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L’approche collective du travail

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 124-129)

un champ d’intervention longtemps exclu

4.2.5. L’approche collective du travail

Comme le souligne Caroly (2010, p. 85), « l’approche collective n’était pas le point de départ de l’ergonomie », la discipline étant à l’origine surtout centrée sur l’individu, mais « ses fréquentations avec la sociologie » ont permis aux ergonomes de mieux comprendre certaines dimensions collectives du travail.

Pour les ergonomes, la nécessité de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans le travail collectif et la construction des collectifs de travail a accompagné leur intérêt croissant pour les processus de conception, d’organisation et de régulation. Pour l’analyse ergonomique, la prise en compte des dimensions collectives du travail s’est par ailleurs révélée être un passage indispensable pour comprendre l’activité individuelle (Garza (de la) et Weill-Fassina, 2000).

La question de « l’activité collective » a longtemps été « un angle mort » de la recherche organisationnelle toutes disciplines confondues (Lorino, 2013), et se présente en ce sens comme un champ à défricher et à conquérir pour l’ergonomie.

Néanmoins, plusieurs auteurs en ergonomie (notamment Caroly, 2010 ; Caroly et Dans le cadre de leurs travaux sur les processus d’organisation et sur le travail des encadrants, certains ergonomes ne se sont pas limités à une analyse ergonomique du travail, mais ils ont également produit un accompagnement.

Leurs recherches se sont alors aussi portées sur la façon dont les acteurs se saisissaient des produits du travail des ergonomes. Ainsi ils ont permis de tirer des enseignements sur la façon dont les ergonomes pouvaient contribuer aux processus d’organisation et de conception, et aux travails des encadrants.

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Barcellini, 2013 ; Darses et Falzon, 1996 ; Garza (de la) et Weill-Fassina, 2000) ont élaboré des repères utiles pour comprendre les principaux enjeux du travail collectif et pour distinguer les différentes formes qu’il peut prendre.

Plusieurs formes de travail collectif

Garza et Weill-Fassina (2000) ont proposé de caractériser plusieurs formes d’interactions sociales en jeu dans le travail collectif, en fonction « des buts poursuivis, de l’espace dans lequel ils se réalisent, de l’échéance temporelle visée, des opérations réalisées par les uns et par les autres et de la nature des métiers en cause ».

Elles distinguent ainsi (voir également figure 8) :

- la co-activité, qui est caractérisée par le partage d’un espace géographique, sans autre objectif commun que le fonctionnement de l’entreprise ;

- la co-action, qui correspond « aux situations dans lesquelles les opérateurs poursuivent des actions différentes sur des objets différents », avec « des buts à court terme différents, mais devant être intégrés à moyen terme dans une activité commune » ;

- la coopération, qui « caractérise une activité collective dans laquelle les opérateurs travaillent ensemble sur le même objet ou un objet proche visant au même but proximal » ; c’est par exemple ce que l’on observe lorsque plusieurs opérateurs soulèvent ensemble un rail ; mais comme le soulignent les auteures, la coopération peut aussi concerner des tâches plus cognitives ;

- la collaboration, qui « caractérise une activité collective dans laquelle les opérateurs accomplissent sur un même objet des opérations différentes qui s’articulent les unes aux autres avec un but commun à court ou à moyen terme » ;

- l’aide et l’entraide, qui consistent à seconder un autre opérateur en « incapacité » voire à le remplacer pour certaines opérations.

Garza et Weill-Fassina (ibid., pp. 228-230) considèrent que pour que ces différentes formes d’activité collective se mettent en place, il est nécessaire que les travailleurs concernés puissent se concerter et se coordonner, ce qui passe par la construction de

« référentiels communs » sur les buts, les règles, les questions techniques, temporelles et organisationnelles. Ceci passe parfois aussi par un conflit et une négociation pour parvenir à des régulations.

121 Figure 8 – Différentes formes de travail collectif (d’après Garza (de la) et

Weill-Fassina, 2000, p. 227)

Pour les ergonomes, les dimensions à considérer autour du travail collectif ne sont alors pas circonscrites à la seule somme des activités individuelles d’opérateurs qui partagent un espace, un outil, un objet ou un objectif de travail. Il est aussi nécessaire d’analyser le travail d’organisation et de régulation (Terssac (de), 2003b), les processus de « synchronisation cognitive » et de « synchronisation opératoire » (Darses et Falzon, 1996), dans lesquels sont élaborés les espaces, la répartition des tâches, les outils, les objets, les objectifs de travail, les temps de travail et les

« référentiels opératifs communs » (Terssac (de) et Chabaud, 1990).

Activité collective et collectif de travail

Caroly et Barcellini (Caroly, 2010 ; Caroly et Barcellini, 2013) ont apporté des éclairages supplémentaires sur la question du travail collectif. Pour elles, il est nécessaire de distinguer le travail collectif, le collectif de travail et l’activité collective.

Pour Caroly (2010, p. 99), la notion de « collectif de travail » dépasse celle

« d’équipe de travail » et n’est pas réductible à l’organigramme de l’entreprise ni

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aux communautés d’appartenance. Elle considère qu’il y a « collectif de travail lorsque plusieurs travailleurs concourent à une œuvre commune dans le respect des règles (Cru, 1988, p. 44), leurs propres règles d’action et les règles de métier » (Caroly, 2010, p. 98).

Le « collectif de travail » est à différencier du « travail collectif » qui, pour Caroly et Barcellini (2013, pp. 33‑34), « correspond à la manière dont les opérateurs et les opératrices vont plus ou moins coopérer de manière efficace et efficiente dans une situation de travail (Avila Assunção, 1998 ; Garza (de la) et Weill-Fassina, 2000) ».

Le travail collectif implique « une répartition des tâches », « des échanges de savoirs, favorisant la mise en œuvre de régulations dans l’activité », et il renvoie à la

« performance dans l’atteinte des objectifs » de la tâche (Caroly et Barcellini, op. cit.).

Pour Caroly et Barcellini (2013, p. 37), il y a une articulation qui se joue dans l’activité des opérateurs entre le collectif de travail et le travail collectif. À plusieurs titres, le collectif de travail se révèle en effet comme une ressource pour le travail collectif : il permet la construction de règles communes, d’enrichir les référentiels communs, il favorise la répartition des efforts, il donne du « pouvoir d’agir » (Clot, 2008) aux acteurs, et permet finalement de rendre le travail collectif plus efficace.

Symétriquement, « l’expérience de situations de travail collectif dans l’action est une occasion de développement du collectif de travail » (Caroly et Barcellini, op. cit.).

Pour les auteures « le collectif ne préexiste pas à l’action » mais il se crée dans l’agir ensemble et « il dépend des situations de travail qui procurent des expériences régulation » entre travail collectif et collectif de travail (Caroly, 2010, p. 108).

Caroly insiste sur le fait que l’activité collective est à la fois dépendante de la vitalité du collectif de travail et source d’enrichissement pour ce collectif. Le développement du collectif de travail et de l’activité collective passe avant tout par la possibilité des membres du collectif de travail de délibérer sur les règles. Ainsi dans l’approche collective du travail de Caroly, la question de la réélaboration des règles est centrale :

« la construction du collectif passe par l’existence de règles de métiers » (ibid., p. 102) et « l’activité collective s’élabore par la réélaboration des règles » (p. 111).

Caroly et Barcellini (2013, pp. 38‑43) ont identifié les conditions nécessaires et les contributions possibles de l’ergonomie au développement de l’activité collective : Ø Favoriser la reconnaissance des compétences et de la qualité du travail de l’autre,

par la hiérarchie et par les pairs. Caroly et Barcellini (ibid., p. 38) précisent que

« si le collectif est reconnu et soutenu, il peut contribuer à la mise en œuvre

123 d’activités métafonctionnelles[ 1 ] sur les situations de travail qui aident les opérateurs et opératrices à la prise de conscience de leurs expériences et à la formalisation de leurs compétences, pour pouvoir éventuellement les transmettre ». L’ergonome peut contribuer à cette reconnaissance notamment grâce à des techniques d’explicitation ou de confrontation qui permettent de formaliser les compétences développées et de révéler ce que les travailleurs connaissent de leur propre travail et du travail des autres.

Ø Construire des espaces de débat pour partager des critères sur la qualité du travail : il faut permettre au collectif de débattre sur « les valeurs, les dimensions pertinentes de l’activité et les conditions du travail nécessaires pour réaliser un travail de qualité » (ibid., p. 39).

Ø Développer une organisation favorisant les processus de réélaboration des règles.

Ce qui nécessite de réunir plusieurs conditions :

- les règles de l’organisation doivent pouvoir être réélaborées par le collectif pour être ajustées à l’activité réelle de travail, et soutenir les régulations mises en œuvre face aux insuffisances et contradictions de l’organisation ;

- l’organisation doit permettre de construire des métarègles – règles collectives d’application des règles prescrites – ; ce qui se construit dans la confrontation à des situations variées et dans le partage d’expériences ;

- la réélaboration collective des règles doit « autoriser la singularité de chacun dans son activité sans nuire à la réalisation du travail commun » (ibid., p. 41).

Ø Construire des objets intermédiaires, nécessaires à la synchronisation, à l’élaboration de référentiels opératifs communs, à la réflexion conjointe sur les situations. Le rôle de l’ergonome est d’accompagner la construction de ces objets intermédiaires et de mettre en valeur les objets intermédiaires existants

« permettant de débattre de points de vue différents et favoriser les controverses » (ibid.).

Ø Concevoir des dispositifs techniques soutenant l’activité collective, ne se limitant pas à une vision prescrite du travail collectif et de la coordination. La construction de tels dispositifs techniques passe par un développement conjoint des systèmes organisationnels et techniques (Barcellini, Van Belleghem et Daniellou, 2013), dans lequel les ergonomes ont un rôle déterminant à jouer.

1 Voir Falzon (1994) ; voir également section 4.2.6 dans ce chapitre.

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En résumé, « l’ergonomie doit donc faciliter le développement de l’activité collective en agissant sur les conditions organisationnelles et matérielles favorisant la construction du collectif de travail et du travail collectif » (Caroly et Barcellini, 2013, p. 38).

Caroly (2010) souligne par ailleurs le rôle déterminant des encadrants dans le développement de l’activité collective. L’encadrement, « dans son activité de prescription », doit être ouvert à une « prise en compte des régulations opératives et collectives mises en œuvre par les opérateurs » (ibid., p. 110). Pour Caroly, le rôle déterminant des encadrants, pose la question de leurs propres marges de manœuvre.

En ce sens, Caroly, Depincé et Lecaille (2008) ont montré que les marges de manœuvre des concepteurs de l’organisation impactaient les marges de manœuvre pour réorganiser collectivement l’activité.

Une autre approche de l’activité collective a été proposée par Falzon, Sauvagnac, Mhamdi et Darses (1997) : « l’activité métafonctionnelle collective ». Comme il nous semble nécessaire d’aborder en premier lieu le concept d’activité métafonctionnelle, nous traiterons de cette forme d’activité collective dans le point suivant.

Par ailleurs, dans le 4.3.2, nous aborderons plus en détail la question de l’articulation entre l’activité collective et les processus de conception.

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