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P REMIÈRE PARTIE

III. L ES PARTIS ISLAMISTES CHIITES : DÉFENDRE LA COMMUNAUTÉ

IV.1. Parti de la justice et du développement en Turquie (Adalet ve Kalkinma

Partisi, (AKP))

Tel que nous l’avons mentionné dans la section que nous avons consacrée aux partis islamistes turcs, la dernière scission au sein du groupe Erbakan donne naissance à deux nouvelles organisations (partis) islamistes. Le vieux leader Erbakan et ses alliés les plus radicaux et dogmatiques se sont réorganisés dans le Parti de la félicité (Saadet Partisi SP). L’aile libérale du groupe lance également un nouveau parti, Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkinma Partisi, AKP). Derrière cette initiative il y a surtout Recep Tayyib Erdogan, celui qui deviendra la nouvelle grande figure de l’islamisme turc après son maitre Erbakan, et ce, à tel point qu’on ne pourrait parler de l’AKP indépendamment de la trajectoire personnelle d’Erdogan. Des observateurs de l’islamisme turc voient en lui un personnage controversé. Les contradictions entourant ce personnage entachent sérieusement l’image de son parti tant au niveau de la Turquie qu’au niveau de l’Europe.

En fait, explique Robert Ancieux, « Erdogan réussira à faire fonder autour de lui l’image du « musulman républicain » ou encore du « musulman libéral ». À la qualification de l’« islamiste modéré » qu’il récuse obstinément, il préfère celle de « démocrate conservateur » » (p. 38). Contrairement à son vieux maitre Erbakan, le chef de l’AKP participe régulièrement aux journées commémoratives de la fondation de la république laïque qui se déroulent devant la statue d’Atatürk. Pendant les années 1990, on le présentait comme un des innovateurs les plus notables du parti de la Prospérité. Parmi ses initiatives,

60 citons l’adoption d’une plateforme séculière qui visait à intégrer de nouveaux groupes sociaux au sein parti. Par ailleurs et depuis sa création, « l’AKP avait clairement pris ses distances avec le SP fondé par Necmettin Erbakan » (p. 39). Dans les documents du parti, « on ne trouve la moindre trace d’une référence, même indirecte, à la création d’un État islamique ni à l’implantation d’une quelconque disposition de la charia » (ibid.). Depuis son accès au gouvernement en 2002 (notons au passage qu’Erdogan ne sera nommé premier ministre qu’en 2003), le parti « introduisit le plus important paquet de réformes démocratiques conformément aux souhaits de l’Europe » (ibid.).

Pourtant, « nombre d’observateurs turcs et européens doutent de la sincérité de l’engagement de l’AKP et y voient une manœuvre pour affaiblir leurs adversaires et se mettre en position pour imposer, le temps venu, leur projet islamiste » (ibid.). Cette fixation des adversaires turcs de l’AKP et de ses détracteurs sur ses intentions non déclarées trouve sa justification dans le comportement du parti et de son chef. Ainsi, explique Ancieux, Erdogan « demeure un croyant rigoriste et puritain, attaché à la revitalisation d’un ordre moral patriarcal traditionnel qu’il considère comme l’expression la plus achevée de la conformité à l’éthique musulmane » (p. 42). Un des moments les plus retentissants de ce comportement fut le projet de loi que l’AKP tenta de faire voter en 2004, un projet qui visait à pénaliser l’adultère de la femme et qui suscita des réactions virulentes de la part des associations féministes en Turquie et ailleurs.

C’est cette figure controversée d’Erdogan et de son parti qui en fait une cible de l’establishment kémaliste laïque et militaire. Le 12 décembre 1997, avant même l’instauration de l’AKP, celui-ci parviendra à faire condamner le chef islamiste turc à dix mois de réclusion criminelle pour discours « visant à la provocation raciale et religieuse » (ibid.), une condamnation qui le rend inéligible à vie. Lorsque le parti, alors au pouvoir, entreprit de légiférer « en vue d’autoriser les femmes fonctionnaires et celles investies de fonctions politiques à porter le voile dans les bâtiments officiels, et les écoles publiques » (p. 43), ce même establishment tenta de destituer le parti et « pour menées anti-laïques » (ibid.). La tentative ne mènera nulle part cette fois-ci. L’AKP fut protégé par les bons résultats qu’il réalisa au scrutin de 2007. Un scrutin qu’il remporta avec 45 % des suffrages. En fait, explique Ancieux :

Prononcer la dissolution de l’AKP et frapper d’inéligibilité ses dirigeants, comme le suggéra l’action intentée auprès du Conseil constitutionnel, aurait

61 menacé la stabilité de l’État et ouvert une crise politique profonde. En outre, ce qui était considéré par beaucoup, à l’intérieur et à l’extérieur de la Turquie, comme un coup d’État judiciaire se heurtait aux réticences clairement exprimées de l’UE (ibid.).

Quoi qu’il en soit, l’hypothèse des intentions non déclarées demeure peu probable dans le cas de l’AKP. En fait, explique Ancieux, « l’une des caractéristiques les plus évidentes de la vie politique turque est la très grande volatilité de l’électorat, qui n’hésite pas à sanctionner durement, d’une élection à l’autre, les formations politiques qu’il avait portées au pouvoir et qui ont déçu ses attentes » (p. 41). Par conséquent, « toute tentative de mise en œuvre mobiliserait contre lui non seulement l’establishment kémaliste civil et militaire, mais aussi toute la population de sensibilité laïque, les alévis et sans doute une partie de la population sécularisée de sensibilité musulmane » (p. 42). Tout simplement, estime l’auteur, « de tous les partis, l’AKP, avec son programme électoral aux contenus essentiellement économique et social, a le mieux répondu aux aspirations d’une importante partie de la population » (p. 41). Pour conclure, l’AKP, avec son discours plus socioéconomique et ses résultats importants, demeure un modèle à suivre par toute la vague des partis de la justice et du développement.

V.

L

ES PARTIS SALAFISTES POST

-P

RINTEMPS ARABE

:

UN PRAGMATISME