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L’incontournable médiation pour les EFIV et pour les EANA en situation de grande précarité

Les trajectoires d’affectation scolaire

1. L ES MODALITES D ’ ACCUEIL ET D ’ AFFECTATION

1.3. Le rôle des intermédiaires pour la scolarisation de l’enfant

1.3.2. L’incontournable médiation pour les EFIV et pour les EANA en situation de grande précarité

La médiation auprès des EFIV et des EANA dans l’académie de Montpellier est dissociée et menée par des acteurs divers et différents. Elle revêt aussi des formes variées selon les

départements. Le premier acteur éducatif mobilisé, et peut-être le seul commun aux deux publics, dans ce travail de médiation, est le CASNAV.

Dans le département de l’Hérault, auprès des EANA en situation de grande précarité, cette médiation au sein du CASNAV prend différentes formes et a évolué ces dernières années : d’abord officieuse, elle est aujourd’hui institutionnalisée par la création d’un poste de médiateur scolaire locuteur roumain et romani, auprès des enfants des bidonvilles, dans le cadre d’un programme soutenu par le Fonds social européen, porté par le CASNAV, intitulé

« Connexion ». En effet, depuis la scolarisation dans les établissements scolaires de la métropole d’enfants roms roumains et d’ex-Yougoslavie, vivant dans des habitats précaires, à partir de 2008-2009, le CASNAV de Montpellier s’est mobilisé auprès de ces familles en se rendant sur les différents bidonvilles, à la rencontre des enfants et des familles afin d’établir un état des lieux de la scolarisation et d’accompagner au mieux ces familles dans les démarches administratives. En parallèle, un référent institutionnel CASNAV a été, sur une période, à mi-temps CASNAV et à mi-temps enseignant dans un dispositif UPE2A-NSA. Aussi, un collectif de défense des droits des Roms s’est créé à Montpellier en 2010, réunissant différents citoyens, mais aussi militants moraux au sein d’associations (telles la LDH, ATD Quart-Monde, MRAP, Médecins du Monde) et acteurs éducatifs, tels un enseignant en UPE2A et un référent institutionnel CASNAV, engagé à titre personnel / citoyen. Cette connaissance du terrain et cet engagement ont conduit le CASNAV à motiver un projet auprès du Fonds social européen, visant « l’amélioration de la scolarisation des enfants des bidonvilles » par la mise en place d’un médiateur scolaire intervenant au sein du CASNAV et auprès des familles installées en bidonville, pour une durée de trois années scolaires (2015-2018). Plus précisément, c’est le constat que « des enfants aient échappé complètement à la scolarisation sur notre territoire, soit qu’ils venaient de manière tellement partielle qu’ils ne pouvaient s’inscrire dans aucun parcours de réussite scolaire en fait » (référents institutionnels Casnav, Hérault), mais aussi le cadre légal « à savoir que tout enfant sur le sol français à l’obligation d’être scolarisé, c’est vraiment le précepte de base », qui sont à l’origine de ce projet

« Connexion », qui a débuté en janvier 2016 et se poursuit encore aujourd’hui. Ce projet s’accompagne d’actions en direction des parents, en ce sens qu’il intègre la parentalité dans le rapport à la scolarisation de ces élèves. Il vise également le renforcement de partenariats avec les institutions, autorités locales et associations impliquées sur le terrain. En effet, le collectif de défense des Roms de Montpellier avait déjà initié des partenariats avec le conseil départemental en ce qui concerne le transport, mais aussi avec la mairie, pour les questions relatives à la cantine ; partenariats qui ont pris une forme officielle lorsque le conseil départemental a délégué à la LDH, la gestion d’un budget transport pour les enfants des bidonvilles. Depuis 2015, le médiateur a rencontré les différentes familles et acteurs éducatifs concernés par la scolarisation des élèves et est devenu leur référent et interlocuteur principal.

Avant la mise en place de ce projet « Connexion », ce statut d’intermédiaire entre acteurs éducatifs et familles existait aussi, par le biais de différents bénévoles, militants moraux, engagés à différents degrés dans le suivi de certaines familles. Nombreux enseignants de ces élèves sont aussi impliqués à titre personnel dans l’accompagnement des familles, allant pour certains à leur rencontre sur leurs lieux de vie. Cette fonction de médiation est variée et s’accompagne d’une approche interculturelle de la scolarisation de ces élèves. En effet, la fiche de poste du médiateur recruté dans le cadre de ce projet « Connexion », posait le bilinguisme en langue roumaine et romani comme compétence valorisée dans le recrutement.

Dans le Gard, le CASNAV et certains enseignants sont aussi en lien avec la mission locale.

Pour les EFIV, la médiation passe aussi par une forme d’institutionnalisation, notamment dans le département du Gard, où un poste de médiateur EFIV existe.

Dans la commune étudiée pour l’académie de Bordeaux, tout un travail est mis en place autour de la scolarité des EFIV, basé sur de multiples partenariats des enseignants avec la mairie et des associations depuis plusieurs années. Avec la mairie, une action est menée en ce qui concerne la répartition des EFIV sur les quatre écoles de la commune (volonté des équipes pédagogiques, pas toujours accepté par les familles), grâce à la collaboration entre les écoles et l’adjoint aux affaires scolaires. Il est la clé d’une partie de la réussite de la scolarisation de ces élèves, selon les enseignants.

Le partenariat des différents acteurs scolaires revient régulièrement dans les propos tenus comme favorisant la scolarité des EFIV. La cohésion de l’équipe scolaire sur ce sujet est très importante : travail de l’enseignant en lien serré avec les CPE, COPSY, direction… pour le collège et avec autres enseignants et directeur pour l’école primaire, et l’inspecteur de circonscription dans les deux cas. L’enseignante de collège précise bien que sans le soutien de sa hiérarchie au niveau de l’établissement comme de l’inspection, ainsi que le soutien de ses collègues, ses actions seraient vaines. Elle ajoute également le rôle important du soutien des familles pour la scolarité des jeunes. Ainsi les absences, qui sont considérées comme le « gros souci » chez les EFIV en UPS au collège, sont par exemple travaillées en lien avec l’assistante sociale du collège et la CPE, sur des temps hebdomadaires dédiés qui permettent de faire le point de manière régulière et collective, pour « saisir » ensuite la famille.

Les équipes éducatives travaillent également avec des associations, sur l’absentéisme et sur la liaison primaire / collège et CNED / collège.

Au collège, sont organisées des interventions du PRADO (association de travail social dont le travail est axé sur les jeunes en difficulté « pour les épauler et tenter de leur proposer des solutions » et qui fait aussi de l’accompagnement socio-éducatif de personnes placées sous contrôle judiciaire) auprès des collégiens identifiés comme décrocheurs par l’établissement, à travers des conduites d’ateliers, par exemple autour du graff. Des EFIV y sont impliqués, par le biais de l’enseignante UPS et des familles.

Le partenariat le plus important est établi avec l’association ADAV 33, dont les travailleurs sociaux sont présents sur le territoire en question, et connaissent bien les familles.

Ces derniers proposent notamment de l’aide aux devoirs, des accompagnements à la médiathèque et font le lien avec les écoles quand il y a besoin. Des transmissions d’informations sur les familles entre travailleurs sociaux et enseignants sont également effectuées, notamment par le biais des réunions sur la scolarisation des EFIV.

Ainsi, lors d’une de ces réunions régulières, est soulevé par l’enseignante d’UPS collège le cas d’une demande de scolarisation d’une jeune collégienne sur la commune (où habite sa mère), alors qu’elle vit chez son père dans une autre commune. Or, la jeune ne vient toujours pas au collège. L’enseignante de l’UPS collège reçoit cette lettre du DASEN sans plus d’explications. Elle échange alors à ce sujet avec ses deux collègues UPS de la commune (qui sont là depuis 10 et 15 ans), qui lui fournissent quelques éléments sur cette famille. Elle se tourne ensuite vers l’ADAV (Association départementale des amis des Voyageurs) au cours d’une des réunions « scolarité » en demandant plus d’informations au travailleur social qui

s’occupe de cette famille, pour mieux comprendre la situation et agir en conséquence dans l’intérêt de l’enfant et de sa scolarité.

Lors d’une de ces réunions, il est fait mention par un travailleur social de l’ADAV de groupes de travail existants dans une commune rurale de Gironde, visant à améliorer le taux de scolarisation des EFIV en maternelle. Ces groupes réunissent l’inspection académique, la maison départementale de la solidarité et de l’insertion (MDSI), la CAF, la mairie, les responsables des écoles concernées et l’ADAV. Leur tenue et leur efficacité sont saluées d’une seule voix par les travailleurs sociaux comme par les enseignants, qui souhaitent que ces groupes de travail se multiplient. En effet, plusieurs enseignants rencontrés soulignent que les assistantes sociales MDSI qui suivent les familles ne viennent pas aux équipes éducatives, et ce « jamais quand ça concerne l’absentéisme », ce qui est largement déploré par les équipes enseignantes qui se plaignent alors de n’avoir que peu de poids.

Dans l’académie de Créteil, les actions de médiation, d’accès à la scolarisation ou de soutien sont parfois indispensables pour permettre à ces enfants d’être scolarisés (93), ou grandement facilitatrices (77). C’est ce que nos observations nous ont confirmé, mais c’est aussi un ressenti et un positionnement à analyser de la part des associations et médiateurs eux-mêmes. Selon l’un d’eux :

« Pour nous c’est, euh, c’est un peu travailler de pair parce que… Comment dire ? L’école toute seule ça ne fonctionne pas, il faut que… Donc, du coup, quand il y a d’autres acteurs, c’est plus facile, donc on essaie de privilégier les endroits où il y a d’autres acteurs et eux aussi, donc du coup, eux, ils nous appellent et nous, on les appelle quand il y a besoin sur un terrain. Voilà. Et euh…

soit directement par les familles, soit par les institutions. Ou parfois des, euh… ça va arriver qu’il y ait des directeurs d’école qui m’appellent pour scolariser tel ou tel enfant » (médiateur, Seine-Saint-Denis)201.

La médiation assure, sur ce terrain étudié, un travail de traduction et d’interprétariat entre les familles, les acteurs scolaires et socio-éducatifs :

« Quand y’a un souci à l’école, ils font des REE (réunion d’équipe éducative), avec le ou les enseignants parce que, s’il est par exemple en dispositif UPE2A, y’a deux enseignants, euh…

psychologue scolaire, infirmière scolaire, parents… et donc nous, on vient souvent soit pour faire la traduction mais surtout l’interprétariat parce qu’en fait, le langage de l’Éducation nationale pour les parents bah c’est… Même s’ils parlent français, c’est… quand on leur parle de “compétences en cours d’acquisition” ou “il n’est pas rentré dans les apprentissages” ou ce genre de terme ou quand

“on a fait une REE avec le maître E pour son passage en commission”, voilà, même pour nous c’est du charabia au départ. Du coup, ça demande de faire la traduction, même pour rassurer les gens parce que c’est impressionnant ces réunions ou y’a cinq six personnes autour qui scrutent leur enfant. C’est des tests hein, si la psychologue scolaire dit : “j’ai fait passer des tests à votre enfant”,

“ouh là, pourquoi il fait passer des tests à mon enfant ?”. C’est violent aussi, et c’est une vraie violence symbolique. Là, pour le coup. Donc du coup, c’est important d’être là pour rassurer les parents aussi » (Idem).

Nous posons ici l’hypothèse que la médiation associative joue le rôle des chargés de mission ou coordinateurs EFIV observés dans l’académie de Montpellier. En Seine-Saint-Denis,

201 Toutes les citations de cette section sont des extraits d’entretiens avec des membres d’associations de médiation, issues du mémoire d’étudiant(e)s de l’UPEC : cf. ASLAM S., BENNANOUNE R., PAOLETTI A., PROUST D., NANDI C., NDIAYE A. (2015-2016), op. cit.

la médiation assurée par l’association trouve ses limites faute de moyens, et parce qu’elle n’est pas réellement institutionnalisée (contrairement à ce que préconise la circulaire 2012-142). Pourtant nécessaire, la médiation associative n’assure qu’un accès inégalitaire des EFIV (et EANA) à l’école, faute de moyens.

Selon l’approche associative de la médiation, leur non-institutionnalisation permet cependant plus de souplesse et d’adaptation aux situations précaires et contrastées des familles :

« Parce que vous ne pouvez pas vous en tenir à une approche bureaucratique. L’approche bureaucratique en général travaille contre eux. Ils ne sont jamais en règle. L’acte de naissance n’est pas de moins de trois mois puisqu’en Roumanie on en délivre un seul à la naissance, la domiciliation n’existe pas, l’avis d’imposition n’a pas été fait… Ces situations de l’irrégularité ne sont faites que pour créer de l’entrave. Donc vous devez nécessairement passer par autre chose et cette autre chose existe, c’est la réception d’urgence des hôpitaux qui passe outre le fait qu’il n’y ait pas d’aide médicale de l’état ou d’assurance maladie, c’est le fait qu’il y ait cette enseignante qui fait tout son possible pour remettre à niveau cet enfant, c’est quand même une bataille de tous les instants si vous voulez, et où vous avez l’impression qu’un obstacle de trop remettra le compteur à zéro et détruira tout le travail qui a été fait » (président de l’association de médiation, Seine-Saint-Denis).

On observe donc que l’engagement est très valorisé dans ces propos, parce que répondant ici à des nécessités empiriques. Cet engagement a été observé aussi de la part de certains enseignants impliqués dans les mêmes réseaux d’acteurs scolaires et extrascolaires sur ce territoire local :

« Avec une enseignante d’un collège, qui suit un élève, qui était son élève et qui a été expulsé de L. C. (93), qui est reparti en Roumanie et là, qui est revenu mais il a été radié donc, il faut réattendre six mois pour qu’il y ait une place. Donc en attendant, deux fois par semaine, elle y va pour du soutien et une autre personne qui est éduc’ et qui est bénévole de l’asso et qui suit une famille depuis… longtemps. Et y’avait auparavant, à B., aux C. (nom du bidonville), un partenariat avec une unité d’action sociale, euh, avec des étudiants en projet tutoré qui nous accompagnaient d’un côté sur les sorties culturelles, et d’un autre côté qui venaient faire du soutien scolaire aux enfants en bidonville » (médiateur, Seine-Saint-Denis).

L’engagement observé est également l’œuvre de travailleurs sociaux en poste ou en formation. Cette implication trouve aussi ses limites, selon les acteurs de la médiation. C’est néanmoins ce qui légitime leur action :

« Vous savez, les enseignants, comme d’ailleurs les travailleurs sociaux, aujourd’hui ne vont pas dans les bidonvilles. Donc, ils pensent qu’on peut séparer l’enfant de son contexte de famille, ce qui est impossible. Pour que les choses marchent vraiment bien, mais c’est tout à fait exceptionnel, et où on avait des enseignants / écoles qui vont sur le bidonville, qui d’ailleurs engueulent les parents le cas échéant si l’enfant ne va pas à l’école, parce qu’il avait sommeil ou parce qu’il avait un rhume. C’est tout à fait exceptionnel. Aujourd’hui, de plus en plus, les institutions se barricadent chez elles. Donc, on n’a jamais, moi j’ai jamais vu une assistante sociale sur un bidonville de même que je n’ai jamais vu un prof ».

Il faut lire aussi ces propos, au prisme d’un contexte dans lequel les possibilités pour les travailleurs sociaux du secteur de l’accueil des migrants d’offrir un réel accueil inconditionnel, est bien malmené.

Nous retenons de ces observations, la multiplicité des acteurs de la médiation : d’une part, la dimension associative, de l’autre aussi l’implication d’acteurs de la vie scolaire mais en

dehors de l’institution, sur des formes bénévoles, ainsi que des travailleurs sociaux mais également en dehors de leurs missions professionnelles. La médiation vient donc questionner les limites des institutions202.

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