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Délimitation d’un champ de savoirs à enseigner

21. Premiers pas, premières orientations

21. Premiers pas, premières orientations

A la fin des années 80, la réflexion pédagogique professionnelle, centrée jusque là sur la méthodologie de la recherche, amorce une réflexion en profondeur sur la médiation documentaire au service des contenus disciplinaires à partir du postulat de la transversalité des compétences info-documentaires. Mais dès l’instauration du CAPES en 1989, une autre voie est ouverte qui tente, d’une part, de se dégager de l’approche comportementaliste, et d’autre part, de revendiquer une autonomie pédagogique - voire disciplinaire - en la fondant sur des savoirs de référence spécifiques, empruntés à la Science de l’information et dont la finalité serait l’accès à la culture informationnelle26. C’est lors du 3ème congrès de la FADBEN, tenu

à Marseille en octobre 1993, que seront posées les bases de ce qui se présente alors comme le départ d’une croisade, tant la notion de didactique de l’information paraît alors « iconoclaste ». Françoise Chapron (1994) et Daniel Warzager (1994) y apportent les bases et les perspectives de la réflexion à venir, au travers d’une présentation de quelques concepts didactiques, dont le triangle pédagogique de Jean Houssaye, d’une proposition de « contenus

disciplinaires spécifiques à la documentation » et d’une bibliographie de référence où sont

convoquées les figures de la didactique des sciences, telles Michel Develay, Jean-Pierre Astolfi et Gérard de Vecchi, ou encore celle de Britt-Mari Barth connue pour ses travaux sur l’apprentissage de l’abstraction. La même année, mais cette fois-ci du point de vue du concept de médiation documentaire et de la place de l’enseignant documentaliste dans le triangle didactique, Séraphin Alava (1993) défend lui aussi l’idée d’une « didactique de la médiation

qui conduit à un savoir construit au travers d’un média et favorise la construction d’un savoir sur ce média ».

Trois ans plus tard, Annette Béguin (1996) pose, dans un article synthétique, la question d’une Didactique ou pédagogie documentaire ? Réalisant, au travers des résistances à l’intérieur de la profession et des lourdeurs de l’institution, l’utopie d’un tel projet, elle n’en

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Daniel Fondanèche a été le premier à utiliser le terme « didactique » dans le champ de la Documentation dans un article d’Inter CDI de sept.-oct.1992, « La didactique documentaire : utilisation des documents », et dans un ouvrage non daté « Les espaces documentaires : Du C.D.I. à la didactique documentaire ». Cependant, l’usage qui y est fait de ce terme emprunte davantage au paradigme méthodologique de la décennie précédente qu’à une véritable recherche des savoirs savants de référence, bien que la documentation y soit saisie comme « une discipline sans programme ».

considère pas moins la documentation comme un « métasavoir »27 dont l’objet est le document et dont le substrat est fourni par la Science de l’information. Elle résout enfin - provisoirement - la question lancinante de la transversalité en montrant comment, lors d’activités documentaires, l’élève est amené à « formaliser peu à peu un savoir documentaire

qui traverse toutes les disciplines mais qui a, lui aussi, sa spécificité ».

L’année suivante, paraît un article de référence en la matière, signé de Jean-Louis Charbonnier (1997), Les « apprentissages documentaires et la didactisation des Sciences de

l’information ». Sur un ton ferme et un mode résolument propositionnel, l’auteur compte sur

l’enseignement des notions documentaires pour faire restituer à l’apprenant le sens de son apprentissage, lequel est « un processus partant de l’activité des élèves qui doit les conduire à

une représentation de cette activité, à sa compréhension et à celle des objets de savoir concernés ». D’un autre côté, il renvoie vigoureusement le certifié de documentation à sa

responsabilité d’enseignant, laquelle s’applique autant à la création de séquences non magistrales qu’à son devoir d’évaluer les acquisitions de ses élèves. Il propose surtout l’examen de quelques notions telles qu’elles pourraient être tirées de la transposition didactique des Sciences de l’information et de la documentation : source, référence documentaire, fichier, langage documentaire, champ et réseau sémantique, pertinence et condensation de l’information. Les conditions de leur acquisition sont également précisées.

Les années suivantes sont dominées par le travail de Françoise Chapron (1997, 1998, 1999), maître de conférences à l’IUFM de Rouen, qui consacre deux articles, ainsi qu’un important chapitre de son ouvrage sur Les CDI des lycées et des collèges à cette réflexion, en appui des travaux précédemment cités. Ce chapitre, intitulé « Vers une didactique de

l’information-documentation ? », aborde en premier lieu le statut épistémologique de l’information avant de présenter une liste conséquente de savoirs déclaratifs tels que : information, système d’information, support, typologie des documents, codage de l’information, etc., venant ainsi compléter l’inventaire commencé par Jean-Louis Charbonnier. L’article paru dans la revue Inter CDI, quant à lui, montre que les référents conceptuels de la didactique en information-documentation sont au confluent de deux champs de recherche, les Sciences de l’information et de la communication d’une part, et les Sciences de l’éducation d’autre part, ce qui représente un acquis nouveau. C’est ainsi qu’est

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Terme repris et développé en 1999 par Yves-François Le Coadic, professeur en sciences de l’information, dans un article de Médiadoc, « Maîtrise de l’information et métasavoir ». Le métasavoir y est défini comme

« l’ensemble des connaissances scientifiques et techniques relatives à la recherche et à l’usage, à la construction et à la communication des savoirs produits par et pour les sciences et les techniques humaines et sociales, physiques et biologiques ».

mise à profit l’approche de Michel Develay pour travailler la structuration des contenus d’enseignement à partir de deux processus essentiels, l’axiologisation, ou appropriation des valeurs et des finalités en jeu, et la didactisation. Enfin, l’article de Clés à venir (1997) donne une liste fournie et déjà hiérarchisée de notions info-documentaires. De plus est lancée l’idée d’organiser ces éléments en réseaux notionnels.

Outre Atlantique, Paulette Bernhard (2001-2005), professeur honoraire à l’Ecole de bibliothéconomie et des Sciences de l’information (Université de Montréal) engage en 1998 une réflexion sur les modèles disponibles de la recherche d'information. Pour mener à bien le but fixé, à savoir la constitution de Tests d’Identification des Compétences Informationnelles (Projet TICI), ce chercheur tente de s’appuyer sur les descriptions des habiletés et des compétences pour construire « des énoncés et des mises en situation permettant de les

mesurer le mieux possible en tenant compte de la clientèle de la formation » (Bernhard,

2001). Est alors délimité un univers informationnel structuré en six grands ensembles : cycles et flux de l’information, information primaire, sources de référence, sources secondaires et outils pour le repérage, personnes ressources, espaces et gisements informationnels. Ces ensembles regroupent quelques 70 notions constituant un cadre conceptuel proposé pour la rédaction d’énoncés et destiné à des élèves de 10 à 18 ans28.

Il est difficile de mesurer l’impact de ces publications sur le terrain des CDI. Cependant, ces premières approches réflexives connaissent une concrétisation par la publication, en 1999, d’objectifs de formation et de séquences d’apprentissages documentaires directement utilisables par les enseignants documentalistes. Elaborées par le groupe de réflexion des professeurs documentalistes de l’académie de Rouen (dont fait partie Françoise Chapron), les 30 séquences proposées présentent toutes un nombre restreint de notions sélectionnées pour être acquises par les élèves selon une progression des apprentissages de la 6ème à la terminale (Rouen, 1999). Chaque séance permet alors de distinguer la phase des apports théoriques de celle de la mise en activité des élèves. Cette articulation des connaissances déclaratives aux connaissances procédurales rend compte de l’aspect syncrétique de la compétence. Les notions en question ne font cependant l’objet d’aucune explicitation.

C’est l’époque, ne l’oublions pas, où la profession se dote d’outils référentiels de compétences inspirés du prototype français de la FADBEN (1997). Une floraison de ces outils va naître qui va consacrer la thèse selon laquelle les contenus info-documentaires se limitent à

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Voir en particulier dans ce document le tableau n°6 : Cadre conceptuel proposé – aspect « Recherche

des compétences comportementales d’ordre transversal. Dans ce contexte pourtant restreint, une équipe d’enseignants documentalistes de l’académie de Nantes, en 1999, tente un modeste inventaire des notions de références regroupées autour de six notions de base et articulant compétences et exemples de mise en œuvre selon différents niveaux (P. Duplessis, 1999) (cf. Annexe I. 5). Est introduite dans cette présentation une distinction entre notion et

connaissance. La première réfère au principe (ex. notion de nature de document, notion de langage documentaire), tandis que la seconde renvoie à des objets et à des faits (ex. connaissance des natures des documents, connaissance du thesaurus). Cet essai restera

cependant un cas unique, les avancées en la matière s’opérant plus particulièrement dans la noosphère, tandis que les attentes des professionnels se situent plutôt dans le registre de la pragmatique.

Pour clore cette décennie qui aura assisté aux balbutiements d’un corpus de savoirs théoriques info-documentaires, une nouvelle proposition de J.-L. Charbonnier paraît sur le site d’une organisation syndicale et invite à débattre des « contenus d’apprentissage en Information-documentation ». Il revient sur le fait qu’aucune pratique réfléchie des médias

n’est prise en compte par l’école, laissant penser que leur usage est naturel et se suffit d’une acquisition sur le mode empirique. Ce rapport à l’information ne peut que creuser les inégalités entre les élèves dont les familles entretiennent avec les moyens de communication sociale des relations très diverses. La pédagogie documentaire, dans la mesure où elle dépasserait les notions de compétence et de savoir faire pour identifier et faire construire aux élèves les savoirs en arrière plan, représente une réponse à ces lacunes dans l’éducation. Les pistes dessinées trois ans plus tôt sont alors reprises pour être fermement précisées et balisées par trois regroupements ainsi qu’une hiérarchisation entre notions primaires et secondaires.