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les salariés non-contraints préfèrent arriver au bureau avant ou pendant l’heure de pointe

Résumé de la section 2

3. Hypothèses de recherche

3.2. les salariés non-contraints préfèrent arriver au bureau avant ou pendant l’heure de pointe

3.2.1. Préférer une contrainte de couplage ? Distinction analytique entre

contrainte et préférence

À partir de notre première hypothèse de recherche, nous avons émis l’idée selon laquelle il subsiste des impératifs horaires liés à des contraintes de couplage quotidiennes qui poussent certains salariés à toujours arriver durant l’heure de pointe. Nous l’avons souligné, ces contraintes de couplage continuent selon nous de réduire l’univers des horaires de travail possibles, mais elles ne produisent pas forcément un mécontentement ou une insatisfaction chez les salariés. Ces contraintes et cette soumission à des rendez-vous ou à des périodes classiquement dédiées à certaines activités inflexibles, si elles empêchent d’éviter les périodes de pointe dans les transports, peuvent néanmoins être recherchées par les salariés. Pour illustrer cette idée, reprenons notre fil conducteur des horaires d’écoles. Ces impératifs horaires pour les jeunes parents salariés se rangent très probablement dans la catégorie des contraintes de

couplage qui forcent selon nos hypothèses les salariés à se rendre au bureau durant l’heure de pointe après avoir déposé leur(s) enfant(s). Si l’on entrait maintenant dans un monde hypothétique dans lequel les enfants ne seraient plus scolarisés mais autonomes à la maison toute la journée, les parents ne seraient plus contraints de se synchroniser avec leurs enfants devant l’école à horaire précis. Pour autant, et selon leurs préférences, il est fort probable que les parents aient néanmoins envie de passer du temps avec leurs enfants au retour du travail. Ainsi, alors que la rigidité de l’horaire d’école décrivait des contraintes de couplage empêchant de choisir librement son horaire de travail, il est tout à fait envisageable que si la contrainte horaire disparaissait, les parents-salariés pratiqueraient à peu de chose près le même horaire d’embauche que celui qui leur était indirectement imposé par l’institution scolaire. Mais cette fois-ci, ils arriveraient à la même heure au bureau (vers 9 heures) de façon volontaire pour ne pas rentrer trop tard au domicile et continuer de profiter d’interactions avec leurs enfants. Par conséquent, une même interaction avec autrui, un même objectif de synchronisation peut tout à fait être rangé soit dans la catégorie des contraintes de couplage soit des préférences. Pour décider si nous devons ranger la programmation d’une activité ou d’un rendez-vous soit dans les contraintes de couplage soit dans les préférences qui participent de la détermination d’un horaire de travail, nous nous référerons - de façon certes un peu caricaturale – à l’origine des forces qui décident de l’horaire de l’activité ou dudit rendez-vous.

Conservons toujours notre exemple de la synchronisation entre parents et enfants. Si les forces émanent du salarié et que c’est lui qui décide de l’heure à laquelle il souhaite retrouver son enfant alors le déterminant de l’horaire de travail se range dans la case des préférences. En revanche, sans que cela soit forcément pour autant « négatif », si les forces émanent de l’extérieur et que c’est l’institution scolaire, pour reprendre notre exemple, qui « impose » aux parents de se séparer et de récupérer leurs enfants à un horaire ou durant une tranche horaire précise, alors le déterminant de l’horaire de travail se range dans la case des contraintes de couplage. À ce niveau de notre exposé, la distinction que nous opérons entre préférences et contraintes et certes lapidaire et largement superficielle mais elle est néanmoins nécessaire pour définir le balisage de notre questionnement.

3.2.2. Justification usuelle d’un choix d’horaire :

j’ai dû, plus que j’ai choisi de…

Ce flou entre ce qui relève de préférences et de contraintes de couplage reste en effet très difficile à clarifier. Et dans ce flou, ce sont plus usuellement les contraintes qui prennent le dessus. Étant donné que la temporalité des pratiques ne peut s’expliquer qu’a posteriori (au travers d’enquêtes réalisées une

fois la journée et les activités déjà réalisées), on justifie traditionnellement l’horaire d’une activité par l’intermédiaire d’une contrainte qui s’impose à nous et qui vient de l’extérieur.

Si cette justification de l’horaire des tâches et des interactions liés au travail se comprend assez aisément, Robinson & Godbey (1999) notent que l’on assiste à une croissance exponentielle d’adjectifs tels que « nécessaires » et « indispensables » à propos de l’horaire des activités de loisir (ici entendu par stricte opposition au travail). Ce n’est plus uniquement « je devais être à la réunion à 10 heures », « il fallait absolument que je sois à 13 heures au restaurant pour mon déjeuner avec mon directeur » mais c’est aussi « j’ai dû rendre visite à ma mère à 17 heures », « ce matin il était indispensable que je fasse des courses avant d’aller au travail », « il fallait absolument que j’aille à la salle de sport avant 20 heures »… Des activités dont l’essence et l’horaire font initialement plutôt appel au temps libre et aux préférences adoptent ainsi de plus en plus la rhétorique de contraintes de couplage dont l’horaire est imposé et non négociable.

De manière générale, il semble nettement plus difficile de concevoir et d’exprimer l’horaire d’une activité comme étant le fruit d’un choix personnel plus que d’une contrainte externe. Et il en va de même pour la justification des mobilités en période de pointe. Dans la littérature sur les mobilités quotidiennes, un horaire de déplacement en période de pointe se conçoit très rarement au travers d’horaires volontairement choisis et préférés par les individus (Gutiérrez & Van Ommeren, 2010 ; Emmerink & Van Beek, 1997 ; Bernheim, 1994). L’heure de pointe est un phénomène subi. Bien qu’une lecture du phénomène par l’entrée des choix des individus paraisse tout à fait recevable, nous pensons que ce type de discours est encore inusuel car il est difficile à concilier et à rendre cohérent avec les constats selon lesquels les citadins se plaignent très fortement des congestions en heure de pointe (IPSOS, 2008, p. 11). Pourquoi les navetteurs se plaignent-ils des congestions en heure de pointe s’ils choisissent de se déplacer à ce moment ? Ou inversement, pourquoi choisissent-ils de se déplacer à ce moment si les congestions subies sont si gênantes ?

3.2.3. Préférence pour la synchronisation avec autrui : autour des loisirs

Il n’existe pas à proprement parler de réponses absolues à ces questions. Mais les quelques éclairages exposés via les études empiriques réalisées par les auteurs mentionnés ci-dessus précisent nos intuitions. Une partie des préférences guidant le choix d’un horaire de travail serait bien dirigée par des objectifs de synchronisation ou de couplage avec autrui : c’est parce que les salariés aiment se synchroniser pour leurs activités de loisirs que les horaires de travail sont eux aussi synchronisés et

que finalement les périodes de pointe persistent (Emmerink & Van Beek, 1997 ; Bernheim, 1994). Même lorsqu’on n’est plus obligé de travailler en même temps que les autres, on continuerait de le faire parce que cela permettrait d’avoir du temps libre en même temps que notre environnement social et finalement de participer à des activités que nous préférons réaliser à plusieurs (pratiquer un sport, aller à un spectacle, partager un repas, boire une bière…).

Mais il n’y a certainement pas qu’en dehors du travail que l’on cherche à synchroniser ses activités de loisir. Au cours d’une journée de travail, on peut également observer des moments de « loisir » sur le lieu de l’entreprise. Les périodes de pause comme le café du matin ou le déjeuner à la cantine, sont fréquemment investies par des pratiques sociales qui, dans certaines situations, sont assimilées à des moments de détente (Belton-Chevallier & Pradel, 2011). Il devient ainsi recherché de synchroniser sa journée de travail autour de celle de ses collègues pour partager des moments de détente avec un collectif de travail qui selon certaines configurations se mue en collectif amical (Hatzfeld, 2002). Les déplacements durant les périodes habituellement congestionnées pourraient donc être vus tel un compromis entre l’atteinte d’un objectif voulu et le temps pris ou l’inconfort nécessaire pour l’atteindre. Par conséquent, les congestions en périodes de pointe refléteraient surtout le fait que les navetteurs poursuivent un même but qu’ils désirent profondément (Downes, 2004). Ce but étant de se synchroniser avec leur environnement social, mais pas nécessairement de se déplacer rapidement ou confortablement. Au même titre que « les queues au cinéma sont le produit de la qualité du film ou

de celle de sa promotion » (Orfeuil, 2000, p. 145), les files d’attentes et les bousculades observées de

façon quotidienne dans les transports indiqueraient tout simplement le « succès » des périodes de pointe en tant qu’horaires les plus désirés.

Pour Yoram Weiss (1996), même s’il existe bien une grande variété de « goûts horaires », la plupart des salariés se conformeraient aux « horaires communs » car au-delà de toutes autres considérations, ils accordent beaucoup d’importance aux bénéfices qu’ils retirent de leurs interactions quotidiennes. Cependant, pour nous, cette règle comportementale doit être nuancée.

3.2.4. Chercher à éviter l’heure de pointe et/ou vivre en décalé

À l’aune de la littérature foisonnante sur les stratégies d’adaptation et d’évitement de la congestion (scheduling preferences), nous pensons que certains comportements individuels révèlent bien des arbitrages allant dans le sens d’un évitement des périodes de congestion et de l’expression d’autres « goûts horaires ».

Il y a forcément une partie de la population pour qui les désagréments des déplacements en heure de pointe sont plus coûteux que les bienfaits issus de pratiques horaires parfaitement normées et identiques au plus grand nombre (Haywood, Koning, Monchambert, 2017). Dans ces conditions, nous émettons l’hypothèse que les navetteurs cherchent plus fréquemment à éviter la période de pointe, en se déplaçant avant cette dernière. En effet cette stratégie matinale paraît plus efficace puisque le temps d’écoulement des flux dans le «goulot d’étranglement »justifie que les perturbations s’étendent et impactent plus les voyageurs partis après la pointe que ceux voyageant avant la période critique (Vickrey, 1969).

Parallèlement, des horaires de travail matinaux permettent de conserver la synchronie des interactions au travail en même temps qu’ils autorisent (à durée de travail égale) une plage de temps libre et d’interactions sociales plus large au retour du travail. En conséquence, nous pensons que des horaires de travail matinaux peuvent tout à fait correspondre à l’expression de multiples préférences.

Selon des logiques un peu différentes, il en va intuitivement de même pour les horaires d’arrivées au travail après l’heure de pointe. Si pour certains, des horaires standards et matinaux sont une commodité absolue car ils permettent de se positionner dans le moule normatif des échanges, pour d’autres, vivre en décalé, de façon un peu originale devient valorisé et recherché (Ascher, 1997). Des horaires plus tardifs que la moyenne et en léger décalage de la vie sociale seraient particulièrement l’apanage des jeunes cadres que l’on associe souvent à la génération Y1 (APEC, 2009). Cependant, ces préférences orientées vers des arrivées tardives au travail ne se trouvent selon nous que très rarement mises en pratique. Nous pensons qu’elles restent plus souvent à l’état de désir parce qu’elles se confrontent à des contraintes qui ne sont pas tant des contraintes explicites comme les contraintes de couplage, mais plutôt des barrières psychologiques et symboliques. Ces obstacles symboliques aux arrivées « tardives » au travail feront l’objet d’une analyse détaillée au travers de notre toute dernière hypothèse de recherche. En attendant son exposition, la deuxième hypothèse de recherche que nous cherchons à valider est la suivante : les salariés dont l’horaire de travail est vraiment libre préfèrent arriver au travail avant ou pendant l’heure de pointe.

1. Le « Y » a son sens comme suite du « X » par lequel on désignait la génération précédente, mais également par son hom-onymie avec l’anglais Why, en raison du refus systématique des contraintes que l’on pourrait imposer à cette génération des moins de 35 ans.

3.3. les normes sociales empêchent les salariés d’arriver

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