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l’agriculture à la comptabilité de la croissance : le parcours intellectuel

2.2 La comptabilité de la croissance dans les années 1950 : à la recherche du facteur de

2.2.3 Salomon Fabricant : le capital intangible

Salomon Fabricant a débuté sa carrière professionnelle en tant que comptable. Il exerce cette profession pendant quatre années, de 1925 à 1929, date de son entrée au NBER. Sa formation a débuté à la New-York University dans laquelle il obtient un Bachelor en 1925. En 1929, il reprend ses études en parallèle de son activité de recherche au NBER et obtient un master degree en 1930 à l’University of Columbia, puis un doctorat en 1938 sur la base des travaux empiriques qu’il a réalisés au NBER. Il a été recruté en 1946 à la New-York University dans laquelle il a débuté ses études supérieures 20 ans plus tôt. Dans les années 1950, il a été, avec Arthur Burns, chief economist adviser du Président Eisenhower. Il devint directeur du NBER en 1953, position qu’il occupera jusqu’en 1965. Dans le rapport annuel des activités du NBER qu’il publie en 1954, intitulé « Economic Progress and Economic Change » (Fabricant 1954), il tente de tirer des leçons de l’évolution des trois grandes variables à l’origine de la croissance économique : le travail, le capital, et une troisième variable assez large qu’il nomme efficacité. Il adopte ainsi une représentation de l’économie selon une fonction de production de type Cobb-Douglas64 :

« Apart from chance, a country’s output always depends on what its people put into production - on the hours and the energy, the tangible machines and the intangible knowledge and skill, the enterprise and the prudence, the habits of independence and of cooperation, which they bring to their work. But something may be learned if we define input narrowly as hours of labor and the services of tangible capital, place the other items under the rubric of efficiency, and examine long-term changes in each of these major components into which income per capita may be resolved. » (Ibid., p. 6)

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On relève dans cette citation que Fabricant a tout à fait conscience que les institutions jouent un rôle crucial dans le développement économique, de même que les facteurs difficilement mesurables comme les connaissances ou les compétences sont primordiaux. Il choisit cependant de les agréger dans un facteur générique souvent nommé « productivité globale des facteurs ». Cette représentation simplifiée à l’extrême du processus de production permet pourtant, d’après l’auteur, de tirer nombres d’enseignements. La fonction de production lui permet de proposer une explication de l’écart observé entre la croissance du revenu national et la contribution des facteurs classiques de production que sont le travail et le capital. Fabricant adopte une mesure exclusivement quantitative des facteurs de production : « […] we classify increases in the "skill" of a machine per dollar of cost with increase in efficiency, rather than increase in resource input » (Ibid., p. 7). Il relègue l’augmentation de la qualité des facteurs à n’être qu’un élément parmi d’autres dans la productivité globale des facteurs. Reprenant les travaux menés par les membres du NBER (et notamment Kuznets), il montre que le produit par tête a quadruplé depuis 1970, et que l’augmentation des facteurs de production ne représente qu’un cinquième de cette croissance du produit :

« With a given "dose" of labor and tangible capital we have learned to produce a larger and larger volume of goods for consumption and investment: output per unit of input has risen somewhat under fourfold, or about 1.7 per cent a year on the average. » (Ibid., p. 8)

C’est donc l’amélioration substantielle de l’efficacité des facteurs de production qui permet d’expliquer la majeure partie de la croissance économique. Il insiste sur le fait que l’augmentation de l’efficacité du capital ne doit pas être mise au second plan. Contrairement à Kuznets, Fabricant refuse d’utiliser la productivité du travail comme un indicateur de la productivité totale ; en limitant l’étude de la productivité à celle du travail, on s’empêcherait de tenir compte de la hausse de l’intensité capitalistique ; ce faisant on surestimerait les gains réels de productivité :

« As we have just noted, output per unit of labor and capital combined - "total productivity" - has risen somewhat less rapidly than would be indicated by output per man-hour, that is, "labor productivity," alone. » (Ibid., p. 10).

Dans une note de bas de page afférente au paragraphe que nous venons de citer, il indique la cause principale de l’augmentation de la productivité du travail ; elle vient, selon lui, de la croissance considérable de l’investissement réalisé dans l’éducation et dans la formation :

« The entrant into a trade, profession, or business bears not only the burden of uncertainty but also the cost of an investment in education and training. This type of capital, substantial even eighty years ago, has grown still greater. Yet we count an hour of a man's labor today as equal to an hour of a man's labor eighty years ago; we fail to include in input the services of intangible capital invested in education, training, and good health. Because this investment per worker has increased, there is point to the claim that labor's efficiency has grown; however, output per man-hour is no measure of its growth. » (Ibid.).

Dans cette citation, on relève l’idée que les agents économiques qui entrent sur le marché du travail ont eu à supporter le coût de l’investissement dans l’éducation, en formation et en santé. Ces dépenses sont des investissements en capital, mais en capital intangible. Enfin, Fabricant explique que la mesure du travail par les heures travaillées ne peut pas rendre compte de cette hausse de la qualité du travail. Il reconnaît donc le rôle essentiel que joue cet investissement sur la croissance économique.

Fabricant s’intéresse alors à la répartition de la croissance du produit par tête entre les deux facteurs de production. Il explique que le travail en a capté une part prépondérante notamment grâce à cet investissement : « [Workers] they have gained, further, because the price of their work relative to the price of capital has turned in their favor with the increase in amount of capital per worker » (Ibid., p. 16). Il précise, dans une note de bas de page, que ce capital, qui comprend le capital intangible (concept qu’il ne définit pas), est une des explications de la hausse du prix relatif du travail : « In part, the increase in the relative price of work reflects an increase – through education etc. – in the intangible capital embodied in workers » (Ibid.).

Fabricant considère donc que ce capital intangible, accumulé grâce à l’investissement dans l’éducation, fait partie intégrante du travailleur ; il ne peut en être dissocié. Ces affirmations, si pertinentes soit-elles, ne doivent pas masquer le fait qu’elles ne forment pas le cœur de l’analyse de Fabricant. Nous l’avons dit, ces remarques sont reléguées en notes de bas de page, et la fonction de production utilisée par Fabricant ne permet pas de distinguer les effets de l’augmentation de la qualité du travail sur la hausse du produit par tête. Elles ajoutent cependant un aspect essentiel à la contribution de Kuznets : les investissements réalisés dans l’éducation, formation et santé se transforment en capital, qui enrichit dès lors la force de travail d’une nouvelle dimension, bien qu’intangible.

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