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P REMIÈRE PARTIE

I. L A DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE : BRÈVE HISTOIRE

I.2. Seconde démocratie chrétienne

Léon XIII qui succède à Pie IX en 1878 (dont le règne fut de près de 32 ans) se montrera un pape réconciliant et pragmatique, comparé à son prédécesseur. Ainsi, « tout en se situant dans la continuité de Pie IX [ce pape entendait] faire sortir l’Église de sa situation de citadelle assiégée et les prêtres des sacristies » (ibid.). Les encycliques promulguées par Léon XIII sont les repères de grands tournants dans la vision politique et sociale de l’Église catholiqueP57F

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P. Ces encycliques voient naitre une nouvelle génération au sein de l’Église

catholique, celle que Jean-Dominique Durant baptise de « génération Léon XIII ».

Cette génération fut constituée de « prêtres “hommes de peuple” et des laïcs engagés dans des organisations diverses, et d’une certaine manière autonomes par rapport à la hiérarchie » (ibid.). Elle « reçut une mission particulière alors que “les États chrétiens” (et même parmi eux l’État pontifical) avaient disparu. Il s’agissait d’être activement présent au sein des sociétés sécularisées afin d’y développer l’influence évangélique » (Durant >1995@, p. 63). La génération Léon XIII estime ainsi que « la présence sociale ne pourrait pas se résoudre par la seule bonne volonté ou par la générosité caritative des classes dirigeantes, mais seulement si les institutions (État, Église) et les intéressés prenaient leur part de responsabilité » (ibid.). C’est dans ce contexte qu’intervient le plus grand tournant de la conception politique de l’Église effectuée au sein de la génération Léon XIII, soit le

58 Peu de temps seulement après son élection (1878), Léon XIII promulgue l’encyclique Aeterni Patris portant sur Thomas d’Aquin, offrant ainsi « un projet de société chrétienne à opposer aux idéaux du libéralisme et du socialisme et montrait la volonté du pape de nouer un dialogue avec la société ambiante pour la christianiser » (ibid.). L’an 1880 verra la Promulgation de l’encyclique Immortal Dei sur la constitution chrétienne des États. Un document où Léon XIII « oppose le temps où la philosophie de l’évangile gouvernait les États aux nouveautés nées du XVIe siècle ». (Mayeur, p. 54). En 1888, Léon XIII précise, à travers l’encyclique

Libertas praestantissimum « la conception chrétienne de la liberté » (p, 55), conception à travers laquelle

« l’Église approuve ce que les libertés modernes contiennent de bon » (ibid.). Selon cette conception, « la vraie liberté ne consiste pas à faire tout ce qui nous plait, mais consiste en ce que par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi éternelle » (ibid.).

76 ralliement. En 1891, Léon XIII invite les catholiques français à se rallier à la république. Bien que « la séparation restait pour Léon XIII une “pernicieuse erreur” » (Durant, p. 62), celui-ci affirmait l’indifférence de l’Église à l’égard de la forme des gouvernements :

Le pape affirme d’autre part que l’Église ne réprouve “aucune des différentes formes de gouvernement” surtout, il se place sur le terrain de l’hypothèse. L’Église ne condamne pas les chefs d’État, qui, en vue d’un bien à atteindre ou d’un mal à empêcher, tolèrent dans la pratique que les divers cultes aient chacun leurs places dans l’État ». Cette tolérance de la liberté de culte s’appuie sur Saint Augustin : l’homme ne peut croire que de son plein gré. Si l’Église repousse « une liberté immodérée », elle accepte « les progrès que chaque jour fait naitre ». (Mayeur, ibid.).

Le ralliement ne sera pas le tournant unique inauguré par Léon XIII et sa génération. La même année verra la promulgation de la fameuse encyclique Rerum Novarum (15 mai 1891), un texte qui marquera profondément la vision sociale de l’Église catholique. Voici quelques manifestations de l’importance de ce texte, formulées dans les dires de Karsten Grabow (2010).

The political and social doctrine of Leo XIII (1878–1903) was crucial for the development of Christian Democracy not only in terms of its theoretical foundations and its pragmatic approach but also with regards to the formation of political parties and the formulation of social politics. Led by Leo XIII the Catholic Church loosened the restrictive stance towards Liberalism and other modern social and political concepts that had been adopted by his predecessors, including Pius IX in Syllabus Errorum (1864). Slowly the Catholic Church along with Catholic social elites began to open to the new challenges. In his state encyclicals from 1881 onwards, he called on all Catholics in France and in those countries that had adopted a Republican order to respect the very same. However, he remained neutral as regards the form of government that should be adopted and he disapproved of political activities by Catholics that would (inevitably) promote democracy and thereby threaten the existing monarchies. With the acknowledgement of the Republican order by the Pope, the attitude of the church towards possible forms of state and government became tied to actual constitutional and legal possibilities for the development of different states. In 1891, Leo XIII published the first papal social circular entitled “Rerum Novarum” (On Capital and Labor). In the encyclicals, Leo XIII called for greater fairness in wages, closer state involvement in the economic process and the right of association for workers. The document maintained that existing measures to protect workers were insufficient and that modern workers’ organisations were required. Rather than promoting the principle of laissez faire non-intervention, the encyclicals emphasise the obligation of the state to actively promote the common good. Rerum Novarum thus led to the development of a social manifesto for the Christian social movement with ideas for solving the social question also known as the industrial or workers

77 question). The encyclicals refrained from making a direct call for the foundation of political parties or movements for the realization of its social demands. Nonetheless, its call for solidarity had the same effect. Besides the state and the church, the circular identifies the cooperation between employers and employees as the key factor to finding a solution for the social question. The documents thus had a profound effect on the emerging social and democratic developments. In response to the papal circular, Belgium, Germany, Austria, Switzerland, France and Italy along with many other Central and East European countries saw the formation of study circles that sought to develop socio-political concepts based on the Pope’s propositions and to seek their implementation. As a matter of fact, these study circles, of which many were parliamentarian groups, came to develop political characteristics reminiscent of political parties. However, Leo was not prepared to let the process develop unsupervised. For reasons of church politics he sought to control Christian Democratic activities and limit their engagement only to social and charitable work. The encyclical letters “Graves de Communi: On Christian Democracy” (1901) were the first papal writings that took a clear stand on Christian Democracy. In the document, the Pope rejected Christian Democracy as a political movement. Instead he urged a refrain from everything that “could give the name of Christian Democracy a political meaning”. He argued that “the laws of nature and of the Gospel, which by right are superior to all human contingencies, are necessarily independent of all particular forms of civil government, while at the same time they are in harmony with everything that is not repugnant to morality and justice.” Furthermore, he argued that Catholics had to respect the neutrality of the church regarding different forms of civil government and to refrain from favouring and introducing one government in favour of anther. In the encyclical letters Pope Leo XIII limited the notion of Christian Democracy to purely social ambitions while vehemently rejecting any form of political demands. In fact, he explained the “danger coming from the name” as it brought with it the threat of socialism. Christian Democracy was declared incompatible with Catholic teachings and its neutral position to different forms of civil government (p.15).

Dans cette perspective, explique Jean-Yves Calvez dans son article intitulé La doctrine

sociale de l’Église catholique (de Léon XIII à Jean Paul II) et sa dimension économique,

« il était plus nouveau pour un pape de s’occuper de problèmes sociaux avec un certain degré de précision que de s’occuper de problèmes politiques » (Calvez [2010], p. 17). Ainsi, constate-t-il, si « les papes successifs n’avaient pas manqué de traiter de problèmes politiques, en particulier de celui du statut de l’autorité politique, il n’avait au contraire abordé que d’assez loin les problèmes apparus au sein de la société économique » (ibid.). Avec Rerum Novarum, « un pape s’attaque directement à une crise sociale, à la question sociale » (ibid.). Même si ce texte se place « dans le prolongement des enseignements traditionnels du Saint-Siège […] dans la suite des condamnations de Pie IX que Léon XIII

78 n’a nullement abandonnées, la nouveauté est que Léon XIII ne se borne pas à une condamnation négative » (Dreyfus, p.76). L’Église a un plan d’action.

Une contradiction s’installe lorsqu’on aborde l’influence directe de l’œuvre de Léon XIII sur l’épanouissement de la démocratie chrétienne. Nos auteurs de référence ne trouvent dans cette œuvre qu’un courant de pensée qui n’avait pas forcement de prolongements politiques directsP58F

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P. En fait, explique Mayeur, « le terme démocratie chrétienne qui trouve

une fortune particulière à partir des années 1890 en France, comme en Italie et en Belgique, ne revêt pas, au premier chef, un sens politique et est loin de désigner un parti » (Mayeur, p 54). Cette deuxième démocratie chrétienne incarne ainsi « un mouvement complexe, chargé d’aspirations apostoliques et missionnaires, porteur d’une volonté de transformation sociale démocratique, mais qui n’a pas nécessairement de prolongement politique » (ibid.). Pourtant, « le passage à l’action politique était d’autant plus inévitable que dans les systèmes de représentation parlementaires, elle était le seul moyen d’organiser la défense de l’Église en butte à des législations jugées iniques » (ibid.). Ce serait bien là le bon moment de passer au politique. L’Église finira par céder à la réalité:

Faced with the pressure from liberalism and the Industrial Revolution on the one hand, and the dynamics that resulted from the foundation of socially oriented Catholic laymen organizations in several West European countries on other hand, the Vatican eventually abandoned its resistance to the formation of Christian parties. A significant role was played by the political theories and social teachings of Pope Leo XIII. At the same time, by the end of the 19th Century the Christian-Catholic social movement had successfully established a dense network of associations, cooperatives, trade unions and even political parties. These organizations were successful at appealing politically to (Catholic) Christians, integrating them in the social and political network, and

59 Soutenant cette thèse, Jean-Dominique Durant explique que « dans son aspiration à fonder une nouvelle chrétienté, Léon XIII invitait les catholiques à être présents dans la vie politique et à s’insérer dans les institutions, mais pas forcément à créer des partis confessionnels » (Durant, p. 64). Ainsi, ajoute-t-il, « les relations des partis d’inspiration chrétienne avec Rome paraissent complexes. Dans le contexte de centralisation romaine, aucun parti se réclamant de la foi chrétienne n’a pu se développer ni même se maintenir sans le soutien plus ou moins explicite du Saint-Siège » (ibid.). De fait, l’œuvre de Léon XIII serait loin de signifier « un soutien du pape à des initiatives non contrôlées, même si l’Osservatore Romano de 19 juin 1891 célébrait “il meraviglioso connubio della chiesa cattolica colla démocrazia cristiana”, et si son secrétaire d’État, le cardinal Rampolla était favorable à ses partis » (ibid.). Les exemples ne manquent pas, « ainsi en France, la tentative d’Albert de Mun […] de fonder en 1885 un parti catholique qui n’était pas sans rappeler le centre allemand, sur la base d’un programme de défense des valeurs catholiques et des intérêts de l’Église, se heurta à l’hostilité de Rome et fit long feu » (ibid.). L’Espagne nous fournit un autre exemple de cette attitude contradictoire du pape Léon XIII vis-à-vis de l’organisation des catholiques en partis politiques. En fait, la tentative menée par le député Pidal de fonder en 1881 une union catholique « provoqua de vifs débats dans un catholicisme miné par la question dynastique, et une intervention du pape. Ce dernier consacra une encyclique (Cum multa, 8 décembre 1882) à clarifier la situation espagnole, récusant la confusion religion/politique » (ibid.).

79 offering them a political and social “home”. What was most pleasing to the Vatican was the success of these organizations at presenting an alternative to Marxist-based parties, trade unions and ideologies (p. 16).

Partout en Europe, l’évolution des idées allait de pair avec celle des organisationsP59F

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P. Le

début du XXP

e

P siècle verra l’apparition d’initiatives qui contribua à la formation des formes

contemporaines de la démocratie chrétienne.