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les raisons correspondant à une arrivée durant l’heure de pointe La période critique entre 8 h 30 et 8 h 59 est motivée par des besoins de synchronisation, que ce

Introduction au chapitre 4

2. Arriver en heure de pointe pour répondre à des contraintes de couplage

2.1. Rendez-vous en heure de pointe : horaires des réunions, de l’école et du conjoint

2.1.2. les raisons correspondant à une arrivée durant l’heure de pointe La période critique entre 8 h 30 et 8 h 59 est motivée par des besoins de synchronisation, que ce

soit au travail ou dans la vie privée. L’heure de pointe, parce qu’elle regroupe le plus grand nombre de personnes, est en fait la période décrivant le « dénominateur commun » de la vie sociale et des interactions quotidiennes. Elle résume bien la conciliation des contraintes de couplage du plus grand nombre. Elle permet à l’ensemble de la population de se réunir au travail tout en conservant la possibilité de se coordonner avec d’autres individus de son cercle social (famille, amis, commerçants…), avant ou après le travail.

Au travail, « les normes de production et les contraintes techniques » correspondent préférentiellement à des arrivées entre 8 h 30 et 8 h 59 ; bien qu’elles soient également assez représentées sur les tranches voisines. « L’horaire du conjoint » s’avère lui aussi assez déterminant des arrivées durant l’heure de pointe. L’horaire (de travail) du conjoint devient déterminant s’il est soumis à des contraintes plus fortes que l’horaire de travail de l’autre membre du couple. Par effet rebond, l’un des membres s’adapte alors aux fortes contraintes subies par son concubin. Ces contraintes se positionnent plus communément au niveau d’arrivées peu avant 9 heures.

D’après les interviews, la synchronisation avec l’horaire du conjoint peut potentiellement recouvrir plusieurs objectifs. Si l’enjeu principal de la synchronisation avec l’horaire du conjoint est bien de bénéficier d’un temps en commun avant et plus couramment après le travail, pour certains enquêtés, il existe un enjeu secondaire qui consiste à se synchroniser avec le conjoint pour voyager dans les transports ensemble :

« Ma femme travaille dans le même bâtiment que moi. Je fais toujours les trajets avec elle. C’est plus sympa, c’est quand même plus d’une heure de voyage à chaque fois. Le matin, elle doit être à son poste à 8 heures donc j’arrive à peu vers 7 h 50. Le soir, c’est plus variable. Généralement on s’envoie un texto avant de se retrouver en bas. »

Alexis, la cinquantaine, marié avec enfant, cadre, résidant dans le 91, arrivée vers 8 heures.

Les logiques de couplage des temps de trajet entre conjoints peuvent s’appliquer à d’autres membres de l’environnement social proche. Mais dans nos entretiens, seules les femmes nous ont fait part de trajet et d’horaires de déplacements concomitants avec une ou plusieurs amies, collègues ou encore voisines voyageant côte à côte :

« La veille avec ma collègue on s’envoie un sms pour décider de partir ensemble. On habite le même immeuble avec ma collègue dans le 18ème. On se retrouve vers 8 h 30 dans la cage d’escalier et on prend le bus ensemble. »

Aude, la cinquantaine, divorcée avec enfants, employée, résidant à Paris, arrivée vers 9 heures. « Le matin je voyage avec mes copines. Je sais qu’y en a une qui a changé ses horaires de travail pour voyager avec nous. C’est sécurisant de voyager avec des gens qu’on connaît. »

Nadia, la cinquantaine, célibataire sans enfant, cadre, résidant dans le 78, arrivée vers 8 heures.

Pour autant ces logiques de couplage du trajet avec d’autres personnes ne semblent pas induire forcément plus de déplacements en heures de pointe. L’horaire de la première réunion de la journée fait quant à elle figure de réel déterminant d’une arrivée en heure de pointe : 68 % des personnes dont l’horaire d’arrivée est principalement déterminé par les horaires des réunions arrivent entre 8 h 30 et 9 h 29, alors qu’en moyenne ils ne sont que 48 % à arriver durant l’heure de pointe. Comme le précise Jean, la première réunion se produit de façon conventionnelle quasiment toujours entre 9 heures et 9 h 30 :

« Les premières réunions sont toujours soit à 9 heures, 9 h 15, 9 h 30. Durant toute ma carrière, je n’ai eu qu’une seule fois une réunion avant 9 heures et c’était parce qu’on était en téléconférence avec des personnes qui se trouvaient sur un autre fuseau horaire. »

Jean, la trentaine, célibataire sans enfant, cadre, résidant dans le 94, arrivée vers 9 h 30.

Le poids des réunions en tant qu’élément déterminant de l’horaire d’arrivée en pointe est prépondérant dans notre population majoritairement représentée par des cadres. Ce poids rentre alors fréquemment en conflit avec un autre facteur déterminant de l’arrivée durant l’heure de pointe : « les horaires d’école et de crèche ».

Pour les parents d’enfants en âge de scolarisation, l’horaire d’école structure profondément la journée de travail. La force de l’institution scolaire est d’autant plus importante que l’enfant est dans les premières classes de sa scolarité : 44 % des parents dont le plus jeune enfant est en âge d’aller à la maternelle ont signalé que l’horaire d’arrivée au travail est déterminé par les horaires d’école. Cela vaut pour 37 % des parents d’enfants scolarisés au primaire, puis seulement 9 et 4 % des parents dont le plus jeune enfant est respectivement au collège ou au lycée.

À moins que le collège ou le lycée soit situé loin du domicile, les enfants de plus de 11 ans se rendent généralement par leur propre moyen dans leur établissement scolaire. Ce sont donc plutôt les horaires des écoles maternelles et primaires qui structurent l’horaire d’arrivée au travail des parents. Or comme

le précise Gérard, les horaires d’écoles sont tous les mêmes et génèrent donc la concentration d’arrivée au travail des parents qui les déposent :

« Vous êtes contraints de voyager en même temps que les autres non pas du fait de l’employeur mais de l’école car les horaires des écoles sont tous les mêmes. »

Gérard, la cinquantaine, divorcé sans enfant, cadre, résidant dans le 91, arrivée vers 10 heures.

C’est en partie vrai. Si l’on prend l’exemple du département du Val d’Oise, on recense 790 écoles et une trentaine d’horaires différents sur la journée. Les horaires de début de cours sont cependant dans leur grande majorité fixés à 8 h 30 ou 8 h 45, l’horaire le plus matinal étant 8 h 15 et le plus tardif, 9 heures1. En revanche, à Paris les horaires sont effectivement tous les mêmes : début de la classe à 8 h 30 et ouverture des grilles à 8 h 20.

ENCADRÉ 1Les horaires d’école à Paris

les horaires à l’école - Académie de Paris

Conformément au règlement départemental, les horaires de classe pour les élèves de l’école maternelle et l’école élémentaire sont les suivants à Paris :

• matin, de 8 h 30 à 11 h 30 du lundi au vendredi.

• après-midi, de 13 h 30 à 16 h 30, les lundis et jeudi et de 13 h 30 à 15 h 00 les mardis et vendredi. À l’école maternelle, les enfants sont accueillis dix minutes avant l’entrée en classe, c’est-à-dire dès 8 h 20 le matin et 13 h 20 l’après-midi.

À partir de 8 h 30 et 13 h 30, l’accès aux classes n’est plus possible aux parents. Les élèves en retard sont confiés au personnel qui accueille à la porte de l’école. Ils sont regroupés et conduits dans la classe par un ATSEM2. À l’école maternelle comme à l’école élémentaire, les enfants doivent bénéficier de 24 heures d’enseignement hebdomadaires, répartis sur 5 jours dans la semaine.

Source : Circulaire du Rectorat de l’Académie de Paris disponible en ligne sur www.ac-paris.fr

Les horaires d’arrivée à l’école sont rigides. On peut tout au plus déposer son enfant 10 minutes avant la sonnerie. Les horaires de travail des parents qui déposent leurs enfants à l’école suivent alors la même rigidité, à laquelle il faut ajouter la durée du trajet domicile-école-travail.

1. Ce recensement provient d’un article du journal le Parisien édité dans le Val d’Oise le 24 juin 2014. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.leparisien.fr/val-d-oise95/rythmes-scolaires-decouvrez-les-horaires-ecole-par-ecole-24-06-2014. 2. Agent territorial spécialisé des écoles maternelles

À partir de cette lecture, l’arrivée au travail des parents déposant leurs enfants à la maternelle ou au primaire aux alentours de 9 heures devient plus claire.

Sous bien des aspects, les contraintes pesant sur les parents parisiens paraissent nettement plus fortes que celles pesant sur les parents habitant hors de l’agglomération centrale. À Paris il n’y a ni garderie avant le début des cours ni ramassage scolaire. À moins d’avoir les moyens de s’octroyer les services d’une nourrice, impossible de dévier de la temporalité scolaire de ses enfants :

« L’école est ouverte entre 8 h 20 et 8 h 30, ça laisse pas beaucoup de marges ! S’il y avait un ramassage scolaire. Si j’avais juste à faire descendre les enfants en bas de chez moi ou au bout de la rue, ça me permettrait de partir dans l’autre direction et d’arriver plus tôt au travail. » Julie, la trentaine, en concubinage avec enfants, cadre dirigeant, résidant à Paris, arrivée vers 9 h 40.

Il serait pour autant erroné de penser que les personnes habitant plus loin de la zone centrale sont mieux loties parce qu’elles bénéficient de plus de services périscolaires. Est-il en effet préférable d’être contraint de déposer et de récupérer ses enfants à l’école ou de ne pratiquement plus les voir parce qu’ils sont très longtemps en garderie ? Florent nous donne son avis au cours d’une tirade que nous n’avons osé couper tant elle était empreinte d’émotions :

« On a des enfants de 4 à 14 ans. La petite est en maternelle, il y a un service périscolaire qui ouvre à 7 heures. Après c’est l’école et le périscolaire qui rouvre jusqu’à 19 heures. Et il y a des

demandes des parents : « vous pouvez pas ouvrir plus tôt, à 6 h 30 et puis fermer à 19 h 30 ? »

La Mairie s’oppose à ça. Les enfants quand vous les récupérez à 19 heures, ils sont déjà fatigués. Ma fille l’an dernier, le dernier jour de l’école, a fait un malaise, il a fallu aller la chercher à l’hosto. Alors qu’elle fait « que » du 19 heures. Et si vous allez plus loin dans l’Oise, il y a des services périscolaires qui font du 19 h 30 voir du 20 heures. Donc il y a des parents qui déposent leurs enfants à 6 h 30 et qui les récupèrent qu’à 20 heures parce qu’ils n’ont pas le choix. Moi je me plains pas, il y a des gens qui ont des vies de dingue avec des conditions de transports… C’est un vrai stress ! C’est une sorte de torture, il y a des gens qui souffrent vraiment et qui

veulent pas le dire : « c’est juste un petit coup de blues, j’ai mon pavillon, je fais mon barbecue

le week-end. »

À quel prix ? Ils voient jamais la lumière du jour, ils partent le matin, il fait nuit, ils rentrent le soir, il fait nuit, ils voient pas leurs gamins. »

Florent, la trentaine, marié avec enfants, cadre, habitant en Province, arrivée vers 8 h 30.

En effleurant la question des horaires d’école nous nous rendons assez rapidement compte que nous touchons à un sujet extrêmement sensible. D’un côté les horaires sont très contraignants pour

l’emploi du temps des parents mais d’un autre côté, ces horaires participent d’interactions avec les personnes qui comptent certainement le plus à leurs yeux. Décaler ou toucher ces horaires, c’est aussi intervenir dans la vie des familles. Certainement, des propositions de différenciation d’horaires d’école à Paris pourraient être formulées pour étaler les flux à l’heure de pointe. Mais certainement aussi, il faut avant tout veiller à préserver la synchronie de la vie familiale et sociale.

Nous avons évoqué de façon disjointe l’impact des horaires d’école et des horaires de réunions sur une arrivée durant l’heure de pointe. Mais pour les salariés-parents, ces deux objectifs peuvent s’additionner et rentrer en opposition. Comment faire pour déposer son enfant à l’école à l’heure et ne pas être en retard à la réunion ?

« La dépose des enfants c’est un vrai problème. Avec ma femme, on s’est arrangé de la façon suivante : une semaine sur deux je les dépose à l’école et c’est elle qui les cherche et l’autre semaine on inverse les rôles. De temps en temps cela peut s’ajuster. Lorsque j’ai des réunions avant 9 heures et que je ne peux les déplacer, nous inversons l’ordre normalement institué de la dépose et de la recherche des enfants. »

Florent, la trentaine, marié avec enfants, cadre, habitant en Province, arrivée vers 8 h 30.

Il faut effectivement pouvoir disposer de « personnes ressources » et mettre en œuvre une petite ingénierie du quotidien. Le cas échéant, les différents objectifs deviennent pratiquement inconciliables, comme c’est le cas pour Julie. Elle nous explique qu’elle ne peut s’arranger autrement avec la dépose de ses enfants et que la fixation de réunions à 9 heures la pénalise en même temps qu’elle révèle « une méconnaissance du rythme de vie d’autrui » :

« Dans l’entreprise, il y a deux types de populations au travail, si je puis dire. Il y a les jeunes sans enfants et les parents. Et du coup, les jeunes qui viennent à 9 h 15 et n’ont pas de contraintes ne comprennent pas forcément que les parents qui viennent à 9 h 45 c’est pas juste qu’ils ont traîné mais c’est qu’ils ont déjà 3 heures dans la vue, quoi, avant même de commencer. C’est ça !  - Comment savez-vous que ces gens-là pensent cela ? Avez-vous déjà eu des remarques ? - Parce que spontanément, ils vont fixer des réunions à 9 heures, sans prendre ça en compte. - C’est plutôt par rapport aux horaires de réunions qui sont fixés alors ?

- Oui, c’est ça. En fait c’est plus le fait que la méconnaissance du rythme de vie des autres les amène eux à planifier des choses tôt le matin. »

Ainsi, des règles internes aux entreprises proposant un horaire plancher de première réunion à 10 heures pourraient être une solution intéressante. De façon ciblée, cela soulagerait les contraintes de coordination des parents tout en retardant une partie des arrivées initialement situées durant l’heure de pointe.

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