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La méthode d’estimation du capital vivant : entre revenu capitalisé et coût de production

Friedman et Kuznets

1.1 Le capital vivant de Nicholson : un stock de revenu capitalisé

1.1.2 La méthode d’estimation du capital vivant : entre revenu capitalisé et coût de production

Nous allons à présent décrire les résultats obtenus par Nicholson et discuter la méthode qu’il emploie pour y parvenir. Pour estimer la valeur du capital vivant Nicholson s’appuie, là encore, sur les chiffres de Giffen. Ce dernier estime le revenu national annuel du travail vivant ordinaire à 800 millions de livres. Capitalisés sur trente années, cela donne un stock de 24 000 millions de livres. Concernant le travail vivant des capitalistes, le calcul est moins trivial. Le revenu annuel déclaré des capitalistes est de 180 millions. Les quatre cinquièmes de ces revenus correspondraient, d’après Nicholson, à la rémunération du travail des capitalistes pour le management du capital ; soit un revenu annuel de 144 millions. Notons que nulle part il ne

donne d’éléments qui prouvent cette affirmation. Capitalisé sur trente ans, cela donne un stock de capital vivant de 4 000 millions. À cela, Nicholson rajoute la valeur des capitalistes en soi :

« Now the capitalist (i.e. the species, not the individual) qua labourer, remains as much a permanent factor of the industrial resources of the country as the land itself, and therefore we may fairly assume that the aggregate value of the living capitalist (considered as an enduring species) is, on Mr. Giffen's showing (adequately interpreted), about equal to the aggregate value of his capital, i.e. about £8,000 million. » (Nicholson 1891, p. 104)

Cette valeur des capitalistes en soi est égale à la valeur du capital « mort » qu’ils possèdent, soit 8 000 millions selon Nicholson (ce qui revient à inclure la valeur du capital fixe dans la comptabilité du capital vivant). Notons que Giffen estime le capital « mort » à 10 000 millions, mais Nicholson affirme que seulement 8 000 millions permettraient de générer un revenu : il faut en effet retrancher la valeur des biens meubles présents dans les logements et la valeur des bâtiments appartenant aux administrations publiques, soit un montant de 1 500 millions. Puisqu’il s’agit, pour lui, d’estimer le capital vivant du Royaume-Uni, il faut aussi retrancher le capital investi à l’étranger, soit 500 millions. D’où les 8 000 millions retenus pour le capital mort. Au total, le capital vivant des capitalistes est ainsi égal à 12 000 millions.

Concernant la capitalisation des humains en soi, Nicholson cesse d’utiliser le revenu capitalisé. Il estime la valeur de l’humanité à son coût de (re)production, c’est-à-dire à son coût de subsistance17. Partant de l’hypothèse que les individus dépensent autant pour leur subsistance que pour leur logement (hypothèse qu’il ne justifie pas), Nicholson valorise les humains au même niveau que la valeur des maisons qu’ils occupent :

« As the object of the present inquiry is mainly comparative, in default of any better plan the value of the house may provisionally be taken as the basis of the valuation of the people in it, just as it is taken as the basis of their expenditure for purposes of taxation » (Nicholson, 1891, 102).

Le capital immobilier (utilisé comme proxy) est évalué par Giffen à hauteur de 10 000 millions de livres. Il en conclut donc que la valeur de l’humanité du Royaume-Uni est de 10 000

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Kiker critiquera cette mesure, affirmant que l’assimilation de la valeur monétaire d’une ressource à son coût de production est trop simpliste : « There is, of course, no simple relationship between the cost of production (or maintenance) of a good and its monetary value » (Kiker 1966, p. 489).

millions18. Enfin il y a la capitalisation des revenus des fonctionnaires qui s’élève à 1 000 millions de livres. On obtient donc un montant total de capital vivant de 24 000 + 12 000 + 10 000 + 1 000 = 47 000 millions. Le capital mort est, quant à lui, estimé à 10 000 millions de livres. Ainsi calculé, le capital vivant serait cinq fois supérieur au capital « mort » :

« Regarded in this way my result was that if we reckon up the value of the people in the same way than we reckon up their possessions – that is, if we take the principles both of earning capacity and of cost of production and maintenance – then the value of the living capital is about five times the value of the dead » (Nicholson 1892, p. 484).

Au-delà du résultat, cette citation fait apparaître la distinction entre les deux méthodes d’estimation que sont la capitalisation des revenus et les coûts de production et de maintenance. On retrouve cette distinction dans la double justification que donne Nicholson à l’attribution d’une valeur en soi à l’humanité :

« Domesticated humanity may properly be considered to have a money-value, first, because it costs a very real expense to produce and maintain, and, secondly, because it furnishes pleasures which common experience shows rank very high in the scale of limited and desirable things. This second ground of valuation is of importance qualitatively, as showing the real basis of the comparison, but it is plainly unworkable quantitatively, and it therefore seems necessary to fall back upon cost of production for a measure as in the case of public property which also is not directly exchangeable. » (Nicholson 1891, p. 102)

L’humanité éduquée peut donc être comptabilisée comme un capital, car il y a un coût important pour sa production et son entretien. Nicholson insiste à plusieurs reprises sur l’idée selon laquelle ce capital est fixé et incorporé dans l’individu qui le détient. C’est la seconde raison qui va conduire Nicholson à valoriser l’humanité : elle contient une valeur en soi de par son capital inaliénable. Dit autrement, nous mettons lumière le fait que pour Nicholson, le sous-jacent de cette valeur de l’humanité est l’éducation.

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Kiker affirme pourtant que Nicholson faisait bien la différence entre la valeur de l’humanité en soi et la valeur de ses compétences (Kiker 1974, p. 172), mais que la méthode d’estimation privilégiée par Nicholson ne peut dépasser ce problème « Any attempt to estimate the value of human capital using a procedure like Nicholson’s implicitly values the human being per se inclusive of his skills as capital » (Ibid., p. 176). Nous pensons, à

Nous avons montré que Nicholson considère ses travaux comme une contribution au débat sur l’antagonisme entre le capital et le travail19. En restreignant à sa plus pure expression la notion de capital, il montre que l’essentiel du profit des capitalistes rémunère leur travail et non leur capital. Selon Nicholson, les trois quarts des profits des capitalistes seraient attribuables au travail des capitalistes. En somme, la seule possession du capital, si elle n’est pas combinée à du travail, ne permettrait l’obtention que d’un quart du revenu qu’on lui attribue habituellement. Ainsi, le profit tel qu’on l’entend ordinairement, affirme Nicholson, n’est autre qu’une rémunération combinée du travail (qualifié) et du capital (physique) pur. Son objectif est de dissocier les deux et d’attribuer le premier au facteur travail et non plus au facteur capital :

« If we mean by labour simply manual labour, and we throw all the mental labour into the scale of capital – if everyone who does not work with his hand is considered as a capitalist, or is conjoined with capital against labour – then in any general conflict – it such is conceivable – capital must be victorious. » (Nicholson 1892, p. 488)

Ce faisant, Nicholson étend la conception du travail à ce qui était auparavant considéré comme du capital. En affinant l’analyse du revenu du capital, Nicholson a voulu montrer que celui-ci était bien inférieur à l’estimation qui en était faite auparavant. Le capital vivant, entendu comme la somme du travail des travailleurs, des capitalistes, des fonctionnaires et de la valeur en soi des individus s’avère être la ressource essentielle de la production. Cette valeur en soi est implicitement constituée de l’éducation reçus par les travailleurs. Nous allons voir dans la section suivante, que Nicholson ne va pas au terme de cette analyse de la valeur des individus. En effet, s’il s’agit réellement d’un stock, il y a nécessairement un flux qui l’alimente. Cette implication logique n’est pas étudiée par Nicholson. Le capital vivant est, dans l’analyse de Nicholson, un stock exogène.

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