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Introduction au chapitre 4

1. les impératifs quotidiens enserrant le choix d’un horaire de travail

1.2. les raisons de l’horaire indiquées par les salariés

1.2.1. les 13 raisons retenues pour expliquer l’horaire

Sans se soucier du classement qui leur a été affecté, la figure 4.4 résume la fréquence avec laquelle les différentes raisons ont été sélectionnées par les enquêtés pour expliquer leur horaire d’arrivée au travail.

FIGURE 4.4 Fréquence des raisons sélectionnées pour expliquer l’horaire d’arrivée de travail

Source : Enquête heure de pointe et horaires de travail - Saint-Denis - mai 2015 (3 202 répondants)

Lecture : 33 % des enquêtés ont cité l’évitement des périodes où le réseau est trop congestionné en tant que facteur déterminant leur horaire d’arrivée au travail.

La raison la plus fréquemment citée comme justifiant un horaire d’arrivée au travail est celle des « préférences personnelles ». 44 % des interrogés ont mentionné les « préférences personnelles » comme étant une des raisons qui jouent sur leur horaire d’arrivée au travail. L’évitement des périodes congestionnées joue également un rôle dans la détermination de l’horaire pour un tiers des enquêtés. Les préférences qui ne relèvent pas de contraintes de couplage avec autrui ont donc un poids prépondérant dans les logiques qui président d’un horaire d’arrivée au travail. Entre ces deux raisons, notons tout de même l’importance des « horaires des transports » et « horaires des réunions » qui jouent un rôle pour approximativement 40 % de l’échantillon. Plus bas, les « horaires de crèches » et « d’autres raisons » n’ont été mentionnés que très peu de fois.

Le poids des « horaires des réunions » est assez déterminant alors que nous aurions pensé que la synchronisation avec le collectif de travail se faisait par le biais d’interactions avec des collègues immédiats (10 % de citations) et pas forcément sous la forme explicite de réunions. Par ailleurs « les horaires des transports » sont plus fréquemment déterminants que le fait de rechercher à éviter les périodes congestionnées. Cette observation s’explique certainement par le fait que beaucoup de répondants viennent en train au travail, soit de banlieue lointaine, soit de régions et sont, en raison de leur faible fréquence, extrêmement dépendant de l’horaire de départ de leur train.

Aussi, il est évident que les réponses des enquêtés sont grandement orientées par les propositions de raisons qui ont été listées. Nous devons à cet endroit apporter un éclairage sur les autres raisons qui n’ont pu être captées par le questionnaire fermé. Les entretiens réalisés après le questionnaire peuvent nous offrir certains éléments de réponse.

Les entretiens nous ont rapidement permis de mesurer un manque important parmi les douze raisons listées dans notre questionnaire. C’est l’importance du manager direct communément appelé « n+1 ». De par les horaires qu’il pratique lui-même, il peut dicter implicitement les horaires à suivre. De plus, selon sa philosophie managériale, il pourra faire comprendre qu’un horaire matinal est attendu. Ainsi, plus que l’horaire de travail explicitement fixé par l’employeur, c’est alors le rôle du manager direct qui est mis en avant pour expliquer l’horaire pratiqué. Sandrine nous explique à cet égard que lors d’un précédent emploi, son chef direct avait un autre regard sur la question de l’horaire de travail et que par conséquent, elle avait d’autres horaires que ceux qu’elle observe aujourd’hui :

« L’horaire de travail, ça vient certainement de son boss. Y’en a qui sont plus cool. Lorsque je travaillais chez (…) mon chef tolérait qu’on arrive après 9 heures. À l’époque, j’arrivais vers 9 h 30. Je pense que cela vient surtout de la personne avec qui on travaille. »

Sandrine, la cinquantaine, mariée sans enfant, résidant dans le 93, arrivée vers 9 heures.

D’autre part, un peu moins d’un dixième des interviewés ont signalé que leur horaire « visé » et déclaré d’arrivée au travail incluait le fait de faire face à des retards et des imprévus potentiels. Pour les personnes qui ont des engagements horaires à tenir en arrivant au travail (horaires fixés de travail, réunion importante…), l’horaire visé devient dépendant du fait de « prendre de la marge » (Knight, 1974) pour parer à tout imprévu possible sur le trajet. Une des salariées ayant elle aussi justifié dans le questionnaire son horaire d’arrivée au travail par la case « Autre », nous explique :

« Je viens en bus au travail et je choisis mon horaire de départ pas forcément pour arriver pile à mon horaire fixé de travail, mais un peu avant car sinon je risque d’être bloquée avec le bus dans une rue à sens unique où il y a systématiquement un camion poubelle à la même heure. Et dans ces cas-là, on se prend 20 minutes dans la vue et je me retrouve en retard. » Hortense, la trentaine, divorcée avec enfant, agent de maîtrise, résidant dans le 93,

arrivée vers 7 h 30.

Une des hypothèses centrales du questionnement sur la chronologie des arrivées au travail est de considérer que la chronométrie ou la durée de travail quotidienne est constante. Sans cette hypothèse, difficile d’isoler l’analyse du positionnement de la journée de travail. Toutefois, la position de la journée de travail reste dépendante des fluctuations de la durée d’une journée de travail :

« Dans les métiers liés à la finance, on fait de plus grosses heures en fin de mois car on doit faire nos clôtures mensuelles. Je viens donc souvent plus tôt à ces moments-là. »

Nathalie, la trentaine, mariée avec enfants, cadre, résidant dans le 91, arrivée vers 9 h 15.

Cela étant dit, une journée ne dure et ne durera toujours que 24 heures. Les journées de travail sont elles aussi circonscrites, ne seraient-ce que par des contraintes physiologiques (sommeil, alimentation…) ou encore le droit du travail (les salariés à temps plein ne peuvent travailler plus de 10 heures par jour). Aussi, même si dans le Code du Travail rien ne précise globalement la durée de travail minimale quotidienne à respecter, les journées de travail durent généralement au minimum 7 heures pour atteindre les 35 heures hebdomadaires légales. La conséquence de ce plancher tacite est que des contraintes fixées le soir peuvent déterminer par effet miroir un horaire d’arrivée au travail le matin. Par exemple, le fait de récupérer ses enfants à l’école à 16 h 30 a un effet aussi impactant sur l’horaire d’arrivée au travail le matin que le fait de les déposer à 8 h 30 :

« J’arrive plus tôt le matin parce que quoi qu’il arrive je dois récupérer mes enfants le soir. J’ai un peu pitié d’eux, les pauvres ils terminent l’école à 16 heures et je vais les chercher à 18 h 15 au mieux chez la nourrice. »

Éloïse, la trentaine, mariée avec enfants, cadre, résidant en province, arrivée vers 8 heures. « Tous les matins, je pars du domicile à 8 h 10, je dépose mes enfants à l’école à 8 h 20. J’arrive au travail vers 9 heures ».

Teddy, la quarantaine, divorcé avec enfants, cadre, résidant à Paris, arrivée vers 9 heures.

Même si les déterminants de l’horaire de travail positionnés exclusivement sur les activités vespérales restent plus rares que les déterminismes immédiats du matin, il convient de garder à l’esprit que les raisons de l’horaire de début de journée peuvent puiser leur origine dans toutes les activités et les créneaux de la journée. L’exemple du poids de l’horaire du déjeuner ou de l’ouverture de la cantine étant à ce titre également de bonnes illustrations.

Ces remarques servent à rappeler que nous avons dû minimiser la complexité mais aussi l’imbrication réelle des pratiques quotidiennes dont nous chercher à expliciter la temporalité.

L’univers figé et circonscrit que nous décrivons dans cette thèse est à bien des égards imparfaitement représentatif des temporalités mouvantes et imbriquées des salariés franciliens (Chrétien, 2017 ; Ascher, 1997). Mais sans ces modèles d’interprétation inéluctablement réducteurs, il nous serait impossible de tirer pas à pas les ficelles de la fabrication des temps quotidiens.

En conséquence nous nous focalisons à présent sur les raisons qui ont été classées en première position. C’est-à-dire que pour chaque enquêté, nous nous intéressons à la raison qui structure le plus fortement son horaire de début de journée.

1.2.2. les horaires fixes du travail et de l’école structurent bien l’horaire

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