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1- La création des brevets d’Etat d’éducateur sportif en 1963 : redéfinition de la sécurité en termes de savoirs requis

réformes du tronc commun

I- 1- La création des brevets d’Etat d’éducateur sportif en 1963 : redéfinition de la sécurité en termes de savoirs requis

Dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il y eu une double nécessité. Tout d‟abord, le « redressement des corps » (Vigarello, 2001), c‟est-à-dire la reconstruction physique et morale de l‟ensemble des individus, notamment des enfants et adolescents. En effet, en 1945, les adolescents ont 7 à 11 cm et 7 à 9kg de moins que leurs homologues de 1935 (Amar, 1987). Dans ce sens, l‟Inspecteur Général Berthoumieu avance en 1946 un constat catastrophique : « 80% de nos jeunes sont des déficients physiologiques, scoliotiques, insuffisants respiratoires et

musculaire ». Ceci justifie le premier but des instructions officielles de 1945 Ŕ régissant l‟EPS1 -,

à savoir « le développement normal de l‟enfant, recherche des attitudes correctes, amplitudes

respiratoires »2 .

L‟autre priorité est la reconstruction du pays : maisons, voies ferrées, ponts, usines, écoles…Les installations sportives passent bien évidemment après tout cela. Marianne Amar (1987) fait ainsi

le constat au 1er janvier 1958 que la France se place au dernier rang de la hiérarchie

européenne dans le sens où « 52 départements n‟ont pas de piscine couverte et 8 n‟en ont aucune ; 43 départements n‟ont pas de salle de sport et 11 n‟ont pas de stade », constat réaffirmé par le « Rapport de Segogne » (Arnaud, 1992). Maurice Herzog, haut-commissaire à la Jeunesse et aux sports, a dans cette perspective pour ambition de résorber le retard de la France en matière d‟installations sportives. Il est alors soutenu par le chef de l‟Etat face aux réticences de la direction du budget (Martin, 1998) et obtient du gouvernement le principe même des lois-programmes qui constituent l‟un des axes centraux de sa politique, dont les conséquences sont

nettement visibles3.

Il apparaît clairement que les années 60 constituent un tournant pour le phénomène sportif qui ne va cesser de croître jusqu‟à nos jours. Si les Français s‟adonnent de façon croissante aux activités physiques et sportives, c‟est bien sûr grâce à la création de nombreuses infrastructures, mais aussi et surtout par un changement des mentalités, du monde du travail et du temps libre. Ce dernier augmente, avec l‟avènement de la troisième semaine de congés payés en 1956, puis la quatrième en 1969. Ceci permet aux Français de consacrer plus de temps aux loisirs, dont le sport fait partie. Ainsi, entre 1959 et 1983, les dépenses des ménages pour les activités de loisirs sont passées de 5,4% à 7,8% (Borne, 2002). Dans ce contexte d‟amplification du champ sportif, l‟Etat se doit de réglementer rigoureusement son enseignement. La création des BEES en 1963 va dans ce sens en recherchant d‟une part une homogénéisation des connaissances mais aussi une généralisation

de ces diplômes à différents sports4. Notons ici que cette loi n‟est pas « nouvelle », ce que précise

précise Hervé Laudrin lorsqu‟il stipule Ŕ en s‟adressant à Maurice Herzog Ŕ « que ce texte n‟est ni de vous, ni de vos services. J‟ai sous les yeux un projet de loi réglementant la profession d‟éducateur physique ou sportif signé, entre autres, de MM Billères, Gilbert-Jules, André Morice et Albert Gazier. Pas un mot n‟a été changé de ce texte (…) sorti du cercueil de la IVe

République »5. Maurice Herzog lui rétorqua qu‟en effet, « c‟est un texte qui n‟innove pas. Il

s‟inspire de l‟expérience faite dans quatre disciplines, l‟alpinisme et le ski depuis la loi du 18 février 1948, le judo, conformément à la loi du 28 novembre 1955, et la natation, régie par la loi

1 Education physique et sportive. 2 IO du 1er octobre 1945, p 2. 3 Annexe I.

4

Pour obtenir la date de création de chaque partie spécifique Ŕ de chaque sport -, se référer à l‟annexe IV. 5 Extraits - Assemblée Nationale - Discussion et adoption le 27 juin 1963

du 24 mai 1951. M. l‟abbé Laudrin vient de souligner que notre texte était ancien et que, depuis

1953, tous les gouvernements avaient essayé de le soumettre à l‟Assemblée, sans succès »1

. Notons que ceci peut s‟expliquer par l‟instabilité ministérielle Ŕ 22 gouvernements de 1945 à 1958 Ŕ qui n‟a permis de mener aucun programme solide. Il convient cependant ici de préciser que le secteur sportif constitue une « exception » dans le sens où le directeur général de

l‟éducation physique, Gaston Roux, et des sports demeure le même de 1946 à 19582

.

Un des axes majeurs dans la rédaction de cette loi de 1963 fut la volonté de rendre obligatoire pour tous l‟obtention d‟un diplôme reconnu par l‟Etat pour enseigner. En effet, M. Georges Pompidou, M. Christian Fouchet, M. Jean Foyer, M. Roger Frey, M. Pierre Messmer, M. Gilbert

Granval et M. Raymond Marcellin3 précisent que « n‟importe qui peut, en l‟état actuel de la

législation, exercer auprès d‟une clientèle privée la profession d‟éducateur physique. N‟importe qui, dans un enseignement qui nécessite des connaissances anatomiques et physiologiques approfondies et qui implique des risques graves peut exercer sur la formation physique des enfants et des jeunes gens une influence grosse de conséquences (…). Des diplômes sont déjà mis en place mais la possession de ceux-ci n‟est pas obligatoire pour enseigner. (…) Des réclamations croissantes s‟élèvent à ce sujet, tant de la part de la clientèle que de la part d‟éducateurs sérieux

soucieux de voir leur profession valorisée et respectée »4. Nous remarquons ici une évolution des

savoirs relatifs à la sécurité. S‟il s‟agissait Ŕ en 1948, 1951, 1954 et 1955 Ŕ de savoirs « pratiques » garantissant la sécurité des sportifs et permettant d‟éviter tout accident corporel, il apparaît ici, en 1963, que les éducateurs sportifs doivent impérativement acquérir des savoirs relatifs à la constitution et au développement de l‟organisme (anatomie et physiologie). M. Louis Escande précise dans ce sens que pour avoir des éducateurs compétents dans l‟enseignement, dans les fédérations « il est nécessaire des professeurs, des maîtres et des moniteurs qualifiés, c‟est-à-dire ayant obtenu un diplôme délivré à l‟issue de stages effectués soit dans des centres

régionaux d‟EP, soit à l‟institut national des sports, soit dans des centres départementaux5

». Les modalités de délivrance du diplôme restent encore floues.

Il est à souligner ici que l‟Etat ne veut pas donner totale liberté aux fédérations. En effet, il est précisé que « ce projet de loi tend à obliger tous les éducateurs sportifs professionnels à être munis d‟un diplôme qui sera délivré par le ministère de l‟éducation nationale, le plus largement

possible, en accord avec les diverses fédérations sportives »6. Il est une nouvelle fois intéressant

de se pencher sur le ministère dont dépendent les formations de l‟enseignement sportif. Si la formation du BEES fut donnée au Ministère chargé des sports, nous remarquons ici, au sein du projet de loi, que c‟est le MEN qui devait en avoir la charge.

Le législateur témoigne d‟une volonté de garder un certain contrôle sur les diplômes : il n‟est plus question de laisser une totale liberté d‟action aux fédérations sportives. M. Hervé Laudrin précise

dans ce sens que « les clubs protestent contre une atteinte à leur liberté »7. Il fallait donc trouver

1

Ibid.

2 Jean-Paul Callède (2000, p.168), précise que « sous la IVe République, le rôle de Gaston Roux, Directeur général de l‟Education physique et des Sports, inscrit dans la longue continuité (de février 1946 à septembre 1958), est déterminant, prenant l‟avantage sur la valse des ministres… ».

3

Respectivement Premier Ministre, Ministre de l‟éducation nationale, Garde des sceaux Ministre de la justice, Ministre de l‟intérieur, Ministre des armées, Ministre du travail et Ministre de la santé publique et de la population 4 Extraits du projet de loi, annexe n°303 du 4 juin 1963

5 Extraits - Assemblée Nationale - Discussion et adoption le 27 juin 1963 6

Extrait du Projet de loi, annexe n°364 du 20 juin 1963

un compromis entre l‟Etat et les fédérations. Maurice Herzog précise ainsi qu‟il est prévu « de donner délégation aux fédérations sportives pour délivrer ces diplômes sous le contrôle de

l‟Etat »1

et plus précisément sur délégation du ministre de l‟éducation nationale, après avis de jurys qualifiés. Le législateur veut garder du pouvoir dans l‟encadrement de l‟emploi sportif, afin notamment d‟harmoniser l‟ensemble d‟une profession et d‟éviter une exploitation commerciale éhontée. Maurice Herzog, représentant l‟Etat, précise ainsi que ce texte permet de combler une lacune de la législation car « l‟Etat ne pouvait exercer aucun contrôle dans un secteur qui est

éminemment éducatif et dont tous nos enfants peuvent prétendre suivre les activités2 ». Notons ici

que ces propos s‟inscrivent exactement dans l‟idéologie de Maurice Herzog qui veut contrôler le champ sportif français dans trois domaines interdépendants que sont le sport de masse, d‟élite et scolaire (Callède, 2000).

L‟assimilation des savoirs issus des sciences biologiques doit permettre non seulement d‟homogénéiser l‟emploi sportif mais aussi de le renforcer qualitativement en sélectionnant ce que Maurice Herzog appelle « des éducateurs dans le vrai sens du terme et non des charlatans, des escrocs ou des gens malhonnêtes, comme on l‟a trop souvent constaté ». Il ajoutera également « qu‟aujourd‟hui, n‟importe quel moniteur, sous prétexte qu‟il a été un ancien sportif ou un ancien champion, et même s‟il n‟a rien été du tout, peut, sans aucune espèce de garantie de compétence ou de garantie morale, enseigner nos enfants dans des salles spécialisées, où parfois se pratiquent de véritables escroqueries. Nous ne disposons d‟aucun moyen de contrôle.

C‟est ainsi que des enfants et des jeunes gens se présentent dans nos centres médico-sportifs avec

des déformations permanentes de la colonne vertébrale ou de troubles physiologiques graves »3.

Maurice Herzog avance que ces maux sont contractés dans des salles où les éducateurs n‟avaient aucune formation et qu‟il serait inadmissible de pouvoir exercer cette profession « sans

compétence particulière4 ». Le concept de sécurité des pratiquants est donc bien prégnant, les

éducateurs doivent désormais acquérir des savoirs pluriels, s‟émancipant de leur stricte discipline sportive. En somme, « l‟enseignement sportif ne doit pas pouvoir être donné sans connaissances approfondies sur l‟anatomie et la physiologie, car il comporte des risques graves pour la

formation des jeunes gens »5. Le concept de sécurité tend à élargir ses frontières en dépassant la

simple prévention d‟accidents dans les activités à risques : les éducateurs doivent notamment proposer des situations adaptées au développement organique, à la maturation des pratiquants se qui exigent des connaissances en sciences biologiques.

L‟article premier6

illustre la double volonté de préserver la sécurité des pratiquants et d‟éviter une une exploitation commerciale éhontée. Il est en effet précisé que pour professer contre rétribution l‟éducation physique ou sportive il faut obligatoirement posséder un diplôme attestant de l‟aptitude à ces fonctions (déterminées notamment par le ministre de l‟Education Nationale). D‟une part cette loi généralise les droits et les devoirs des salariés aux travailleurs sportifs, et

d‟autre part, avec ces obligations7, et notamment l‟obligation d‟assurance (article 4), l‟Etat

reconnaît officiellement les risques des métiers sportifs.

1 Ibid.

2 Extrait Ŕ Sénat Ŕ Discussion et adoption Ŕ Séance du 19 juillet 1963. 3

Ibid.

4 Extrait Ŕ Sénat Ŕ Discussion et adoption Ŕ Séance du 19 juillet 1963. 5 Ibid.

6 Annexe II. 7

Conditions d‟exercices, conditions d‟exploitation des établissements, sanctions administratives et pénales en cas d‟infraction aux dispositions de cette loi.

I-2- Une pluralité de diplômes au milieu des années 60 : quelles équivalences entre les

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