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Délimitation d’un champ de savoirs à enseigner

11. La didactique : définition, histoire, épistémologie, tâches et outils conceptuels

111. Définition

Nouvelle discipline instituée, la didactique est enseignée à l’Université depuis le milieu des années 70. Comme le suggère l’étymologie de son appellation, elle se rattache fortement au champ des Sciences de l’éducation : didactique est un emprunt tardif (1554) au grec didaktikos « propre à instruire, relatif à l’enseignement », adjectif verbal de didaskein « enseigner, faire savoir » (A. Rey, 1995). Dans sa forme usuelle, ce sens est toujours d’actualité (Le nouveau Littré, 2004).

La didactique s’intéresse en effet aux processus d’élaboration, de transmission et d’appropriation des savoirs tels qu’ils se présentent dans des situations didactiques scolaires ou non. Elle est constituée par « l’ensemble des procédés, méthodes et techniques qui ont pour

but l’enseignement de connaissances déterminées » (P. Meirieu, 2005). Lorsqu’elle n’est pas

prise au sens d’activité d’enseignement, la didactique se présente également comme une démarche particulière d’analyse portant sur l’enseignement d’une part, et marquant d’autre part un effort de rationalisation de ses processus (J.-P.Bronckart et J.-L. Chiss, 2005). Les trois axes enseigner, former, apprendre, produits de l’interaction des trois pôles Savoir- Maître-Elève structurant le triangle didactique (ou système didactique), fournissent un cadre théorique à l’expression de ces processus, lesquels sont les principaux objets d’étude de la didactique.

Cependant, cette approche à prétention globalisante est souvent ramenée au seul champ de la structuration, de l’organisation et de la gestion des contenus (M. Altet, 1994). Les contenus des disciplines sont en effet particulièrement étudiés dans leur rapport aux savoirs savants, à partir notamment de l’étude des transpositions qu’ils subissent en amont du cours, avant de devenir ces objets scolaires « morts, réifiés, sans histoire », et qui font d’eux des savoirs construits (S. Joshua, 1996).

En fait, si la didactique s’intéresse à l’ensemble du champ défini par la situation didactique, elle le fait du point de vue privilégié des contenus, ce qui lui permet ainsi de prendre en compte ce qui relève de l’élaboration et de la teneur des programmes, des

mécanismes d’apprentissage des élèves ou de la nature des relations instaurées entre le maître et l’élève (J.-L. Martinand, 1996 ; S. Joshua, 1996 ; P. Champy et C. Etévé, 2002, J.- P.Bronckart et J.-L. Chiss, 2005). Pour Y. Chevallard (1994) « le retour au savoir [est]

coextensif à l’entreprise didacticienne dans son ensemble ». Ce faisant, la didactique n’ouvre

pas tant un nouveau champ d’objets à étudier qu’un nouveau champ de connaissances sur ces objets, à partir d’une « nouvelle façon de lire et d’interpréter la dynamique des échanges

d’une situation d’enseignement » (J.-P. Astolfi, 1990-a). C’est à ce titre que la didactique est

considérée comme étant le noyau cognitif des recherches sur l’enseignement (L. Cornu et A. Vergnioux, 1992).

112. Histoire de la discipline

On peut faire commencer le processus d’affirmation de la didactique, en tant que domaine de recherche spécifique, à la parution de l’ouvrage de Hans Aebli, Didactique

psychologique, 1951. Pourtant, le terme et l’idée de didactique, dans un contexte apparenté,

sont apparus au XVIIème siècle avec Comenius dans sa Didactica magna (1632). En même temps qu’il y présente des propositions réformatrices modernes en réaction à la tradition scolastique de l’époque, cet humaniste tchèque fait montre d’un effort de rationalisation des connaissances et de leur transmission dont les effets seraient profitables à tous. L’enseignement y est détaillé comme une technique universelle dont le souci principal est l’efficacité.

J.-P.Bronckart et J.-L. Chiss (2005) font de cette pierre de seuil l’étape inaugurale d’une série de trois périodes successives dans l’histoire des démarches didactiques et correspondant à des formes particulières. A cette première vision d’une discipline d’inspiration philosophique et politique, vision qui irriguera le mouvement réformateur de l’Education nouvelle en opposition à l’école traditionnelle, suit ainsi celle d’une démarche didactique générale s’élaborant en même temps que se constituaient les Sciences de l’éducation. S’inspirant comme celles-ci de la psychologie naissante, apparaissent deux courants : d’un côté une didactique générale influencée par le béhaviorisme, visant à produire des objectifs pédagogiques et à organiser des programmes et des progressions, mais tenant peu compte des capacités réelles des élèves, et de l’autre, un courant psychopédagogique inspiré des travaux de Wallon et de Piaget, et comme tel cherchant au contraire à tenir compte des stratégies et du développement cognitif des apprenants. Cette double naissance porte ainsi en germe quelques unes des orientations principales de la didactique actuelle, l’une attirée

notamment par l’étude et la rationalisation des contenus des programmes, l’autre par l’étude des conditions d’appropriation des savoirs. L’influence originelle de la psychologie génétique de Piaget, et particulièrement l’importance accordée aux analyses de type épistémologique et aux observations de type psychologique, a de fait déterminé deux des principales dimensions de la didactique.

La troisième période s’ouvre dans un contexte de multiplication et de mutation des connaissances et des techniques de l’après guerre. L’une des conséquences de cette transformation de tous les champs de la société aura été pour l’école la transformation de ses structures, dans un souci d’élévation du niveau de formation et d’adaptation des programmes. Se sont alors constituées des didactiques des disciplines singulières, avec leurs problématiques et leurs concepts propres.

C’est ainsi que J.-P. Astolfi et M. Develay (1989), situent dans la publication d’un premier ouvrage en didactique des sciences expérimentales, L’élève et/ou les connaissances

scientifiques (A. Giordan et al., 1983), l’affirmation somme toute récente de la place de la

didactique en tant que discipline intégrant deux types de réflexion, de nature épistémologique et psychologique. Les auteurs écrivent ainsi, en conclusion de l’avant-propos : « d’où sans

doute, l’originalité de cette recherche, non exhaustive bien sûr, mais qui tend à mettre en relation, sur un même domaine scientifique, l’approche épistémologique, l’analyse de processus d’apprentissage et les conditions d’appropriation de celui-ci » (Ibid.).

113. Epistémologie

L’histoire de la didactique montre ainsi qu’elle est une discipline multiréférentielle, empruntant à des disciplines extérieures à son champ. Cela se vérifie d’autant plus si, comme le précisent M. Develay (1992), J.-P.Bronckart et J.-L. Chiss (2005), l’analyse des systèmes didactiques doit prendre en compte les contextes politique, culturel et sociologique, et donc s’appuyer sur les domaines de recherche correspondants. Cette image de carrefour est commune chez les didacticiens évoquant leur discipline.

Cependant, la didactique ne saurait être réductible à l’un des champs de recherche dans lesquels elle puise des outils et certains concepts. Cela pose ainsi la question de son statut épistémologique.

La didactique est, pour M. Devalay (1992), un science de la connaissance, au statut de discipline outil puisqu’elle offre aux Sciences de l’éducation une problématique axée sur le rapport au savoir. Se proposant, par l’analyse théorique, de concevoir des outils pédagogiques

opérationnels, applicables sur le terrain et en articulation avec celui-ci, elle peut être encore considérée comme une science appliquée, une « science action » (L. Cornu et A. Vergnioux, 1992) en recherche d’efficacité et comme telle susceptible de transformer les pratiques scolaires. Elle nous apparaît donc comme une démarche mixte, à la fois théorique et pratique, une techno-science (J.-P.Bronckart et J.-L. Chiss, 2005). Par ailleurs, se pose le problème du lieu de rattachement à l’une des disciplines de référence s’intéressant aux trois axes des situations didactiques que sont enseigner, former, apprendre : dès lors, la didactique doit-elle plutôt s’ancrer dans la discipline particulière dont elle étudie l’épistémologie, ou bien doit-elle dépendre de la pédagogie, ou bien encore doit-elle constituer une sous-discipline de la psychologie cognitive ?

Si le rôle de la didactique s’est affirmé, depuis maintenant une vingtaine d’années, sa structure et son étendue semblent cependant encore en cours de constitution. En témoignent les problèmes non totalement résolus de délimitation de son domaine d’application avec celui de la pédagogie d’une part, et avec la possible émergence, à partir des didactiques, du didactique d’autre part.

S’agissant de sa distinction avec la pédagogie, nous suivrons M. Altet (1994) pour penser que si la gestion de l’information, la structuration du savoir par l’enseignement et leur appropriation par l’élève relèvent de la didactique, alors « le champ du traitement et de la

transformation de l’information en savoir par la pratique relationnelle et l’action de l’enseignant » appartiennent au domaine de la pédagogie. Les deux fonctions didactique

(gestion de contenus) et pédagogique (gestion des événements en classe) sont d’ailleurs remplies de manière complémentaire par l’enseignant, la première se produisant en amont du cours, dans un temps fictif, et la seconde dans le temps réel du cours, lors des interactions suscitées par la situation d’enseignement-apprentissage.

La question de l’émergence possible d’une didactique générale se heurte quant à elle à l’idée selon laquelle tout concept œuvrant à l’intérieur d’un domaine particulier ne peut être opératoire qu’à l’intérieur de ce domaine. Cependant la migration des concepts issus des didactiques disciplinaires est bien réelle et reste assez féconde, accréditant l’idée de pouvoir définir un cadre conceptuel commun à différentes disciplines.

114. Objets, tâches et outils conceptuels

A l’intérieur de chaque discipline, apparaît en effet de manière analogue un triple champ d’investigation corrélant les axes déjà mentionnés du triangle didactique. Pour chacun

de ces champs, il est possible d’identifier quelle orientation disciplinaire se dessine, quelle tâche se présente au didacticien et quels sont les outils conceptuels susceptibles d’être réinvestis dans des disciplines différentes.

A l’axe reliant les pôles Elève-Savoir correspond ainsi une entrée par la psychologie cognitive dans une logique d’appropriation des savoirs. Sont examinées l’acquisition des contenus en classe par l’apprenant, la manière dont les élèves les utilisent et se les approprient, la façon dont ils se les représentent (M. Altet, 1994). Les concepts de représentation (ou conception), d’objectifs-obstacles et d’opération mentale sont issus de ces recherches.

L’axe reliant les pôles Maître-Elève nécessite, dans une logique des relations, l’approche d’une ingénierie pédagogique, distincte de la pédagogie en ce sens qu’elle réfère un ensemble de techniques permettant l’enseignement (communication, technologies auxiliaires) (M. Develay, 1992), ou encore une attention portée à la situation de formation, à ses contraintes et à ses règles (P. Meirieu, 2005). Cette recherche a notamment produit le concept de contrat didactique.

Enfin, pour interroger l’axe Enseigner, reliant les pôles Savoir et Maître, sera convoquée l’épistémologie de la discipline considérée. Dans une logique de savoir, elle interroge l’origine, la structure et les méthodes d’élaboration du savoir à enseigner. Les concepts utilisés sont la transposition didactique, les réseaux conceptuels et les niveaux de formulation.

C’est cette dernière entrée que nous choisirons pour vérifier si une didactisation de la matière de l’Information-documentation est envisageable, au travers d’une exploration préparatoire mobilisant des opérations d’identification, de référencement, de structuration et de transposition à propos de ses contenus discursifs.

12. La dimension épistémologique de la didactique comme cadre