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Un projet territorial tourné vers le patrimoine géologique : le Geopark

3. Trois Chablais, un territoire

3.1. Le territoire

3.1.3. Un projet territorial tourné vers le patrimoine géologique : le Geopark

Les Géoparcs

Les géoparcs sont une nouvelle forme de gestion territoriale construite sur le

concept des parcs naturels régionaux mais dont l’objet de gestion est le patrimoine

géologique. Les premiers géoparcs sont nés vers la in des années 1990 (Zouros,

2004; Cayla, 2009). Sous l’impulsion de quatre territoires précurseurs, un réseau

de géoparcs européens est créé en 2000 (European Geoparks Network, EGN) puis

étendu en réseau mondial quatre ans plus tard, sous l’égide de l’UNESCO (Global

Geoparks Network, GGN). Selon une convention passée entre l’UNESCO et l’EGN,

chaque géoparc intégré au réseau européen devient automatiquement membre

du réseau mondial (UNESCO et EGN, 2001). En janvier 2013, le réseau mondial

compte 91 membres dont 55 géoparcs européens issus de 18 pays différents

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.

C’est la Chine qui détient les plus grand nombre de territoires labellisés avec ses

27 géoparcs. La France en compte quatre, la Suisse, aucun (Fig. 3.4).

Il faut cependant relativiser ces chiffres puisque certains territoires utilisent le terme

de géoparc sans pour autant appartenir au réseau européen ou mondial. C’est le

cas notamment de deux parcs en Suisse (le Parco delle Gole della Breggia au Tessin

et le Geopark Sarganserland-Walensee-Glarnerland, Suisse centrale, (Reynard et

al., 2007).

Un géoparc s’entend comme un territoire qui décide d’inclure dans sa dynamique

territoriale la gestion de son patrimoine géologique. Il ne s’agit pas d’une réserve

géologique mais bien d’un périmètre de développement d’activités en lien avec la

géologie, incluant protection et valorisation des ressources patrimoniales. Cette

5 http://www.europeangeoparks.org, http://www.globalgeopark.org

Fig. 3.4 : Les géoparcs membres du Global Geoparks Network (GGN) en janvier 2013.

La majorité des géoparcs labellisés se situent en Europe. La Chine fait igure d’exception

avec ses 27 territoires labellisés. Certains pays comme la Suisse ne sont pas représentés.

Le concept de géoparc forgé en Europe s’exporte sur d’autres continents. Source : www.

globalgeopark.org (consulté de 24 janvier 2013).

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-Trois Chablais

structure ne repose sur aucune obligation légale. Son impact sur le territoire se

situe dans la mise en réseau des initiatives locales et le développement d’activités

impliquant une démarche d’utilisation concertée de la ressource. Le parc se

construit seul ou en collaboration avec d’autres territoires mais il doit fonctionner

en tant que géoparc avant de pouvoir se porter candidat au niveau européen.

Cela signiie qu’il doit attester au préalable d’une dynamique durable dans la

protection, la recherche, l’éducation et la valorisation des géopatrimoines.

Pour joindre de réseau européen, certaines conditions doivent donc être remplies

(Zouros, 2004; UNESCO, 2010). Tout d’abord, le territoire, dont le périmètre a été

clairement déini, s’appuie sur un patrimoine géologique particulier et identiié.

Dans ce sens, les sites qui constituent ce patrimoine doivent être sufisamment

étudiés pour qu’il soit possible de construire un argumentaire sur leur valeur

scientiique. Ils doivent également comporter, outre leurs qualités scientiiques, un

intérêt pour l’éducation, l’écologie et la culture. Un inventaire de ces géosites est

un minimum nécessaire pour soutenir cet argumentaire. La deuxième condition

d’obtention du label concerne la dynamique territoriale. Cette dernière doit

inclure une stratégie de développement durable et, si possible, s’inscrire dans des

projets européens de développement. Cette condition inclut le fait que le périmètre

proposé doit être clairement déini et sufisamment étendu pour réaliser des projets

cohérents et durables. En outre, le géoparc doit être soutenu par une structure

viable et être capable de drainer des fonds pour assurer son fonctionnement. La

troisième condition est l’existence d’une activité géotouristique qui soutient

le développement économique local en parallèle du développement d’outils

didactiques qui permettent de transmettre les connaissances géologiques, et

plus largement environnementales, aux populations locales. Enin, la protection

des géopatrimoines fait partie intégrante des objectifs du réseau des géoparcs.

Cette dernière est envisagée comme un processus expérimental qui doit être mis

en place dans chaque territoire, pour contribuer à trouver de nouvelles formes de

protection et assurer un accès aux ressources patrimoniales par la population locale

et pour le géotourisme. Le document cadre produit par l’UNESCO (2010) insiste

sur le fait que la démarche doit émerger de la population locale (type bottum-up)

pour être viable. En effet, un projet de géoparc est une entreprise politique qui

doit trouver un appui généralisé auprès des acteurs du territoire. Une candidature

portée par le seul milieu scientiique, en plus de ne pas remplir les critères élaborés

par le GGN n’aurait que peu de chance de parvenir ses ins (Hobléa et al., 2011).

Le « label Geopark » est obtenu pour quatre ans. Une réévaluation par un comité

d’experts doit ensuite revalider le géoparc ain d’assurer le maintien de sa qualité

(UNESCO, 2010). Les quelques lignes directrices proposées par le réseau mondial

des géoparcs doivent être suivies par les membres et constamment améliorées

pour que la reconnaissance EGN puisse être maintenue sur le territoire :

Education et vulgarisation  : la formation en géosciences est favorisée

par le développement d’outils didactiques et l’exploitation de programmes

d’enseignement de la géologie et de l’environnement en général à tous les

niveaux.

Recherche en géosciences : le géoparc s’associe avec les organismes de

recherche locaux pour le développement de la recherche scientiique, la

vulgarisation des sciences de la Terre auprès du public et la sensibilisation

des populations aux risques naturels.

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-Géopatrimoines des trois Chablais

Culture : le géoparc permet de valoriser les liens entre les cultures locales

et le géopatrimoine. Il s’agit d’un projet global qui prend en compte

l’ensemble des caractéristiques géographiques du territoire mais également

ses particularités culturelles matérielles et immatérielles.

Communication et coopération : la communication est un axe qui doit

être particulièrement développé au sein du géoparc, entre les acteurs

locaux. Les réseaux européens et mondiaux permettent également de

soutenir des synergies entre territoires de différents pays.

Géotourisme  et développement durable  : le développement

économique local doit être pensé en termes de durabilité et d’implication

des populations locales. Le géotourisme permet de diversiier l’offre

touristique régionale, sur des bases de tourisme doux et durable.

Bref historique : de la démarche géoparc au « label » soutenu par

l’UNESCO

Convaincus de posséder une véritable richesse géologique, certains acteurs du

Chablais haut-savoyard se sont mobilisés au début des années 2000, en vue de

valoriser le patrimoine géologique chablaisien. L’intégration à l’EGNa inalement

été obtenue début 2012. Le bref historique ci-dessous est largement repris du

dossier de candidature au réseau des géoparcs européens, réalisé par le SIAC

(2010).

En 2003, à l’initiative du président de l’association du Groupe d’Action Locale

(GAL) du Haut-Chablais, J.-C. Reynaud, la « démarche géoparc » est initiée par

une première prise de contact avec la Réserve naturelle géologique de

Haute-Provence, à Digne, suivie d’une visite du géoparc du même nom. Des fonds

LEADER+ sont obtenus pour soutenir cette dynamique. Jusqu’en 2006, plusieurs

études de faisabilité sont réalisées ain de mesurer le potentiel géotouristique

régional. En parallèle, des travaux d’étudiants contribuent à l’amélioration de la

connaissance de la géologie locale (Barlet & Gaudiot, 2003; Paccot, 2003). L’année

2007 voit un renforcement de la démarche par l’embauche d’une Docteure en

géologie à temps plein, Anne Guyomard, chargée de mener à bien le dossier de

candidature au titre « géoparc européen » soutenu par l’UNESCO. Un nouveau

programme LEADER est obtenu en 2008 et pour 6 ans. Entre 2007 et 2008, de

nombreux outils de médiation sont créés et proposés aux populations locales et

touristiques. Le projet est ensuite étendu aux 62 communes du SIAC. 2009 voit le

projet de géoparc s’intégrer aux différents programmes de gestion locale : ajout

de la démarche géoparc à la charte de territoire Chablais Horizon 2020, actions

géopatrimoniales dans le cadre du Contrat de Développement Durable

Rhône-Alpes (CDDRA), publication d’un guide régional en coinancement INTERREG.

Des inventaires systématiques du patrimoine (naturel, géologique et culturel)

sont mis en place. En novembre 2010, le Chablais devient candidat oficiel aux

European and Global UNESCO Networks of Geoparks et obtient son intégration

en mars 2012. C’est le quatrième territoire français à obtenir cette reconnaissance

après la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence, membre fondatrice

de l’European Geoparks Network, le Parc naturel régional du Lubéron et le Parc

naturel régional du Massif des Bauges, porté candidat la même année.

L’intégration au réseau intervient après sept années d’actions sur le territoire, de

démarches administratives, de séances d’information à l’intention des élus et de

la population chablaisienne. L’ampleur du travail effectué est dificile à chiffrer.

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-Trois Chablais

Nous n’entrerons pas, dans le cadre de cette étude, dans une analyse des jeux

d’acteurs impliqués ni des discours et représentations qu’a pu engendrer ce type

de démarche sur le territoire. Ce n’est pas là le sujet de notre travail. Nous pouvons

cependant souligner qu’un effort important a été réalisé sur un territoire où les

enjeux économiques sont prégnants et où la pression sur les ressources foncières

et naturelles est grandissante.

Une des particularité du Chablais dans cette entreprise – et peut-être son principal

handicap - est de ne n’avoir pas été soutenu par une structure déjà engagée

dans la protection du patrimoine naturel, comme cela était le cas des trois autres

géoparcs acceptés au sein de l’EGN en France (PNR et réserve géologique) (Hobléa

et al., 2011).

Les avantages apportés par l’intégration au réseau européen des

géoparcs

L’intégration à l’EGN peut être apparentée à l’obtention d’un label. Il ne s’agit

pas d’un outil législatif, mais plutôt d’une reconnaissance d’exceptionnalité

(patrimoine géologique) et de qualité (services liés aux géopatrimoines). On peut

supposer également qu’une reconnaissance soutenue par l’UNESCO est d’un

poids non négligeable pour convaincre les derniers élus réfractaires du territoire.

Outre la reconnaissance internationale des patrimoines locaux, la « labellisation »

assure une certaine visibilité du nouveau géoparc, par l’intermédiaire des sites

internet oficiels, notamment. Ce dernier est intégré à des programmes de

coopération, fait partie d’un réseau. Par exemple, le Geopark Chablais est impliqué

avec le parc des Shetlands (Royaume-Uni) dans un projet de développement des

nouvelles technologies au sein de leurs territoires. La mise en réseau permet

d’assurer une certaine dynamique à ces géoparcs, mis en contact avec leurs

homologues. Enin, la «  labellisation  » est envisagée comme un garant de la

qualité de l’offre géotouristique proposée.

Figurer parmi les géoparcs européens, soutenus par l’UNESCO est une démarche

volontaire et éminemment politique. La candidature impose de nombreuses

contraintes, un canevas très précis ainsi que des exigences élevées en matière de

connaissance du patrimoine et de gestion des géosites. En contrepartie, le territoire

n’obtient aucune subvention, ni aide en personnel. L’intérêt de la démarche réside

donc ailleurs. Sans autres informations, quelques questions restent ouvertes  :

Peut-on raisonnablement penser que le niveau de reconnaissance est sufisant

pour motiver une telle démarche. A moins que ce ne soit la démarche en

elle-même qui en soit le véritable intérêt ?

En France, trois projets de géoparc récents (Chablais, Bauges et Vercors) ont été

suivis de près ou de loin par le laboratoire EDYTEM (Hobléa et al., 2011). Quelques

points communs ressortent de ces initiatives. Les trois territoires souhaitent

visiblement lier leurs avant-pays urbanisés et leurs arrière-pays plus ruraux.

Dans les trois cas, il s’agit de territoires de moyenne montagne qui cherchent à

diversiier leur activité touristique, alors que leurs stations de ski s’interrogent sur

leur viabilité face aux modiications climatiques (Hobléa et al., 2011).

Dans un avenir proche - 1 à 2 ans - plusieurs candidatures françaises devraient être

déposées. Des « démarches géoparcs » sont en cours en Ardèche (Parc naturel

régional des Monts d’Ardèche) et dans le Beaujolais (Syndicat Mixte du Beaujolais).

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-Géopatrimoines des trois Chablais

Il s’agit des projets les plus avancés. D’autres territoires en Bretagne, dans les

Pyrénées et dans les Alpes ont également déclaré leur intérêt vis-à-vis de cette

démarche (Hobléa et al., 2011).

Les lignes directrices du Geopark Chablais

En adéquation avec les critères de l’UNESCO, chaque géoparc est unique. Il doit

donc présenter un patrimoine bien déini et identiiable sur lequel se fonde son

originalité. Fidèle à ses valeurs, l’UNESCO privilégie l’exceptionnel et l’esthétisme

(Gauchon, 2010). Le choix des thématiques phares d’un géoparc se fait donc

sur la base des candidatures au réseau, en fonction des caractéristiques des

autres territoires candidats ainsi que des territoires déjà labellisés (Hobléa et al.,

2011). Chaque géoparc doit se distinguer des autres et justiier d’une « identité

géologique ».

Pour le Geopark Chablais, les thématiques choisies sont les témoins glaciaires

et l’eau. La valeur de ce géoparc s’appuie également sur une histoire géologique

« plus classique », en mettant en exergue la structure en nappes et la stratigraphie

préalpine (SIAC, 2010).

On retrouve dans ces choix le poids historique de la recherche régionale  : la

consolidation de la théorie des nappes de charriage par Hans Schardt à la in

du 19

e

siècle (Schardt, 1898) et le développement de la stratigraphie préalpines

(Favre, 1859, 1867), sont des éléments incontournables de la construction du

savoir géologique (cf. point 3.3). Les deux thématiques dégagées par le Geopark

Chablais sont plus proches de la recherche actuelle. Cette dernière est focalisée

sur les terrains quaternaires, en grande partie grâce au pôle dynamique engendré

par l’exploitation des eaux d’Evian. En Chablais, eau et témoins glaciaires sont des

thématiques extrêmement liées sur le terrain. L’eau est présente sur le territoire

par le biais de ses eaux minérales (l’eau minérale naturelle d’Evian®, les eaux

minérales de Thonon-les-Bains, le parc naturel hydrogéologique du Mont Forchat)

dépendantes des épaisses séries de sédiments quaternaires, mais aussi de ses

nombreux lacs de montagne (Guyomard, 2007), dont l’origine est souvent liée à

l’activité glaciaire, y compris dans le cas du Léman. Les Dranses enin, présentes

dans les trois vallées principales du Haut-Chablais, permettent de dégager par

érosion certains témoins clefs de l’histoire glaciaire régionale (Conglomérat des

Dranses, argiles lacustres, cheminées de fées).

En conclusion

L’originalité et la dificulté de la valorisation du patrimoine glaciaire sur ce territoire

en particulier sont peut-être le fait que les glaciers actuels sont totalement retirés

du Chablais haut-savoyard et ne sont plus présents que sur la bordure SE du

Chablais helvétique (Fig. 3.6). Si cet état de fait n’était pas dérangeant pour les

chercheurs de l’époque, il est certainement plus dificile à surmonter pour un projet

de territoire circonscrit au Chablais français. Pour ajouter à cette dificulté, on peut

encore mentionner que les paysages chablaisiens sont peu spectaculaires, souvent

discrets dans le paysage (Gorges du Pont du Diable, moraines du plateau Gavot,

vouas du Lyaud). Par contre, le territoire peut s’appuyer sur un grand nombre de

sites qui permettent d’observer des témoins géologiques particulièrement riches

une fois décryptés (Rouleau de Bossetan, lac du Vallon, terrasses de Thonon),

dont certains sont bien entendu liés aux recherches historiques dans le Chablais.

De plus, des liens forts peuvent être identiiés entre les activités humaines et les

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-Trois Chablais

témoins géologiques, que ce soit dans le domaine de l’extraction des matériaux,

de la construction, des loisirs ou de l’histoire.

En déinitive, le Chablais possède un patrimoine géologique riche et profondément

ancré dans l’activité de ses habitants. Cette constatation ne sufit pourtant pas à

présumer de la bonne connaissance de cet héritage par le public, ni d’assurer que

ce dernier sera eficacement protégé. Le géoparc apparaît donc comme un outil

de transmission des connaissances géologiques et environnementales, à travers

lequel des stratégies de valorisation doivent être élaborées pour dépasser certaines

dificultés inhérentes au terrain.