• Aucun résultat trouvé

C HAPITRE I A U PAYS DU COMMANDEUR DES

III. L E M AROC POSTCOLONIAL ( DEPUIS 1956)

III.4. Le roi Commandeur des croyants

Bien que le personnage de Mohamed V incarne la victoire absolue de la monarchie alaouite et son appropriation des clés du pouvoir sur les plans politique et religieux, celui-ci ne savourera pas longtemps cette victoire. Le roi martyr dont le visage est vu par son peuple sur la face de la lune meurt subitement en 1961 à l’âge de 52 ans. Mais au cours des cinq années pendant lesquelles il a gouverné le Maroc indépendant, ce monarque avait déjà tracé les repères d’un régime absolu mettant le religieux au service du politique. Conformément à la règle monarchique ancestrale, le roi est mort! vive le roi! Son fils aîné Moulay Al-Hassan accède au trône du Maroc et devient le roi Hassan II. Les oulémas, y compris Allal-Al- Fassi, lui prêteront allégeance. Cependant, être fils de Mohamed V et descendant du prophète ne conféraient à Hassan II que les deux premiers côtés du triangle de la légitimité tel qu’on le trouve dans l’œuvre wébérienne (Weber >1919@)P100F

101

P à savoir, le traditionnel et

le charismatique. Il lui manquait donc le rationnel/l’institutionnel, en particulier pour un roi qui se voulait moderniste.

Une année seulement après son intronisation en 1962, Hassan II nomme une assemblée constituante chargée de rédiger une constitution pour le Maroc. Paradoxalement, cette première expérience constitutionnelle atteste de ce que le rationnel, orchestré par Hassan II, n’a fait qu’institutionnaliser la légitimité traditionnelle et charismatique du roi. La veille de la divulgation de cette constitution, rejetée par la gauche marocaine naissante, Hassan II adressa ces paroles au peuple marocain :

Ainsi, la constitution que j’ai construite de mes propres mains, cette constitution qui demain sera diffusée sur tout le territoire du royaume, et qui

101 Max Weber explique dans Le Savant et le politique >1919@ : « Il existe en principe - nous commencerons par là - trois raisons internes qui justifient la domination, et par conséquent il existe trois fondements de la légitimité. Tout d'abord l'autorité de l'« éternel hier », c'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et par l'habitude enracinée en l'homme de les respecter. Tel est le « pouvoir traditionnel » que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois. En second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu (charisme); elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef. C'est là le pouvoir « charismatique » que le prophète exerçait, ou - dans le domaine politique - le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un parti politique. Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la « légalité », en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une a compétence » positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au statut établi. C'est là le pouvoir tel que l'exerce le « serviteur de l'État» moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous ce rapport » (p. 30).

165 dans un délai de 20 jours sera soumise à ton approbation, cette constitution est avant tout le renouvellement du pacte sacré qui a toujours uni le peuple et le roi, et qui est la condition même de nos succès… Ce projet, je l’ai voulu conforme au principe religieux de l’islam, inspiré de nos traditions et de nos mœurs, adapté aux exigences de notre temps, et faisant participer le peuple à la gestion des affaires de l’État (discours du roi Hassan II, 18 novembre 1962).

Il ne fallait donc pas trop attendre de la première constitution d’Hassan II. Celle-ci désignera le roi comme étant sacréeP101 F

102

P et surtout comme Amir Al-Mouminine

(commandeur des croyants). L’article 19 de la constitution de 1962 mentionne ce qui suit : Le roi, commandeur des croyants, symbole de l’unité de la nation, garant de la pérennité et de la continuité de l’État, veille au respect de l’Islam et de la constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivité. Il garantit l’indépendance de la Nation et l’intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques.

Bien que cet article représentera la cible préférée des militants au profit d’une désacralisationP102F

103

P de l’appareil du pouvoir au Maroc, il persistera à travers toutes les

modifications constitutionnelles que va subir la constitution de 1962 passant même à travers l’examen difficile du Printemps arabe et de la réforme constitutionnelle qui en a découlé en 2011. Ainsi, nonobstant un déplacement numérique de 19 à 41, l’article désignant le roi du Maroc commandeur des croyants persistera et sera même renforcé dans la nouvelle constitution de 2011. L’article 41 de la constitution de 2011 définit le rôle du roi comme suit :

Le Roi, Amir Al-Mouminine, veille au respect de l’Islam. Il est le Garant du libre exercice des cultes. Il préside le Conseil supérieur des ulémas, chargés de l’étude des questions qu’il lui soumet. Le Conseil est la seule instance habilitée à prononcer les consultations religieuses (Fatwas) officiellement agréées, sur les questions dont il est saisi, et ce, sur la base des principes, préceptes et desseins tolérants de l’Islam. Les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement du Conseil sont fixées par dahir.

Selon l’analyse d’Abdessamad Belhaj >2006@, l’usage de ce titre du commandeur des croyants dans le champ du politique donne lieu à deux fonctions : l’une inclusive, l’autre exclusive. « La fonction inclusive est mise en œuvre dans le discours paternaliste du sultan

102 Article 23 de la constitution de 1962 : « La personne du Roi est inviolable et sacrée ».

103 Nous parlons ici d’une tendance élitiste incarnée par des organisations de la société civile et de partis de la gauche. Nous y reviendrons la deuxième partie de cette thèse.

166 qui rappelle sans cesse qu’il est la seule référence de la nation marocaine » (p. 124). Ainsi, à travers son titre de commandeur des croyants, le roi « se situe au-delà des conflits, des enjeux politiques et des différences ethniques, sociales ou autres qui traversent la nation » (ibid.).Un statut qui « lui permet, en temps de réconciliation, de s’ériger en haute instance de pardon. En temps de crise ou de mobilisation, il se présente en chef musulman guidant tous les sujets contre les ennemis, intérieurs ou extérieurs » (ibid.). Pour ce qui est de la fonction exclusive, elle « se manifeste par le monopole de l’autorité religieuse qui empêche l’accès des islamistes ou de tout autre opposant au pouvoir politique, à moins qu’ils ne reconnaissent l’autorité du sultan » (ibid.). Le roi utilise ainsi ce titre « dans les situations de contestation intérieure pour appeler à éviter la fitna >la discorde@, synonyme d’exclusion de la communauté, voire de répression extrême » (ibid.). Par conséquent, explique Belhaj, « nul ne peut accéder au jeu politique marocain, fût-il limité, sans reconnaître le statut (du commandeur des croyants), d’où les débats récurrents autour de cette question entre les islamistes et le Makhzen » (ibid.). Mais de quelle source provient la force religieuse de ce titre?

La légitimation de ce statut passe principalement à travers le rite de la bay‘a (l’allégeance)P103F

104

P qui a lieu lors de l’intronisation du nouveau monarque et se répète ensuite

chaque année dans le cadre de la fête du trôneP104 F

105

P

. Il s’agit en fait d’« un rite de soumission célébré annuellement et un acte solennel, consentant et reconnaissant la légitimité du pouvoir royal ou marquant l’adhésion à l’autorité d’un nouveau monarque » (Bennani >1986@, pp. 48-62). Sur le plan religieux, la bay’a s’appuie sur un verset coranique bien déterminé :

Ceux qui te prêtent serment d’allégeance ne font que prêter serment à Dieu : la main de Dieu est au-dessus de leurs mains. Quiconque viole le serment, ne le

104 Le rite de la bay’a a une signification anthropologique incontestable. Le registre anthropologique suggère que l’aspect mystérieux et surnaturel des monarques dans les sociétés de base atteint son paroxysme lors de la succession du pouvoir et par le biais des rituels d’intronisation du nouveau souverain. Dans son ouvrage Socio-anthropologie des religions >1993@, Claude Rivière estime que « ces rituels rappellent l’origine sacrée du pouvoir et renouvellent l’appui du pouvoir sur le sacré et le remontent symboliquement à ses origines>…@ tout en accentuant la distance entre le souverain et le peuple » (>1977@, p.174).

105 Les rites de La bay'a suivent un protocole très strict. Le roi, enveloppé d'une tunique dorée, parade sur un cheval, protégé par sa garde personnelle, sous une ombrelle. Les dignitaires (les notables qui représentent les différentes régions du pays, des élus et des grands fonctionnaires de l’État) se présentent devant le roi et se prosternent devant lui en saluant bruyamment son statut, avant de se retirer avec déférence.

167 viole qu’à son propre détriment; et quiconque remplit son engagement envers Dieu, il lui apportera bientôt une énorme récompenseP105F

106

P.

Bien que ce verset incarne une historicité bien définie renvoyant à un incident déterminé de la biographie prophétique (l’interlocuteur dans ce verset est le prophète)P106 F

107

P, il sera

instrumentalisé par des individus et des groupes qui en font la référence ultime et des plus efficaces lorsqu’il s’agit de sacraliser un pouvoir en l’associant au divin.

Dans son fameux ouvrage intitulé Al-mouqaddima (L’introduction), Ibn Khaldoun (1332- 1406), historien et figure emblématique de la pensée politique arabo-musulmane classique, présente la bay‘a comme un engagement à l’obéissance d’un sujet appelé le moubayi’ (celui qui prête allégeance), à l’égard d’un prince qui s’appelle amir. Par cet engagement, le

moubayi’ confie la gestion des affaires politiques et religieuses à l’amir (Tozy >1999@, p. 39). Le contenu de cet engagement dans le contexte marocain se manifeste, comme l’explique Mouhcine Elahmadi dans son ouvrage intitulé La Monarchie et l’Islam >2005@, par « l’obéissance et la soumission au calife contre l’assurance de la sécurité, la défense de l’Islam, le soutien des faibles ainsi que la garantie de la vie, des biens et l’honneur des sujets marocain »PP(p. 70). Dans le but d’illustrer l’exercice de la bay’a (l’allégeance) dans

le champ politico-religieux, nous trouvons important de nous attarder sur ce document comportant un texte signé par des représentants et des notables de la région de Oued Eddahab (sud du Maroc) et présenté au roi Hassan II en guise d’acte de Bay’a :

Louange à Dieu qui a fait du Calife un facteur d’ordre dans les domaines spirituels et temporels, l’a placé au degré suprême de la hiérarchie des magistratures et lui a assigné pour finalité la sauvegarde de la vie, des biens et de l’honneur des hommes ainsi que la prévention des méfaits que les puissants seraient tentés de commettre. >…@ Nous (représentants des tribus) attestons qu’il n’y a d’autre divinité que Lui, qu’Il dispose de la plénitude du pouvoir de la sagesse et de la libre initiative, décide sans recours, donne le pouvoir à qui Il veut […@ Nous attestons aussi que notre seigneur Prophète et maître Muhammad est son serviteur et son envoyé, qui nous a enseigné les actions recommandables et les règles impératives selon la religion et a dit : si vous passez à côté d’un territoire où n’existe aucune autorité légitime, n’y pénétrez pas, car le détenteur du pouvoir légitime est l’ombre de Dieu et son bras séculier sur terre, affirmant aussi que celui qui meurt sans être lié par un

106 Coran, sourate. 48, verset. 10.

" َﻦﯾِﺬﱠﻟا ﱠنِإ ِﮫِﺴْﻔَﻧ ﻰَﻠَﻋ ُﺚُﻜﻨَﯾ ﺎَﻤﱠﻧِﺈَﻓ َﺚَﻜﱠﻧ ﻦَﻤَﻓ ْﻢِﮭﯾِﺪْﯾَأ َقْﻮَﻓ ِ ﱠﷲ ُﺪَﯾ َ ﱠﷲ َنﻮُﻌِﯾﺎَﺒُﯾ ﺎَﻤﱠﻧِإ َﻚَﻧﻮُﻌِﯾﺎَﺒُﯾ ﺎًﻤﯿِﻈَﻋ اًﺮ ْﺟَأ ِﮫﯿِﺗْﺆُﯿَﺴَﻓ َ ﱠﷲ ُﮫْﯿَﻠَﻋ َﺪَھﺎَﻋ ﺎَﻤِﺑ ﻰَﻓْوَأ ْﻦَﻣَو " . ةرﻮﺳ . ﺢﺘﻔﻟا . ﺔﯾآ 10 . 107 Ce Verset est en lien avec la bay’a d’al-‘aqaba.

168 serment d’allégeance à une autorité légitime meurt en païen […@. Ceci dit il est établi et connu, tant de spécialistes que du commun des mortels, que Dieu possède la plénitude de la sagesse et comble ses créatures de bienfaits; or c’est par une manifestation de sa sagesse que Dieu >…@ a confié la direction de ce monde aux sultans, rois et califes qui servent de guides et assurent à la perfection l’ordre et la paix dans les voies, veillent à la sécurité des routes >…@. Nous, tribus des Ouled Dlim, Rguibât, Aît Lahcen >…@, habitants de Oued ed- dahab qui comptons au nombre des tribus qui connaissent le plus les nobles qualités du roi >…@ avons décidé d’un accord commun, sans faille et à une unanimité telle qu’elle exclut toute erreur, de renouveler à l’Amir al-muminîn notre serment d’allégeance >…@ dont l’objet est le même que celui du serment prêté au Prophète par ses compagnons sous l’arbre béni (Chajarat ar-ridhouân), reconnaissant par là même son autorité, nous engageant à lui être toujours obéissants et loyalement dévoués (cité par Tozy >1980@, p, 221).

L’œuvre d’Ibn Khaldoun montre d’une manière saisissante que l’acte de la bay’a nécessite deux protagonistes à savoir un moubayi’ (celui qui prête allégeance) et un amir moubaya’ (prince à qui cette allégeance s’adresse). La réponse du roi Hassan II au texte d’allégeance des représentants et notables de la région d’Oued Eddahab représente la deuxième facette de cet acte :

Nous venons de recevoir en ce jour béni, votre serment d’allégeance, que nous préservons précieusement, comme un dépôt sacré. Désormais vous vous devez d’honorer ce serment. De notre côté, nous nous faisons un devoir de garantir votre défense et votre sécurité et d’œuvrer sans relâche pour votre bien-être. Dieu a dit dans son Livre Saint « Ceux qui te prêtent serment d’allégeance, le prêtent plutôt à Dieu, la main de Dieu est au-dessus des leurs. Quiconque viole son serment, le fait plutôt à son détriment. Quiconque reste fidèle à l’engagement qu’il a pris envers Dieu, recevra de celui-ci une immense rétribution (ibid.).

L’impact de l’adoption de ce rite dans la vie constitutionnelle de ce pays est très explicite. Ainsi, comme le précise Abdessamad Belhaj ce rite « a permis de réduire la place du droit positif et d’en faire la simple mise en forme institutionnelle d’une légitimité historique. Ainsi, lors de la bay’a, les représentants de la communauté ne font pas allégeance à un chef d’État, mais à un calife, personne à la fois réelle et mythique » (Belhaj, p. 127). Dans cette perspective, Mohamed Tozy estime que l’élément significatif de l’allégeance consiste en ce qu’elle “est faite non pas au pouvoir central en tant que structure organisée et anonyme selon le modèle constitutionnel occidental, mais à un calife personnifié dans le roi actuel » (Tozy >1980@, p. 221). Cette énigme implique selon l’analyse de Tozy, trois conséquences

169 majeures : premièrement, « une application extensive du pouvoir califal : le calife n’est pas seulement le détenteur du pouvoir exécutif, il détient aussi le pouvoir de contrôle du législatif; plus même que cela, il transcende toute séparation des pouvoirs » (ibid.); deuxièmement, une « faillite du discours constitutionnel qui fait du principe de la séparation des pouvoirs, comme de celui du roi arbitre, la clé de voûte de tout son raisonnement » (ibid.), et; troisièmement, une minimisation de « la légitimité contractuelle » (ibid.) entre la monarchie et le peuple.

Ainsi, au bout d’une dizaine d’années seulement du règne d’Hassan II au Maroc, la cartographie politico-religieuse du Maroc, ne semblait pas comporter ce qui pouvait menacer la persistance de la monarchie et son pouvoir absolu. Étant rassuré sur la loyauté de hizb l’istiqlal (le parti de l’indépendance) et quelques autres partis qui ont été créés à l’initiative du palais lui-même pour fragmenter le paysage politique et faciliter sa maîtrise, le régime d’Hassan II se concentre davantage sur la répression de la gaucheP107F

108

P. Le chef de

l’Union Nationale des Forces populaires (principal parti de gauche des années soixante) Mahdi Ben Barka est enlevé et assassiné à Paris dans le cadre d’un coup orchestré par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Mohamed OfqirP108F

109

P.

La gauche est de plus en plus affaiblie sous l’effet de la répression et des fragmentations continues de ces cadres institutionnels. Les coups d’État militaires réussissent partout dans le monde arabe, mais pas au Maroc. Hassan II sortira sain et sauf de deux coups d’État (1970/1971) dont l’un avait été planifié par son ministre le plus proche et son homme de main chargés des basses besognes, Mohamed Ofqir. Le roi est maître du jeu, sa légitimité politique, historique et surtout religieuse n’est contestée que par des organismes marginalisés au sein des classes populaires. Les leaders de ces groupuscules sont soit emprisonnés soit exilés. Ce sont des organismes d’extrême gauche tels que, En-Avant et 23

108 L’histoire de la gauche marocaine remonte aux années 1940, date d’instauration d’une branche marocaine du parti Communiste français. Après l’indépendance du Maroc en 1956 sa branche marocaine obtiendra son indépendance vis-à-vis du PC français, et ce sous le leadership d’un certain Ali Yaata. Il serait toutefois contraint à se faire baptiser en Parti du progrès et du socialisme pour se faire une place dans la sphère politique orchestrée par le Commandeur des croyants. La gauche marocaine connaitra une expansion considérable dans les années 1960 et 1970. Une scission au sein de Parti de l’Istiqlal donnera naissance à l’Union Nationale des Forces populaires en 1959. Le nouveau parti connaitra lui aussi une scission en 1977 qui donnera au grand parti de la gauche marocaine l’Union Socialiste des Forces Populaire. Par ailleurs, les années 60 et 70 furent surtout marquées par l’instauration de petits groupuscules de l’extrême gauche dont la plus fameuse fut Ila Al-Amam (En-avant) créé et dirigé par Abraham Sarfati.

109 L’implication personnelle d’Ofqir fut prouvée par la justice française. Il a même été jugé en son absence par un tribunal français.

170 mars. Toutefois, de nouveaux acteurs à la fois politiques et religieux apparaîtront à la fin des années soixante et changeront catégoriquement le paysage au sein des champs religieux et politique. La thèse d’une exception marocaine qui a évité au pays du commandeur des croyants l’arrivée de la vague islamiste a traversé les pays de l’Orient depuis les années 20, ne tient plus la route.

En 1969, Abdelkrim Mouti’ fonde le Mouvement de la jeunesse islamique (la Chabiba). Quelques années plus tard (1973), un certain Abdeslam Yassin (prochain fondateur et chef du Groupe Équité et Bel-Agir) adresse une lettre au roi Hassan II l’incitant à se repentir et à installer un régime islamique au Maroc (Yassine >1973@). Après des années de cohabitation pacifique et de méfiance dans la reconnaissance de la loi, la Chabiba d’Abdelkrim Mouti’ change de stratégie et commence à s’attaquer aux militants de gauche dans un premier temps. Toutefois, vers la fin des années soixante-dix, le mouvement manifeste un objectif fort clair, fonder un État islamique au Maroc. Par conséquent, la légitimité religieuse censée être définitivement liquidée en faveur de la monarchie fait un retour spectaculaire sur le terrain de jeu. Le champ religieux marocain semble reprendre son aspect historique qui se caractérisait par des acteurs en mode continu de compétition.

L’émergence de l’islamisme au pays du commandeur des croyants n’était pas sans prix : la nature du régime politique au Maroc implique que la mission des islamistes marocains serait davantage complexe comparé à celle de leurs homologues des autres pays musulmans dont les régimes politiques ne revendiquent pas une légitimité religieuse. En fait, la contradiction issue de la volonté d’islamiser ce qui se proclame déjà comme étant islamique causera chez ces islamistes une sorte de secousse sismique. Cette crise remet en question non seulement les modes d’organisations et d’actions de ceux-ci, mais l’utilité de leur émergence sur la scène politique d’un pays dont le chef d’État se proclame comme

amir al-mouminine (commandeur des croyants)P109F

110

P. Ainsi, comme le mentionne Bruno