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permanente : un enjeu de gestion des ressources humaines et de SST

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 100-105)

Le travail posté, enjeu de GRH et de SST

Dans l’industrie chimique, de nombreux processus de fabrication nécessitent des procédures de lancement ou d’arrêt de la production qui peuvent parfois durer

1 Le nom « Seveso » fait référence à une explosion en 1976 dans une usine à proximité de la ville de Seveso, en Italie, causant un important rejet de dioxine dans l’atmosphère, et l’évacuation à termes des populations environnantes. L’accident a pointé le manque de préparation de l’entreprise et des autorités pour faire face à ce type d’événement. En réaction la communauté européenne a fait paraître en 1982 la directive 82/501/CEE, dite « Seveso I », suivie de la directive 96/82 en 1996 – « Seveso II » – et la directive 2012/18/UE en 2012 – « Seveso III ». Ces directives sont consultables sur le site de l’INERIS.

2 Dans l’Entreprise A, toutes les usines sont classées « Seveso », très majoritairement « seuil haut ».

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48 heures. Hors arrêts exceptionnels, en processus continu, les installations fonctionnent donc 24 h/24 et 7 j/71.

L’organisation du travail doit alors être adaptée à ces contraintes de production, tout en permettant le maintien en sécurité du process. Ainsi, les usines ont des équipes qui se relaient en permanence2 pour assurer la production et la sécurité du processus industriel, avec un minimum d’opérateurs spécialisés (chefs d’équipe, tableautistes, opérateurs extérieurs) qui doivent être présents.

Ce maintien permanent d’un collectif compétent pour assurer la production et la sécurité du process représente un véritable enjeu pour les praticiens RH. À court terme, c’est un enjeu en matière de gestion des effectifs, à moyen et long terme, c’est un enjeu de GPEC.

Par ailleurs, le travail en rythmes successifs alternants est connu pour affecter la santé physiologique et psychique, et la sécurité des travailleurs concernés. En effet, d’après plusieurs études, le travail posté et le travail de nuit augmenteraient notamment les risques3 :

- de troubles du sommeil et des rythmes circadiens4 (Akerstedt, 1990, 1991, 1998 ; Monk, 1990 ; Tepas et Mahan, 1989 ; Waterhouse, 1993) ;

- de problèmes cardiovasculaires : (Akerstedt, Knutsson, Alfredsson et Theorell, 1984 ; Knutsson, Akerstedt, Jonsson et Orth-Gomer, 1986 ; McNamee et al., 1996) ;

- de cancer du sein (Knutsson et al., 2013) ;

- de détérioration de la santé psychique : (Bohle et Tilley, 1989 ; Healy, Minors et Waterhouse, 1993) ;

- d’accident du travail (Folkard, 1997 ; L. Smith, Folkard et Poole, 1994).

Rappelons d’ailleurs que le travail posté – en équipes successives alternantes – et le travail de nuit font partie des dix facteurs reconnus par la loi sur la prévention de la pénibilité (voir encadré 5, p. 154).

Pour les professionnels RH, les modes de production de l’industrie chimique représentent donc aussi un enjeu en termes de SST.

1 Si certaines productions peuvent être réalisées en cycle court – en batch –, de quelques heures, dans la plupart des usines de l’Entreprise A les produits sont fabriqués en processus continu.

2 Dans l’Entreprise A, les équipes se relaient en 5x8, ce qui signifie que cinq équipes se relaient pour couvrir par roulement des postes de matin, après-midi et nuit. Chacune des équipes réalise successivement des postes de matin, après-midi et nuit.

3 Pour une synthèse en français des effets du travail posté sur la santé et la sécurité des travailleurs, voir notamment Quéinnec, Teiger et de Terssac (2008).

4 Les « rythmes circadiens » sont des rythmes biologiques d’environ 24 h, parmi lesquels les rythmes veille/sommeil, les variations de vigilances ou les variations de température. Il semble que l’on doive l’expression à Halberg (1963).

97 Il s’agit aussi d’un enjeu social, car la nécessité de pouvoir couvrir en permanence certains postes dans cinq équipes distinctes, en tenant compte, des congés, de l’absentéisme, des temps de délégation syndicale et des temps de formation, implique la définition d’un taux de recouvrement des postes. Un taux qui est généralement l’objet de négociations entre les partenaires sociaux de l’établissement.

Dans l’Entreprise A, c’est également un enjeu de gestion des relations sociales, car les bases syndicales, notamment de la CGT et de la CFDT, sont essentiellement constituées de travailleurs postés. Les questions du travail en rythmes successifs alternants, de sa compensation et de la prévention de ses effets, représentent un enjeu social majeur.

Enfin, la nuit et le weekend certains acteurs, comme les ingénieurs de production, les opérateurs de maintenance, le directeur d’usine et parfois le responsable des ressources humaines local1 (RRHL) doivent aussi assurer des astreintes2.

L’impact du classement « Seveso » pour l’organisation

Dans les entreprises classées « Seveso », l’organisation du travail doit s’inscrire dans le système de gestion de la sécurité défini par l’établissement concerné.

Un arrêté du 26 mai 20143 précise en effet pour les sites classés :

Encadré 4 – Extrait de l'annexe I de l'arrêté du 26 mai 2014

1 Les RRH locaux n’assurent évidemment pas d’astreinte technique mais peuvent être sollicités en cas d’incident majeur – nécessitant par exemple la mise en œuvre du plan d’opération interne (POI) (voir infra) – particulièrement si le directeur est indisponible.

2 « L’astreinte » n’est pas entendue ici dans le sens de Monod et Kapitaniak (2003 [1999], pp. 36-37) ou de Falzon et Sauvagnac (2004, p. 178) – manifestations biologiques et psychophysiologiques en réponse à des contraintes extérieures – mais dans son sens juridique : « une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise » (Art. L3121-9 du Code du travail).

3 Arrêté du 26 mai 2014 relatif à la prévention des accidents majeurs dans les installations classées mentionnées à la section 9, chapitre V, titre Ier du livre V du Code de l'environnement.

Les fonctions des personnels associés à la prévention et au traitement des accidents majeurs, à tous les niveaux de l'organisation, sont décrites, ainsi que les mesures prises pour sensibiliser à la démarche de progrès continu.

Les besoins en matière de formation des personnels associés à la prévention des accidents majeurs sont identifiés. L'organisation de la formation ainsi que la définition et l'adéquation du contenu de cette formation sont explicitées.

Le personnel des entreprises extérieures travaillant sur le site mais susceptible d'être impliqué dans la prévention et le traitement d'un accident majeur est identifié. Les modalités d'interface avec ce personnel sont explicitées.

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La réglementation « Seveso » implique aussi la constitution d’un plan d’urgence en cas d’incident majeur, appelé plan d’opération interne (POI), qui « définit les mesures d’organisation, les méthodes d’intervention et les moyens nécessaires que l’exploitant doit mettre en œuvre pour protéger le personnel, les populations et l’environnement » (Art. R. 512-29 du Code de l’environnement). L’organisation du travail et la gestion des effectifs doivent donc, de plus, permettre la mise en œuvre de ce plan.

En cas d’incident, le RRHL peut par ailleurs être chargé d’assurer la communication avec l’extérieur (presse, autorités, populations avoisinantes).

Ajoutons enfin, comme le soulignent Daniellou et al. (2010, p. 118), que le responsable RH peut jouer un rôle de révélateur des « signaux faibles » (tensions sociales, conflits, absentéisme) « susceptibles de témoigner d’une fragilisation de la sécurité. »

3.4.3. La gestion de projet industriel, levier de prévention

Il est difficile de tracer l’évolution historique des pratiques en matière de gestion de projet industriel dans la chimie. En effet, la littérature consacrée à l’histoire de l’industrie chimique se concentre essentiellement sur l’évolution des procédés – ce qui est en soi une indication. En se basant sur son expérience chez Rhône-Poulenc, ancien grand groupe de la chimie, Charue (1995) relève néanmoins que ce qui était entendu par le terme « projet » a évolué au cours des années 1980-1990. La notion a progressivement dépassé la simple construction de l’unité de production, pour englober les questions de faisabilité, de développement des procédés en laboratoire et de lancement commercial. Chez Rhône-Poulenc, on est donc peu à peu passé d’un processus de conception principalement piloté par les procédés à une vision plus systémique et stratégique. D’après Charue, cette évolution est sous-tendue :

- d’une part, par l’évolution du type de production en occident qui, comme nous l’avons vu, a fait l’objet d’un recentrage autour de la chimie de spécialité (voir section 1.2.3, p. 28), ce qui a conduit à une plus grande réflexion sur la conception des produits, répondant à des besoins plus spécifiques des clients et à une plus grande exigence en termes de réactivité ;

Dans l’industrie chimique, la gestion de la sécurité industrielle et les modes de production sont donc déterminants pour la gestion des ressources humaines, en termes d’organisation du travail, de gestion des effectifs, de GPEC, de détection des

« signaux faibles », de gestions des relations sociales et de communication. Les caractéristiques spécifiques de l’industrie chimique tendent donc à complexifier davantage la gestion de la SST par les professionnels RH.

99 - d’autre part, par une évolution des théories de la gestion de projet, visant une meilleure coordination des multiples intervenants, et une meilleure maîtrise des budgets et des délais.

Charue (1995) souligne par ailleurs que dès le milieu des années 1980, se développent des méthodologies de projet intégrant les exploitants pour aborder les questions telles que l’accessibilité des tuyaux, des pompes et des prises d’échantillon, etc. Pourtant, comme le souligne Daniellou (2013, pp. 5‑6), les conduites de projet dans les industries à risque peuvent connaître de nombreux travers, contrariant la prise en compte des facteurs organisationnels et humains dans la conception :

- La maîtrise d’ouvrage définit des objectifs initiaux purement techniques et économiques, sans s’interroger sur l’activité des utilisateurs finaux.

- Elle confie la conduite du projet à la maîtrise d’œuvre (ingénierie), puis s’en remet à elle. La fonction maîtrise d’ouvrage n’est que faiblement identifiée et représentée pendant la phase de conception.

- Le projet est alors piloté à partir des seuls enjeux techniques et financiers;

les questions relatives à l’organisation, au recrutement et à la préparation des futurs opérateurs sont traitées tardivement, comme un résultat des orientations techniques retenues.

- Le travail réalisé dans les installations actuelles ou dans les pilotes industriels par les opérateurs d’exploitation, les difficultés et incidents qui y sont rencontrés sont peu analysés et pris en compte par l’ingénierie.

- Les spécifications « facteurs humains » sont peu présentes dans les cahiers des charges.

[…]

- Les instances représentatives du personnel sont informées tardivement et de façon incomplète. Le débat social porte principalement sur les aspects statutaires et salariaux.

- Les futurs opérateurs de production et de maintenance prennent connaissance des procédés et des installations à un moment où le projet est presque figé. La constitution des équipes et la formation sont effectuées à une phase tardive du projet.

- Les études de danger et les analyses de risques sont principalement conduites du point de vue de la « sécurité réglée » : mise en place de barrières telles qu’automatismes et procédures. L’enjeu de la « sécurité gérée » (la disponibilité à tout moment de compétences de terrain pour faire face à une situation imprévue) est peu considéré. Les situations à risques sont identifiées et les procédures pour y faire face sont écrites par les experts du projet, sans interaction avec les équipes d’exploitation. Ces documents reflètent alors parfois des hypothèses de situations normées et de comportements formatés des opérateurs, qui ne correspondent pas à la réalité probable de l’exploitation (Daniellou, 2013, pp. 5‑6).

Un rapport de l’Association internationale des producteurs gaziers et pétroliers (OGP, 2011) corrobore ce point de vue. Il montre de nombreux exemples de non

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prise en compte des facteurs organisationnels et humains dans les processus de conception dans une industrie à risque et leurs conséquences parfois dramatiques (voir en particulier les annexes 1 et 2 du rapport, pp. 23-42).

Les travaux de l’Institut pour une culture de sécurité industrielle (ICSI), fondé peu de temps après l’accident d’AZDF et dont le conseil d’administration est composé de plusieurs représentants du milieu industriel, semblent toutefois témoigner d’une certaine prise de conscience quant au développement nécessaire de la prise en compte des facteurs organisationnels et humains dans les processus de conception industrielle (voir notamment Besnard, Boissières, Daniellou et Villena, 2017 ; Daniellou, 2013 ; Daniellou et al., 2010).

Retenons ici que dans l’industrie chimique, et plus généralement dans les industries à risque, les facteurs humains et organisationnels paraissent de plus en plus pris en considération. Dans les processus de conception, semblent néanmoins subsister des pratiques qui empêchent la prise en compte de l’activité de travail réelle et projetée ainsi que la participation des opérateurs concernés par les projets.

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