum à l’échelle du glacier du Rhône, tels qu’il a été redéini

par les travaux récents (Schoeneich, 2002; Coutterand et al. 2009 ; Coutterand,

2010).