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La santé et la sécurité au travail : des enjeux sociaux et sociétaux

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 86-91)

La fonction RH face aux questions de santé 3.2. et sécurité au travail

3.2.1. La santé et la sécurité au travail : des enjeux sociaux et sociétaux

À l’image de la gestion des Hommes par les Hommes, et comme nous l’avons déjà entrevu, la question des conditions de travail, de la santé et de la sécurité des travailleurs est aussi très ancienne (voir notamment Monod et Valentin, 1979).

Toutefois, des évolutions majeures dans les entreprises et dans notre société ont récemment étendu l’impact des enjeux de SST au sein de la fonction RH. Nous identifions trois principales évolutions.

Un développement des connaissances sur les risques, associé à une évolution de l’approche du risque au travail

Les connaissances sur les effets physiques, physiologiques, psychiques, cognitifs et toxicologiques des conditions de travail se sont progressivement enrichies1. Ce développement des connaissances sur les risques professionnels a conduit à une prise de conscience, une « objectivation », face à certains risques, de la part des salariés (Askenazy, 2004, p. 32 ; Cézard et Hamon-Cholet, 1999, p. 9 ; Gollac, 1997, pp.

19‑30)2. Ces connaissances ont également mené à une « légitimation scientifique d’une appréhension plus large [des risques] autour des conditions et de l’organisation du travail » (Chakor, 2014, p. 8). À partir des années 1960, apparaissent en France

1 Malgré les freins posés par certains états (Thébaud-Mony, 2007, pp. 49‑51) et certaines entreprises (« Corporate Corruption of Science », 2005 ; Hardell, Walker, Walhjalt, Friedman et Richter, 2007 ; Huff, 2007 ; Pearce, 2008) et malgré la complexité du processus et la latence de certaines pathologies – en particulier certains cancers

2 Précisons que si les auteurs cités reconnaissent cette « objectivation », ils soulignent qu’elle ne suffit pas à expliquer l’augmentation ressentie de la charge de travail et des nuisances, alimentant ainsi l’idée d’une intensification du travail (voir infra).

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des mouvements sociaux « qui mettent en avant des revendications sur la sécurité et sur la protection de la santé au travail, qui avaient du mal à émerger jusque-là » (Omnès, 2006, p. 173). À partir de là, s’anime par ailleurs un débat sur le « système assurantiel du risque professionnel » qui, tout en garantissant une couverture pour les salariés, a pu limiter les incitations de l’employeur à la prévention (Bruno, Geerkens, Hartzfeld et Omnès, 2012)1. La question des conditions de travail sera de nouveau délaissée à partir de la fin des années 1970 avant de revenir au cœur du dialogue social à la fin des années 1990 (Lerouge, 2010, p. 34).

En réponse aux mouvements sociaux et au développement des connaissances, la responsabilité juridique de l’employeur en matière de risque professionnel s’est élargie de façon continue, en particulier à partir des années 1990, suite à l’adoption de la directive-cadre 89/391 du conseil de la CEE (Chakor, 2014, pp. 8‑10), qui a été transcrite dans le droit français (voir annexe 1). Une législation a eu un impact direct sur le travail des praticiens RH (voir 3.2.2).

Une intensification du travail

Malgré la tertiarisation de l’économie occidentale, l’arrivée de nouvelles formes d’organisation du travail de type lean, promouvant le juste-à-temps, la réactivité et la flexibilité face à la demande, la réduction des stocks, et les rotations aux postes, a conduit à une intensification du travail, marquée à partir des années 1980. Ces nouvelles formes d’organisation s’accompagnent souvent d’une augmentation de la charge de travail et des nuisances (Valeyre, 2006), entraînant dans leur sillage une augmentation des accidents et un fort accroissement des maladies professionnelles (Askenazy, 2004, en particulier pp. 20-30). D’après une enquête DARES (2014a) sur les conditions de travail, après une stabilisation sur la période 1998-2005, le travail des salariés s’est à nouveau intensifié durant la période 2005-2013.

Même si Askenazy pointait une certaine indifférence de l’État français face à cette situation (2004, pp. 78‑79), qui se traduit notamment par une réduction des effectifs chez les inspecteurs du travail (DGT, 2015), les arrivées du document unique

1 Une critique qui est toujours d’actualité (Abord de Châtillon et Bachelard, 2005).

2 La Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 créait déjà une « fiche » individuelle de suivi des expositions (Art. L4121-3-1).

83 Bertrand et Stimec, 2011 ; Detchessahar, Devigne, Grevin et Stimec, 2012 ; Minguet, 2011 ; Stimec et Michel, 2010 ; Ughetto, 2011). Ces auteurs ont en particulier montré que le travail d’écoute et d’accompagnement des managers, la participation des salariés aux processus d’organisation, et l’existence d’espaces de discussion sur le travail étaient des éléments déterminants de la santé des salariés dans ce type d’organisation.

Un vieillissement de la population active

En France, l’âge moyen de la population active est en constante augmentation depuis le milieu des années 1990 (Blanchet, 2002, p. 126) et devrait continuer à progresser dans ce sens jusqu’à l’horizon 2025, à partir duquel il devrait se stabiliser puis commencer à décroître (Léon et al., 2011, p. 3). Depuis quelques années, cette évolution démographique de la population est devenue un vaste défi pour l’État et pour les praticiens RH (Peretti, 1999).

Premièrement, ce vieillissement de la population est synonyme de départ massif à la retraite des baby-boomers. Du côté de l’État français se pose la question du financement de ces retraites qui fonctionnent essentiellement suivant un modèle contributif et par répartition. Depuis 1993, les réformes des retraites se sont succédé, rallongeant progressivement la durée de cotisation et repoussant l’âge légal de départ à la retraite. À la fin des années 2000, l’État a par ailleurs incité les entreprises à mettre en œuvre des accords ou des plans d’action, entre autres, sur les thèmes du recrutement et du maintien dans l’emploi des travailleurs après 50 ans (Décret n° 2009-560 du 20 mai 2009). Autrement dit, non seulement la population active vieillit, mais on lui demande de travailler plus longtemps. Ceci vient contrarier une culture des entreprises françaises caractérisée par un faible emploi des seniors, en comparaison avec le Japon, les États-Unis, l’Allemagne ou les pays scandinaves (voir graphique 2). Notons, de plus, que les entreprises françaises sortent d’une période de départs à la retraite peu nombreux correspondant au « creux » démographique de la Seconde Guerre mondiale ; pour les entreprises, le revirement de situation est susceptible d’être brutal.

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Graphique 2 – Taux d'emploi en pourcentage des travailleurs âgés de 55 à 64 ans1, dans plusieurs pays développés, entre 1992 et 2011 (réalisé à partir de

données de l’INSEE)

Du côté des entreprises, ces départs massifs à la retraite posent aussi la question de la conservation des connaissances, des savoir-faire et des « savoir-y-faire » (Massoni, communication personnelle) des salariés qui partent en retraite. Sur cette question, l’État a également cherché à agir. En effet, le Décret du 20 mai 2009 évoqué supra invitait les entreprises à négocier sur « l’anticipation de l'évolution des carrières professionnelles » et la « transmission des savoirs et des compétences et le développement du tutorat ». En 2013, l’État a par ailleurs lancé les « contrats de génération » censés favoriser par une réduction des charges le maintien dans l’emploi des seniors, l’insertion dans l’emploi des jeunes et la conservation des compétences.

Les praticiens RH seront certainement de plus en plus confrontés à ces enjeux qui devraient être au cœur des politiques de GPEC2 durant les prochaines années.

Deuxièmement, le vieillissement de la population active vient mettre à l’épreuve la capacité des entreprises à maintenir en emploi ses salariés les plus âgés, a fortiori dans un pays où le taux d’emploi des seniors est relativement faible.

Il est désormais reconnu que les travailleurs qui, avec l’âge, ont vu se réduire leurs capacités physiques, peuvent arriver à maintenir leur productivité, en s’appuyant sur leur expérience et sur des stratégies individuelles et collectives (Blanchet, 2002, pp.

127‑137 ; Faurie, 2011, pp. 26‑27 ; Volkoff, Molinié et Jolivet, 2000). Un double défi se présente néanmoins pour les praticiens RH. D’une part, il y a une nécessité

1 Pour l’Islande et la Norvège, les données n’étaient disponibles qu’à partir, respectivement, de 2006 et 2001.

2 Gestion prévisionnelle des emplois et compétences.

85 d’adapter l’emploi et le travail de salariés vieillissant, parfois usés par leur travail, qui ont perdu une partie de leurs capacités physiques, de leur capacité d’adaptation physiologique et parfois de leurs capacités cognitives. Des salariés pour qui les stratégies, adaptatives, collectives, d’économie et d’anticipation ne suffisent plus pour maintenir leur productivité. D’autre part, il est nécessaire de prévenir la dégradation de la santé des salariés due au travail. C’est l’enjeu central de la prévention de la pénibilité : permettre aux personnes de durer plus longtemps au travail dans de bonnes conditions de santé.

Des leviers existent dans la gestion des carrières. Toutefois pour atteindre cet objectif de maintien dans l’emploi il est urgent de réduire les charges de travail et les nuisances les plus élevées. Et il est nécessaire de concevoir des systèmes et des organisations du travail favorisant la mise en œuvre des stratégies que nous venons d’évoquer : il faut permettre aux salariés de développer leurs marges de manœuvre (Coutarel, 2004 ; Coutarel et Petit, 2013). Le vieillissement de la population active donne ainsi une nouvelle dimension stratégique à la mission d’amélioration des conditions de travail et de prévention des risques de la fonction RH.

Troisièmement, alors que les durées de cotisation ont été rallongées, l’État a pris des mesures pour compenser les écarts entre métiers en matière d’espérance de vie et d’espérance de vie en bonne santé. Ces procédures permettent aux personnes qui ont réalisé des travails pénibles durant leur carrière de partir plus tôt en retraite et elles favorisent leur reconversion en cours de carrière pour limiter l’exposition aux risques professionnels. C’était l’objet du C3P1 : assurer un suivi des expositions aux

« facteurs de pénibilité » de chaque salarié exposé. Si les seuils d’exposition définis par l’État sont dépassés, le salarié cumule des points dans son C3P qui lui permettent “d’acheter”, dans un premier temps, des formations pour favoriser sa reconversion et, dans un deuxième temps, des trimestres de cotisation. À partir de 2017, tous les employeurs devront contribuer au financement du C3P à hauteur de 0,1 % des rétributions. Depuis 2015, pour chaque salarié exposé au-delà des seuils, les employeurs doivent en plus contribuer à hauteur de 0,1 % à 0,2 %2 des rétributions du salarié3. Pour les praticiens RH, la mise en œuvre du C3P présente alors un défi en termes de suivi des expositions et de gestion administrative de chaque compte personnel. Les coûts supplémentaires du C3P viennent par ailleurs s’additionner aux raisons d’améliorer les conditions de travail et de réduire les risques professionnels.

1 Par l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, le C3P a été remplacé par le compte professionnel de prévention (C2P), qui prend moins de facteurs de pénibilité en compte. Toutefois, au moment où nous rédigeons ces lignes, les décrets d’application ne sont pas encore parus.

2 0,2 % et 0,4 % depuis 2017. Le pourcentage est fixé en fonction du nombre d’expositions : si un unique seuil est dépassé c’est la cotisation basse ; si au moins deux seuils sont dépassés, c’est la cotisation haute.

3 Source : https://www.service-public.fr

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Un enjeu de gestion des relations sociales

La santé et la sécurité au travail sont aussi des enjeux sociaux dans le sens où elles peuvent être au cœur des relations sociales au sein de l’entreprise.

Si, en comparaison avec les salaires et le temps de travail, elles restent un thème mineur, les conditions de travail font néanmoins l’objet de négociations et d’accords dans les entreprises (voir tableau 2). On peut de plus faire l’hypothèse que ces chiffres ne reflètent qu’une partie de la réalité, car, comme le souligne Mornet-Perier (2007, p. 41), il peut y avoir un hiatus entre les raisons profondes qui sont à l’origine des conflits et « la formulation simplifiée que les dirigeants et partenaires sociaux en font ». Certaines négociations définies comme salariales peuvent, par exemple, avoir comme point de départ une problématique de conditions de travail. Par ailleurs, comme le souligne Dugué (2005, p. 87), ces données ne sont pas toujours fiables, car les entreprises n’informent pas systématiquement l’État des négociations réalisées.

Tableau 2 – Le thème des conditions de travail dans les accords d'entreprise en 2012 et 20131

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