• Aucun résultat trouvé

Si des jeunes immigrés sont arrivés en France, dans un cadre familial ou non, depuis la fin du XIXe siècle64, les travaux des historiens se sont centrés sur l’accès au salariat des enfants de migrants65 plus qu’à leur accès à la scolarisation, notamment dans les milieux ruraux66 et

62 Ministère de l’Éducation nationale (2012), « Circulaire n° 2012-143 du 2-10-2012. Organisation des CASNAV », Bulletin officiel de l’éducation nationale, n° 37, 11 octobre.

63 COSSÉE C. (2016), « Le statut “gens du voyage” comme institution de l’antitsiganisme en France », Migrations Société, vol. 1, n° 163, pp. 75-90.

64 BLUM LE COAT J.-Y., MOGUEROU L. (2014), « Scolarisation des immigrés et migrations pour études », in BLUM LE COAT J.-Y., EBERHARD M. (dir.), Les immigrés en France, Paris, La Documentation française, coll. Les études de la Documentation française, p. 119.

65 BASTIDE R. (1931), « Les Arméniens de Valence », Revue Internationale de Sociologie, vol. 39, n° 1-2, pp. 17-42 ; GAUTHIER J.-S. (2011), « L’accueil dans les écoles de Valence des enfants des premiers réfugiés arméniens (1923-1936) », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, n° 46, pp. 73-104 ; DOUKI C.

(2010), « Entre discipline manufacturière, contrôle sexué et protection des femmes. Recrutement, encadrement et protection des jeunes migrantes italiennes vers les usines textiles européennes (France, Suisse, Allemagne) au début du XXe siècle », Migrations Société, vol. 1, n° 127, pp. 89-120.

66 NOIRIEL G. (1994), « L’immigration étrangère dans le monde rural pendant l’entre-deux-guerres », Études rurales, n 135-136, juillet-décembre, pp. 13-35.

selon les origines géographiques des migrants67. En complément, des approches plus contemporaines en sociologie et en anthropologie de l’enfance mettent l’accent sur la prise en compte du point de vue enfantin, pour une compréhension plus globale du processus migratoire et du rapport avec l’institution scolaire68.

Désormais, chaque année, plusieurs milliers d’élèves arrivent en France où ils ont le droit de suivre une scolarité. Si l’instruction est obligatoire en France pour tous les enfants depuis 188269, les aménagements pour les élèves allophones arrivants, en Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A), sont une création récente : la première circulaire remonte à 197070 tandis que celles actuelles, régissant la scolarisation des élèves nouvellement arrivés, datent de 201271. Pourtant, rares sont les études qui ont concerné les EANA, en raison de leur faible importance numérique dans la population scolaire et des difficultés à les repérer avec les outils de référencement tels que SCONET72, la base académique des élèves du second degré. En 2012-2013, l’enquête triannuelle permet de recenser 44 400 élèves allophones arrivants73, ce qui représente 0,47 % des élèves des premier et second degrés, mais certains ne sont pas repérés ni comptabilisés tandis que d’autres sont déscolarisés.

Concernant les parcours scolaires, Claire Schiff et Barbara Fouquet-Chauprade, apportent des pistes de réponses. À partir des « bases élèves » académiques (BEA), elles mènent un suivi de cohorte de :

« […] l’ensemble des élèves inscrits en classe d’accueil en 1998 dans les académies de Paris, Créteil et Bordeaux, soit un total de 1 755 élèves, dont nous avons suivi la scolarité jusqu’à la rentrée 2003. Nous connaissons pour chaque élève sa date de naissance, son sexe, sa nationalité, la profession du chef de famille, les établissements et classes fréquentés au cours des six années suivant leur inscription en classe d’accueil (CLA). Nous savons aussi si l’élève a quitté le système éducatif et, le cas échéant, le motif de sortie »74.

Le nombre d’élèves et l’investigation menée en font le suivi de cohorte le plus abouti sur les élèves nouvellement arrivés à l’heure actuelle. Claire Schiff est en charge d’un rapport national inédit75. Orienté sur le processus de déscolarisation et la scolarisation partielle des élèves migrants, ce rapport s’intéresse aux « obstacles institutionnels [...] à une scolarité ordinaire ». Grâce aux parcours scolaires, la sociologue fait apparaître des

67 PONTY J. (1995), « Une intégration difficile : les Polonais en France dans le premier vingtième siècle », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 7, pp. 51-58.

68 JABLONKA I. (2010), Les enfants de la République. L’intégration des jeunes de 1789 à nos jours, Paris, Seuil.

69 Ministre de l’Instruction Publique Jules Ferry (1882), Journal officiel, Loi n° 11696 du 28 mars 1882, Article 4, 29 mars.

70 Ministère de l’Éducation nationale (1970), « Circulaire n° IX-70-37 du 13-01-1970. Classes expérimentales d’initiation pour enfants étrangers », Bulletin officiel de l’éducation nationale, n° 5, 29 janvier.

71 Idem, « Circulaire n° 2012-141 du 2-10-2012, Organisation de la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés », 11 octobre.

72 Scolarité sur le Net. Application informatique nationale multiforme généralisée en 2006 à tous les établissements publics locaux d’enseignement.

73 Ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), 2013.

74 FOUQUET-CHAUPRADE B., SCHIFF C. (2007), « Des parcours scolaires des primo-migrants en France : des réalités locales contrastées », Actes du colloque Éducation et territoires, Digne-les-Bains.

75 SCHIFF C. (dir.) (2003), op. cit.

dysfonctionnements dans le système éducatif (classes « fermées » sans intégration, cours non dispensés dans certaines matières qui empêchent une orientation en lycée général…). Elle relève des éléments qui compliquent la scolarisation des élèves : erreurs d’évaluation initiale, éloignement géographique de structures, listes d’attente, réticences d’enseignants. Exemples à l’appui, elle signale des situations d’amalgame entre les primo-arrivants et les élèves déficients légers. En outre, son échantillon permet de connaître les tendances de l’orientation, massivement vers le lycée professionnel. Inscrits en CAP, les élèves ne se déscolarisent pas en cours de formation, bien au contraire : beaucoup poursuivent en BEP. L’auteure apporte des éléments de réponses aux causes éventuelles de déscolarisation, telles que le redoublement.

Cependant, celui-ci peut aussi caractériser des parcours de réussite pour ces mêmes populations76. L’étude de Claire Schiff se tient à une époque charnière puisqu’en 2002, sont diffusées les nouvelles circulaires sur les élèves nouvellement arrivés. Les critiques qu’elle formule à l’encontre des structures fermées vont trouver une réponse dans les circulaires qui recommandent uniquement les structures ouvertes, encouragent l’intégration des élèves et la sensibilisation de toute l’équipe pédagogique. Cependant, les « bases élèves » académiques permettent seulement de « localiser » scolairement les élèves, sans parvenir à en assurer le suivi de façon qualitative ni apporter un éclairage sur leur parcours en termes de compétences.

Concernant l’apprentissage d’une langue seconde, il faut se tourner vers les États-Unis pour avoir une meilleure connaissance scientifique des progressions linguistiques. Ainsi Wayne Thomas et Virginia Collier ont mené des analyses sur les progressions scolaires et linguistiques des « allophones » de 1985 à 2001 (étude jugée essentielle car ils estiment que ce public devrait représenter 40 % de la population scolaire américaine en 2030). Il ressort que les élèves « allophones » dont les parents refusent la section bilingue et / ou d’apprentissage d’anglais langue seconde sont en plus grand décalage scolaire par rapport aux élèves qui en bénéficient (au vu de tests en lecture et en mathématiques). Pour être aussi performant dans toutes les disciplines qu’un élève natif, il faudrait compter une durée de quatre à sept ans, d’après les auteurs77. De nombreuses recherches78 ont aussi étudié les obstacles rencontrés par les élèves allophones lors de la résolution de problèmes mathématiques et ont souligné l’impact des difficultés langagières, notamment en ce qui concerne le lexique spécifique aux mathématiques. James Cummins79 avait d’ailleurs montré

76 MENDONÇA DIAS C. (2012), Les progressions linguistiques des collégiens nouvellement arrivés en France, Villeneuve d’Ascq, ANRT.

77 THOMAS W., COLLIER V. (2002), A National Study of School Effectiveness for Language Minority Students’ Long-Term Academic Achievement, Final Reports, Center for Research on Education, Diversity and Excellence, UC Berkeley.

78 CAMPBELL A., ADAMS V., DAVIS G. (2007), « Cognitive Demands and Second Language Learners : a Framework for Analyzing Mathematics Instructional Contexts », Mathematical Thinking and Learning, Lawrence Erlbaum Associates ; NI RIORDAIN M. (2011), « A Working Model for Improving Mathematics Teaching and Learning for Bilingual Students », in PYTLAK M., ROWLAND T., SWOBODA E. (dir.), Proceedings of the Seventh Congress of the European Society for Research in Mathematics Education, University of Rzeszów, Poland, pp. 1346-1355 ; SCHAFTEL J., BELTON-KOCHER E., GLASNAPP D., POGGIO J. (2006), « The Impact of Language Characteristics in Mathematics Test Items on the Performance of English Language Learners and Students with Disabilities », Educational Assessment, vol. 11, n° 2, pp. 105-126.

79 CUMMINS J. (1979 a.), « Linguistic Interdependence and the Educational Development of Bilingual Children », Review of Educational Research, vol. 49, n° 2, pp. 222-251; CUMMINS J. (1979 b.), « Cognitive / Academic Language Proficiency, Linguistic Interdependence, the Optimum Age Question, and Some Other Matters », Working Papers on Bilingualism, n° 19, Education Resources Information Center, pp. 197-205.

dès 1979 qu’il convenait de distinguer la maîtrise de la langue usuelle et celle de la langue de scolarisation, ces deux types de compétences ne s’acquérant pas à la même vitesse. Au vu de ces résultats, il faudrait compter au moins quatre années d’accompagnement linguistique : nous sommes loin des « un an » préconisés en France par la circulaire de 2012 sur l’organisation de la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés.

En France, les élèves doivent développer des compétences en langue française en tant que langue seconde80, dans le cadre scolaire81. Pour apporter des repères sur l’apprentissage du français, 190 collégiens allophones, nouvellement arrivés en France, ont été suivis dans une même académie durant l’année scolaire 2008-2009 pour estimer le niveau atteint au cours de leur troisième année en France82. Les profils des élèves ont été établis à partir des évaluations passées à leur arrivée en France. Quatre-vingts dispositifs linguistiques ont été décrits pour comprendre les propositions structurelles mises en place par l’Éducation nationale, notamment ceux dans lesquels sont scolarisés les collégiens de la cohorte et où ont été récoltées les progressions annuelles. Pour identifier le niveau linguistique atteint, suivant le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL), les indicateurs ont été fournis par les résultats obtenus aux examens du Diplôme d’études en langue Française (DELF) et à un test linguistique proposé lors de la 3e année. Ces résultats ont été lus en fonction des facteurs d’hétérogénéité et des conditions d’apprentissage, précédemment dégagés. Ils ont permis d’observer que le niveau B1 à l’écrit est le niveau minimum pour obtenir une orientation choisie, que trois années d’apprentissage sont au moins nécessaires pour l’atteindre lorsque l’élève est non-francophone et que les progressions sont tributaires principalement des niveaux de compétences initiales. Toujours en France, les travaux de Karine Millon-Fauré83 ont en outre souligné que, dans le cas particulier des mathématiques, les compétences langagières nécessaires aux apprentissages pouvaient s’acquérir plus rapidement que celles mises en jeu lors de conversations usuelles. Ces observations nous conduisent à distinguer les compétences requises lors de conversations courantes et celles nécessaires pour l’activité mathématique ce qui nous amènera à parler de langue spécifique aux mathématiques.

Des suivis de cohorte ponctuels ont été aussi menés par les CASNAV. L’un d’entre eux, qui aura été diffusé par la revue Diversité, Ville-École-Intégration84, se base sur un échantillon de 61 élèves inscrits en classe d’initiation (CLIN) et en CLA dans trois établissements de Vitry-sur-Seine, au cours de 2006-2007. Pendant quatre années, deux formatrices avaient assuré un

80 CUQ J.-P. (1991), Le Français langue seconde. Origines d’une notion et implications didactiques, Paris, Hachette.

81 AUGER N. (2011), Élèves nouvellement arrivés en France. Réalités et Perspectives pratiques en classe, Paris, Éditions des archives contemporaines ; CHNANE-DAVIN F. (2005), Didactique du FLS en France : le cas de la discipline « français » enseignée au collège, thèse de doctorat dirigée par J.-P. CUQ, université Aix-Marseille 1, Villeneuve d’Ascq, ANRT ; VERDELHAN-BOURGADE M. (2002), Le français de scolarisation. Pour une didactique réaliste, Paris, PUF ; VIGNER G. (2009), Le français langue seconde, comment apprendre aux élèves nouvellement arrivés, Paris, Hachette Éducation.

82 MENDONÇA DIAS C. (2012), op. cit.

83 MILLON-FAURÉ K. (2011), Les répercussions des difficultés langagières des élèves sur l’activité mathématique en classe : le cas des élèves migrants, thèse de doctorat dirigée par MERCIER. A, sciences de l’éducation, université Aix-Marseille 1.

84 Ville-école-intégration (VEI), créé en 1973 sous le nom de « Centre migrants », est un centre de ressource dépendant du Centre national de documentation pédagogique (CNDP). Il dispose d’un volet consacré aux élèves nouvellement arrivés.

suivi administratif (orientations) et pédagogique (entretiens avec les élèves et les professeurs, observations dans les classes) pour s’interroger sur l’après-dispositif.

Les études qui concernent plus spécifiquement la scolarisation et les progrès scolaires des élèves allophones issus de familles migrantes roms d’Europe de l’Est (Bulgarie, Roumanie, ex-Yougoslavie…) sont principalement qualitatives et ne s’appuient pas sur des suivis de cohortes mais plutôt sur une méthode ethnographique. Quelques enquêtes qualitatives proposent ainsi des études de cas dans différentes villes françaises. Les obstacles et difficultés rencontrés dans la scolarisation de ces migrants sont le plus souvent soulignés85. La question de la scolarisation de migrants roms bulgares et roumains a été abordée dans une perspective ethnographique. Alexandra Clavé-Mercier86 a interrogé l’accueil et la prise en charge effective de migrants roms bulgares au sein de l’institution scolaire, en questionnant les logiques au fondement du régime d’exception et des approches spécifiques en direction de ces élèves dans les dispositifs scolaires de droit commun. Il a été démontré que la scolarisation effective de ces élèves issus de familles de migrants roms dépend largement des contraintes juridico-administratives et politiques qui réglementent le séjour de ces migrants sur le territoire. En d’autres termes, l’accueil et la prise en charge de ces élèves par l’institution scolaire sont en grande part tributaires de cadres structurels régissant l’hospitalité. De leur côté, Clarisse Decroix et Marion Lièvre87 proposent une analyse des trajectoires sociales des familles roms roumaines qui ont scolarisé ou non leurs enfants, afin de comprendre dans quelle mesure les facteurs sociaux impactent sur le rapport à l’école. De manière transversale, elles interrogent la notion de réussite scolaire en se centrant sur le regard que les familles roms roumaines en ont. Iulia Hasdeu88 a, pour sa part, étudié le rapport au genre dans la scolarisation des enfants roms. La scolarisation constitue un angle d’approche pertinent pour traiter de questions plus larges comme les rapports de ces populations aux institutions, les questions d’accueil et d’hospitalité publique, de discriminations et, plus généralement, de place faite à l’Autre dans notre société.

Par ailleurs, de nombreuses études ont également été réalisées par des professionnels de l’Éducation nationale se questionnant sur leurs expériences de terrain et, bien souvent, sur les difficultés rencontrées face à ce nouveau public de migrants roms d’Europe de l’Est vivant en habitat précaire. Des plus reconnues, notons celles présentées par Michael Rigolot et Régis

85 DELEPINE S., VERITER A. (2009), « La non-scolarisation des enfants roms migrants », Diversité, n° 159, pp. 76-79.

86 CLAVÉ-MERCIER A. (2014), « L’institution scolaire face aux “migrants roms” : entre hospitalité et raison humanitaire », Migrations Société, vol. 26, n° 152, pp. 119-130.

87 DECROIX C., LIÈVRE M. (2011), « La scolarisation, une “distinction” ? », Cahiers pédagogiques, coll. des hors-séries numériques, n° 21, « À l’école avec les élèves roms, tsiganes et voyageurs », mai, pp. 77-81. Pour une présentation de ce dossier, voir <www.cahiers-pedagogiques.com/IMG/pdf/hsn_roms.pdf>, consulté le 12 juillet 2018.

88 HASDEU I. (2011), « Pourquoi les filles roms sont-elles moins scolarisées que les garçons ? » [en ligne], Cahiers pédagogiques, coll. des hors-séries numériques, n° 21, « À l’école avec les élèves roms, tsiganes et voyageurs », mai, <www.cahiers-pedagogiques.com/A-l-ecole-avec-les-eleves-roms-tsiganes-et-voyageurs-7396>, consulté en janvier 2018.

Guyon89, qui ont tous deux dirigé deux numéros hors-série des Cahiers Pédagogiques90, regroupant nombre de contributions (tant de chercheurs que d’acteurs associatifs ou institutionnels) sur ces questions que posent l’accueil et la prise en charge de ces élèves mais aussi des EFIV par l’institution scolaire. Les interrogations et réflexions des acteurs de terrain ainsi que le faible nombre d’études systématiques sur la situation socio-scolaire de ce public sont à souligner91. Le présent rapport vise à contribuer à combler ces lacunes, tout en entendant améliorer la prise en charge scolaire de ces élèves.

S

ITUATION SOCIO

-

SCOLAIRE DES

EFIV :

ELEMENTS DE CONTEXTE

Outline

Documents relatifs