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Pouvoir d’agir et marges de manœuvre : une articulation avec l’activité métafonctionnelle articulation avec l’activité métafonctionnelle

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 139-145)

Articulation des modèles ergonomiques 4.3. présentés

4.3.3. Pouvoir d’agir et marges de manœuvre : une articulation avec l’activité métafonctionnelle articulation avec l’activité métafonctionnelle

Comme nous l’avons dit supra (voir section 4.1.5, p. 109) le concept de

« marges de manœuvre situationnelles » tel que Coutarel et al. (2015) l’ont défini nous apparaît comme le plus opérant pour aborder la question des marges de manœuvre, car il incite à transformer des déterminants internes et externes en cherchant à se projeter dans le résultat de leur combinaison singulière.

Par ailleurs, la précision qu’apporte la notion de « marges de manœuvre situationnelles » nous semble essentielle pour le travail d’encadrement, et par conséquent pour l’analyse du travail des professionnels RH. En effet, beaucoup d’encadrants – surtout lorsqu’ils sont aussi « cadres » – peuvent bénéficier d’une large autonomie d’après le prescrit de leur travail, mais avoir finalement des marges

135 de manœuvre situationnelles réduites, du fait des nombreuses autres contraintes qui pèsent sur eux (Cousin, 2004, 2008).

Cependant, il nous semble nécessaire, d’une part, de clarifier comment ces marges de manœuvre situationnelles peuvent s’insérer dans un modèle d’analyse qui comprend deux niveaux d’activité – fonctionnelle et métafonctionnelle. D’autre part, il nous paraît nécessaire de préciser la distinction entre « marges de manœuvre » et

« pouvoir d’agir » qui, comme le soulignent Arnoud (2013) et Coutarel et al. (2015), sont souvent utilisés de façon interchangeable par les ergonomes. Nous proposons d’apporter ici des éclairages sur ces deux zones d’ombre de façon concomitante.

Pour aborder la notion de « pouvoir d’agir » et son articulation avec les « marges de manœuvre », nous allons nous recentrer autour de quatre utilisations de la notion de « pouvoir d’agir », proposées par Clot (2000, 2008), Coutarel et al. (2015), Daniellou (1998b, 1998c) et Rabardel (2005).

Clot et Rabardel ont emprunté la notion de « pouvoir d’agir » à Ricœur (1990, p.

223), qui associe la diminution du pouvoir d’agir à la souffrance : « la souffrance n’est pas uniquement définie par la douleur physique, ni même par la douleur mentale, mais par la diminution voire la destruction de la capacité d’agir, du pouvoir-faire, ressenties comme atteinte à l’intégrité du soi ».

Rabardel aborde le concept de « pouvoir d’agir » en le distinguant de celui de

« capacité d’agir ». Pour lui la capacité d’agir est « une potentialité dont dispose le sujet », qui peut se définir « par les résultats qu’elle est capable de faire advenir » et « par ce dont elle est constituée : les instruments, les compétences, les capacités fonctionnelles du corps propre, etc. » (Rabardel, 2005, p. 19). Les capacités d’agir de Rabardel sont donc assez proches du concept de marges de manœuvre potentielles proposé par Caroly (2001). Le pouvoir d’agir est quant à lui défini par Rabardel (op. cit.) comme dépendant :

des conditions externes et internes au sujet, qui sont réunies à un moment particulier, comme l’état fonctionnel du sujet, artéfacts et ressources disponibles, occasions d’intervention, etc. Il est toujours situé dans un rapport singulier au monde réel, rapport qui actualise et réalise la capacité d’agir en en transformant les potentialités en pouvoir.

Cette définition du pouvoir d’agir proposé par Rabardel est donc très proche des marges de manœuvre situationnelles proposées par Coutarel et al. (2015), comme ces derniers le soulignent d’ailleurs.

Clot pour sa part considère que le pouvoir d’agir « mesure le rayon d’action effectif du sujet ou des sujets dans leur milieu professionnel habituel » (2010, p. 18). Notons déjà ici que dans la définition de Clot, le pouvoir d’agir dépasse le cadre de la situation de travail pour atteindre celui du milieu professionnel. Clot (2010, p. 19) précise que « le pouvoir d’agir est hétérogène », c’est-à-dire « qu’il augmente ou diminue en fonction de l’alternance fonctionnelle entre le sens et l’efficience de l’action où se joue le dynamisme de l’activité, son efficacité », où « l’efficacité n’est pas seulement l’atteinte des buts poursuivis », mais « tout autant la découverte de

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buts nouveaux ». Clot relie fortement le pouvoir d’agir à la possibilité de vivre d’autres situations de travail, ou de vivre les mêmes situations autrement, en créant de nouveaux buts, de nouveaux instruments, mais également en donnant un nouveau sens aux expériences vécues (Clot, 2008). En effet, pour lui, « ce qui est formateur pour les travailleurs, c’est-à-dire ce qui accroît leur rayon d’action et leur pouvoir d’agir, c’est de rencontrer la possibilité de changer de statut de leur vécu : d’objet d’analyse, le vécu doit devenir moyen pour vivre d’autres vies » et « c’est seulement quand l’expérience sert à faire d’autres expériences qu’on conserve la main sur son histoire » (Clot, 2001, pp. 14‑15).

Le « pouvoir d’agir » tel qu’il est défini par Clot couvre donc un champ plus étendu que le « pouvoir d’agir » de Rabardel. En reprenant le vocabulaire de Coutarel et al.

(2015), nous pouvons résumer la comparaison en disant que le « pouvoir d’agir », chez Rabardel (2005) se limite aux « marges de manœuvre situationnelles », alors que chez Clot (2001, 2008, 2010) il s’étend à leur développement.

D’ailleurs, en s’inspirant des propositions de Rabardel et de Clot, Coutarel et al.

(2015, pp. 18‑20) ont proposé une définition du « pouvoir d’agir » en articulation avec la notion de « marges de manœuvre ». En effet pour eux le pouvoir d’agir

« caractérise de manière générale la relation de l’opérateur à son milieu de travail, au-delà des situations singulières et selon une perspective diachronique traversée des histoires collectives » (ibid., p. 18). Et par conséquent :

Développer le pouvoir d’agir correspond donc à influencer les processus qui configurent durablement les situations de travail et les marges de manœuvre qui y sont associées. Il s’agit de développer durablement les possibilités (collectives, institutionnelles, temporelles…) de débats de normes, d’explicitation des valeurs qui les sous-tendent et d’arbitrages par ceux que ces débats traversent et affectent.

La marge de manœuvre situationnelle s’intègre donc dans un rapport actif au milieu, sur le long terme, construit dans et par les processus de configuration des situations de travail, que nous appellerons le pouvoir d’agir. En ce sens, le développement réitéré de marge de manœuvre situationnelle contribue au développement du pouvoir d’agir. (id.)

En adaptant le schéma présenté par Coutarel et Petit (2013, p. 181), Coutarel et al.

(2015, p. 20) ont proposé de représenter schématiquement les articulations entre caractéristiques du travailleur, caractéristiques de son milieu, marges de manœuvre situationnelles et pouvoir d’agir (figure 15 ci-dessous).

137 Figure 15 – Marge de manœuvre situationnelle et pouvoir d'agir (d’après

Coutarel et al., 2015 ; adapté de Coutarel et Petit, 2013)

Nous ne pouvons nous empêcher de faire un parallèle entre le modèle proposé par Coutarel et al. (2015) et le modèle de Falzon (2013b)1. En effet, dans le modèle de Falzon de l’activité métafonctionnelle résulte un développement des ressources de l’opérateur, autrement dit, une transformation des caractéristiques de l’opérateur et de son milieu.

En continuant le parallèle, nous pouvons par ailleurs dire que le développement des marges de manœuvre situationnelles de l’opérateur dépend finalement de la possibilité de réaliser cette activité métafonctionnelle. Comme nous l’avons noté supra (figure 12 p. 130), la possibilité de réaliser une activité métafonctionnelle est en partie déterminée par l’activité fonctionnelle, par exemple à travers l’apparition de phases de « moindre charge » (Falzon, 2015 [1996]). Formulé autrement, les marges de manœuvre de l’activité métafonctionnelle sont en partie déterminées par l’activité fonctionnelle. Sans oublier que l’activité métafonctionnelle, en particulier à travers l’activité collective de réélaboration des règles et de reconception, peut consister en une transformation de ses propres déterminants, nous pouvons schématiser l’articulation entre marges de manœuvre de l’activité fonctionnelle et de l’activité métafonctionnelle comme suit :

1 Voir section figure 9 p. 123.

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Figure 16 – Dynamique entre déterminants des activités fonctionnelles et métafonctionnelles

Si l’on devait positionner ce modèle par rapport à la définition du « pouvoir d’agir » de Coutarel et al. (2015) ou à celle de Clot (2001, 2008, 2010), nous pourrions considérer que le développement du pouvoir d’agir est relié à la possibilité de développer à la fois les marges de manœuvre situationnelles de l’activité fonctionnelle et celles de l’activité métafonctionnelle.

Pouvoir d’agir, pouvoir penser, pouvoir débattre

Daniellou (1998b, 1998c) propose une autre approche de la notion de

« pouvoir d’agir ». Il relie de façon interdépendante le « pouvoir d’agir » avec le

« pouvoir débattre » et le « pouvoir penser ». Daniellou insiste ainsi sur l’idée que

139 pour agir sur les situations de travail, il est nécessaire de pouvoir « penser les situations de travail, dans leur complexité et dans leur singularité », de « pouvoir penser sa propre activité et celle de ses collègues », de pouvoir débattre en reconnaissant « la diversité des logiques nécessaires à la survie de l’entreprise » en permettant des remontées d’informations « issues de l’analyse de la réalité quotidienne » du travail (1998b, pp. 7‑8). Daniellou, insiste également sur l’idée que pour pouvoir mener des actions de changement il faut être capable de concevoir « un autre état des choses » (Sartre, 1943, p. 479) :

Tant qu’il est difficile d’imaginer la possibilité d’un changement dans les faits, il y a beaucoup de chances que l’un ou l’autre type de défenses se déploie, pour rendre la situation tenable – défenses qui, rappelons-le, affectent les mécanismes de pensée et notamment d’attribution causale.

(Daniellou, 1998c, p. 37)

Autrement dit, avant de pouvoir penser à la transformation de la situation, il faut d’abord pouvoir concevoir qu’elle puisse être différente. Il y a donc une interdépendance forte entre le « pouvoir penser » et le « pouvoir d’agir ».

Daniellou (ibid.) formalise cette interrelation entre les trois types de pouvoirs (d’agir, penser et débattre) autour d’un triangle (figure 17), en prenant soin de préciser que le triangle n’a pas de premier sommet.

Figure 17 – Dynamique du pouvoir penser, pouvoir agir et pouvoir débattre (d’après Daniellou, 1998b, p. 7)

Nous retrouvons dans ce triangle une dynamique comparable à celle que nous avons dans la figure 16, dans la mesure où il y a une interdépendance plus ou moins directe entre chaque élément. La différence est que dans le modèle représenté par la figure 16 le pouvoir penser et le pouvoir débattre sont “contenus” dans les déterminants de l’activité métafonctionnelle, alors que le pouvoir agir se situe dans les marges de manœuvre.

Rocha (2014 , voir en particulier pp. 175-176) a notamment repris cette approche du pouvoir d’agir, en prenant le développement du pouvoir débattre comme point de départ du développement du pouvoir d’agir et du pouvoir penser.

Proposition d’un nouveau modèle

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Le rôle des encadrants dans le développement du pouvoir d’agir Pour que notre propos reste intelligible, nous avons abordé la question des marges de manœuvre et du pouvoir d’agir en mettant quelque peu de côté le rôle des encadrants et du collectif. Pourtant, comme Coutarel et al. le rappellent, pour développer le pouvoir d’agir il faut influencer « les processus qui définissent la configuration des différentes situations de travail » (2015, p. 19, texte mis en italique par les auteurs). Parmi ces processus, il y a les processus « de décision, de conception, de participation, de management, d’arbitrage, de recrutement et de formation » (id.). Pour développer le pouvoir d’agir des opérateurs, les marges de manœuvre de leurs activités fonctionnelles et métafonctionnelles, il est nécessaire de comprendre et de transformer l’activité de ceux qui conçoivent et organisent leur travail. Et comme Caroly (2010, p. 110) le souligne, la possibilité pour l’encadrement de mettre en œuvre de façon collective des régulations, c’est-à-dire la possibilité de donner des marges de manœuvre à l’activité métafonctionnelle collective des opérateurs, est déterminée par les marges de manœuvre des encadrants eux-mêmes. Il est donc nécessaire de réinsérer l’activité des encadrants dans notre modèle d’analyse.

Dans le point suivant, nous allons proposer un modèle d’analyse qui fait justement la jonction entre les modèles que nous avons développés autour des questions du travail d’encadrement, de l’activité collective, des activités fonctionnelles et métafonctionnelles, et des marges de manœuvre.

Proposition d’un nouveau modèle

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