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1-1- L’article 3 : Des éducateurs sportifs dans les Ecoles, enjeux économique ou volonté politique ?

réformes du tronc commun

II- 1-1- L’article 3 : Des éducateurs sportifs dans les Ecoles, enjeux économique ou volonté politique ?

Cet article fera l‟objet de nombreux débats. Au sein des parlementaires tout d‟abord, puis au sein

de l‟éducation nationale et plus précisément de l‟EPS, avec en tête de file, le SNEP2

. En effet, ce syndicat défend les professeurs d‟EPS et refuse catégoriquement que des intervenants extérieurs puissent enseigner et pénétrer le secteur scolaire.

L‟enjeu de l‟article 3 est de créer au sein du secteur scolaire des voies de spécialisation pour les « meilleurs élèves » ; voies alors encadrées par des éducateurs sportifs spécialisés dans une APS.

En effet, M. Pierre-Christian Taittinger précise3 qu‟ « au-delà d‟un tronc commun d‟EPS, une

spécialisation dans le ou les sports qu‟ils désirent pratiquer. Pour obtenir ce résultat, il convient de faire appel non seulement aux enseignants, mais aussi à des éducateurs sportifs spécialisés en telle ou telle discipline. Le fait que ces éducateurs sportifs soient titulaires d‟un brevet d‟Etat donne toute garantie quant à leur qualification et à leur compétence pédagogique, puisque l‟une des épreuves Ŕ c‟est même la principale Ŕ figurant au programme de tous les brevets d‟Etat porte sur la pédagogie. En outre, en associant les enseignants titulaires de l‟Etat et les éducateurs sportifs extérieurs à l‟administration, nous réaliserons une ouverture de l‟école sur la vie sportive qui, d‟un point de vue pédagogique, présentera un intérêt certain ». Ceci sera loin de faire l‟unanimité. M. René Gaillard dira que « la porte reste ouverte à l‟intervention d‟un personnel non-enseignant, sans qualification affirmée. C‟est un pas de plus vers une privatisation que nous ne saurions accepter (…). C‟est parce que nous pensons qu‟au-delà du dévouement et du désir de bien faire une compétence indiscutable et une connaissance parfaite des enfants doit être exigée des éducateurs physiques et sportifs, que nous estimons que le seul cadre convenable est celui de

l‟école, et que le seul responsable doit être l‟instituteur ou le professeur 4

».

Il y a dans les propos des parlementaires, un paradoxe qui illustre parfaitement les tensions entre les deux ministères. Tandis que l‟un avance que le fait de recruter des personnes titulaires d‟un brevet d‟État garantie leurs qualifications et leurs compétences l‟autre lui rétorque que ce personnel, non-enseignant, n‟a pas de qualifications affirmées. Sur le fond, il semble pourtant que les épreuves entre les enseignants et les éducateurs ne soient pas fondamentalement différentes,

les deux formations étant axées sur la pédagogie (entre autres)5. Le véritable conflit réside sur la

l‟expiration d‟un délai de deux ans suivant la publication de la présente loi, sous la réserve des dispositions de l‟alinéa 2 de l‟article premier ».

1 L‟article 24 Ŕ qui était l‟article 22 au sein des premières moutures du projet de loi Ŕ n‟a conduit à aucun débat. Il précise simplement les textes qui seront abrogés avec cette loi.

2

Syndicat National de l‟Education Physique.

3 Extrait Ŕ Sénat Ŕ Discussion et adoption, après déclaration d‟urgence, le 5 juin 1975 (L. n°132)

4 Extrait Ŕ Assemblée Nationale Ŕ Projet de loi adopté par le Sénat (n°1728) Ŕ Rapport de M. Rickert, au nom de la Commission des affaires culturelles (n°1879) Ŕ Discussion et adoption les 2 et 3 octobre et adoption le 3 octobre 1975 (L. n°356).

5 Cependant, le temps de formation et le niveau d‟exigence à l‟entrée de ces formations sont très différents. Pour passer le BEES 1er degré il faut avoir 18 ans tandis que pour entrer en STAPS il faut être titulaire du baccalauréat. Le BEES est une formation « courte » (un an) tandis que la filière STAPS va progressivement se structurer en DEUG, Licence (1977), Maîtrise (1981), puis troisième cycle universitaire (1983) ; c‟est-à-dire de 2 à 5 ans d‟études et plus avec le doctorat.

forme : les deux formations dépendent de ministères distincts, se disputant le monopole des formations relatives à l‟enseignement sportif. Ainsi, le terme « qualification » ne revêt pas le même sens selon le ministère.

L‟article 3 offre donc la possibilité aux éducateurs sportifs d‟intervenir dans le milieu scolaire. Nous pouvons ici observer le prolongement de la création des Centres d‟Animation Sportif au début des années 1970, alors à l‟interface entre l‟Ecole et les clubs. Ainsi que le met en avant J.P. Saint-Martin (2003, p.268), cet article ne contribue pas à distinguer explicitement les différents corps des métiers sportifs. « Dans les années 1960-1970, il est très difficile de distinguer les prérogatives des enseignants d‟EPS et de ceux qui exercent un métier sportif. Les tentatives de fusion sont multiples. Malgré la création des UEREPS en 1968 (Loi Edgar Faure) et celle des

Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives en 1975 (Loi Mazeaud1), l‟opinion

publique éprouve d‟énormes difficultés pour distinguer les missions des uns et des autres, d‟autant plus que les contenus d‟enseignement se confondent. Le sport inonde l‟école et il est très fréquent de voir des enseignements similaires dispensés lors des séances d‟éducation physique et des entraînements de clubs ». Nous pouvons ici nous questionner sur les raisons d‟une non-unification des formations relatives à l‟enseignement sportif. Le problème étant sûrement que le MJS, sans la formation des BEES, n‟aurait plus lieu d‟être.

II-1-2-L’article 7 : les BEES sur la voie de la professionnalisation, l’émancipation d’enjeux strictement sécuritaires

La loi de 1963 « avait pour objet de réglementer soit les sports pour lesquels il existait déjà des éducateurs professionnels afin de leur permettre une justification de leurs titres et de leur qualification, soit les disciplines sportives dont l‟exercice présente des dangers, c‟est-à-dire ceux

auxquels on ne peut se livrer sans courir de risques 2». Il ne devait alors y avoir aucun autre enjeu

que le maintien de la sécurité des pratiquants. Avec l‟article 7, apparaissent d‟autres enjeux pour le législateur : celui de la « professionnalisation ». Il est, selon l‟Etat, nécessaire d‟harmoniser l‟ensemble des éducateurs sportifs, quelles que soient leurs disciplines d‟intervention afin de certifier un niveau de compétences pour l‟ensemble de ce qu‟on peut désormais appeler : une

profession. « La généralisation des brevets d‟Etat prévue à l‟article 7 permettra, d‟autre part,

d‟améliorer la formation des éducateurs sportifs (parfois communément appelés moniteurs ou entraîneurs), de rapprocher leur niveau d‟une discipline sportive à l‟autre, et de certifier leurs

compétences par un contrôle à trois niveaux3 ». Lors des débats parlementaires, les socialistes

ainsi que les communistes ont eu, pour cet article, une requête4 précise qui était que « les

titulaires d‟un des diplômes universitaires acquis en application des dispositions de l‟article 6 ci-dessus, ainsi que les titulaires des brevets d‟Etat en matière d‟EPS peuvent exercer une activité rémunérée conformément aux dispositions de la loi n°63-807 du 6 août 1963, modifiée par la loi n°67-965 du 2 novembre 1967, à titre d‟occupation principale ou secondaire, de façon régulière

1 Notons que cette loi a été improprement appelée « Loi Mazeaud » puisque celui-ci, bien que principal auteur de ce texte, n‟apparaît pas parmi les onze signataires du projet de loi déposé en 1975.

2 Extrait Ŕ Sénat Ŕ M. Bernard Marie - Projet de loi adopté par l‟Assemblée Nationale (n°1, 1967-1968) 3 Extrait Ŕ Sénat Ŕ Projet de loi (n°296, 1974-1975) Ŕ Séance du 15 mai 1975.

4 Amendement n°47 du groupe socialiste composé de Messieurs Lamousse, Giraud, Carat, Courrière, Eeckhoutte, Petit, Poignant, Provo et Vérillon Ŕ Extrait Ŕ Sénat Ŕ Discussion et adoption, après déclaration d‟urgence, le 5 juin 1975 (L° n°132)

ou saisonnière1 ». Cela signifie que les titulaires d‟un DEUG STAPS peuvent exercer la profession d‟éducateur sportif.

La question des savoirs est ici au cœur des débats en relation avec des questions corporatistes et politiques. Pour les socialistes, il est essentiel d‟ouvrir différents secteurs d‟intervention aux futurs titulaires d‟un DEUG STAPS. Pour eux, ces étudiants vont assimiler des savoirs théoriques poussés, il est donc légitime de leur permettre d‟exercer en tant qu‟éducateur sportif, diplôme de niveau inférieur (pour le premier degré) : « Qui dit formation implique nécessairement débouché. Les futurs étudiants en EPS ne seront pas forcés de tous envisager de devenir des fonctionnaires de l‟Etat, comme c‟était jusqu‟ici le cas avec le CAPEPS. Il apparaît donc à la fois logique et indispensable de leur ouvrir tous les secteurs d‟intervention possibles » (Georges Lamousse, défendant son amendement). De l‟autre côté, le secrétaire d‟Etat Pierre Mazeaud répond qu‟il lui parait impossible d‟assimiler un DEUG, diplôme universitaire à un brevet d‟Etat, c‟est-à-dire de « donner de plein droit et d‟autorité un brevet d‟Etat au titulaire d‟un DEUG dans la mesure où les formations sont assurées par des autorités différentes. Le DEUG est délivré par l‟université alors que le brevet d‟Etat nécessite l‟intervention des fédérations tutrices de leur propre discipline ». Pierre Mazeaud finit son argumentaire sur cette question : « Pourquoi ne pas envisager l‟inverse, Monsieur Lamousse, et dire que les titulaires d‟un brevet d‟Etat pourront bénéficier d‟un DEUG ? Vous verriez alors, mais l‟université ne serait pas tout à fait d‟accord, Michel Rousseau titulaire de droit d‟un DEUG alors qu‟il n‟a que son brevet d‟Etat de maître nageur sauveteur et n‟a pas son baccalauréat ».

Nous voyons encore une fois les tensions entre les deux formations : d‟un côté la filière universitaire, dépendant du MEN, de l‟autre les BEES, dépendants du MJS. Ce débat se

poursuivit avec M. Henri Lavielle qui précise2 que l‟Etat « refuse de prendre en considération les

diplômes universitaires en « STAPS » dans le cadre de la loi du 6 août 1963 ». Le secrétaire d‟Etat rétorqua qu‟ « un professeur d‟EPS, brillamment reçu au CAPEPS, ne saurait pour autant être guide de montagne : il faut pour cela passer un brevet spécial ». M. Robert Capdeville interroge alors le secrétaire d‟Etat en lui demandant s‟il veut réellement mettre sur le marché du travail des chômeurs en STAPS. Il parait en effet logique à M. Capdeville d‟ouvrir tous les secteurs d‟intervention aux étudiants en STAPS. Ce dernier, pour répondre à Pierre Mazeaud sur son refus des équivalences lui dit : « Vous avez suggéré dans un trait d‟humour : « Pourquoi, avez-vous dit, ne pas aussi attribuer un DEUG à Michel Rousseau qui n‟a même pas le baccalauréat ? » Vous avez pensé « faire mouche ». Indépendamment du fait que ce n‟est pas très aimable pour votre collègue Moisson, il resterait à prouver que tous les champions sont d‟excellents éducateurs alors que les étudiants en EPS sont toujours d‟honnêtes sportifs et souvent des champions de classe. Et il n‟est pas dit que le nom garantira la compétence. Il nous parait donc logique et indispensable d‟ouvrir la profession à tous, dans tous les secteurs, à la sortie de l‟Université ».

Pour clore ce débat relatif aux demandes de modifications de l‟article 7, le rapporteur M. Ernest Ricket précisera que « la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, car « il serait dangereux d‟induire une concurrence entre universitaires et titulaires des brevets d‟Etat, concurrence qui serait nécessairement au désavantage de ces derniers ». M. Pierre Mazeaud

1

Cette rédaction ne sera alors pas adoptée. Un nouvel amendement (n°28), défendue par M. Capdeville, Deschamps, Delelis, Gravelle et les membres du parti socialiste et des radicaux de gauche, présenté le 3 octobre 1975 au Sénat, sera rédigé exactement de la même façon.

2 Extrait Ŕ Assemblée Nationale Ŕ Projet de loi adopté par le Sénat (n°1728) Ŕ Rapport de M. Rickert, au nom de la Commission des affaires culturelles (n°1879) Ŕ Discussion et adoption les 2 et 3 octobre et adoption le 3 octobre 1975 (L. n°356).

précise que le gouvernement est également défavorable à cet amendement, « d‟autant que le DEUG est une formation intellectuelle et générale alors que le brevet d‟Etat est une formation spécialisée et technique ». Pierre Mazeaud avance ici un argument sur le fond, c‟est-à-dire les savoirs intégrés au sein des deux formations qui sont, selon lui, bien distincts. D‟un côté la filière universitaire et des savoirs généraux, de l‟autre, les fédérations sportives et des savoirs spécifiques. Dans son ensemble, ce projet de loi fera l‟objet de critique au sein d‟une partie de la gauche, et notamment des députés communistes qui votent contre. Pour M. Georges Lamousse, ce texte accentue le désengagement financier de l‟Etat et consacre l‟abandon du monopole de l‟EPS à l‟école par l‟introduction du secteur privé. Il ajoutera : « vous avez prétendu, monsieur le secrétaire d‟Etat, qu‟entre une étatisation qui écarte l‟initiative privée et une « privatisation » qui exclut le soutien public, la France avait, dans ce domaine comme dans bien d‟autres, choisi la « voie moyenne ». C‟est totalement inexact : le texte de loi sue l‟étatisation par nombre de ses

articles 1».

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