• Aucun résultat trouvé

Agir sur les processus organisationnels

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 120-124)

un champ d’intervention longtemps exclu

4.2.4. Agir sur les processus organisationnels

Pour les ergonomes, le travail n’est plus seulement une « action organisée », mais il est aussi une « action organisante » (Terssac (de) et Lompré, 1996, pp. 57‑58), il ne

Agir sur les « déterminants des déterminants »

116

suffit plus de penser dans l’organisation, mais il faut penser l’organisation elle-même (Hubault, 1994). L’organisation est désormais considérée à la fois comme « une source d’influence » et comme « une cible majeure de l’activité » (Petit et Coutarel, 2013, p. 133). Et il s’agit de regarder les encadrants comme des travailleurs à part entière « et non seulement comme les organisateurs du travail des autres » et de s’intéresser à leurs difficultés « et pas seulement à celles qu’ils provoquent chez les autres » (Daniellou, 1997, p. 7).

Afin de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les organisations, de Terssac et Lompré (1996) ont proposé un nouveau modèle dans lequel ils distinguent deux niveaux de régulation du travail, la « régulation » étant ici entendue comme un processus de conception et reconception des règles :

On propose de distinguer deux logiques dans la définition des règles qui renvoient à des modes de confrontation spécifique [figure 7] : la régulation froide qui renvoie à une certaine institutionnalisation des règles qui sont des accords généraux, un cadre pour l’action formé de métarègles, et la régulation chaude qui renvoie à une confrontation permanente à propos de la définition de règles d’organisation pertinentes pour la réalisation d’un travail donné. (ibid., p. 63).

Figure 7 – Régulation entre règles de contrôle et règles autonomes (d’après Terssac (de) et Lompré, 1996, p. 63)

117 Pour Daniellou (2015b, Avant-propos), c’est en particulier cet article de De Terssac et Lompré (1996) qui a le plus interpelé les ergonomes sur leur modèle de l’organisation du travail :

En montrant le double visage de l’organisation, “structure” et “interactions”, et les régulations “chaudes” et “froides” qui la maintiennent à l’identique et la font évoluer, cette publication aurait pu être un avertissement sur l’insuffisante prise en compte (voire l’ignorance coupable), par les ergonomes, de la “régulation conjointe” de J.-D. Reynaud[1]. Elle a, au contraire, ouvert un champ d’action. L’analyse par les ergonomes des “régulations chaudes” – la gestion quotidienne des exceptions aux règles formelles – ouvre sur la possibilité pour eux d’influencer les “régulations froides” – la négociation des règles de la structure organisationnelle (Daniellou, op. cit.).

Comme l’a en particulier montré Carballeda (1997a), les encadrants ont un rôle important à jouer dans ces processus de régulation, car de leur travail dans les processus de régulation froide va dépendre la possibilité de faire évoluer les métarègles et les règles de contrôles. Carballeda souligne aussi que les encadrants sont eux-mêmes « soumis à des règles formelles, portées par leur hiérarchie ou toute autre instance de contrôle, ou à des contraintes provenant de l’environnement, et déploient eux-aussi une activité » (ibid., p. 135). Il relève par ailleurs que s’il existe des

« régulations chaudes » dans le cours de leur activité, il existe peu d’espaces de régulation froide où les encadrants peuvent négocier avec leur propre hiérarchie :

Les réunions d’encadrement portent sur le traitement de situations concernant des dispositifs techniques ou des travailleurs placés sous leur direction mais non sur les difficultés du travail des cadres eux-mêmes, ni sur les règles “autonomes” qu’ils sont amenés à produire pour leur service. (id.)

Ainsi, si les cadres participent bien à des régulations froides, c’est le plus souvent

« en tant que représentant de la structure » (ibid., p. 136).

Des objectifs communs avec la macro-ergonomie

Cet élargissement du spectre de l’analyse ergonomique du travail et de l’intervention marque une rupture avec la tradition wisnerienne qui préférait circonscrire l’action de l’ergonome aux bornes de la situation de travail (voir supra).

Il rejoint par ailleurs certains objectifs de la macro-ergonomie, sous-discipline essentiellement développée dans les pays anglo-saxons, qui est définie comme :

l’étude des systèmes de travail, où le système de travail comprend deux personnes ou plus qui travaillent ensemble (i.e. sous-système humain2), interagissant avec une technologie (i.e. sous-système technologique) dans un système organisationnel qui est caractérisé par un environnement interne (à la fois physique et culturel) (Kleiner, 2006, n.t., p. 83).

1 NDLR : voir notamment (Reynaud, 1989 ; Terssac (de), 2003a).

2 « personnel sub-system »

Agir sur les « déterminants des déterminants »

118

Fondée durant les années 1980, la macro-ergonomie vise l’adaptation des structures organisationnelles et du management pour répondre aux objectifs de prévention et de performance de l’ergonomie.

Notons toutefois que selon Hendrick (1991, pp. 745‑747), avant l’introduction de la macro-ergonomie – dont il est l’un des pionniers –, l’ergonomie traitait surtout des interfaces Homme-système. Cette réduction de l’ergonomie est peu représentative de l’approche francophone dans laquelle l’analyse de l’activité tient généralement compte des déterminants organisationnels et socioéconomiques.

Par ailleurs, l’approche macro-ergonomique est une approche essentiellement top-down, qui laisse peu de place à l’analyse de l’activité des opérateurs et des encadrants. Par exemple, la méthodologie MEAD1 (Kleiner, 2006, pp. 84‑88) est plutôt exprimée en termes « d’analyse des tâches », « d’identification des variabilités », de « contrôle des variabilités » et de « rôle » des travailleurs.

Néanmoins, la macro-ergonomie semble avoir permis une complexification du modèle ergonomique anglo-saxon du travail et a nourri le débat sur les questions organisationnelles au sein de la communauté francophone.

Le rôle clé des espaces de débats sur le travail

Les années 1990-2010 sont ainsi marquées par plusieurs travaux sur les organisations en ergonomie (notamment Arnoud, 2013 ; Arnoud et Falzon, 2013 ; Boissières et Garrigou, 2010 ; Caroly, 2010 ; Petit, 2005 ; Petit et Dugué, 2010a, 2010b, 2013 ; Rocha, 2014 ; Rocha et al., 2015) et plus spécifiquement sur l’activité d’acteurs clés de l’organisation du travail, tel que les cadres (Carballeda, 1997a ; Langa, 1994), les encadrants (Gotteland-Agostini et al., 2015 ; Six et Forrierre, 2011), les dirigeants (Ghram, 2011) et les représentants du personnel au sein du CHSCT (Poley, 2015).

Ces recherches sur le « travail d’organisation », le « travail de régulation » et le

« travail d’encadrement » (Terssac (de), 2003b ; Terssac (de) et Cambon, 1998) ont d’ailleurs répondu de façon opportune aux problématiques des risques psychosociaux (Petit et al., 2011) et des troubles musculo-squelettiques (Bourgeois et al., 2000), qui sont devenues une préoccupation croissante des entreprises pour les multiples raisons que nous avons évoquées dans le chapitre 3.

Il est en effet devenu progressivement évident aux yeux de nombreux ergonomes que pour dégager des « marges de manœuvre », pour les travailleurs, il fallait s’occuper des processus d’organisation et de régulation au sein des entreprises. Comme le souligne Caroly (2010), il s’agit désormais pour les ergonomes de comprendre comment s’articulent les régulations « chaudes » et « froides » (Terssac (de) et Lompré, 1996), en analysant « non seulement les régulations opératives mais aussi les interrelations entre régulations horizontales et verticales » (Caroly, 2010, p. 74).

1 Macroergonomic analysis and design

119 En s’appuyant notamment sur les travaux en gestion de Detchessahar et de ses collaborateurs (Detchessahar, 2009, 2011 ; Detchessahar, Gentil, Grevin et Stimec, 2015), les ergonomes ont mis en lumière le rôle déterminant des espaces de discussion et de débat sur le travail, dans les processus d’organisation et de régulation (Judon, 2017 ; Rocha, 2014 ; Rocha et al., 2014 ; Van Belleghem et Forcioli Conti, 2015).

Dans le cadre de sa thèse, Rocha (2014) a par exemple montré que certaines formes de management et de gestion des espaces de débat sur le travail pouvaient générer du

« silence organisationnel » (Morrison et Milliken, 2000), qui empêche l’encadrement de prendre connaissance des problématiques réellement rencontrées par les opérateurs sur le terrain. Rocha (2014) a également montré que les ergonomes pouvaient accompagner l’outillage et la structuration des espaces de débat sur le travail et qu’il leur était possible d’assister la structuration des processus de traitement et de remontée des problématiques entre les différentes strates de l’entreprise.

Pour analyser leur contribution, les ergonomes ont regardé comment les acteurs se saisissaient de l’analyse des situations de travail, en tant qu’objet intermédiaire et comment les ergonomes pouvaient contribuer à la réflexion professionnelle des acteurs.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 120-124)