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Les recherches sur le Quaternaire du Chablais

3. Trois Chablais, un territoire

3.3. Connaissance et utilisation des témoins glaciaires dans le

3.3.2. Les recherches sur le Quaternaire du Chablais

Les travaux des géologues et hydrogéologues

Depuis le début du 20

e

siècle, les quaternaristes s’appliquent à déinir une

chronologie détaillée des évènements glaciaires. Le schéma établi par Penck et

Brückner (1909) sera largement admis. Ainsi, pendant plusieurs décennies, on

considérera que le Pléistocène a connu quatre grandes glaciations : le Günz, le

Mindel, le Riss et le Würm, auxquelles ont été ajoutés par la suite le Donau et le

Biber (Fig. 3.16). Cette chronologie est établie sur la base de l’étude de terrasses

luvioglaciaires de Bavière et la nomenclature est régionale. Cette vision

quadri-glacialiste est encore parfois en usage actuellement, mais elle a été relayée par une

conception pluriglacialiste essayant de mettre en relation les épisodes locaux avec

les grandes variations isotopiques que l’on observe grâce aux forages glaciaires

groenlandais (Schoeneich, 1998b).

Un peu plus tard et dans le bassin lémanique, Gagnebin (1937) distingue les traces

des deux dernières glaciations et intercale dans le Würm des dépôts attribués à un

interstade. Son étude de terrain détaillée et notamment celle de l’afleurement des

Dranses en fait une référence régionale toujours utilisée. En 1950, une nouvelle

couche organique dite « tourbe d’Armoy » est découverte par Lemée et Bourdier

et attribuée à nouveau à un interstade würmien. Par la suite, les travaux de Brun

(1966) et Brun et Delibrias (1967) identiient une nouvelle couche organique de la

lignite et, ce faisant, un nouvel interstade würmien. Une analyse pollinique couplée

avec une datation

14

C pousse les auteurs à différencier ce niveau à lignite de la

« tourbe d’Armoy » de Lemée et Bourdier. Toutes ces découvertes militent pour

un schéma croissant en complexité et il faut désormais compter avec plusieurs

luctuations ou « interstades » dont on ne sait presque rien.

L’apparition de chronologies divergentes

Dès le début des années 60, Marcel Burri (1961, 1963, 1977) entreprend une étude

détaillée des terrains quaternaires du bassin lémanique. Sur les pas d’E. Gagnebin,

il étudie à son tour les afleurements des Dranses préalablement identiiés, mais

également les terrains situés plus en amont, dans les trois vallées des Dranses. Dans

le schéma qu’il propose, le conglomérat des Dranses est un horizon repère qu’il

place à l’interglaciaire Riss-Würm ou Eémien. Il identiie une moraine inférieure

au conglomérat attribuée au Riss et des dépôts de deux pulsations majeures

pour le Würm. La première avancée, la plus importante, est placée dans la moitié

inférieure du Würm, grâce à des datations relatives amenées par des analyses

polliniques. La seconde est attribuée au Würm récent et ne dépasse pas 850 m

d’altitude. Cette cote maximale est établie sur la base de la présence d’argiles

lacustres non recouvertes par la moraine à la conluence des Dranses (Burri, 1963).

Selon ces observations, le glacier würmien n’aurait pas pu s’étendre au-delà de la

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-Géopatrimoines des trois Chablais

région genevoise lors de cette réavancée et n’aurait donc pas pu atteindre Lyon au

Würm récent, comme cela était alors généralement admis.

Plus tard, Robert Arn (1984) entreprend à son tour l’étude du Quaternaire

lémanique et en particulier celle des régions des Dranses et de la Côte, soit les deux

rives du Léman. Ses conclusions, bien que basées sur les mêmes observations que

celles de ses prédécesseurs, sont très divergentes. Il identiie les témoins de trois

périodes glaciaires (Mindel, Riss et Würm) et propose une dynamique würmienne

en trois phases : une première avancée glaciaire au début du Würm, un interstade

(tourbe de Senarclens), une deuxième avancée dès 34’600

14

C BP

7

, avec un stade à

Bioley-Orjulaz, et inalement un maximum glaciaire au Würm récent (~20’000 BP).

7 Le repère chronologique est donné par une datation

14

C sur une défense d’Elephas

primigenius trouvée dans des graviers luvioglaciaires à Bioley-Orjulaz (Burri et al. 1968).

Fig. 3.16 : Carte des extensions glaciaires helvétiques et rhodaniennes. Tiré de Penck et

Brückner (1909 vol.2).

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-Trois Chablais

L’étude des fronts glaciaires et l’établissement de chronologies

ines

Parallèlement aux recherches dans le Chablais, l’étude des fronts glaciaires de

la région lyonnaise aboutit à un même constat de complexité. Bourdier propose

cinq pulsations majeures du lobe lyonnais pour la période du Würm (Bourdier,

1958). Le maximum d’extension est évalué à 30’000 – 28’000 BP

8

(Burri et

al., 1968), soit durant la deuxième moitié du Würm. Plus tard, Mandier (1984)

reprendra l’étude des moraines de la région lyonnaise et proposera à nouveau cinq

pulsations würmiennes mais deux avancées majeures et un maximum plus ancien,

au début du Würm. Des datations postérieures et contradictoires viendront encore

déranger ces schémas, sans proposer de chronologie vraiment convaincante.

Plus récemment, les travaux de Coutterand (Coutterand & Buoncristiani, 2006;

Coutterand, 2010) apportent un nouveau regard sur l’organisation du réseau

glaciaire des Alpes nord-occidentales en précisant, par exemple, les limites des

lignes d’équilibres au WGM (maximum d’englacement du dernier cycle glaciaire)

et remettant en question l’importance attribuée à certains appareils glaciaires.

Dans le Moyen Pays suisse, les fronts glaciaires du cycle würmien sont bien

identiiés, en deux positions principales (Schlüchter, 1988), le stade de Wangen,

correspondant à une extension maximale, suivi du stade de Soleure, correspondant

à une position de retrait puis du « stade lémanique », ne débordant pas de la

cuvette lémanique (Schoeneich 2008b).

L’étude des glaciers quaternaires se poursuit également dans d’autres parties

des Alpes. Les stades des glaciers du Rhin et de la Linth sont reconstitués

respectivement par Keller et Krayss (1993) et Schlüchter et Röthlisberger (1995).

Les stades tardiglaciaires des Grisons sont passés au peigne in par Maisch (Maisch,

1981, 1982) qui établit un modèle de déglaciation en 9 stades pour les Alpes

orientales (Bühl, Steinach, Gschnitz, Clavadel, Daun, Egesen, Bockten, Kromer

et stades récents). Dorthe-Monachon (1986) et Schoeneich (1998a) étudient

respectivement la vallée de l’Arve et les vallées du Chablais vaudois à la lumière

de ce modèle.

L’apport des forages et datations de la région d’Evian

La région d’Evian bénéicie de nombreuses études qui, d’abord cantonnées aux

abords des sources, vont s’étendre à l’ensemble du plateau Gavot. Ces travaux ont

de particulier qu’ils sont effectués sur des données de forage et permettent une

vision plus précise de l’organisation des dépôts quaternaires traditionnellement

étudiés grâce aux coupes naturelles. Les études de forages débutent dans les

années 1960 avec les travaux de B. Blavoux (1965, 1988), B. Blavoux et A. Brun

(1966) et A. Brun (1966). La chronologie élaborée par B. Blavoux rejoint celle de

M. Burri (deux pulsations) et c’est à nouveau un maximum d’extension ancien qui

Cette datation a été publiée par Weidmann (1974) et indique un âge de 34’600 + 2700/-

1800 BP. Arn (1984) l’interprète comme le jalon chronologique de la première excursion

glaciaire hors de la cuvette lémanique, après le creusement du sillon qui les contient, ne

dépassant pas 600 m (sédiments palustres à l’amont). Dans ce manuscrit, les datations

carbone 14 sont indiquées

14

C BP ou

14

C cal BP selon qu’elles ont été ou non calibrées.

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-Géopatrimoines des trois Chablais

est proposé (> 35’000 BP

9

). Les travaux de Nicoud et al. (1993) poursuivent et

renforcent cette chronologie.

Les études se poursuivent encore aujourd’hui aux alentours d’Evian et de nouveaux

forages ont été étudiés par A. Triganon (2002). En parallèle, F. Guiter (2003)

s’est penché sur les divers niveaux organiques recensés dans la littérature et a

proposé de nouveaux sites d’investigation. Grâce aux techniques éprouvées des

datations

14

C et de la palynologie, ces auteurs parviennent à afiner encore la

chronologie quaternaire régionale. D’importantes divergences subsistent pourtant

avec les études menées dans différentes parties des Alpes (Guiter et al., 2005,

2006; Preusser et al., 2006). Nous reviendrons plus en détails sur cette question

dans le chapitre 4.

Les apports des palynologues et archéologues

Les botanistes utilisent les pollens fossiles pour reconstituer les associations

végétales passées et, ce faisant, les paléoclimats. Depuis  les années 1950, des

proils polliniques très complets sont publiés, principalement tirés de sédiments

lacustres et palustres. Les quaternaristes peuvent se baser sur des courbes de

référence pour replacer certains dépôts dans une chronologie relative. Différents

auteurs ont contribué à la connaissance des terrains quaternaires du Chablais par

le biais de cette méthode (Lemée & Bourdier, 1950; Sauvage, 1967; Olive, 1972;

Lahouze, 1981; Welten, 1982; Ammann & Lotter, 1989; Guiter, 2003; Bezat,

2008).

Dans une même dynamique, les travaux des archéologues dans le bassin lémanique

et la plaine du Rhône ont étudié des terrains proches des préoccupations des

géologues et géomorphologues. Ces domaines qui utilisent des méthodes

comparables pourraient échanger avec proit leurs connaissances. L’étude des

terrasses lémaniques a bénéicié eficacement de l’apport complémentaire des

travaux archéologiques et en sciences de la Terre (Villaret & Burri, 1965; Gallay,

1981; Gabus et al., 1987; Olive, 1972; Weidmann, 1974; Schoeneich, 1999;

Schoeneich & Corboud, 1999).

Les méthodes de prospection géophysique

Depuis l’avènement des méthodes géophysiques, la prospection du fond rocheux

des vallées et du Léman se fait par gravimétrie, sismique et géoélectricité. Ces

données sont complétées par des forages carottés, parfois profonds. Les proils

obtenus ainsi que les cartes des isohypses extrapolées permettent de mieux

appréhender l’agencement des dépôts quaternaires. Ces méthodes ont surtout

été appliquées dans la plaine du Rhône (Meyer De Stadelhofen, 1966, 1964;

Freymond, 1971; Finckh & Frei, 1991; Rosselli & Olivier 2003), mais également

dans le Léman (Moscariello et al., 1998; Girardclos, 2001; Dupuy, 2006; Fiore et

al., 2011) et dans la région de Thonon-Evian (Blavoux & Dray, 1971; Dray, 1975;

Raymond et al., 1996; Triganon et al., 2005).

9 Ce jalon chronologique fait référence à deux datations

14

C (GIF 491 et 739) publiées

par Delibrias et al. (Delibrias et al., 1969, p. 331) sur des «  sédiments lacustres à débris

ligniteux d’Armoy à 480 m » (Blavoux, 1988, p. 74). Blavoux mentionne un âge obtenu « plus

vieux ou égal à » 35’000 ans BP et l’interprète comme la limite inférieure à laquelle le glacier

du Rhône s’est retiré du versant d’Evian (et probablement de la cuvette lémanique) après son

dernier maximum d’extension régional.

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-Trois Chablais

Les cartes géologiques

L’ensemble du Chablais est couvert par les cartes géologiques nationales, à

l’échelle 1/25’000 pour la Suisse et 1/50’000 pour la France. Ces documents ont

été édités entre 1934 (Gagnebin, 1934) et 1998 (Plancherel, 1998). Le Quaternaire

y est toujours indiqué mais les informations sont parfois imprécises et doivent être

conirmées par des observations de terrain (Schoeneich, 1998a).