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1- Savoirs théoriques/savoirs pratiques/savoirs professionnels

La question des savoirs dans le domaine de la formation de manière générale, et les formations sportives en particulier, est un sujet souvent évoqué et fortement exploré.

Le questionnement tourne souvent autour du statut et de l‟intérêt de savoirs théoriques et de leur

articulation avec les savoirs pratiques. Ainsi, par exemple, F. Scribot1 précise que la majorité des

formateurs aux brevets d‟État (BE) déclarent important et indispensable le recours aux données scientifiques dans les différentes formations. 94% d‟entre eux pensent que les connaissances biologiques contribuent à l‟efficacité d‟un diplômé du BE1. Néanmoins, F. Bigrel (1992) souligne que « la formation commune, dans sa forme actuelle, est contestée par de nombreux partenaires du mouvement sportif » (p.30). Il met particulièrement en évidence le problème d‟une production de connaissances toujours accrue. Il consacre un ouvrage à réfléchir sur les conditions à remplir pour que les connaissances scientifiques soient intéressantes pour les formations (adaptabilité, complexité prenant en compte la totalité de la performance…). Dans de nombreux écrits, les problèmes classiques de liaison théorie-pratique sont évoqués. Ainsi, par exemple, J. Cathelineau et C. Target (1990) soulignent, pour les entraîneurs de voile et planche à voile, le trop grand décalage entre la formation pédagogique très théorique et le stage pratique.

Les connaissances théoriques et plus précisément scientifiques sont des ressources souvent évoquées par les entraîneurs. Dans une étude récente, C. Collinet (2005) montre que les entraîneurs (rugby et athlétisme) mentionnent trois domaines de connaissances scientifiques les intéressant plus particulièrement :

- les données psychologiques (processus de concentration, de préparation mentale, sophrologie…)

- les données biologiques (capacités énergétiques, force musculaire, biomécanique…)

- les données affectives et relationnelles (dynamique des groupes…)

Les savoirs sont évoqués en fonction d‟une double contrainte (p.48) : celle de leur efficacité pratique et celle de leur intérêt personnel. Les entraîneurs témoignent d‟un grand intérêt pour les savoirs scientifiques et d‟une démarche active de prise de connaissance.

Néanmoins, selon certaines études, le recours aux savoirs théoriques dans l‟acte pratique proprement dit ne semble pas constitutif de l‟expertise dans le domaine de l‟entraînement. V. Cotteaux (1997) montre ainsi, à partir d‟une analyse d‟entraîneurs de haut niveau, que leur expertise va de pair avec une distanciation des savoirs théoriques, l‟expertise se construisant dans la pratique même.

Les analyses concernant le rapport savoirs théoriques/savoirs pratiques dans la construction des formations mettent au jour des critiques du système de formation classique des éducateurs sportifs.

La première formulée par P. Chifflet (1988) souligne, d‟une part, le manque de références théoriques générales et, d‟autre part, le manque de savoirs situationnels (au sens de capacités à acquérir définies en fonction d‟une pluralité de situations), au profit de recettes figées issues d‟expériences d‟hommes de terrain dans la formation des entraîneurs. Le système sportif (celui des fédérations, relayé par les différentes instances ministérielles administrant le sport français) tend à produire, puis à diffuser ses propres savoirs relatifs aux pratiques sportives. Le pragmatisme des « hommes de terrain » prévaut sur les connaissances potentielles issues de recherches ou de théorisations. Celles-ci ont été longtemps rejetées comme néfastes à l‟efficacité de l‟entraînement, si bien que la formation des entraîneurs est conçue avant tout comme l‟apprentissage de processus internes au métier et directement utilisables professionnellement. Pour appuyer ses propos, P. Chifflet s‟appuie sur une étude de deux chercheurs du CEREQ (Colardyn et Lantier, 1982) mettant en évidence trois conceptions de la formation professionnelle :

- la première génération « est caractérisée par le développement de processus

d‟apprentissage immédiatement transférables à l‟activité professionnelle » avec une prédominance du rapport homme-technique ;

- la deuxième génération de problématique « introduit des formations polyvalentes

destinées à favoriser la mobilité professionnelle des individus. Elle se traduit par une démarche externe d‟identification des comportements et performances à atteindre afin d‟en inférer les objectifs de formation ». Prédomine alors le rapport homme-organisation ;

- une troisième génération de problématique est plus récente. Prenant en compte les

mutations de l‟environnement, elle tend à les intégrer à la formation dans « un souci de favoriser la transférabilité des compétences professionnelles à des situations nouvelles ». On est alors dans un rapport homme-environnement.

Dans la formation des cadres techniques, on perçoit, selon P. Chifflet, une centration sur une stratégie de formation directe au métier par une analyse interne de celui-ci avec des connaissances « fermées ». Le savoir transmis est un savoir construit sur une référence -modèle immédiatement transmissible à des « élèves » et difficilement adaptable à des situations changeantes. Ce mode de formation dépend directement des textes réglementant la profession

d‟éducateur sportif, et en particulier du BEES à 3 degrés, qui comprend un tronc commun et une partie spécifique définis en terme de programme.

La formation, notamment pour les 1er et 2ème degrés, a longtemps été organisée dans une

perspective de transmission d‟un savoir (partie commune) et d‟un savoir-faire (partie spécifique). Les examens de contrôle ont pour objet de vérifier l‟assimilation des connaissances générales

d‟une part, et des connaissances techniques d‟autre part. Les programmes et les épreuves du 1er

et

2ème degrés du BEES sont de même nature. Seul un approfondissement des connaissances

différencie les deux programmes. Mais dans les deux cas, pour définir les contenus de la formation et des examens de contrôle, l‟analyse du métier est considérée comme indispensable. La réforme du tronc commun du BEES en 1984, si elle atteste d‟une volonté du Ministère de la Jeunesse et des Sports de remédier à « l‟inadéquation évidente » entre les épreuves de formation commune et le profil des postulants, ne modifie pas réellement l‟organisation des formations. Même si « les modalités d‟examen du nouveau tronc commun apparaissent beaucoup mieux adaptées au profil de ce type de candidat, (…) la réforme de la formation commune entend

renforcer le rôle du BEES 1er degré comme moyen de promotion sociale. Plus encore que par le

passé, il doit prendre en compte la pratique et les activités antérieures des candidats. Celles-ci,

lors des examens, doivent être valorisées tout autant que les connaissances théoriques »1.

Désormais, l‟évaluation se fera sous forme de contrôle continu pour mieux coller à « l‟esprit

promotionnel » du BEES 1er degré.

Ainsi, cette restructuration des formations oblige-t-elle en quelque sorte à calquer spécifiquement la formation et la certification sur l‟emploi occupé. La formation est alors organisée dans une simple perspective de transmission de connaissances « techniques » articulant le savoir-faire pédagogique et la technique sportive. La définition des programmes est réalisée en termes de connaissances à acquérir ; ce programme limite le cadre de la formation puisqu‟il est rédigé en termes de connaissances minimales. Il est organisé en trois parties décomposées chacune en trois sous-parties (annexe 1 de l‟arrêté du 7 mai 1984) : le pratiquant (l‟acte moteur d‟un point de vue biomécanique, physiologique, psychologique), l‟éducateur sportif en relation avec les pratiquants (l‟environnement social, les participants, l‟enseignement sportif), le cadre institutionnel de la pratique physique ou sportive (l‟association sportive, les partenaires de l‟AS, la profession d‟éducateur sportif).

Les connaissances à acquérir sont celles qui semblent directement indispensables dans le métier d‟éducateur sportif. Une analyse des épreuves amène aux mêmes conclusions.

La formation des animateurs et entraîneurs sportifs est ainsi caractérisée par l‟acquisition de connaissances immédiatement transférables à l‟activité professionnelle. Les références sont internes au métier et n‟envisagent à aucun moment la possibilité d‟une mobilité professionnelle des individus. Enfermé dans une relation d‟éducation et d‟entraînement au sein de l‟institution associative, le professionnel du sport ne peut facilement envisager d‟évoluer vers des fonctions d‟encadrement et de gestion dans des structures entrepreneuriales notamment. Encore plus que dans la partie commune, les savoirs transmis sont la reproduction des savoirs professionnels antérieurs, issus la plupart du temps des cas de connaissances pragmatiques acquises par des hommes de terrain. Le savoir technique est comparable au « tour de main », c‟est-à-dire au savoir pratique des artisans.

1 Ministère de la Jeunesse et des Sports, « La réforme du brevet d‟État d‟éducateur sportif, 1ier degré », Revue EPS, n°190, novembre 1984, p.33 ; Arrêté du 7 mai 1984 : examens de formation commune du brevet d‟État à trois degrés d‟éducateur sportif.

Selon P. Chifflet, si la formation prenait en compte la 2ème génération de problématique, elle ne correspondrait pas à un emploi mais à « une famille d‟activités » en repérant l‟ensemble des tâches possibles. Celles-ci seraient alors traduites en objectifs de formation ou de capacités à acquérir. La formation d‟un entraîneur ne proposerait pas seulement l‟acquisition de connaissances ou de techniques mais permettrait d‟acquérir des capacités pour analyser les comportements des compétiteurs, répondre aux demandes particulières de pratiquants, favoriser l‟innovation…

Le professorat de sport1 lui-même, avec des épreuves privilégiant les connaissances techniques et

les compétences professionnelles dans un seul sport, échappe difficilement à cette orientation. Or, si l‟on prend en compte l‟analyse de l‟environnement sportif, on observe que les tâches à accomplir présentent une faible stabilité aussi bien dans le cheminement professionnel des entraîneurs et éducateurs que dans l‟évolution du contexte technique et organisationnel du sport. Dans une problématique de formation homme-environnement, ce qui doit être recherché est le développement de capacités généralisables telles que la maîtrise des relations interpersonnelles, la maîtrise des données scientifiques relatives au fonctionnement humain, la communication orale et écrite, le management d‟équipes, de structures et de projets, la possibilité de prévoir et celle de prendre des décisions, l‟aptitude à innover ou à accepter les innovations, à repérer les principes plutôt que les formes apparentes.

En définitive, les exigences pratiques de l‟entraînement sportif, suivant un modèle « normé », sont actuellement la référence privilégiée des connaissances transmises. Celles-ci sont définies à partir d‟observations plus ou moins systématiques. Elles restent cependant à un niveau descriptif. Le comportement visible des compétiteurs sert seul de repères pour définir les contenus d‟enseignement. La conséquence majeure de ce processus est une transmission de savoirs pensés et construits en termes techniques et pédagogiques.

La délivrance exclusive de diplômes et la prérogative pour en définir les contenus de formation étant source de pouvoir, il ne fait guère de doute que la volonté de maîtriser tout le système sportif incite les responsables de l‟enseignement sportif à définir une formation qui transmet les seules connaissances issues de savoirs pragmatiques. Pouvoirs publics et mouvement sportif privilégient, de ce fait, la reproduction de savoirs sportifs décrits méthodiquement en termes de techniques normalisées. Les processus scientifiques ne sont pas conçus comme producteurs de savoirs. Seule la production des champions, « théorisée » par les entraîneurs, est source de savoirs. Il s‟ensuit que le risque de reproduction de savoirs sportifs normalisés et figés reste particulièrement fort.

Le deuxième point de vue s‟inspire de théories anglo-saxonnes pour développer l‟idée de l‟analyse et la transmission de savoirs d‟action. J. Saury, C. Sève et S. Le Blanc (2007) partent du constat de l‟organisation dichotomique des formations (avec une partie commune d‟un côté, qui renvoie aux principes généraux de l‟entraînement et une partie spécifique de l‟autre, qui renvoie aux connaissances propres à une discipline et dans laquelle sont spécifiés les principes généraux de la partie commune). L‟entraînement y est ainsi appréhendé hiérarchiquement : la théorie constitue un pré-requis duquel on déduit la pratique. En citant D. A. Shön (1983), les auteurs qualifient cette conception de rationalité technique. Ils soulignent que les pratiques professionnelles exigent le développement de compétences relativement indépendantes des connaissances scientifiques. Ils partent de l‟analyse du processus d‟entraînement. Les théories de l‟entraînement s‟organisent classiquement autour de cinq principes généraux qui sont la

périodisation, l‟alternance, la charge croissante, la cohérence, la modélisation. Toutefois, ces principes ne permettent pas de prendre en compte la singularité des situations : l‟agencement des charges est difficile à établir, leur définition ne dépend pas seulement des objectifs mais aussi de l‟investissement des athlètes. Les incertitudes de la saison sportive empêchent d‟anticiper précisément les contenus et les effets de l‟entraînement. Les problèmes rencontrés nécessitent souvent la recherche de solutions inédites et les principes généraux sont alors d‟une utilité limitée. Les entraîneurs comblent les manques par des savoirs d‟expérience et des croyances plus ou moins partagées. Deux points ressortent particulièrement : la régulation conjointe de l‟entraînement qui se traduit par une négociation permanente des contraintes de l‟entraînement et la constitution d‟un référentiel commun sur lequel se fonde la collaboration, c‟est-à-dire un ensemble de règles de fonctionnement implicites. L‟efficacité est conçue comme une propriété émergente des actions collectives et des caractéristiques globales des situations. Dès lors, la formation doit être repensée. La voie la plus prometteuse, selon les auteurs, est de partir de cas typiques concrets relatifs au vécu des entraîneurs puis de les analyser en s‟appuyant sur d‟autres connaissances plus théoriques. En outre, la formalisation de l‟expérience vécue et le partage de cette expérience avec d‟autres entraîneurs permettent de progresser dans la pratique professionnelle. Cela implique l‟appropriation de certaines techniques d‟entretien (par auto-confrontation, par exemple) ou sous forme de « mentoring » avec un entraîneur plus expérimenté. Les dispositifs de formation doivent donc favoriser la capitalisation de l‟expérience.

La rénovation des diplômes de Jeunesse et Sports amorcée depuis 1999 tout comme celle des STAPS semble s‟orienter vers la prise en compte de ces nouvelles données concernant la définition des savoirs professionnels dans l‟objectif d‟une meilleure adéquation des qualifications aux futurs métiers. Il semble que la création des nouveaux diplômes (BJEPS, licences professionnelles) soit une réponse possible aux situations professionnelles observées et en devenir. Ainsi, la construction des diplômes s‟appuie dorénavant sur un référentiel professionnel (les activités du métier) et un référentiel de certification défini en termes de compétences nécessaires à l‟exercice du métier. Il semble que la notion de compétence soit désormais au cœur de la définition des savoirs professionnels.

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