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Rendement de l’investissement dans l’éducation et imperfection du marché

Friedman et Kuznets

1.2 Le capital éducatif de Walsh : la valeur économique de l’éducation

1.2.3 Rendement de l’investissement dans l’éducation et imperfection du marché

La définition de l’investissement en capital éducatif que nous venons de mettre en lumière constitue la première étape de l’analyse de Walsh. La seconde, consiste à traiter les données qu’il a collecté pour évaluer le rendement de cet investissement dans l’éducation. Walsh compare le revenu des individus aux coûts des formations qu’ils ont suivies. Ce coût comprend les frais de scolarité, les dépenses en fournitures scolaires, les dépenses de la vie courante (logement et alimentation), la perte de revenu liée à la poursuite d’études, c’est-à-dire son coût d’opportunité (déduction faite du revenu moyen obtenu dans le cadre des emplois étudiants), le tout avec un taux d’actualisation de 4%25. La critique de Bowman à l’encontre de l’estimation que fait Walsh du rendement de l’investissement dans l’enseignement supérieur concerne justement l’inclusion des dépenses de vie courante dans le calcul du coût de l’investissement. Pour elle, s’agit de dépenses indépendantes de la poursuite d’études, il ne faut donc pas les comptabiliser 26 :

« Walsh made the mistake of also introducing a cost of subsistence estimate into his cost figures, there by biasing his findings downward with respect to benefit-cost ratios. Subsistence clearly is not a cost of education; it is a cost of remaining alive » (Bowman 1966, p. 121).

Walsh établit ensuite un tableau (que nous reproduisons ci-dessous) regroupant le revenu médian capitalisé tout au long de la vie par niveau d’éducation (lignes 1 à 5) et par profession (lignes 6 à 12). Ce revenu est pondéré par différentes variables, dont le taux de mortalité par tranche d’âge, le taux d’emploi. Ainsi, un homme qui a suivi un cursus d’école primaire a un revenu capitalisé de 25 695 $ contre 76 053 $ pour celui qui serait titulaire d’un doctorat.

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Walsh ne donne aucune justification quant à ce taux. 26

Kiker (1966) critique l’analyse de Walsh au motif qu’elle ne tient pas compte des autres variables qui influencent les corrélation éducation-salaire. Cette critique nous semble injuste : nous allons montrer, au contraire, que Walsh est bien conscient des limites de son estimation. En effet, il émet des réserves concernant les montants de profit qu’il obtient. Il incrimine la fiabilité des données ainsi que la possible interférence de variables externes qui auraient une incidence sur la relation éducation salaire, comme les capacités innées par exemple :

« I do not mean to suggest that the differences revealed by the figures measure the exact amounts by which value exceeds cost. The underlying data are not so accurate that the resulting computations can be taken as precise. Furthermore, as noted elsewhere (pp. 272; 277), the probable differences in natural endowment would account for some of this surplus. Allowing for these considerations, I think that the general relationship would remain as it is: uniformly one of value exceeding cost. » (Ibid., p. 275)

Ce qu’il retient de son travail empirique, c’est davantage le fait que la relation éducation-salaire est systématiquement positive plutôt que l’ampleur du gain. La difficulté d’obtenir des résultats fiables vient de la particularité du marché de l’éducation qui très différent du marché du capital physique, explique Walsh : les investisseurs sont les parents des enfants dans lesquels ils investissent, et il n’y a pas véritablement de marché puisque les parents n’investissent que dans leurs propres enfants. L’allocation n’est donc pas optimale : la totalité de l’épargne n’est pas investie.

« This capital market, if it may be called so, is bathed in a warm sentimental light that dissipates profit-seeking and prevents the incentive of gain from determining the character of the commitments made. […] this market would be revealed as fundamentally different from the ordinary equalizing investment market. » (Ibid., p. 276)

En raison de cette contrainte de financement, affirme Walsh, la concurrence entre les individus qui investissent dans l’éducation est faible, ce qui augmente le profit de cet investissement. Ainsi, le marché du capital lié à l’investissement dans l’

éducation est « entravé » par des considérations sociales (l’attachement des parents à leurs propres enfants, la reproduction sociale etc.) qui agissent sur le financement des études, et qui empêche ce marché d’être en tout point identique au marché du capital physique. De ce fait, le

groupe des « college trained » est un groupe non concurrentiel27, protégé par les caractéristiques de ce marché imparfait : « They are protected from the kind and extent of competition to which they would be subjected if capital were truly mobile in this field » (Ibid., p. 277). Cette absence de concurrence implique une situation sous-optimale au niveau de la société, affirme Walsh. Les inégalités d’opportunité d’investissement en capital éducatif produisent un gaspillage qu’il regrette :

« The national dividend is prevented from being as large as it would were the factors of production properly- that is, most effectively - allocated; and the interests of the consumers are sacrificed for those of the members of the protected group. » (Ibid.)

Les consommateurs (les entreprises en l’occurrence) qui payent pour utiliser ce capital formé voient leur surplus substantiellement amoindri en raison de cette défaillance de la concurrence. Voici une autre facette de l’apport de Walsh. Il prend en considération les liens entre l’entreprise qui demande du capital éducatif et les investisseurs qui en offrent. Certes cette remarque est isolée et ne constitue pas le cœur de son propos, mais elle est importante au titre de la reconstruction de l’histoire de la révolution du capital humain que nous opérons.

Les imperfections que nous venons de citer et le fait que pour certaines professions (comme les médecins et les enseignants) le coût des études est supérieur au revenu espéré, pourraient légitimement être considérées comme un déséquilibre sur le marché. Mais comme le remarque Kiker (Kiker 1966, p. 496), Walsh n’abandonne pas son hypothèse d’équilibre. Il explique le rendement négatif par des avantages non-économiques. Par exemple, concernant les enseignants, il évoque la satisfaction d’être en contact avec des étudiants, la durée des congés, etc. :

« Their vocation possesses special satisfactions and "net advantages." The contacts in college teaching are pleasant and stimulating. There is opportunity to do work that is looked upon as central in building "the good life." There is the long vacation and the opportunity to travel. These and other attractions lead men to undertake the expense of preparation for the profession in numbers greater than would be warranted on grounds of monetary returns alone. » (Walsh 1935, p. 279)

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La structuration du système scolaire américain est la suivante, nous mettons entre parenthèse la correspondance avec le système scolaire français : elementary school (école élémentaire), secondary school (collège), high school (lycée), college and univervity (enseignement supérieur).

De même pour les études de médecine, qui elles aussi, d’après ses résultats, rapportent moins qu’elles ne coûtent, Walsh invoque des mobiles altruistes. Le fait de prendre en compte ces avantages non pécuniaires permet à Walsh de conserver son hypothèse initiale : ce sont des dépenses faites dans une optique d’investissement, avec un rendement net positif à la clef sur un marché en équilibre, une fois pris en considération tous les avantages financiers et non financiers procurés par le poste occupé. Cela reste ainsi le résultat d’un choix rationnel. De plus, si l’on pondère ces résultats par le niveau de vie exigé par la localisation (grande ville pour les ingénieurs, campagne pour les médecins), l’écart de rendement entre ces deux types d’investissement se réduit fortement selon l’auteur.

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