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S ITUATION SOCIO - SCOLAIRE DES EFIV : ELEMENTS DE CONTEXTE La constitution progressive d’une politique publique

D’un point de vue historique, la question de la scolarisation des enfants de familles itinérantes s’est longtemps focalisée de façon exclusive sur la non-scolarisation ou la discontinuité de la scolarisation comme effet du mode de vie itinérant. La première approche proposée dans le milieu des années 1960 (période de la « promotion des nomades ») est préventive et coercitive, à travers la réglementation relative à la sanction des manquements à l’obligation scolaire de la part des parents par la suppression des allocations familiales92. Pour autant, à partir des années 197093, puis dans les deux décennies suivantes, une série de circulaires sont promulguées en vue de mettre en œuvre une politique plus globale de scolarisation des enfants du voyage, sans doute sous l’impulsion des travaux pionniers du sociologue Jean-Pierre Liégeois et du Conseil de l’Europe94. Durant la même période, un certain nombre de dispositifs spécifiques (classes spéciales sur les aires d’accueil), passerelles type antennes scolaires mobiles (rattachées à des établissements scolaires du réseau La Salle) ou simplement adaptés (programme enfants du voyage du CNED) sont expérimentés et parfois développés.

Depuis le début des années 2000, la politique de scolarisation des EFIV a commencé à mieux se structurer. Les Centres de formation et d’information pour la scolarisation des enfants de migrants (CEFISEM), qui avaient été créés en 1975, voient progressivement leurs

89 GUYON R. (2009), « Scolarisation des enfants roms du Kosovo - Troyes », Diversité, Ville-École-Intégration, n° 159, « Roms, Tsiganes, Gens du voyage », pp. 93-97 ; RIGOLOT M. (2009), op. cit.

90 GUYON R. et RIGOLOT M. (dir) (2010), « À l’école avec les élèves roms, tsiganes et voyageurs » [en ligne], Cahiers pédagogiques, coll. des hors-séries numériques, n° 21, septembre 2010 (papier) et mai 2011 (numérique), <www.cahiers-pedagogiques.com/IMG/pdf/hsn_roms.pdf>, consulté en janvier 2018.

91 Voir aussi RAYNA S., BROUGÈRE G. (dir.) (2014), Petites enfances, migrations et diversités, Bruxelles, Peter Lang.

92 Ministère de l’Éducation nationale (1966), « Circulaire du 8-08-1966, application de l’article 15 du décret n° 66-104 du 18-02-1966 et de l’arrêté du 8-08-1966. Contrôle de la fréquentation et de l’assiduité scolaires et sanctions que comportent, au regard du versement des prestations familiales, les manquements à l’obligation scolaire des enfants de familles sans domicile fixe», Journal officiel, 19 août, p. 7 295.

93 Ministère de l’Éducation nationale (1970), « Circulaire n° 70-428 du 9-11-1970. Scolarisation des enfants de familles sans domicile fixe », Bulletin officiel de l’éducation nationale, n° 44, 19 novembre.

94 LIÉGEOIS J.-P. (1996), La scolarisation des enfants tsiganes et voyageurs, rapport sur la mise en œuvre des mesures prévues par la Résolution du Conseil des ministres de l’Éducation du 22 mai 1989, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg.

missions s’élargir. C’est en 2002 qu’ils sont transformés en CASNAV95, par le biais d’une circulaire relative à l’ingénierie de la scolarisation des EFIV à l’échelon départemental, indispensable à une mise en œuvre effective des orientations nationales. Enfin, la circulaire de 2012 relative à la « scolarisation et scolarité des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs »96 propose une approche renouvelée, à partir de la notion d’école « inclusive » qui est transversale aux différents « publics à besoins particuliers ». Dans le même mouvement, la DGESCO organise deux séminaires pour mettre en place l’inclusion scolaire des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs en 201397 et 201498 réunissant des représentants des CASNAV, des responsables politiques et des chercheurs.

Notre projet de recherche, financé par le service « Études » du Défenseur des droits, est révélateur d’une approche transversale, cherchant à dépasser l’approche sectorielle, dans la mesure où l’intérêt supérieur de l’enfant et la lutte contre les discriminations relèvent de dimensions qui traversent les différents champs des politiques publiques.

Plusieurs rapports généraux sur la question globale de l’accueil ou de la place des gens du voyage ont jalonné la formation progressive d’une politique spécifique au cours des vingt dernières années, posant toujours centralement la question de la scolarisation effective des EFIV. Ces rapports, de même que la loi Besson (2000), soulignent l’importance de penser la scolarisation des enfants du voyage à l’intérieur même de la politique globale d’accueil des gens du voyage. Comme le rappelle Virginie Repaire dans ses travaux sur la question, « les conditions d’existence des familles représentent le premier préalable à toute forme de scolarisation »99.

Il est important de souligner, à la suite de ces travaux, que ce n’est pas (seulement) l’itinérance en soi qui crée le problème de la discontinuité scolaire mais les lacunes existantes en termes de réelle politique d’accueil global des familles en domicile non fixe. En premier lieu, la cohérence de l’accueil à l’échelle du territoire (communal / départemental) doit prévaloir sur « l’obligation » législative qui débouche sur des « aires alibi » et donc, un accueil difficile voire illusoire dans les écoles et l’ensemble des institutions de socialisation. En second lieu, l’institution scolaire peut jouer un rôle dans une politique globale d’accueil : dans certains cas, comme dans l’Hérault notamment, c’est parce que l’inspection académique se manifeste auprès des mairies que l’accueil est rendu plus légitime sur la commune. La scolarisation est

95 Ministère de l’Éducation nationale (2002), « Circulaire n° 2002-102 du 25-04-2002. Missions et organisation des centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (CASNAV) », Bulletin officiel de l’éducation nationale, n° 10, avril.

96 Ministère de l’Éducation nationale (2012), « Circulaire n° 2012-142 du 2-10-2012. Scolarisation et scolarité des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs », Bulletin officiel de l’éducation nationale, n° 37, 11 octobre.

97 Ministère de l’Éducation nationale (2017), Actes du séminaire national des 3 et 4 avril 2013, Une école inclusive pour les élèves allophones nouvellement arrivés et les enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs [en ligne], Éducsol, 2 août, <eduscol.education.fr/cid73170/inclusion-scolaire-des-eleves-allophones-et-des-enfants-de-familles-itinerantes.html#lien2>, consulté en janvier 2018.

98 Ministère de l’Éducation nationale (2017), Actes du séminaire national du 9 avril 2014, Une école inclusive pour les élèves allophones nouvellement arrivés et les élèves issus de familles itinérantes et de voyageurs : coordination et mise en réseau des acteurs [en ligne], Éducsol, 2 août, <eduscol.education.fr/cid73170/

inclusion-scolaire-des-eleves-allophones-et-des-enfants-de-familles-itinerantes.html#lien1>, consulté en janvier 2018.

99 REPAIRE V. (2007), op. cit.

donc bien une dimension essentielle d’une politique d’accueil global des gens du voyage sur le territoire.

La situation des migrants récents en provenance de Bulgarie et de Roumanie, installés sur des terrains ou dans des bâtiments sans droit ni titre, est de ce point vue assez proche de celle des itinérants, puisqu’ils sont pareillement sujets à des expulsions répétées, ces dernières étant repérées comme l’une des principales causes des ruptures de scolarisation.

Il est donc important de souligner que c’est aussi la situation minoritaire de l’itinérance, qu’elle soit choisie ou subie, qui freine l’accès à la scolarisation et engendre la discontinuité des parcours scolaires. En effet, les itinérants ne sont pas toujours reconnus dans leur droit de cité, et sont particulièrement victimes de discriminations dans l’accès à l’éducation, que ce soit en fonction de leur mode de vie ou de leur origine réelle ou supposée, comme en témoignent différents textes produits par le Défenseur des droits ou l’autorité administrative indépendante qui l’a précédé100.

Depuis le milieu des années 1990, tant les associations d’aide aux gens du voyage que les services ministériels notent un rapprochement continu entre les familles itinérantes et l’institution scolaire, marqué par une baisse sensible du nombre d’enfants non scolarisés et des attentes et projets familiaux beaucoup plus investis par rapport à la scolarisation de leurs enfants101, accompagnés d’une préoccupation quant aux acquis réels résultant de cette hausse de la fréquentation scolaire. D’une part, l’institution scolaire (aidée du milieu associatif) tente de mieux répondre à la demande explicite des familles d’instaurer un lien de

« confiance »102 ; d’autre part, la génération des parents des quinze dernières années a pris conscience de la nécessité de l’acquisition des « savoirs de base » (lecture et écriture notamment) parce qu’ils ont directement souffert dans leur vie professionnelle de ces lacunes103.

Quant à la question de la langue, qui est centralement abordée par notre recherche, plusieurs travaux donnent des éléments sur le rapport à l’écrit des familles itinérantes et sur le plurilinguisme d’une partie d’entre elles. Un certain nombre d’EFIV sont bilingues, voire trilingues, comme le montrent les travaux d’Élisabeth Clanet : « Selon leur origine, ils parlent des langues, dialectes (variétés locales, géographiques d’une même langue coexistant sur le même plan) ou sociolectes (dialectes sociaux, expression d’une « culture sociale » souvent renforcée en diaspora pour résister à l’assimilation) »104. Les travaux présentés lors d’un séminaire au ministère de l’Éducation nationale, notamment ceux de Cécile Goï, maître de conférences en sciences du langage, et Delphine Bruggeman105, maître de conférences en

100 Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) (2009), Délibération relative au refus de scolarisation d’enfants du voyage n° 2009-232 du 8 juin 2009.

101 Ministère de l’Éducation nationale, Direction de l’enseignement scolaire (2000), La scolarisation des enfants des gens du voyage, 4e trimestre.

102 REPAIRE V. (2007), op. cit., p. 103.

103 COSSÉE C. (2007), « L’accès aux droits relatifs à l’initiative économique et à l’emploi », in LIÉGEOIS J.-P. (2007), op. cit.

104 CLANET É. (2007), op. cit., p. 565.

105 GOÏ C., BRUGGEMAN D (2013), « L’inclusion scolaire des EANA : questions d’éthique, de politiques institution-nelles et de pratiques didactiques » [en ligne], Actes du séminaire national des 3 et 4 avril 2013, Une école inclusive pour les élèves allophones nouvellement arrivés et les enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs, Éducsol, juillet, <cache.media.eduscol.education.fr/file/FLS/01/6/conference_Goi_Bruggeman_

263016.pdf>, consulté en janvier 2018.

sciences de l’éducation, soulignant l’enjeu d’une prise en compte réelle du plurilinguisme, sont centraux pour dégager des perspectives d’amélioration des approches pédagogiques proposées et à développer pour les EANA comme pour les EFIV.

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