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les normes sociales empêchent les salariés d’arriver au bureau après l’heure de pointe

Résumé de la section 2

3. Hypothèses de recherche

3.3. les normes sociales empêchent les salariés d’arriver au bureau après l’heure de pointe

À travers la définition de notre dernière hypothèse de recherche nous souhaitons traiter de la dimension symbolique que l’on accorde à l’horaire d’une activité socialisée. Nous pensons que les étiquettes et les images que l’on associe communément à un salarié arrivant plus ou moins tôt au travail structurent fortement la façon dont nous choisissons un horaire qui s’offre à la vue de nos pairs. Assurément, les salariés ne sont pas uniquement des individus qui calculent, grisent leur agenda et coordonnent leurs activités tels des « individus algorithmiques ». Derrière cette mécanique des pratiques quotidiennes, les comportements horaires des salariés ne peuvent être uniquement guidés par des réflexions orientées en finalité. Le travail est toujours l’activité sociale par excellence (Sue, 1994). Le temps et l’horaire de travail restent teintés de valeurs, de symboles et d’enjeux de représentation puissants qui, bien que sous-estimés (Schwanen, 2008) par les recherches de la Time-Geography, doivent inéluctablement contribuer à expliquer pourquoi les salariés arrivent à certains horaires plutôt qu’à d’autres.

Même si de façon objective un salarié était détaché de toute contrainte de couplage au quotidien, que cela soit sur son lieu de travail ou dans sa vie (a)sociale, son horaire d’arrivée sur le lieu collectif de l’exercice de l’activité ne pourrait être entièrement « libéré » et resterait toujours conditionné par des « normes temporelles » (Rosa, 2012, p. 85). Ces normes sociales qui fixent de façon implicite la durée et la chronologie standard des activités de la vie quotidienne se sont constituées à partir d’aller-retour incessant avec les règles juridiques fixant la durée et les horaires légaux du travail (Devetter, 2001). Or, aujourd’hui la loi et les conventions collectives fixant des durées hebdomadaires et des horaires semblables pour tous les salariés d’une même branche, d’un même établissement, ou d’une même équipe s’assouplissent et se dilatent (Bloch-London 2000). La loi Aubry I sur les 35 heures, le développement des RTT et du temps partiel (Méda, 2001), la loi Aubry II sur l’annualisation du temps de travail (Bunel, 2004), la plus grande souplesse du travail le dimanche (Boulin & Lesnard 2016,) les renégociations en cours sur la définition des horaires de nuit (Ministère du Travail, 2017) sont autant d’allégements de règles collectives et juridiques qui appellent a priori et en parallèle une atténuation du poids des normes temporelles de la vie quotidienne et hebdomadaire.

Pourtant, même si elle n’est plus aussi statistiquement écrasante, la norme d’une semaine de cinq jours avec des durées de travail quotidiennes identiques, reste malgré tout persistante (Sautory & Zilloniz, 2014). Le compromis fordien fixant la synchronisation des horaires des salariés autour du

schéma standard 8 h 30-17 h 301 semble toujours être la règle pratique la plus commune (Figure 2.3). La norme sociale d’un temps de travail standardisé à l’échelle de la journée et de la semaine paraît résister au délitement et à la diversification des règles juridiques sur le temps de travail.

FIGURE 2.3 – Répartition des types de journées travaillées, en France en 2010

Source : Insee, enquête Emploi du temps 2009-2010 ; (Sautory & Zilloniz, 2014)

Lecture : 50 % des journées travaillées des salariés sont effectués durant des horaires standards. Champ : journées travaillées d’actifs occupés ayant renseigné une semaine normale dans le semainier.

En deuxième position des types de journées pratiquées on retrouve des journées longues2, autour d’un profil moyen du type 7 h 30-20 heures. Ce type de journée induisant des déplacements avant la période de pointe constituera pour nous une norme sociale périphérique et concurrente à la norme centrale du type 8 h 30-17 h 30.

Ces normes sociales définissant des horaires de travail « normaux » s’observent de façon privilégiée sur le lieu d’exercice de l’activité. Nous y situerons notre poste d’observation. Face à ces remarques, nous pensons que sur le lieu d’exercice collectif du travail (l’entreprise), il devient possible de montrer l’existence de normes sociales d’horaires de travail qui révèlent ce que sont des horaires de travail acceptables, au sens d’horaires acceptés et non sanctionnés par le collectif de travail. Dès lors, nous imaginons que ces normes sociales canalisent le champ des possibles des horaires effectivement praticables, à l’image de normes juridiques qui contraignaient, avant la flexibilisation des horaires, ces mêmes pratiques de façon hautement plus explicites. En outre, nous pensons qu’il existe une seconde norme sociale, dite périphérique, qui n’a plus ici pour fonction de sanctionner ceux qui ne la respectent pas mais bien de récompenser ceux qui y adhèrent.

1. Par une méthode d’appariement optimal les auteures définissent les journées dites « standards » par une durée de travail de près de huit heures en moyenne. Elles débutent à 8 h 20 et se terminent à 17 h 30, avec pour la grande majorité une pause méridienne de 1 heure 20 minutes en moyenne.

2. Les journées dites « longues » se caractérisent par une durée de travail élevée de 10 heures 40 minutes en moyenne (graphique 3-2). Elles commencent plus tôt (7 h 35) et finissent plus tard (19 h 55) que les journées standards, et sont un

Salariés Non-salariés Ensemble

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Standards Longues Demi-journées Décalées matin Décalées après-midi soirée Décalées nuit Fragmentées Courtes

50 27 46 16 41 20 10 10 10 4 7 7 8 6 22 5 5 5 3 3 4 4 4

À partir de ces considérations, nous émettons l’hypothèse qu’en règle générale (c’est-à-dire chez beaucoup d’entreprises ou administrations publiques) une arrivée matinale, avant l’heure de pointe, est associée à des symboles et des valeurs positives, tandis que de l’autre côté une arrivée tardive, après l’heure de pointe, est associée à des symboles et des valeurs négatives. Entre ces deux pôles symboliques, une arrivée en heure de pointe prend tout son sens « d’horaire normal ». Dit autrement et sur le plan des représentations de l’éthique du travail, un individu qui arrive avant les autres au travail est perçu par ses pairs et ses pères comme un salarié dévoué, celui qui arrive en même temps que tout le monde est sérieux et discipliné et celui qui arrive après est un « flâneur ».

Nous estimons que ces schèmes de valeurs et de représentations ont, sous l’effet du « miroir du

regard des autres » (Mead, 1934), à la fois un pouvoir incitatif et coercitif sur les choix d’horaires

de travail effectués par les individus. Selon nous, ces schèmes de valeurs produisent deux normes sociales d’horaires de travail complémentaires. Premièrement, si l’horaire n’est plus explicitement et officiellement prescrit, nous pensons qu’il existe une probabilité importante pour que ce soit à présent le collectif de travail qui s’assure implicitement du respect « d’horaires normaux » en sanctionnant les brebis égarées qui arriveraient trop tard. Deuxièmement, à côté de ces mécanismes de contrôle social, nous pensons qu’il existe également une norme périphérique des horaires de travail qui se fonde quant à elle sur la promotion sociale des personnes arrivant plus tôt que les autres.

La croyance en l’existence de ces deux normes sociales, l’une récompensant les arrivées matinales et l’autre sanctionnant les arrivées tardives, nous conduit à vérifier notre dernière hypothèse de recherche : les normes sociales d’horaires de travail empêchent les salariés d’arriver au bureau après l’heure de pointe.

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