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23 1991-2005 : La rationalisation de la formation info-documentaire

33. Vers la rationalisation des savoirs

331. Les critères de professionnalisation

La délimitation d’un champ particulier à découper par la documentation dans celui des savoirs à enseigner à l’école implique un questionnement sur la spécificité professionnelle des enseignants documentalistes. C’est ce questionnement qu’a conduit Marie-Annick Le Gouellec-Decrop (1997), en interrogeant le processus de professionnalisation de ce corps et ses identités professionnelles plurielles. Pour ce chercheur, les notions de spécificité et d’identité professionnelles renvoient aux concepts fondamentaux de profession, de

professionnalisation et d’identité.

S’agissant des deux premiers, elle s’appuie sur la réflexion sociologique pour définir les critères permettant de savoir si le métier d’enseignant documentaliste a accédé au statut de profession ou bien s’il est engagé dans un processus de construction d’une profession. Elle fait alors ressortir les critères suivants :

- un savoir scientifique et théorique, fondé et légitimé par l’Université, dans le champ de la documentation ;

- une formation spécifique, pratique de niveau universitaire (l’IUFM) ;

- un ensemble de valeurs et un code éthique partagé par une majorité importante de la population ;

- un mandat (les missions) confié par l’institution ;

- un diplôme (le CAPES) (et son rôle dans la constitution du corps) ; - une culture professionnelle (et sa construction chez les jeunes certifiés).

Nous retiendrons en particulier le premier de ces critères, relatif au savoir scientifique et théorique, en tant qu’il fait correspondre à l’aspiration professionnelle des enseignants documentalistes un intérêt pour la rationalisation des savoirs de référence, et dans la perspective de trouver là une nouvelle raison au mouvement de didactisation.

Si, selon Ph. Perrenoud, la professionnalisation contribue à élever le niveau global individuel et collectif de formation et de compétence (M.-A. Le Gouellec-Decrop, 1997), c’est notamment par un processus de scientifisation du métier et de rationalisation de ses savoirs (R. Bourdoncle, 1991). R. Bourdoncle, reprenant la distinction entre métiers et professions rappelle que ces dernières sont professées, c'est-à-dire apprises, non par imitation, mais à partir de déclarations, de discours et de cours. Le lieu d’apprentissage par voie - et voix - professorale de ces savoirs est l’Université, qui est aussi le lieu de leur construction et de leur conservation. « Etre amené, poursuit-il, à expliciter oralement ses pratiques entraîne

forcément un processus de rationalisation discursive et la constitution d’une base de savoir qui s’autonomise peu à peu de la pratique ».

332. La rationalisation des savoirs du métier de documentaliste

Reste à distinguer, lorsqu’il s’agit des professeurs documentalistes à la double fonction, gestionnaire et pédagogique, de quel type de savoir il est question. Aussi le processus de professionnalisation peut s’orienter dans deux directions différentes et conduire le corps des enseignants documentalistes dans l’une ou l’autre des deux voies de rationalisation. C’est précisément ce choix à faire qui est facteur de division dans le corps, ce que révèlent les études sur l’identité professionnelle de ses membres (cf. I. § 34).

Si, majoritairement, les documentalistes interrogés s’estiment investis d’une mission pédagogique et évoquent en premier lieu de leurs préoccupations la formation des élèves à la recherche documentaire (M.-A. Le Gouellec-Decrop, 1999), l’administration, depuis 2001 leur propose toutefois comme voie de professionnalisation et de reconnaissance une requalification à titre d’expert du système documentaire et de pilote de la politique

documentaire de l’établissement : à ces « documentalistes inquiets, désireux d’être mieux reconnus », le pilotage, l’organisation des ressources documentaires de l’établissement et le

développement du système d’information devraient apporter « une nouvelle légitimation » (IGEN, 2004). Dans ce cas, les pratiques pour le moins empiriques des responsables des CDI devront en effet être rationalisées et fondées par la Science de l’information, mais également clarifiées par la documentologie, science du livre et de la documentation, et la bibliothéconomie, pratique d’organisation des bibliothèques. Cela dit, cette mission de gestion du centre de ressources est le plus souvent subordonnée à la mission pédagogique principale, ainsi que le met en avant le récent Référentiel métier de la FADBEN (2006). Le CDI étant considéré comme un espace et un outil de médiation, la finalité de son organisation demeure

bien formative, ce qui n’est pas sans poser un dilemme à ses responsables : ou bien les normes sont appliquées par un professionnel documentaliste mais elles s’avèrent peu adaptées à l’usage pédagogique, ou bien elles ne le sont pas, par un enseignant (documentaliste) non professionnel, mais le résultat permet de former les élèves (M.-A. Le Gouellec-Decrop, 1997).

333. La rationalisation des savoirs à enseigner

S’agissant à présent d’une voie de professionnalisation impliquant directement la formation et ressortissant à la mission pédagogique, la question reste, en l’état actuel des choses, de savoir s’il y a « passage d’une démarche intuitive à une démarche rationnelle ? » (R. Bourdoncle, 1991). Difficile d’en juger sans évaluation nationale des pratiques pédagogiques des documentalistes… S’agissant cette fois des contenus, un effort de rationalisation des savoirs a bien été réalisé dans la décennie précédente à partir de la constitution de référentiels de compétences qui ont permis de déterminer des objectifs d’apprentissage spécifiques à la documentation. Cependant, cette spécificité a été largement contestée par l’institution et par une partie des professionnels, ce qui a amené progressivement chercheurs et acteurs de terrain à réfléchir non pas à partir des seuls contenus procéduraux de ces compétences, mais également à partir de leurs contenus notionnels et à souhaiter leur didactisation. Mais là encore, les pratiques engagées restent empiriques, désordonnées et peu fondées. Aussi l’effort de rationalisation qui reste à fournir « manifesterait non pas les conduites intuitives et artisanales caractéristiques des métiers,

mais l’approche systématique et rationnellement contrôlée déductible d’un cadre théorique d’ensemble, ce qui est le propre d’une profession » (R. Bourdoncle, 1991).

Mais de quel cadre s’agirait-il en l’occurrence ? S’il faut chercher les savoirs savants de référence à l’Université, alors il faudra se tourner vers la Science de l’information. Il n’en reste pas moins que de tels savoirs devront être transformés en savoir à enseigner (Y. Chevallard, 1985) et que leur mise en œuvre dans des situations didactiques soit posée comme objet d’étude. Quoi qu’il en soit, et s’agissant aussi bien de la formation initiale que continue, on voit bien, avec Michel Fabre, l’intérêt de « construire la professionnalisation sur le triple

socle disciplinaire, didactique et pédagogique [et où] la didactique prendrait valeur de médiation » (M. Fabre, 1992).

Pour notre part, et revenant sur cette idée de savoirs « professés » émise par R. Bourdoncle, nous en retiendrons que les savoirs à enseigner devront être, pour partie du moins, des savoirs discursifs, théoriques, ceux que Michel Develay (1992) nomme

connaissances déclaratives. Or l’analyse des référentiels de compétences fait apparaître leur

quasi inexistence. De fait, l’Information-documentation ne dispose officiellement d’aucun contenu notionnel présenté comme devant être appris par les élèves.

Nous sommes porté à reconnaître là l’une des causes qui entravent le processus de professionnalisation des enseignants documentalistes.

334. L’investissement d’un champ pédagogique

Depuis leur émergence dans les années 60, les enseignants documentalistes ont intimement lié la construction de leur statut à leur investissement pédagogique, se positionnant en enseignant médiateur entre les élèves et l’information. Leur essor a véritablement débuté au tournant des années 80, lorsque l’école s’est saisie des CDI pour lutter contre les inégalités sociales. Dès lors, la question posée était celle du choix d’un domaine d’intervention particulier, i.e. non investi par une autre discipline. De la recherche documentaire (méthodologie documentaire) au traitement de l'information (médiation documentaire), de la méthodologie du travail intellectuel aux heuristiques de l’information (J. Michel, 1989), de la maîtrise de l’information à l’information literacy (Juanals, 2003), le corps des enseignants documentalistes associe à la quête d’identité professionnelle la recherche d’un havre pédagogique.

Mais la difficulté majeure à laquelle se heurte ce « professeur pas comme les

autres » est de ne disposer ni de service horaire, ni de classe en responsabilité dans un temps

découpé en heures, ni de discipline particulière, ni de programme (M. Monthus, 1995). Deux alternatives, selon M.-A. Le Gouellec-Decrop (1999), se dessinent qui divisent le corps. Ou bien il conserve cette approche transversale et somme toute consensuelle, soutenue par l’institution, ou bien il fait de la médiation documentaire son champ de spécialité. Dans le premier cas, la documentation n’est pas une discipline, les occasions de formation méthodologique des élèves sont soumises aux lois de la négociation et aux jeux des affinités et du hasard, et le statut risque de demeurer hybride. Dans le second cas, la documentation devient une discipline, admettant des modalités particulières, et où sont enseignés des savoirs éventuellement transposés de la Science de l’information et organisés dans des dispositifs qui restent à définir.

L’approche transversale a bien été analysée par Bernadette Seibel qui note, en 1995, qu’« on assiste à l’émergence de professionnels qui fondent leur identité sur la maîtrise de

d’autodidaxie et de difficultés scolaires, les enseignants documentalistes, se positionnant sur ces savoir faire délaissés par les disciplines ou bien considérés comme allant de soi, ont conquis là leur spécificité. S’appuyant sur les théories scientifiques de la psychologie cognitive appliquée à toutes les disciplines, ils seraient parvenus à « déboulonner les

représentations réifiées des savoirs scolaires » et à démontrer l’importance des démarches de

construction des connaissances. Ainsi, leur position d’auxiliaire des enseignants de discipline s’est muée en collaborations sur la base d’une parité pédagogique.

Prolongeant cette thèse, M.-A. Le Gouellec-Decrop dénonce deux conséquences négatives, l’une rejaillissant sur les disciplines, l’autre sur les enseignants documentalistes. Tout d’abord, le rejet hors du cours de l’apprentissage des méthodes de travail intellectuel a pour effet d’accroître l’immobilisme des disciplines, lesquelles se trouvent ainsi confortées dans leur rapport aux seuls contenus du programme. Ensuite, la stratégie souhaitée à cette époque et acceptée par les documentalistes ne vaut plus aujourd’hui, à l’heure où les choix de politique éducative réintroduisent ces savoir faire d’une part dans des dispositifs spécialisés (les modules en lycée, les dispositifs d’aide et de soutien pour la réussite des élèves en collège) et d’autre part dans les programmes eux-mêmes qui font une large part aux compétences, et même, récemment aux compétences info-documentaires.

De ce point de vue, le processus de professionnalisation engagé en documentation gagnerait selon nous à poursuivre la rationalisation des savoirs conceptuels info- documentaires, quitte à réinvestir ce champ d’apprentissage des compétences qui pourraient être rendues à leur spécificité à partir du moment où elles mobiliseraient des concepts spécifiquement documentaires.

Pour M.-A. Le Gouellec-Decrop (1999) également, « le champ de la maîtrise de

l’information, qui se développe aujourd’hui avec l’ouverture du réseau mondial, nous semble s’imposer comme celui du champ des compétences spécifiques des documentalistes des établissements scolaires ».