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C HAPITRE I A U PAYS DU COMMANDEUR DES

II. L E M AROC COLONIAL (1912-1956)

II.1. La politique musulmane de Lyautey

À la veille de la signature du traité du protectorat en 1912, le Maroc ne représentait plus l’inconnu qu’il avait été pendant les siècles antérieurs. L’administration française disposait d’une importante connaissance scientifique (anthropologique, historique, ethnologique,

145 sociologique, religieuse…) rassemblée par ce qu’on l’appelait « les organes scientifiques du protectorat », des centres et instituts scientifiques qui ouvraient sous la tutelle de la Direction des Affaires indigènes et du Service des Renseignements Français au Maroc. Les plus notables de ces organes furent la Mission scientifique, qui deviendra la Section sociologiqueP85 F

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P, la Section HistoriqueP86F

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P et l’Institut des Hautes Études marocainesP87F

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P.

Du côté des figures dominantes, ce contexte scientifique fort approfondi permettra l’émergence de spécialistes renommés se rapprochant de ce qu’il était convenu d’appeler le vieux Maroc. Certains parmi ceux-ci influencèrent directement la politique coloniale dans

86 La Mission scientifique du Maroc a été fondée en 1904 par M. A. Le Chatelier, professeur au Collège de France, d’abord à ses frais, puis avec une subvention du ministère de l’Instruction publique. La Mission produisait, à son origine, une seule publication : Les Archives marocaines. En 1906, M. Le Chatelier y ajouta la Revue du monde musulman. En 1914, avec l’accord du gouvernement du protectorat, une troisième publication fut entreprise en collaboration avec la direction des Affaires indigènes et du Service des renseignements, sous le nom de Villes et tribus du Maroc. Il s’agissait de grouper, dans une publication spéciale, des monographies de villes et de tribus analogues à celles qui avaient déjà paru dans les Archives marocaines. Pour cette nouvelle publication, le travail de la Mission est largement facilité par les rapports et les documents communiqués par le Service des renseignements et par la possibilité accordée aux membres de la Mission d’aller recueillir sur place des compléments de documentation. Mais la suppression de la subvention du ministère de l’Instruction publique aurait mis en péril l’existence même de cette Mission, si le protectorat n’avait pris en charge la partie qui l’intéressait au plus haut degré et qui correspondait à la publication des Archives marocaines et de Villes et tribus du Maroc. (Site du ministère des affaires étrangères en France :

http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/spip. php?page=article_imprim&id_article=33423; consulté le 25 mars 2013).

87 L’arrêté viziriel du 13 septembre 1919 proclame que « la Section historique a pour mission de rechercher dans les archives et bibliothèques de France et de l’Étranger, tous documents intéressant l’histoire du Maroc, de les transmettre et de les publier » (art. 2) et que « le lieutenant-colonel de Castries, conseiller historique du gouvernement chérifien, est chargé de la direction de la section » (art. 4). Ainsi la Section historique s’occupe-t-elle plus particulièrement des archives européennes, tandis que "la Mission scientifique cherche au Maroc même les matériaux de ses études de politique indigène", remarque le général Maurial. Toutefois ces deux organes participent de concert, selon le lieutenant-colonel de Castries, dans une lettre du 22 avril 1918, au travail historique sur le Maroc, qui recourt à une triple documentation. La première, la documentation fournie par les historiens arabes, incombe à la Mission scientifique sous la forme de publication de traductions des ouvrages arabes. La Section historique, quant à elle, s’attache à la seconde, la documentation des pièces d’archives. Le lieutenant-colonel de Castries s’y est employé dans son ouvrage, les Sources inédites de l’histoire du Maroc. Enfin, la documentation fournie par la tradition orale est la tâche des officiers de renseignements et des fonctionnaires du contrôle, en établissant des monographies de tribu, des biographies de famille (ibid.).

88 L’Institut des hautes études marocaines, à Rabat, selon l’arrêté viziriel du 11 février 1920, a « pour objet de provoquer et d’encourager les recherches scientifiques relatives au Maroc, de les coordonner et d’en centraliser les résultats ». G. Hardy, alors directeur de l’enseignement, précise, dans son discours d’inauguration du premier congrès de l’IHEM, son rôle : « mettre en relation tous ceux qui s’occupent de science marocaine, éclairer par tous les moyens possibles les différentes voies qui conduisent à la connaissance du pays et de ses habitants, encourager les initiatives intéressantes, coordonner les efforts et donner, sans les imposer le moins du monde, des indications de méthode qui permettront d’obtenir des résultats plus fructueux et plus rapides ». Mais avant d’éclairer les voies futures de la connaissance, il convient de projeter quelques lumières sur les chemins parcourus jusqu’alors. C’est pourquoi ce premier congrès consiste en un bilan des connaissances accumulées sur le Maroc dans tous les domaines. Les membres de l’IHEM sont groupés en sections d’études selon leur spécialité. Des cours publics, comme le cours de perfectionnement des officiers de renseignements et des contrôleurs civils, des conférences peuvent être organisés sous le patronage de l’Institut. (ibid.).

146 le pays. Ils occupaient le rôle de conseillers des résidents généraux français au Maroc, en particulier pendant la période antérieure à 1930, qui allait servir de socle pour la suite des évènements. Les figures les plus en vue furent Édouard Michaux-BellaireP88F

89 P et Robert MontagneP89F 90 P .

À cette importante connaissance des fondements anthropologiques et sociologiques du Maroc précolonial, élaborée par les artisans de la facette culturelle du régime du protectorat, s’ajoute un élément d’une importance capitale pour la politique religieuse de ce régime. Il s’agit de la personnalité du premier résident général au Maroc, le Maréchal Lyautey. « Décrit comme le père de l’État marocain moderne » (cité dans : Zamane, février 2013), celui-ci laissa « une trace indélébile sur un pays qu’il dirige de 1912 à 1925 » (ibid.). Que ce soit pour la France ou le Maroc de cette époque, l’importance de la personnalité et de l’œuvre de Lyautey est sans égale. Ainsi, explique l’historien Pierre Vermeren dans un article intitulé Lyautey, le « Marocain » >2006@, en Lyautey, « la France désire absoudre sa brutalité coloniale, ainsi que le regard hautain qu’elle porta sur les “indigènes”. Quant au Maroc, il trouve en cet homme la preuve du caractère unique de son destin, tandis que ses élites s’honorent d’avoir reçu tant de puissance et de dignité des mains de ce conservateur

89 Édouard Michaux-Bellaire est arrivé au Maroc en 1884. Il a vécu à Tanger jusqu’en 1925. Il a tenu à poursuivre le travail scientifique commencé en 1901 par « la mission du Buchet » en effectuant des études archéologiques à Tanger et dans la région.

« Michaux-Bellaire a occupé plusieurs fonctions pendant le protectorat. Il a été directeur des affaires indigènes et chef du service des renseignements à Rabat. Il a également occupé le poste de chef de la section de la sociologie musulmane. Cet érudit a réalisé par ailleurs de nombreux travaux qui avaient pour but de faire connaître la religion musulmane, les confréries religieuses et la société marocaine. Pendant son séjour à Tanger, Michaux-Bellaire recueille des informations historiques et sociologiques sur la ville du détroit. En 1921, il publie Tanger et sa zone. Dans ce volume VII de la série Villes et tribus du Maroc, l’auteur fournit de précieuses informations sur la zone de Tanger : l’histoire de la ville, l’origine des grandes familles tangéroises, les pratiques religieuses des indigènes, les principaux gouverneurs de la cité, le système économique en vigueur, le fonctionnement de l’administration locale. Ce volume est sans nul doute le document le plus complet sur le Tanger d’avant l’instauration du régime international. En reconnaissant l’œuvre du doyen de la colonie française au Maroc, les autorités coloniales lui ont décerné le titre de Commandeur de la Légion d’Honneur. Édouard Michaux Bellaire est mort le 15 mai 1930 à Rabat, il a laissé une œuvre considérable sur le Maroc » (EL KOUCHE >1996@, p. 95).

90 « Ancien officier de la marine, versé dans l’aéronavale après la guerre de 1914-1918, Robert Montagne fut amené à effectuer des relevés topographiques au Maroc. Remarqué par Lyautey, dont il devint le conseiller, notamment pour les questions tribales, il joua un rôle dans la reddition d’Abdelkrim et réalisa des études ethnologiques sur les populations marocaines. Maître de conférences à l’Institut des hautes études marocaines de 1924 à 1930, il achèvera en 1930 une thèse d’anthropologie politique : Les Berbères et le Makhzen dans le

Sud du Maroc, qui sera publiée dans la série des travaux de L’Année sociologique et sera la source d’une

production scientifique très riche et soutenue jusqu’à la mort de son auteur, en 1954. Robert Montagne a exercé de multiples fonctions à la tête d’institutions administratives mais également scientifiques : bureaux des Affaires indigènes, Institut français des études arabes de Damas (IFEAD), Centre des hautes études d’administration musulmane (CHEAM), qu’il a fondé en 1936 et dirigé jusqu’à sa mort ». (Site du ministère des affaires étrangères en France : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/spip. php?page=article_imprim&id_article=33423; consulté le 25 mars 2013).

147 émérite » (Cité dans : Le journal, mai, 2006). Le Maréchal Lyautey, explique Rivet, comprenait « les institutions, les rouages, les hommes et bâtit une politique à même de les sauvegarder »P P(Zamane, février 2013). Son œuvre au Maroc colonial se manifesta par ce

que l’on appelle « la politique musulmane ».

Il importe de souligner que cette politique incarne une traduction pertinente du contenu du traité du protectorat dont le premier article présente ce régime comme étant le gardien de la religion et de la tradition au Maroc : « Ce régime sauvegardera la situation religieuse, le respect et le prestige traditionnel du sultan, l’exercice de la religion musulmane et des institutions religieuses, notamment celles des Habous » (Belal, p. 47). Ainsi, tel que l’explique Lyautey lui-même, sa politique musulmane au Maroc consistait à « utiliser les institutions traditionnelles, les soumettre à notre contrôle, sans affaiblir leur prestige, et les animer de notre impulsion sans altérer leur caractère » (ibid.). L’importance de cette politique pour le maintien du contrôle du Maroc de la part du régime du protectorat s’avère incontestable. Lyautey écrit en 1915, « Je n’ai tenu le Maroc jusqu’ici que par ma politique musulmane, je suis sûr qu’elle est la bonne et je demande instamment que personne ne vienne gâcher mon jeu »P P(ibid.). Pourtant, si la politique musulmane de Lyautey a

considérablement réussi à préserver les institutions religieuses du Maroc précolonial, elle ne pourra garantir la persistance des mêmes rapports de force entre ces institutions ni empêcher l’émergence de nouveaux acteurs religieux ou politique. La présence française au Maroc entraîna la formulation d’un nationalisme marocain imprégné toutefois de religieux qui mena avec beaucoup d’efficacité à la bataille de l’indépendance : La salafiyya (le salafisme).

II.2. Le salafisme

Qu’est-ce que le salafisme marocain? Quel rôle allait-il jouer dans la décolonisation du Maroc? Et quelle place allait-il occuper au sein de la structure de la représentation religieuse et politique au sein de la société marocaine de l’époque? Au niveau linguistique, le terme salafiyya (salafisme) dérive de celui de salaf qui signifie « les ancêtres ». Pour les courants les plus orthodoxes du salafisme, la signification du mot salaf s’arrête aux trois premières générations de l’histoire de l’islam, à savoir la génération des sahaba (les compagnons du prophète), la génération des tabi’oun (les successeurs), et celle des tabi’ou

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at-tabi’oun (les successeurs des successeurs). Selon cette signification, le salafisme incarne

un appel d’un retour inconditionnel aux origines de l’islam et à son corpus sacré tel qu’il est compris dans le Coran et la Sunna et tel qu’il a été reçu et exprimé par les trois premières générations de « l’âge d’or de l’islam » (Falah Alaoui >1994@, p. 9). Or, ce terme de « salafiyya » (salafisme) couvre en réalité une signification très large et fluide à tel point qu’on l’utilise pour mentionner « un ensemble de réformes religieuses de l’islam, dont les interprétations varient selon les moments historiques et les acteurs qui s’en emparent » (Zeghal >2005@, p. 50). Les expressions les plus notables de ces réformes renvoient à deux contextes totalement différents. Alors que la première, le salafisme wahhabiteP90F

91

P remontent

à l’Arabie du XVIIP

e

P siècle, la seconde réforme, qui nous intéresse de plus près, est plutôt de

caractère récent. Elle correspond à l’école du réformisme salafiste d’Afghani et de Mohamed Abdou qui a atteint son paroxysme en Égypte de la fin du XIXP

e

P et au début du

XXe siècle.

Bien qu’étant extrêmement périphérique par rapport aux sources des deux écoles (l’Arabie saoudite et l’Égypte) et totalement imprégné par la culture soufie qui représente l’ennemi juré des salafistes, le Maroc ne restera pas à l’abri de l’influence du mouvement salafiste que ce soit dans sa version wahhabite ou réformiste. Les sources historiques rapportent même que l’un des sultans alaouites, Moulay Souleymane (1766-1822) avait tenté, mais sans succès considérable, d’instaurer le salafisme wahhabite au Maroc et qu’il avait même entamé à ce sujet des correspondances avec Saoud le roi de l’Arabie (Hammada >2009@, p. 18). Pourtant, le wahhabisme ne parviendra pas à déconstruire le Moroccan islam et ses gardiens les plus ultimes, les oulémas et les zaouïas. Par contre, si les tentatives d’introduire le salafisme wahhabite au Maroc furent un échec presque total, le réformisme salafiste dans sa version égyptienne du début du XXP

e

P siècle, connut un sort différent au

Maroc de même que dans les autres pays du Maghreb. Cette école obtint un succès considérable lorsqu’elle se combina au nationalisme marocain, algérien et tunisien dans sa

91 Ibn Abdelwahhab, le fondateur de la doctrine salafiste wahhabite, poussera la littérature d’Ibn Hanbal et d’Ibn Taymiyya jusqu’à son extrémité. Ainsi et à l’instar des positions de rejet adoptées par Ibn Hanbal vis-à- vis de la pensée libre des mutazilites, Ibn Abdelwahhab refusera l’idée de l’autonomie de la raison par rapport à la foi, élaborée par les penseurs musulmans du Moyen-Âge, au nom d’un retour inconditionnel aux préceptes originaux inscrits dans les textes saints de l’Islam91. La doctrine wahhabite insiste, explique Olivier Roy dans son ouvrage Généalogie de l’islamisme >1995@ « avant tout sur l’unicité de Dieu, refuse le principe d’intercession des saints très présent dans le soufisme et l’Islam populaire… Déclare infidèles et (non seulement pécheurs) les musulmans qui ne se conduisent pas strictement selon les canons du pur Islam » (p. 36).

149 lutte pour l’indépendance de ces pays de la colonisation française donnant ainsi naissance à un mouvement islamo-nationaliste propre à ces pays.

Dans le cas du Maroc, cette rencontre entre le nationalisme marocain et le réformisme salafisme se fit de deux manières. Tout d’abord, à travers quelques lettrés marocains, tels qu’Abou Chou’ayb Doukkali, qui séjourna en Égypte durant la phase de l’expansion de l’école réformiste salafiste (ibid.). Cet intellectuel marocain qui avait étudié à l’Université al-Azhar du Caire et suivi les cours de l’exégèse coranique sous l’égide de Mohamed Abdou exerça une influence considérable sur les élites de la première génération du mouvement national dont l’icône fut un certain Allal Al-Fassi. Ensuite se produisit une rencontre directe avec les grandes figures de cette école qui parcoururent les pays Maghreb pour prêcher leurs idéaux. Bruno Étienne situe ce fait au centre du contexte de l’émergence du nationalisme salafiste aux pays du Maghreb. Ainsi, explique-t-il :

De nombreux savants réformistes ont parcouru tout le monde arabe au début du XXP

e

P siècle. Depuis Jamal al-Din al-Afghani qui vint même à Paris débattre de

la modernité de l’Islam avec un Renan méprisant, jusqu’à Rachid Rida ou Mohammad Abdou qui parcourut le Maghreb, pour prêcher la bonne parole moderne dans les mosquées. Les mouvements réformistes se développèrent alors en Algérie, en Tunisie, au Maroc et surtout en Égypte sous l’égide de grandes personnalités à la fois religieuses et politiques. Au Maghreb, occupés par les Français, des Sheikhs comme Taalbi, al-Wazzani, Ben Badis et d’autres moins connus créèrent alors les associations des Oulémas. (Étienne >2003@, p. 53-54).

Pour nous resituer dans le contexte marocain, il nous faudra aborder le personnage d’Allal Al-Fassi. Le profil et le parcours de cette figure importante dans l’histoire du Maroc contemporain résument parfaitement la réception et le sort de l’héritage du réformisme salafiste au Maroc. Un ouvrage collectif dédié aux penseurs maghrébins contemporains (Filali Ansari, Tozy >2003@) présente ainsi le parcours personnel et intellectuel d’Allal Al- Fassi comme suit :

Mohamed Alla El-Fassi est né en 1910 à Fès (Maroc) d’une famille qui a produit des théologiens célèbres, maîtres de l’Université Al-Qarawiyyine où le jeune homme fera ses études. En plus de son activité d’enseignant. Alla Al- Fassi mènera une intense activité politique et d’éducation à caractère nationaliste ce qui lui a valu la répression des autorités coloniales, la prison et l’exil. Il fut l’un des principaux dirigeants du mouvement de lutte pour l’indépendance du Maroc. Universitaire, ministre, chef d’un parti politique, ‘alim ou journaliste… Allal Al-Fassi est une figure centrale de l’histoire du

150 Maroc moderne. Il mourut le 13 mai 1974. Son œuvre est constituée de plus de soixante titres rassemblant des ouvrages, des articles et des textes politiques. La pensée de Allal Al-Fassi le « alem réformateur de l’islam et le militant nationaliste, se déploie dans deux principales directions : une analyse historique qui propose une explication des causes du déclin de l’Islam, une tentative d’élaboration d’un projet de société qui s’inspire de la charia. Allal Al-Fassi l’intellectuel et le militant nationaliste réagit aux thèses de l’historiographie coloniale, il affirme la vigueur de la personnalité maghrébine et rejette l’idée selon laquelle l’islam serait la principale cause du déclin des sociétés musulmanes. L’Islam authentique soutient-il, ne peut être que source de liberté et de progrès et non de déclin. C’est parce que le véritable esprit de l’islam a été dénaturé pour des raisons propres aux sociétés musulmanes et à cause des interventions extérieures que les musulmans ont régressé et se sont éloignés de l’esprit de la charia. De par sa provenance divine et son attachement à la justice absolue, celle-ci, soutient-il, a une portée universelle qui transcende le lieu et le temps. La charia ne peut être dissociée des principes de l’ijtihad et de la choura qui, mis en œuvre par la communauté des musulmans, permettent de lutter contre l’absolutisme politique et l’obscurantisme et d’évoluer dans le progrès et la liberté. La charia favorise, pense-t-il, l’instauration d’un modèle de société qui est de loin supérieur à tous les autres : le modèle islamique. Les idées réformistes d’Allal Al-Fassi s’inscrivent dans la ligne du mouvement réformateur inspirée par les penseurs orientaux, Al-Afghani, Mohamed Abdou et Rachid Rida : La salafiyyaPP(Benaddi >2003@, pp. 12-13).

Cette chronique qui résume brièvement la biographie et l’œuvre de Allal Al-Fassi, et à travers lui celle du salafisme marocain, témoigne d’une rupture profonde avec la logique interne du champ religieux marocain tel qu’il a été hérité de l’époque précoloniale, rupture ciblant à la fois l’institution des zaouïas et celle des oulémas. Ainsi, explique Youssef Belal dans Le chikh et le Calife >2012@, Allal Al-Fassi « s’est retrouvé très tôt en rupture avec une composante importante de l’identité religieuse marocaine. Non seulement il ne se revendique pas le soufisme, mais il le rejette sans hésitation. Bien que nombre de tenants de l’islam scripturaire aient appartenu à des confréries, Allal Al-Fassi les condamne » (pp. 26- 27). Pour lui, « la soumission absolue de l’adepte à son maître et la croyance aux miracles (kârâmat) du chikh et sa baraka sont contraires au principe de l’unicité divine et incompatibles avec la revendication de l’indépendance, la jouissance de la liberté et