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L’affectation des élèves dans des dispositifs variés et les choix pédagogiques associés

1. L’ ENTREE DANS DIFFERENTES MODALITES DE SCOLARISATION Il convient de différencier les différentes modalités de scolarisation :

1.2 Pour les EFIV ou les EANA vivant dans des conditions très précaires

1.2.1. Quelle scolarité au sein des antennes scolaires mobiles ?

L’Association nationale d’aide à la scolarisation des enfants tsiganes constitue historiquement l’un des piliers de la scolarisation en antennes scolaires mobiles au niveau national. Ces dernières sont majoritairement rattachées à l’enseignement catholique privé des établissements du réseau de La Salle229.

Dans le département de la Gironde, en plus des UPS, existent aussi deux antennes scolaires mobiles auprès des EFIV. Comme en Seine-Saint-Denis et presque partout sur le territoire français, les deux enseignants sont rattachés à un groupe scolaire privé sous contrat d’une part, et adhérents à l’ASET de l’autre. Cela leur permet d’avoir une voix consultative, donc un poids au schéma départemental. Ils participent également aux réunions de scolarisation de l’ADAV où ils échangent avec les enseignants UPS.

229 « Le réseau La Salle regroupe en France 1 500 établissements et 72 universités proposant aux élèves et étudiants des formations pour tous niveaux d’enseignement ». Voir Réseau La Salle [en ligne], 2016,

<lasallefrance.fr/reseau-la-salle-en-france/>, consulté en décembre 2017.

L’un des deux camion-école de l’ASET intervenant dans l’agglomération de Bordeaux

Les camions-écoles interviennent par tranche de 15 jours auprès de groupes familiaux, en divisant leurs interventions par demi-journées.

« Ils nous appellent : “Est-ce que tu peux venir faire l’école ?”. Et nous on dit : “oui ou non, on peut”, en fonction de ce que l’on est en train de faire et on garde cela de côté et puis on dit

“voilà, on interviendra un peu plus tard”. Sachant que ce sont toujours les mêmes familles qui sont sur Bordeaux : les groupes sont bien identifiés et du coup, on essaie de répartir notre temps d’enseignement de façon équitable pour donner le même temps d’enseignement par période entre chaque vacance scolaire, soit six à sept semaines » (enseignant ASM).

Les élèves sont au nombre de 300 à 350 par an sur l’agglomération de Bordeaux ; ce chiffre ne varie pas d’année en année.

Un camion s’occupe des 4-10 ans ; un autre des 10-16 ans. Ils se déplacent toujours ensemble. Une dizaine d’élèves peut être accueillie en même temps dans chaque camion.

Comme cela a été observé en Seine-Saint-Denis avec les EFIV, l’objectif est d’apprendre aux enfants en stationnement précaire ou sauvage (hors aires d’accueil et de grand passage), qu’ils soient itinérants ou sédentaires, à lire, écrire, compter. Les antennes scolaires effectuent également le relais d’une scolarité en ordinaire lorsque des groupes familiaux sont en itinérance une partie de l’année (pour des raisons économiques, familiales ou religieuses).

Deux types de profils d’enfants fréquentant les antennes scolaires peuvent être identifiés. Il s’agit de familles très différentes : celles qui sont en stationnement précaire toute l’année pour lesquelles les camions-écoles sont leur seul pôle de scolarité et les familles qui connaissent des périodes d’itinérance de temps en temps (généralement sur la période mars / octobre), dont les enfants sont scolarisés en ordinaire la plupart du temps.

Chaque jour, une moyenne de quarante élèves est scolarisée dans les camions. Les enseignants précisent toutefois qu’ils enregistrent des pics annuels au mois d’octobre et en mars / avril : cela correspond à la fin des missions évangéliques et de la période d’itinérance habituelle, mais les familles en question ne rentrent pas tout de suite sur leurs terrains ou sur les aires d’accueil et sont encore en stationnement sauvage. De la même façon, pour le début du printemps qui est une période où certaines familles « ressortent », donc leurs enfants quittent l’école qu’ils ont fréquentée pendant l’hiver. Sur ces deux périodes de l’année, environ cinquante enfants sont accueillis quotidiennement dans les camions école.

La procédure d’inscription des élèves en antenne scolaire mobile est simple ; elle s’effectue directement entre parents et enseignants. Une fois remplie de fait la première condition, qui est d’être en stationnement précaire, ces derniers demandent le livret de famille. Depuis peu, ils demandent aussi auprès de quels travailleurs sociaux la famille est enregistrée, pour leur permettre, d’une part de mieux connaître leur public et sa provenance et, d’autre part, de pouvoir faire du lien avec les travailleurs sociaux concernés si besoin (de part ou d’autre). D’un point de vue administratif, leur fonctionnement concernant l’inscription des élèves est aussi beaucoup plus souple que dans l’ordinaire :

« On transmet une liste d’élèves que l’on inscrit. Sur le plan administratif, on ne rentre pas, comme dans une école traditionnelle, nos enfants sur « base élèves » qui est la procédure ordinaire dans une école traditionnelle, comme cela peut se faire n’importe où. Nous, nos élèves ne sont pas recensés on a une liste de quelques élèves, nos 66 élèves qui sont référencés sur Saint-Genès, et

après nos élèves, non effectivement c’est en accord avec l’inspecteur d’académie qui était d’accord avec le fait que c’était trop problématique d’inscrire et de rayer systématiquement des élèves qui entraient et qui sortaient du camion. Donc effectivement on les inscrit sur nos fichiers de cette façon-là, uniquement avec le livret de famille » (enseignant ASM).

Les enseignants des camions-écoles ont des liens privilégiés avec les familles qui les connaissent bien, la plupart des parents d’élèves ayant eux-mêmes été scolarisés dans les antennes scolaires.

« Il y a un énorme travail de confiance. Pour avoir cette confiance, on affiche aussi des photos de groupes d’élèves : on prend les enfants en photo et sur les portes du camion on a toutes les photos de nos groupes quand on fait des petites sorties, des choses comme cela. Quand quelqu’un qu’on connaît pas bien vient, il voit toujours un membre de la famille “Ah mais tu connais ?” Il vient vers nous ! Ou bien un cousin, quand tu t’inscris à l’école, dit : “Donne-lui ton livret de famille, ne t’inquiète pas, n’aies pas peur” parce qu’ils ont beaucoup de peurs, d’appréhension. Quand tu sais pas lire, tu vois, tu as un petit peu peur… Il y a toujours ces vieux clichés de gens du voyage qui sont toujours repoussés : les familles sont toujours dans cet état d’esprit » (enseignant ASM).

L’outil principal de ces enseignants correspond à un livret de suivi, utilisé pour évaluer les compétences de l’élève au fil du temps, mais aussi pour assurer son suivi lorsqu’il est scolarisé ailleurs.

Les antennes scolaires suivent également une dizaine d’élèves qui sont inscrits au CNED.

Il s’agit de jeunes auparavant scolarisés en camion-école et dont les familles se sont ensuite installées soit sur un terrain, soit sur une aire d’accueil. D’après les enseignants ASM, les enfants sont alors allés un peu en école, jusqu’au moment de l’entrée au collège – qu’ont refusé les parents, « se cachant » derrière une itinérance qui n’est pas réelle.

Ces enseignants, bien que ne relevant pas de l’Éducation nationale, contribuent à maintenir un lien autant que possible avec le CASNAV (notamment à travers l’envoi de leur rapport d’activité annuel) et des collègues d’UPS, pour échanger sur leurs expériences et parfois, assurer le suivi de certains enfants. De la même manière que l’ADAV 33, le CASNAV les convie régulièrement lors de formations pour présenter leur dispositif spécifique de scolarisation ainsi que le public. Ils apprécient particulièrement ces liens, notamment avec les enseignants UPS, qui sont existants de par les rencontres et formations impulsées par l’ancien IEN en charge des EFIV et par la stabilité dans l’occupation de ces postes. Selon eux, ce réseau d’enseignants dans le département permet d’assurer un suivi de scolarité des EFIV plutôt efficace. Ils sont également en relation avec d’autres enseignants UPS relevant de l’enseignement privé, au niveau national, par le biais de rencontres régulières organisées, notamment autour de temps de formation. Ils le soulignent comme un point très positif car

« Une fois de plus, c’est toujours créer du lien, construire un réseau. […] Voir ce qui se fait, voir comment avance le schéma départemental, les bonnes pratiques, les livrets… » (enseignant ASM).

Des liens sont créés par ces enseignants entre leurs élèves et l’école de rattachement des camions-écoles : des projets et sorties en commun avec d’autres élèves sont souvent organisés. Par ailleurs, depuis la rentrée 2015-2016, un nouveau projet au long cours est mis en place. Il s’agit de permettre à des élèves d’âge collège fréquentant assidûment les antennes scolaires mobiles de se rendre au collège une demi-journée par semaine. En leur permettant ainsi de suivre des cours avec des professeurs spécialisés dans leurs matières, qui sont bénévoles pour le faire, avec la présence des enseignants des camions-écoles, l’objectif est en premier lieu de faire venir ces jeunes au collège (ce qu’ils font de manière autonome). À plus

long terme, cela peut permettre aux familles concernées de mieux connaître et appréhender sans crainte le milieu scolaire ordinaire, et favoriser alors éventuellement la scolarité dans l’ordinaire d’enfants plus jeunes si cela est possible. En moyenne, une quinzaine d’élèves est présente à chaque séance. La première année, ce dispositif innovant a accueilli au total 67 élèves.

Dans l’académie de Créteil230, l’ASET existe depuis 1969 mais se constitue en association (ASET 93) en 2006. Elle est subventionnée au début de l’enquête par la Direction départementale de la cohésion sociale, et le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.

Elle intervient uniquement sur les terrains provisoires à l’aide d’unités scolaires mobiles (camions-écoles). Trois enseignantes et un médiateur scolaire y travaillent alors. Les enseignantes dépendent d’une école privée du réseau de La Salle (comme la plupart des enseignants d’antennes scolaires mobiles). À sa création, l’ASET ciblait principalement les familles de voyageurs français. Depuis 2014, l’association travaille presque exclusivement avec des familles roms, du fait de la nouvelle politique départementale vis-à-vis des voyageurs : ceux-ci sont expulsés dès qu’ils occupent un terrain plus de 48 heures et se rendent donc moins en Seine-Saint-Denis.

Bien qu’il ne s’agisse pas réellement d’une préparation à l’entrée à l’école, puisque les EFIV actuellement suivis par l’ASET 93 ne souhaitent pas s’inscrire dans des établissements scolaires ordinaires (comme cela sera développé dans la partie 3), l’association a repris son enseignement auprès des enfants de familles de voyageurs qu’elle suivait auparavant, après quelques mois d’interruption. L’enseignante qui travaille avec eux, a formé deux groupes : les lecteurs et les non-lecteurs. À ces derniers, elle apprend à lire avec une méthode syllabique.

Elle leur enseigne également comment écrire en majuscule et rédiger des phrases simples.

Aux lecteurs, elle apprend l’écriture en lettres cursives et travaille sur l’orthographe. Ils travaillent aussi des rudiments en mathématiques. Il s’agit de la seule instruction dont bénéficient ces enfants. Elle tente aussi de les inciter à travailler chez eux, en dehors des séances en camion-école, clé de l’incorporation des apprentissages. Enfin, elle établit avec eux un contrat informel afin de les inciter à respecter des normes de travail, d’assiduité ou de discipline, en les prévenant qu’à défaut, l’enfant ne pourra pas bénéficier à nouveau des séances en camion-école. Un lien de confiance fort est établi avec les parents.

Avec les EANA en bidonvilles, le but est de présenter aux enfants le fonctionnement d’une école, de la cantine, pour qu’ils soient moins perdus lors de leur entrée dans un établissement scolaire. Par ailleurs, les élèves apprennent dans les camions-écoles les codes de l’apprentissage au sein d’une classe car, pour la plupart d’entre eux, ils n’ont jamais été à l’école ou très peu de temps. Les enseignantes apprennent donc aux élèves qui viennent dans leurs camions à respecter quatre règles fondamentales, rappelées par des affichettes accrochées aux parois des camions : lever la main pour prendre la parole, écouter la personne qui parle, rester assis à sa place, ne pas dire de gros mots. Les enseignantes attendent également des élèves qu’ils forment un rang lorsqu’elles vont les chercher au bidonville ou pour les y ramener, qu’ils jettent tous leurs papiers à la poubelle, qu’ils fassent le silence avant de rentrer dans le camion-école ou encore qu’ils rangent leur table à la fin de chaque séance.

Pour faire respecter ces règles, l’enseignante a mis en place dans son camion un système de

230 Cette section est issue du mémoire d’étudiant(e)s de l’UPEC. Cf. : ASLAM S., BENNANOUNE R., PAOLETTI A., PROUST D., NANDI C., NDIAYE A. (2015-2016), op. cit.

croix. Au bout de trois croix, l’élève est renvoyé chez lui. Selon l’enseignante, ce système fonctionne très bien : les élèves finissent par intégrer ces règles car ils ne veulent pas quitter les camions-écoles.

En plus de leur inculquer le comportement qui sera attendu d’eux à l’école, les enseignantes apprennent aux enfants des notions indispensables pour pouvoir suivre en classe : le passage du temps, et donc la date, ou encore distinguer la droite de leur gauche.

Dans les camions-écoles, les enseignantes montrent également aux élèves l’utilisation du matériel scolaire. Par exemple, l’utilisation d’un cahier n’est pas une chose acquise pour les élèves qu’elle suit à S.-O. Elle leur apprend donc à repérer l’endroit de l’envers et à coller les feuilles d’exercices les unes après les autres, sans laisser de feuille blanche. D’ailleurs, les cahiers des élèves ont aussi un but de communication avec le futur enseignant de l’enfant. Les élèves y collent leurs exercices et les enseignantes les corrigent.

« La correction, c’est plus pour moi, pour voir la progression mais aussi pour quand je passerai le cahier au professeur de l’école normale. Parce que si on ouvre le cahier comme ça, tout ce qu’on voit c’est qu’il écrit hyper mal l’alphabet mais moi je sais que quand il a commencé, il écrivait pas du tout. Du coup j’écris « des progrès », des choses comme ça pour que l’enseignant s’en rende compte, sinon il ne sait pas », argumente l’enseignante (ASM).

Enfin, elles tentent, autant que possible, de rattraper le retard scolaire des enfants et leur apprennent le français. Les enseignantes ont construit des cours thématiques, autour de la famille, du voyage, des parties du corps, etc. Elles enseignent les mots de vocabulaire et les introduisent dans d’autres exercices (comme en mathématiques) pour que les termes deviennent familiers. Les professeures se répartissent les enfants en fonction de leur âge ou de leur niveau. Celle qui enseigne aux plus jeunes leur fait principalement travailler la motricité fine, dans le but de les préparer à l’écriture. L’enseignante des enfants qui ont l’âge d’aller à l’école primaire (entre 7 et 10 ans) les fait travailler l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et des bases des mathématiques, qui avec les plus grands, seront poursuivis.

Les antennes scolaires mobiles ont toujours fait beaucoup débat. Il n’y a pas de réponse simple aux questions posées. Ce qui est certain, c’est qu’elles permettent soit la scolarisation d’enfants qui, autrement, n’auraient pas accès à l’école, soit constituent réellement une passerelle vers l’école (grâce au travail de médiation scolaire qui est effectué en parallèle).

Mais cette forme de scolarisation, outre qu’elle n’est pas pleinement reconnue par l’institution, trouve rapidement ses limites en termes de capacités d’accueil. Ce récit recueilli auprès d’une des enseignantes en témoigne, et montre les effets et la violence que peuvent générer cette limitation des capacités d’accueil :

« Sa grande sœur paraît vraiment jeune mais elle a 13 ans. Et au début, euh, ils étaient dans ma classe et en fait un jour, en fait, on pouvait pas accueillir trop d’enfants, et donc il a fallu qu’on décide que jusqu’à 11 ans on les prenait, pas plus. Moi, je pensais qu’elle avait 11 ans, mais en fait sur son passeport, elle avait 13 ans, on a vu qu’elle avait 13 ans. Donc, il a fallu lui dire que… enfin c’est compliqué tu vois, “et bin, en fait t’as 13 ans, on peut pas te prendre parce qu’on n’a pas assez de place pour tout le monde” et ça a été, euh… elle a pété un plomb et euh, elle a été très violente quoi. On a failli, euh… on faillit… se battre parce que, euh, elle voulait me frapper, c’était… moi, tout le monde quoi ! Dès qu’on se mettait sur son chemin, elle me menaçait et tout. Et c’est pas une petite qui est méchante, c’était la contrariété, l’injustice qui l’a rendue folle et on savait pas quoi faire » (enseignante ASM).

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