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P REMIÈRE PARTIE

V. L ES PARTIS SALAFISTES POST P RINTEMPS ARABE : UN PRAGMATISME POLITIQUE SANS CADRE IDÉOLOGIQUE

Une remarque intéressante s’impose lorsqu’on parle de la vague des partis politiques d’idéologie salafiste. Le mouvement salafisme incarne à travers son histoire le courant islamique sunnite le moins intéressé au politique. Traditionnellement quiétistes et apolitiques, les salafistes ont toujours considéré le mode d’évolution des islamistes de la lignée des Frères musulmans vers des modes de négociation avec l’action politique moderne comme une déviation du chemin islamique justeP46F

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P. Par conséquent, le salafisme

serait le courant islamique qui révèle le plus grand niveau d’indifférence vis-à-vis des normes modernes de l’action politique telles que la démocratie et le multipartisme. Leurs cursus intellectuels ne témoignent d’aucune révision intellectuelle considérable à ce propos.

62 Curieusement, lors de la chute du régime égyptien, des groupes salafistes manifesteront un intérêt sans précédent vis-à-vis du politique. Le même constat découlera du contexte politique tunisien, mais avec moins d’ampleur. La tendance des partis salafistes incarne un produit propre au contexte du printemps arabe (à compter de décembre 2010). Le parti égyptien An-Nour demeure la figure de proue de ce courant.

V.1. Parti de la Lumière (Hizb An-Nour) en Égypte

Deux ans seulement depuis son instauration par un groupe salafiste égyptien Ad-Daawa As-

Salafiyya (la prédication salafiste), le parti An-Nour, la figure la plus médiatisée de la

vague des partis salafistes post-Printemps arabe ne cesse de surprendre les observateurs du contexte post-Printemps arabe par son pragmatisme politique. Il ira jusqu’à soutenir l’intervention militaire qui a mis fin au régime des Frères musulmans et appuyer la candidature de l’homme fort de l’institution militaire égyptienne aux élections présidentielles de 2014, le Maréchal Abdelfattah Sisi.

Ayant remporté 24 % des suffrages (107 de sièges du parlement égyptien) dans le premier scrutin législatif en Égypte, celui de 2011. Le parti An-Nour (la Lumière), allié à deux autres partis salafistes, rivalise de plus près avec les Frères musulmans (Hamzaoui, Brown >2012@, p-46-77), allant jusqu’à soutenir un islamiste dissident de la confrérie pour le premier tour de la présidentielle en mai 2012 (Abdel-Moun’im Abou Al-Foutouh) face à Mohamed Morsi, le candidat ikhwaniste officiel. Au dernier moment du deuxième tour qui a vu s’affronter le candidat des Frères Musulmans Mohamed Morsi et celui de l’institution militaire Ahmed Chafik, le parti rejoint le camp de Morsi. « Le succès de Mohamed Morsi s’est fait grâce à Dieu et au soutien du parti An-Nour >…@ Après l’élection, il y a eu des réunions entre nous et M. Morsi pour établir une coopération complète [entre nos deux formations politiques, NDLR] en vue des prochaines étapes ». Commenta, après la victoire des Frères musulmans, Ahmed Abdel-Ghafour, chef du parti An-Nour à cette époque (France 24, 11 juillet 2013).

Pourtant, la coalition momentanée entre le parti An-Nour et le groupe des Frères musulmans s’acheva six mois seulement après l’arrivée du Morsi au Pouvoir. Le parti salafiste accusa le président et son groupe de vouloir monopoliser le pouvoir. Quand l’institution militaire destitua Morsi du pouvoir et proposa une nouvelle feuille de route, la

63 réaction du parti se démarqua de la majorité des groupes et organisations islamistes en Égypte comme partout dans le monde. Il afficha son soutien à la feuille de route proposée par les militaires. Son secrétaire déclara à la chaine de télévision France 24, « nous avons réagi par patriotisme et par obligation religieuse, nous avons réagi pour sauver l’Égypte » (ibid.). Cette réaction évolua en un soutien inconditionnel à la candidature du Maréchal Sisi aux présidentielles de 2014. La justification de ce comportement est révélatrice d’un grand sens de pragmatisme politique. Un des leaders du parti affirma à France 24 :

Le parti a voulu rester dans le débat politique pour qu’un mouvement du courant islamiste soit présent. Après le départ des Frères musulmans de la scène politique, si Al-Nour avait fait la même chose [boycotter le gouvernement de transition, NDLR], les jeunes islamistes se seraient retrouvés sans leader. Tout le monde aurait travaillé dans son coin et ça n’aurait mené à rien (ibid.).

Certes, il est encore tôt pour essayer de décrypter les modes de penser et d’agir du parti An- Nour dans un contexte politique égyptien perturbé. Ces modes sont jusqu’à lors maitrisés par un fort sens de contre-action. Pourtant, les contradictions demeurent frappantes sur le plan théorique. À présent, le mouvement salafiste ne se voit pas en mesure de présenter un cadre doctrinal justifiant son parcours politique. Le pragmatisme politique du parti salafiste est dépourvu de toute théorisation idéologique.

En terminant, il nous faut mentionner que nous ne prétendons pas avoir couvert, dans cette typologie, la totalité des expériences de partis politiques islamistes à travers le monde islamique ni explorer profondément tous les aspects théoriques et organisationnels des expériences présentées. Le travail présenté dans cette section ne saurait échapper à une des caractéristiques de tout essai de catégorisation, soit la généralisation. Par contre, ce travail nous permet de situer notre groupe d’étude dans la cartographie générale des partis islamistes et de mieux cerner notre objet d’analyse. Ainsi, si nous ne nous sommes attardés que sur les aspects les plus généraux des expériences formulées dans le cadre de cette typologie, ceci ne représente que le point de départ de notre analyse lorsqu’il s’agit de la famille de partis dans laquelle nous situons notre groupe d’étude, soit celle des partis de la justice et de développementP47F

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P. Dans la seconde partie de cette thèse, nous reconstituons et

48 Nous sommes conscients de la divergence interne des membres de cette famille de partis politique bien qu’ils sont situés sous une même tendance. Nous y reviendrons.

64 explorons l’expérience du Parti de la justice et du développement marocain dans ses aspects les plus détaillés.

S

ECTION

III.

L

A DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE

:

DEVENIR DE

L

ISLAMISME

?

L’objectif de cette section est dans un premier temps de présenter en en prenant appui sur les propos de spécialistes de la question quelques repères historiques et théoriques du courant de la démocratie chrétienne en Europe. Dans un deuxième temps, nous présentons une brève revue de littérature de cette problématique émergente qui servira d’état de la question pour notre recherche.