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les caractéristiques individuelles orientant plus le fait d’être « matinal » ou « tardif »

Introduction au chapitre 4

2. Arriver en heure de pointe pour répondre à des contraintes de couplage

2.2. Sociologie de l’heure de pointe : entre matinaux et tardifs, les femmes au centre des débats

2.2.3. les caractéristiques individuelles orientant plus le fait d’être « matinal » ou « tardif »

La variabilité des horaires pratiqués s’avère être un facteur explicatif d’horaires plus tardifs. Plus les horaires effectifs d’arrivée au travail sont variables, plus les individus ont l’air de se rendre tard au travail. Lorsqu’on se rend au travail à heure fixe tous les jours (pas plus de 30 minutes d’écart), on a plus de chances d’arriver avant l’heure de pointe. Lorsque les horaires d’arrivée sont un petit peu plus fluctuants mais qu’ils s’insèrent néanmoins au sein d’une plage de temps dont la durée est stable, les individus ont alors plus de chances d’arriver durant l’heure de pointe. Puis, lorsque les horaires d’arrivée sont complètement aléatoires et fluctuants, les individus ont beaucoup plus de chances (+18,3 %) d’arriver après l’heure de pointe.

La discipline, la rigueur et donc la répétition métrique de l’horaire d’arrivée au travail iraient de pair avec des horaires matinaux. En élargissant cette remarque on peut penser que cela ne concerne pas que la discipline des horaires. L’horaire d’arrivée matinal serait globalement assimilé à des manières

de vivre organisées et contrôlées. À l’inverse, l’horaire tardif serait assimilé à des façons de vivre plus déstructurées et subies :

« Quand la majorité arrive à 9 heures et qu’on arrive à 9 h 45, c’est pas anodin. - Et comment on est perçu quand arrive plus tard que les autres ?

- On est perçu comme quelqu’un de mal organisé. Qui subit, par rapport à ceux qui arrivent tôt. » Julie, la trentaine, en concubinage avec enfants, cadre dirigeant, résidant à Paris, arrivée vers 9 h 40.

Le statut marital influence également le caractère matinal ou tardif de l’horaire. Lorsqu’on est marié/ pacsé, on a plus de chances d’arriver avant l’heure de pointe. Inversement lorsqu’on est célibataire ou divorcé, on a plus de chances (+7,2 % et +7,4 %) qu’une personne mariée d’arriver après 9 h 301. On dit souvent des mariés, qu’ils sont « rangés » ou bien « casés ». Nous pourrions alors supposer qu’un statut marital « rangé », c’est-à-dire contractualisé, correspond lui aussi à un emploi du temps ordonné et régulier (Voss, 1998). D’après nos remarques, ce serait alors en bonne partie pour cette raison que l’horaire des mariés serait plus matinal.

Même si l’impact de l’âge des enquêtés est moins net, nous pourrions tout à fait adopter la même lecture pour cette variable. Les plus de 45 ans ont en effet plus de chances d’arriver au travail avant 9 heures qu’après. Réciproquement, les moins de 35 ans ont plus de probabilités d’arriver au travail après 9 heures qu’avant. Selon la grille d’analyse précédente, les plus avancés en âge et en expérience auraient des manières de vivre plus stables et dirigées que les plus jeunes et ce serait alors principalement par ce biais qu’ils auraient des horaires plus matinaux, et vice versa.

Au niveau des variables sociodémographiques, l’horaire matinal appartiendrait donc à ceux qui « domptent » et « régularisent » leur emploi du temps.

À l’inverse, à l’échelle des catégories socioprofessionnelles (CSP), on a coutume de penser que le rapport de force va dans l’autre sens. Les individus positionnés en bas de l’échelle subissent un rapport de force (non plus avec leur quotidien mais avec les autres) et se rendent tôt au travail (Wilson, 1988).

1. Si l’on projette le fait que les mariés ont plus fréquemment des enfants que les célibataires, cette observation rentre en contradiction avec la remarque de Julie. Selon elle, la population de travailleurs est scindée en 2 parties : les jeunes sans enfant qui arrivent vers 9 heures et les autres qui déposent leurs enfants et ne peuvent être au travail avant 9 h 30. Mais il faut ici garder à l’esprit que la régression logistique permet d’analyser les effets d’une variable prise isolement de l’effet des autres ou tout du moins en fonction de catégories de références. Il faut donc comprendre que la comparaison d’individus mariés/pacsés, divorcés ou célibataires ne sous-entend aucunement que les individus mariés ont des enfants et que les autres n’en n’ont pas. Précisément dans notre modèle, les individus mariés/pacsés ont les mêmes autres modalités de référence que les divorcés et les célibataires. Ils sont donc tous à horaire de travail fixé et n’ont pas d’enfant.

Les individus positionnés en haut de l’échelle sociale maîtrisent le rapport de force et pourraient quant à eux se rendre plus tard au travail.

En utilisant les diverses CSP mobilisées dans notre enquête, les constats sont moins évidents qu’il n’y paraît. Certes, les techniciens, employés et agents de maîtrise ont plus de chances que les cadres d’arriver tôt au travail.

« Peux-tu expliquer lorsque tu dis que ton horaire d’arrivée au travail est déterminé par le poste que tu occupes ?

- Oui par rapport à mon poste : t’es une assistante, donc tu dois être là tôt au cas où le patron a besoin de toi ».

Aude, la cinquantaine, divorcée avec enfants, employée, résidant à Paris, arrivée vers 9 heures.

Mais d’un autre côté, il semblerait que les « cadres dirigeant » dans notre enquête, arrivent également plus fréquemment avant la pointe que les cadres. Selon notre modèle, par rapport à un cadre, un « manager » a 18,4 % de chances supplémentaires d’arriver entre 8 heures et 8 h 29.

Cette pratique peut s’expliquer selon deux logiques complémentaires. La première est que les cadres dirigeants ont une charge de travail conséquente qui implique d’avoir de longues journées de travail et donc d’arriver tôt. La seconde est liée au fait que le patron doive gérer ses équipes mais aussi « donner l’exemple » :

« Le patron de notre entité arrive le premier et part en dernier. Quelque part on peut dire qu’il donne l’exemple. Si lui il se comporte comme cela, cela sous-entend qu’il attend la même chose de la part de ses salariés. »

Jean, la trentaine, célibataire sans enfant, cadre, résidant dans le 94, arrivée vers 9 h 30. « Finalement, je fais le choix d’arriver plus tôt pour des raisons d’organisation. En tant que manager d’une partie des formateurs, ça me permet d’arriver avant les formateurs. »

Lætitia, la trentaine, divorcée avec enfant, cadre dirigeant, résidant dans le 95, arrivée vers 8 heures.

L’impact de la position socioéconomique de l’individu sur l’horaire d’embauche n’est finalement pas aussi linéaire que ce que nous aurions pu intuitivement concevoir. Les « encadrés » tout comme les « encadrants » peuvent potentiellement arriver tôt au travail. En revanche, la position socioculturelle liée au niveau de diplôme reste significativement déterminante de la « matinalité » ou du caractère tardif de l’horaire. À un niveau de diplôme faible correspond une arrivée matinale alors qu’à un niveau de diplôme élevé correspond une arrivée plus tardive.

Parmi l’ensemble des variables sociologiques classiques, la zone de résidence joue un rôle très important dans le fait d’arriver à un horaire matinal. En fait il existe une relation linéaire entre l’éloignement à l’agglomération centrale (petite couronne, grande couronne puis Province) et le fait d’arriver tôt. Plus on habite loin de la zone centrale (indépendamment de la durée du trajet), plus on a de bonnes chances d’arriver tôt1. À l’opposé, en habitant à Paris on a de bonnes chances d’arriver après 9 heures. Cette observation s’explique principalement à l’aune des manières de vivre induites par la zone de résidence mais surtout par le type d’habitat. Lorsqu’il était demandé aux enquêtés de décrire leur journée précédant leur entretien, les personnes habitant en maison dans le périurbain ont quasiment toutes fait part de l’importance de ne pas rentrer trop tard du travail et donc d’arriver relativement tôt au travail le matin. Il s’agit en effet (surtout pour les hommes) de partir à une heure raisonnable pour profiter du jardin ou plus généralement pour avoir le temps de « faire quelque chose de sa soirée » :

« Il y a d’autres choses que le travail dans la vie. Le fait de commencer tôt permet de continuer à faire d’autres choses derrière en rentrant du travail. Quand je rentre chez moi vers 17 heures-17 h 30, j’ai encore un peu le temps de commencer des travaux de fond dans la maison ou de temps en temps on va au cinéma avec ma femme. Celui qui arrive plus tard au travail le matin, il a le temps de dîner et après sa soirée est finie. »

Alexis, la cinquantaine, marié avec enfant, cadre, résidant dans le 91, arrivée vers 8 heures.

À partir de cette citation, on pourrait également penser que les personnes résidant dans une maison loin de l’agglomération centrale ont fait le choix d’accorder plus d’importance aux moments en dehors du travail. À l’inverse nous pourrions décrire des Parisiens qui ne jureraient que par la vie professionnelle et qui ne feraient rien en dehors du travail. Ce raccourci pour expliquer les périodes d’arrivées au travail selon les différentes zones d’habitat paraît cependant trop réducteur, voire erroné. Les Parisiens réalisent souvent plus d’activités en dehors du travail que les autres habitants franciliens (Chrétien, 2017). En moyenne, ils ont pour habitude d’effectuer ces activités plus fréquemment en dehors de leur domicile mais aussi à des horaires plus tardifs car la période d’ouverture des différentes aménités (consommations, sorties…) est plus étendue qu’en banlieue. Ceci expliquant alors en partie pourquoi les Parisiens se rendraient plus tard au travail.

1. Le fait d’arriver tôt au travail et d’habiter loin de Paris soulève a priori une contradiction puisque ceux qui habitent loin de Paris sont intuitivement ceux qui ont les plus longs temps de trajet. Mais en réalité ce n’est pas le cas. Cela peut s’expliquer par deux phénomènes. Premièrement, la zone d’étude à la Plaine Saint-Denis est située en petite couronne est peut donc être dans certains cas plus accessible depuis la grande couronne que depuis Paris. Deuxièmement, la Plaine Saint-Denis est bien desservie par le réseau ferré régional (Gare de Saint-Denis) et de grandes lignes (à une station RER de Gare du Nord). De ce fait en habitant en Province on peut facilement avoir des temps de trajet plus court qu’en habitant au sud de Paris.

FIGURE 4.9L’influence des caractéristiques sociodémographiques : opposition entre les arrivées avant et après 9 heures

Source : Auteur

Plus que de déterminer un déplacement en heure de pointe ou en dehors de l’heure de pointe, nous avons vu que les variables sociodémographiques et socioprofessionnelles classiques déterminent plus exactement le fait d’être « matinal » ou « tardif » autour d’un « axe de symétrie » situé à 9 heures. Cependant tout ne peut être aussi catégorique que ce que nous tentons de décrire. Nous disons simplement qu’il existe des manières de catégoriser les individus (âge, niveau de diplôme, zone de résidence…) qui, selon les réponses envisagées, ont plutôt tendance à découper la population entre des « matinaux » et des « tardifs » qu’entre des individus arrivant « en pointe » ou « hors pointe ». Mais pour d’autres variables la distinction et l’analyse sont nécessairement plus hybrides.

Par exemple, l’entreprise d’appartenance peut, selon le découpage que l’on opère, induire soit des arrivées que l’on distingue entre un caractère tardif ou matinal, soit des arrivées que l’on différencie entre « pointe » et « hors pointe ». Ainsi, selon le premier axe de distinction, les entreprises publiques induisent clairement des arrivées avant 9 heures. Par opposition « Télécom » induit plus fortement des arrivées après 9 heures. Mais selon un autre axe de comparaison, les entreprises « Assurances », « Télécom » et encore plus intensément « Banque1 » et « Banque2 », favorisent fortement l’arrivée durant la pointe par rapport aux autres établissements.

2.2.4. les caractéristiques individuelles orientant le fait de venir pendant

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