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Introduction

« Quels sont les pouvoirs nouveaux que je vais donner aux élèves qu’ils n’avaient pas en début d’année ? », fait se demander à l’enseignant J.-P. Astolfi (1990-b). Les pouvoirs

dont il est question ici sont cette capacité de lire et de comprendre le monde que donnent certains savoirs. Les outils intellectuels qu’ils contiennent et mettent à disposition sont ces concepts dont la fonction opératoire, justement, permet la saisie des phénomènes et des problèmes qu’ils recèlent. C’est donc à une avancée vers la nature épistémologique du concept que nous sommes ici conviés, mais une avancée dont le but reste toujours didactique. A savoir que l’explicitation de la structure du savoir considéré en tant qu’objet de l’étude puisse servir à l’élaboration de savoirs en tant qu’objets à enseigner. Il faudra bien commencer par procéder à une définition technique du concept, rechercher ses composants, déterminer ses fonctions, jauger de son intérêt pour le but que l’on s’est fixé.

La différence d’appréciation du terme concept entre les professionnels de la Documentation scolaire qui le boudent au profit de celui de notion d’un côté, et les didacticiens des sciences qui au contraire l’affirment de l’autre, ne peut qu’alerter sur l’intérêt particulier que peut représenter cet objet pour qui cherche à saisir ce que la didactique pourrait apporter au processus de rationalisation des savoirs à enseigner en Information- documentation. Nous prendrons ainsi le temps de chercher à savoir comment, et pour quelles raisons, la didactique distingue notion et concept. Ce que nous en tirerons nous aidera à percevoir en quoi la structure interne des concepts peut aider les élèves à les édifier. Il sera alors traité de la fonction opératoire de ces « pouvoirs nouveaux » qu’évoque J.-P. Astolfi, de la capacité qu’ils confèrent à agir sur le réel en même temps que leur appropriation agit sur les structures cognitives de l’élève.

Pour ce faire, faut-il encore que des accès à ces abstractions structurantes soient possibles. Sans pénétrer le domaine complémentaire des conceptions des élèves, qui ne relève pas de notre approche épistémologique, mais nous référant à la théorie constructiviste de la connaissance, nous voudrions voir s’il est possible d’aménager des points d’entrée à ces concepts pour les élèves, à partir notamment de l’élaboration d’énoncés relatifs aux niveaux de formulation conceptuelle.

Nous conduirons à nouveau cette approche de la fonction structurante des concepts en prenant soin d’en mesurer les retombées sur la didactique de l’Information-documentation. Il s’agira donc de se saisir d’outils didactiques pour travailler les savoirs info-documentaires, dans le but de reconnaître l’intérêt de ces outils dans une entreprise curriculaire, d’estimer la nature épistémologique de ces savoirs et de chercher à structurer la matière qu’ils constituent.

21. Des notions aux concepts

Comment ne pas relever, dans la profession, le mauvais accueil qui est réservé à l’emploi du terme concept ? Il lui est largement préféré celui de notion qui semble, par son ambition sans doute plus réduite, faire moins peur. On remarquera cependant que notion est un terme banalisé pour toutes les disciplines aussi bien sur le terrain que dans les programmes officiels. Pourtant, la didactique des sciences n’emploie guère, quant à elle, que concept, et souvent en opposition avec notion, terme considéré alors comme son rival. Comment distinguer ces deux appellations ? Laquelle utiliser pour désigner les savoirs à enseigner en Information-documentation et à quelles conditions ceux-ci pourraient-ils prétendre à devenir des outils intellectuels ?

211. Définitions étymologique et philosophique

L’entrée par l’histoire de la langue française confirme le lien entre notion et

connaissance puisqu’ils ont pour ancêtre commun le latin noscere « apprendre à connaître ».

Ayant pris, tout comme concept, le sens d’idée générale et abstraite, il a fait l’objet d’une normalisation au milieu du XXème siècle pour se distinguer de celui-ci, alors compris comme un anglicisme. Ceci peut expliquer en partie l’emploi qui lui est aujourd’hui réservé. Mais les deux termes ne sont pas pour autant synonymes. Notion, explique Alain Rey (1995), « correspond à une idée générale socialisée, plus vague et moins opératoire que concept ». En effet, notion, passé dans le langage courant, renvoie bien, au singulier, à une connaissance

immédiate et intuitive, et au pluriel (avoir des notions), à des rudiments de connaissances.

C’est en philosophie que les deux termes ont trouvé le mieux leurs marques respectives. Le Dictionnaire de la philosophie (2000) décrit la notion comme un terme plus vague et plus vaste que le concept qui, lui, est jugé plus précis. Elle est un donné, le fruit de l’expérience et de ce fait ne peut être que commune. Il est un produit, résultat d’un certain

travail et par conséquent singulier, i.e. inscrit dans un cadre théorique qui doit être précisé. Ainsi par exemple parlera-t-on de la notion de justice, mais du concept de justice chez Platon. Transposant cet éclairage dans le domaine de la Documentation, il pourra être opposé, à la

notion d’information usitée dans le langage courant, le concept d’information en Science de l’information.

Le concept est ainsi défini comme « une idée abstraite, définie et construite avec

précision : c’est le résultat d’une pratique et l’élément d’une théorie » (id.).

212. Le champ de référence

C’est en des termes équivalents qu’Alex Mucchielli (2000), épistémologue des Sciences de la communication, appelle ses collègues scientifiques à observer davantage de rigueur dans l’utilisation des termes scientifiques, afin de pouvoir, en tant que concepts, les opposer aux équivalents banalisés par l’usage. Il suffirait pour cela de les contextualiser et de les référer au domaine qui les emploie : « si l’on veut parler de communication en tant que

concept, nous sommes obligés de faire référence à la théorie dans laquelle il se situe ». Cette

théorie et ce modèle dans lesquels les concepts se pensent et doivent s’exprimer se nomment, pour G. de Vecchi et N. Carmona-Magnaldi (1996) champ de référence.

L’idée d’information, par exemple, renvoie à une notion en tant que simple mot du vocabulaire quotidien, ce que favorise son étonnante polysémie, mais devient un concept lorsqu’il est employé en Sciences de l'information, ou bien en biologie, ou encore en journalisme, pour peu que le champ de référence dans lequel il se déploie et se comprend soit précisé et qu’un consensus ait été établi autour de ses caractéristiques et de ses propriétés.

Ainsi les concepts info-documentaires, une fois caractérisés, devraient-ils faire l’objet d’un démarquage d’avec le sens commun. La précision de la terminologie, qui appelle à la rigueur et au respect de la norme, constitue en effet, en tant que marqueur sémantique, l’une des composantes les plus visibles d’une matière scientifique à enseigner. La maîtrise du langage, qui plus est spécialisé, reste encore le meilleur instrument pour développer et structurer la pensée. C’est bien cela qui nous avait manqué dans l’examen du corpus de listes.

213. En logique des termes

La logique des termes, reprenant la distinction introduite par la Logique de Port-Royal (1662), peut encore nous aider à différencier notion et concept et à entrer plus avant dans la

définition de ce dernier. Un concept se détermine sémantiquement par un double contenu : sa

compréhension d’une part, exprimant la conjonction d’un certain nombre des caractères, ou

prédicats, qui le définissent avec précision, et d’autre part, au moyen de son extension, ou étendue des objets comprenant ces caractères.

L’idée abstraite de document, pour reprendre à nouveau un exemple tiré de notre corpus, peut être défini en compréhension par les caractères

. support,

. contenu intellectuel, . structure,

ainsi qu’en extension par tout objet particulier et discontinu répondant à ces critères, par exemple :

. tel numéro du Monde,

. telle édition du Nouveau Littré . tel diaporama

. telle émission télévisée (voir fig. 5). En ce sens, document est bien un concept.

Moins il existe de critères essentiels pour définir un concept (en compréhension) et plus le nombre de ses représentations ira croissant (en extension). A l’inverse, moins un concept est de large étendue et plus il sera de forte compréhension.

Cette considération pose la relativité du rapport notion / concept, puisque le curseur peut se déplacer entre ces deux pôles mis ainsi en tension. Dans le cas d’une moindre caractérisation, on tendra plutôt vers la notion (ex. oiseau), tandis que dans le cas inverse se précisera le concept (ex. : rapace). Il s’ensuit que l’élucidation des concepts info- documentaires devra, pour ce faire, déterminer le point de fixation de critères suffisamment pertinents pour intégrer un champ de référence exclusif.

214. Application de la définition opératoire du concept selon Britt-Mari Barth

En conformité avec cette représentation, Britt-Mari Barth, professeur en Sciences de l’éducation et spécialiste des apprentissages, propose une définition opératoire du concept qu’elle construit à partir des travaux du psychologue américain Jérôme Bruner. Un concept n’existe que par opposition à un autre concept. Cette distinction est dès lors établie, comme nous venons de le voir, sur la base de caractères, ou qualités, ou encore critères qui le composent, et que B.-M. Barth nomme attributs. Les attributs ainsi répertoriés fixent et

définissent le concept en compréhension. Certains de ces attributs distinctifs permettent de discriminer, par exemple, périodique et livre et d’identifier l’un et l’autre. La clarification des attributs d’un objet favorise par conséquent le discernement et permet le classement de celui- ci dans une catégorie fondamentale. L’objet ainsi différencié par une combinaison d’attributs qui lui sont spécifiques est désigné par un terme ou étiquette. Celle-ci n’a aucune valeur en soi, étant un symbole arbitraire. L’étiquette permet par contre de regrouper une pluralité d’objets appelés exemples à la condition qu’ils renferment une même combinaison d’attributs (B.-M. Barth, 1987). La liste ouverte d’exemples, assortie de contre-exemples, définit alors le concept en extension.

De la sorte, nous dirons qu’un concept est une construction abstraite désignée par une étiquette (le signifiant), caractérisée par un ensemble d’attributs conjoints (le signifié) et référé à une pluralité d’exemples (le référent).

Fig. 5 : Transposition de la définition opératoire du concept selon Britt-Mari Barth (1987) sur le concept document dans le domaine conceptuel de l’Information-documentation.

Dans le cadre d’un projet de détermination d’un corpus d’objets à enseigner en Information-documentation, cette définition opératoire du concept peut s’avérer utile pour deux raisons. Tout d’abord, nous avions constaté combien l’absence de précision s’agissant des contenus conceptuels exprimés par les termes proposés dans les listes rendait difficile et hasardeuse l’entreprise de cohérence terminologique (cf. II. § 332). Ce processus définitoire s’annonce ainsi pertinent pour tâcher de lever les ambiguïtés et d’identifier les concepts du corpus. Nous avions, ensuite, fait remarquer combien les appellations utilisées par les auteurs

Etiquette Exemples Attributs Concept Document . Le Monde du 05-05-2006 . Nouveau Littré, 2005 . telle page web sur les élections européennes . telle émission de télévision sur les oiseaux migrateurs . support . contenu intellectuel . structure Document

des listes restaient globales et hésitaient plus particulièrement entre les deux emplois de

notion et de concept (cf. § II. 3322). Cette imprécision trouverait donc là de quoi s’effacer. En

effet, l’identification des attributs se précisant, qui tendrait à faire déplacer le curseur du côté de la notion vers celui du concept, nous assisterions là à un processus de stabilisation épistémologique des contenus de la matière.

Afin de savoir si cet outil est opératoire dans le champ de l’Information- documentation, nous avons décidé de l’appliquer à ses objets. A l’intérieur du groupe de travail de la FADBEN impliqué dans la formalisation des contenus théoriques de la matière, et qui doit remettre ses travaux au début de 2007, nous avons commencé l’exploration de cette voie (cf. § II. 24 et Annexe III. 1). Le tableau ci-dessous en livre quelques extraits :

Définition en

compréhension

Définition en extension

(terme)