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Le premier modèle mesurant l’effet de l’éducation sur le revenu individuel

Friedman et Kuznets

1.3 Friedman et Kuznets : le lien éducation- éducation-salaire

1.3.4 Le premier modèle mesurant l’effet de l’éducation sur le revenu individuel

Pour toutes les raisons que nous venons de présenter, le modèle permettant de mesurer l’impact de la formation sur le salaire n’est pas au centre de la contribution de Friedman et Kuznets. La note de bas de page suivante, afférente au titre de l’appendice dans lequel le modèle est développé, est tout à fait révélatrice de cette relégation au second plan :

« A friend suggests that a not unimportant by-product of this section is that it demonstrates the difficulties involved in a serious attempt to choose between professions on strictly financial grounds, and the uncertain applicability of the most careful calculations to the fortunes of a given individual in the uncertain future. An appreciation of these difficulties and uncertainties goes far toward explaining and perhaps justifying the loose methods by which young men seem to form their expectations and choose their occupations. » (Friedman et Kuznets 1945, p. 142)

Dans cet extrait, les auteurs souhaitent nuancer la portée des résultats obtenus via le modèle en question. Le calcul menant au choix d’une formation sur la base de critères purement financiers est pour le moins approximatif, et, selon les auteurs, difficile à faire par les agents. Cette citation

dénote leur volonté de ne pas restreindre l’analyse du choix de la profession aux seuls motifs financiers, et atteste d’une conception pluraliste du choix rationnel.

Leur modèle a été développé dans sur la base d’une comparaison entre le rendement de la profession de dentiste et celui de la profession de médecin, afin de comprendre pourquoi il y avait davantage de postulants en médecine qu’en dentaire. L’hypothèse des auteurs est la suivante : malgré une durée de formation plus élevée en médecine (trois ans de plus), le rendement de l’investissement est supérieur à celui des dentistes. Voici le modèle :

Soient

u : le nombre d’années de vie professionnelle supplémentaires des dentistes par rapport aux médecins

t : le nombre d’années de formation supplémentaires des médecins par rapport aux dentistes V : valeur actualisée des gains des dentistes pour chaque année de vie professionnelle à l’exception des dernières années u

v : valeur actualisée des gains des dentistes pour chacune des dernières années u.

c : valeur actualisée du surcoût des études de médecine par rapport aux études en dentaire. i : le taux d’actualisation

Pour rendre comparable les revenus annuels entre les deux professions, il faut les mesurer à expérience égale : la première année d’exercice des médecins doit être comparée avec la première année d’exercice des dentistes. Ce qui donne :

� =� + � + �

(1 + �)�

Le numérateur représente la valeur actualisée du revenu sacrifié par les médecins et du surcoût des études de médecine. En somme, il permet de savoir ce qu’auraient gagné les médecins s’ils n’avaient pas sacrifié u années de vie professionnelle dans la formation ainsi que le coût de ces u années de formation. Le dénominateur est la valeur actualisée qui aurait été sacrifiée par les médecins s’il n’y avait aucune différence de durée de vie professionnelle et de coût des études. Le ratio donne le chiffre par lequel chaque annuité de revenu V devrait être multipliée pour que la valeur actualisée des annuités soit égale au numérateur de la fraction. Le dernier terme de l’équation permet de prendre en compte le fait que chaque annuité de revenu des médecins est reçue t années plus tard que les annuités correspondantes des dentistes. k est donc le ratio entre les annuités de revenu correspondantes. C’est le revenu annuel moyen d’un

médecin sur le revenu annuel moyen (à l’exception des dernières années u) d’un dentiste. Pour compléter ce calcul il faut connaître ce ratio sur la période u.

p désigne le ratio du revenu moyen d’un dentiste sur la dernière période u sur le revenu moyen sur le reste de la période.

y est la longueur de la vie professionnelle d’un dentiste en année.

Le ratio R qui représente le revenu moyen d’un médecin sur le revenu moyen d’un dentiste est donné par :

� = ��

(� − �) + �� En retenant les valeurs suivantes pour chaque variable : u = 3 t = 3 V = 93,084 $ v = 2,316 $ c = 722$ i = 0,04 p = 0.9 y = 45 On obtient k = 1,162 et R = 1,169

Ainsi, la différence de revenu moyen qui permettrait de compenser le surcoût de la formation nécessaire pour être médecin relativement aux dentistes est de 17%. Évidemment ce résultat est très dépendant des hypothèses de départ notamment concernant la valeur du taux d’actualisation i.

Le modèle mis au point par Friedman et Kuznets permet ainsi d’effectuer des comparaisons entre les personnes qui suivent une formation et les personnes qui n’en suivent pas. L’écart de rendement entre différentes professions, qui est un des éléments explicatifs de la décision d’investissement, est mesurée de manière plus rigoureuse que dans l’article de Walsh. Il y a un raffinement notable dans l’analyse. Ce modèle, bien que basique, est une évolution conceptuelle vis à vis des travaux antérieurs. Plus généralement, le livre de Friedman et Kuznets offre une

réflexion large et systémique sur les déterminants du revenu individuel, parmi lesquels l’éducation occupe une place centrale. En envisageant l’éducation comme un investissement et en mesurant son rendement, Friedman et Kuznets se situent indiscutablement dans la continuité des travaux de Walsh.

Conclusion

L’étude des travaux de Nicholson, Walsh, puis Friedman et Kuznets, considérés comme des précurseurs de la théorie du capital humain par Becker, Mincer et Schultz, nous a permis de rendre compte de l’état de la connaissance sur le sujet à la fin des années 1940. Nous avons vu que la question à laquelle Nicholson tente de répondre concerne la contribution du travail à la production. Il compare le stock de capital vivant au stock de capital physique afin d’en déterminer l’importance relative. Il raisonne donc en terme de facteur de production et montre que ce qui est habituellement considéré comme du capital n’est en réalité, en majeure partie, que le fruit du travail des capitalistes. Le capital vivant d’une nation se compose ainsi du produit de ce travail réalisé par les capitalistes, additionné au produit du travail des travailleurs au sens premier du terme, auquel Nicholson rajoute la valeur de l’humanité en soi.

Les travaux de Walsh, Friedman et Kuznets relèvent d’une démarche singulièrement différente. À la différence de Nicholson, Walsh considère l’éducation comme un investissement résultant d’un calcul coût-avantage portant sur le rendement économique. Walsh applique ainsi le cadre théorique du capital à l’homme. Il montre que si le rendement est négatif, ce n’est pas nécessairement en raison d’un déséquilibre de marché, mais parce que des variables non pécuniaires sont prises en compte dans le processus de choix des individus. Dans la lignée des travaux de Walsh, Friedman et Kuznets construisent le premier modèle visant à mesurer et à comparer le rendement économique de l’éducation. Ce modèle prend en compte la durée de formation et la durée de la vie active des individus. Friedman et Kuznets assument une portée pratique de leur travail. Il y a en effet un enjeu de politique publique dans la mesure où l’éducation est partiellement subventionnée par les administrations publiques. Connaître le rendement de l’investissement dans la formation et les facteurs qui l’influencent permettrait donc d’allouer les fonds publics de façon plus optimale.

Les deux axes de cette protohistoire du capital humain se sont rejoint début des années 1960 pour former le cœur de la révolution du capital humain. Si, comme nous allons le montrer dans le prochain chapitre, Schultz va d’abord penser l’investissement dans l’éducation comme

un déterminant du revenu individuel, il s’écarte dès le début des années 1950 de cette approche pour se focaliser sur le capital humain en tant que facteur oublié de la croissance économique.

Chapitre 2. De l’économie de

l’agriculture à la comptabilité de la

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