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23 1991-2005 : La rationalisation de la formation info-documentaire

32. Récit d’une conquête

Un retour rapide sur quelques repères historiques jalonnant l’axe pédagogique du corps des documentalistes permet une réflexion en perspective sur le processus de

professionnalisation en cours. Nous limiterons cette rétrospective à la saisie d’éléments se rapportant au cadre statutaire, à la définition de la mission pédagogique et à l’émergence de l’identité enseignante correspondante. Nous en déduirons la réelle portée des acquis en la matière.

Pour rendre compte de la création progressive du corps spécialisé des documentalistes de l’Education nationale, Odile Britan détermine les quatre phases suivantes (C. Duarte- Cholat, 2002) :

- la période des fondations allant jusqu’à 1972 ; - les innovations pédagogiques, de 1973 à 1978 ; - le passage à l’âge adulte, de 1979 à 1988 ;

- la construction de l’identité professionnelle, de 1989 à 1992.

La période des fondations, qui débute à la création des CLDP en 1958, ne connaît comme premiers responsables des locaux documentaires que des personnels recrutés parmi les adjoints d’enseignement, non chargés d’enseignement, mais assurant des tâches d’administration et de surveillance. Ces bibliothécaires-documentalistes ne prendront l’appellation de documentaliste-bibliothécaire qu’en 1966 lors de la fusion des bibliothèques centrales et des Services documentaires (SD) ; cette inversion témoigne de la part grandissante prise par la documentation à l’école (S. Devis-Duclos et al., 2006). Dès la fin des années 60, deux visions du métier coexistent déjà, correspondant à deux modèles professionnels de qualification. L’une, souhaitant se démarquer du corps professoral, cherche à construire une identité sur la reconnaissance d’un métier spécifique. L’autre, au contraire, revendique un statut calqué sur celui des enseignants. L’ouverture des SDI, en 1966, favorisera les prétentions pédagogiques des seconds.

La seconde période, de 1973 à 1978, voit la conquête de la reconnaissance officielle d’une mission dévolue à ces personnels. Le rapport Tallon (1974) distingue sept fonctions qui seront officialisées par la première circulaire de mission trois ans plus tard : aspects techniques de la fonction, accueil et information, aspects loisirs, aspect information scolaire et professionnelle, aspect animation pédagogique. L’ordre de présentation de ces fonctions ne fait que suivre l’ordre historique de leur apparition. La circulaire confère en outre au documentaliste-bibliothécaire la mission de conduire l’initiation des élèves à la recherche documentaire, nouvelle mission qui va modifier et orienter durablement son identité en le

faisant passer de prestataire de service et gestionnaire de matériel à collaborateur du professeur, puis formateur. Ces années voient également se constituer une culture identitaire autour de la fondation de la Fédération des associations de documentalistes-bibliothécaires de l’Education nationale (FADBEN) d’une part, et de la création, d’autre part, du Centre d’étude pour la documentation et l’information scolaire (CEDIS) qui lance la revue InterSDI, laquelle deviendra InterCDI. Si cette dernière vise à fournir aux documentalistes des ressources techniques et favoriser des échanges de pratiques, la FADBEN, quant à elle, se structure autour du projet de sortir le métier de son vide statutaire.

La troisième phase, de 1979 à 1988, est celle de l’affirmation du rôle pédagogique et des compétences professionnelles des documentalistes-bibliothécaires. Conscients de constituer une discipline nouvelle au service de toutes les autres, les militants, appuyés par leur instance associative, revendiquent un statut spécifique mais se heurtent au refus de l’institution pour qui il n’est pas question de voir s’établir une distance entre la Documentation et les enseignements. Pour l’autorité de tutelle en effet, la création d’un CAPES n’est pas à l’ordre du jour. Cependant, au tournant des années 80, le changement politique et la nécessité apparue de lutter contre l’échec scolaire modifient les manières de voir. Le CDI est promu fer de lance de la rénovation des collèges engagée par le rapport Legrand (1983). Par ailleurs, la généralisation de l’initiation à la recherche documentaire entame le processus de normalisation des pratiques des documentalistes- bibliothécaires. La circulaire du 13 mars 1986 couronne cette avancée en réaffirmant la nature essentiellement pédagogique de ces missions. Le texte resserre les « missions » (terme remplaçant celui de « fonctions ») au nombre de quatre et les réordonne : initiation et formation des élèves à la recherche documentaire, participation à l’activité pédagogique de l’établissement, contribution à l’ouverture de l’établissement, responsabilité du centre de ressources documentaires multimédia. Il inventorie cependant au passage un nombre important de tâches qui seront à l’origine du désarroi et de l’insatisfaction croissante des documentalistes fondés, aujourd’hui encore, à demander une clarification de ces missions.

Enfin, les années 89 à 92 ouvrent une triple voie à la construction d’une identité professionnelle. Celle-ci suit tout d’abord le sillage de la Science de l’information, discipline émergente et référence possible pour la Documentation scolaire. Elle apparaît progressivement dans les cursus disciplinaires sous l’appellation de Sciences de l’information et de la documentation. La deuxième voie se présente comme une conséquence de

l’intégration des TIC à l’école et dans les CDI, lesquels sont sollicités dès 1986 dans le cadre de la formation des élèves. L’informatisation massive des Centres va modifier de manière significative les missions du professeur documentaliste, autant dans ses pratiques de gestion (système de gestion de base de données) que dans ses pratiques pédagogiques (formation des élèves à la recherche d'information par logiciel documentaire, sur support électronique et en ligne). La troisième voie, enfin, s’ouvre naturellement avec la création du CAPES de documentation. Dans son discours du 19 mai 1989, le ministre de l’Education nationale, Lionel Jospin, expose en ces termes la portée de cet événement pour le corps des documentalistes scolaires : « l’instauration du CAPES de sciences et techniques documentaires apporte la garantie d’une compétence professionnelle spécifique, rationalise le recrutement des personnes désireuses d’exercer dans les CDI et offre une voie de promotion bien méritée à celles qui y sont en fonction. Elle est aussi le symbole de l’ancrage pédagogique de votre profession » (op. cit.).

Introduisant pour la première fois des règles strictes de sélection, et esquissant par ses épreuves un profil des compétences requises, le CAPES constitue dès lors une nouvelle étape dans le processus de professionnalisation. Cependant, il se révèle, du moins à son origine, insatisfaisant par l’absence de programme et par le contenu de ses épreuves, lesquelles, avant leurs dernières modifications apparues aux sessions de 2001 et 2007, ne traduisaient pas suffisamment la spécificité disciplinaire. La Science de l’information, en particulier, n’y a trouvé sa place qu’en 2001 (cf. Annexe I. 6). Chacune des quatre épreuves exige à présent du candidat une réflexion sur les contextes et applications pédagogiques relatifs aux thèmes des sujets proposés. Articulant la maîtrise des savoirs théoriques et les compétences techniques et professionnelles, il reflète l’équilibre nécessaire entre les deux grandes missions de pédagogie et de gestion.

Il ressort de ces éléments historiques répartis sur un demi-siècle l’image générale d’une conquête, voulue et organisée par le corps lui-même, d’une identité professionnelle spécifique. Les places fortes investies lors de cette conquête se nomment circulaire de

missions (1977, 1986) et Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire

(CAPES de Sciences et techniques documentaires, 1989). Le sociologue interactionniste symbolique Everett Hughes cité par Claude Dubar (1991) situe là deux notions essentielles pour caractériser le processus professionnel. La première correspond au mandat, cette « obligation légale d’assurer une fonction spécifique », et la seconde au diplôme en tant qu’ « autorisation légale d’exercer certaines activités que d’autres ne peuvent pas exercer ».

L’un et l’autre sont ainsi conférés au corps des documentalistes par son autorité tutélaire. Au diplôme est attaché le statut de professeur et son appellation afférente, bien que composant avec celle de documentaliste, appartenant à un autre domaine.

Il en est autrement s’agissant de la conquête de la reconnaissance professionnelle. Si la reconnaissance de compétences techniques relevant du domaine de la gestion est acquise, il n’en est pas de même pour la reconnaissance de la mission pédagogique. Constat paradoxal, si on réduit la question aux seules compétences professionnelles, puisque les compétences acquises en formation initiale de ces personnels sont précisément de nature inverse : majoritairement recrutés dans l’Education nationale, bien peu de ces derniers ont reçu une formation de documentaliste.

C’est donc sur le plan du mandat que se situe certainement le point d’achoppement qui entrave le sentiment de reconnaissance. De même que la mission est double, visant la gestion et la pédagogie, le mandat doit être considéré au travers de ces deux dimensions. Or si le mandat gestionnaire est suffisamment explicite (toutes les activités, fonctions et finalités de la gestion d’un centre de ressources), le mandat pédagogique l’est en revanche beaucoup moins (un simple modèle de la recherche documentaire tenant en quelques lignes et une injonction à

initier les élèves). Mais plus encore, c’est la disparité des moyens affectés à la satisfaction de

ces mandats qui pose problème. Le mandat gestionnaire peut se déployer dans un centre bien réel et concret pour lequel on a su trouver une place autant symbolique que matérielle. On est bien loin du compte s’agissant du mandat pédagogique tant que l’enseignant documentaliste ne se voit affecté de classes d’élèves, de cadres horaires et programmatiques.

Mais le mandat pédagogique renvoie surtout à la question de l’élucidation et de la rationalisation des savoirs à enseigner. Certes des acquis loin d’être négligeables constituent des facteurs positifs : l’intégration des TICE qui impose de recourir à une terminologie normée et qui fonde de fait une culture partagée, l’émergence de la Science de l’information qui impose ses champs technique et théorique de référence, et l’instauration du CAPES, qui élève sensiblement le niveau d’exigence du recrutement, aiguillonne et harmonise la réflexion autour de la formation initiale. Mais suffisent-ils, en dehors du sentiment d’insatisfaction exprimé par les enseignants documentalistes, à asseoir l’idée que la documentation serait parvenue au terme de son évolution, à savoir être devenue une (semi-)profession à parité statutaire effective avec les professeurs de discipline ? Un champ spécifique où pourraient se déployer les compétences et les activités pédagogiques de ces personnels est-il aujourd’hui circonscrit et investi, voire légitimé ? Est-il possible de distinguer entre mandat du

documentaliste et mandat du professeur ? Enfin, ce dernier est-il ressenti par la profession

comme susceptible d’asseoir la légitimité d’un statut certes réel mais encore peu reconnu ?