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« Saisir

voulant saisir, saisir m’accapara

je n’étais plus que ça, je l’étais trop l’esprit saisi, l’être saisi

agrippé, envahi

saisir et que ce soit saisissant avec le style même du saisir »297.

« Saisir : traduire. Et tout est traduction à tout niveau, en toute direction »298.

Technique mixte livre met l’accent sur le caractère traductible des légendes médiatiques référentes, et non ressemblantes. Je trouve dans ces légendes une qualité prototypique riche en potentialités et qui peut s’adapter à d’autres formats et langues contrairement à une image qui, même en fragment, continue à n’évoquer que son contenu. Je m’interroge quant à la nature et au potentiel artistique et poétique de ces légendes mises en liste, en livre. Je tente d’interpréter tous ces clichés faisant ainsi l’expérience sensible d’une rencontre. De cette rencontre naît une saisie qui ne constitue

296 Anne Sauvagnargues, Deleuze et l’art, Ibid., p. 152.

297 Henri Michaux, Saisir, Fata Morgana, 1979. 298 Ibid.

pas en soi une situation nécessaire et qui ne dépend pas non plus d’une volonté ni même d’une attente organisée. Elle est en réalité une cause occasionnelle, c’est-à-dire une cause qui appartient essentiellement à la chose qui saisit et fait regard. Si ce type de rencontre est possible, c’est parce que la chose saisissante le permet ; la légende le permet. Dans un sens juridique, il y a saisie lorsque d’une chose est retiré le droit d’en disposer. C’est dans le sens où cette chose – désormais libre de droit – est disponible pour tout autre, et donc pour personne en particulier. Par conséquent, la saisie est ce qui – suspendant toute disposition – maintient la disponibilité de la chose. En d’autres termes, ce qui est saisi est finalement moins la chose elle-même que son appropriation. Ma lecture des légendes existe à travers l’écriture comme geste de déplacement d’un lieu dans un autre, d’un mode d’existence dans un autre et d’une langue dans une autre. De ce fait, les légendes apparaissent elles-mêmes indissociablement dynamiques du processus de lecture et d’écriture. À travers la machine à écrire ou plutôt à saisir, je pense la matière qui m’est donnée. Ce texte légende, mots, icône, signe, dia-gramme299 est une forme. Elle est la traduction littérale des œuvres. Ce qui est saisissable dans ces légendes, c’est qu’elles ouvrent un milieu structural300 ; comme une structure de fonctionnement d’un ensemble. Les légendes me paraissent comme des lignes agrippées, soulignant les images. Elles désignent celles-ci comme des tracés en flèches.

D’une part, saisir301 signifie " prendre possession " des lignes-légendes que je capture par le clavier d’ordinateur. C’est une écriture. De fait, je m’approprie ces grammes en transformant leur nature et leur format. En informatique, saisir désigne la " mise en possession des données " par la machine, grâce au travail d’un opérateur. D’autre part, saisir signifie " com-prendre " les moyens et la matière même d’où provient cette légende, ou encore l’intention de son auteur. Comprendre les éléments génétiques des

299 Le préfixe dia- signifie " en division " ou encore " en traversant ". Gramme, du grec gramma, signifie

" signe écrit ", dérivé de scribere " écrire ".

300 Structural, dérivé de structure comme construction et arrangement, s’applique à ce qui se rapporte à

une structure comme ensemble organisé. Structural se dit des disciplines qui étudient les structures en tant que « relation d’éléments », d’où linguistique structurale ou encore structuralisme et désigne une théorie selon laquelle l’étude d’une catégorie de faits doit d’abord envisager les structures. Cf. Structure,

Dictionnaire historique de la langue française, op. cit., p. 2197-2198. 301 Saisir, Ibid., p. 2018.

œuvres ainsi que leurs structures techniques. Comprendre302, du latin comprendere, forme contractée du latin classique comprehendere, qui signifie " saisir ensemble ", et intellectuellement " saisir par la pensée ". Ce verbe est formé de cum " avec " et de prehendere " prendre ". Comprendre a le sens aujourd’hui dominant de " saisir intuitivement le sens de quelqu’un, approuver le bien-fondé de ses motivations ". Il y a dans le saisir une forme de dialogue, de politique. Dans le comprendre il y a l’idée d’accepter ou pas un point de vue qui nous est donné par la chose, et de ce fait une interaction entre le lecteur et la chose lue. Dans ce cas, je suis l’opérateur et les légendes une base de données qui une fois collectées et rassemblées, se prêtent au traitement, à la traduction et à la transformation livrant ainsi d’autres points de vue sur les choses.

Pour Henri Michaux, saisir est synonyme de traduction dans le sens où ce verbe renvoie à une transformation de ce qui est saisit. Une fois saisie, la chose est déplacée, elle se déplace au-delà des frontières d’un format clos. L’image est dénuée de sa légende dont elle n’est plus propriétaire. Aussitôt saisie, la chose est devenue propriété de son saisisseur et objet d’un changement ou d’une translation de lieu, de nature et de sens. « L’apparition d’une image, pour autant qu’elle soit "puissante", efficace, nous "saisit", donc nous dessaisit. C’est tout notre langage qui est alors, non pas supprimé par la dimension visuelle de l’image, mais remis en question, interloqué, suspendu. Il faut ensuite de la pensée, et même du savoir – beaucoup de savoir –, pour que cette remise en question devienne remise en jeu : pour que, devant l’étrangeté de l’image, notre langage s’enrichisse de nouvelles combinaisons, et notre pensée de nouvelles catégories »303. Le traducteur – c’est-à-dire celui qui a le pouvoir de lire et de comprendre l’original et ainsi de saisir l’essence de celui-ci – celui qui peut opérer la traduction aurait une tâche d’après W. Benjamin : « En aucun cas, devant une œuvre d’art ou une forme d’art, la référence au récepteur ne se révèle fructueuse pour la

302 Comprendre, Ibid., p. 498.

303 Georges Didi-Huberman, « La condition des images », in L’expérience des images, op. cit., p. 83.

Cette idée d’un « être saisi » devant l’image comme état de « l’expérience d’une déroute » est par ailleurs développée par Pierre-Damien Huyghe, Du commun, philosophie pour la peinture et le cinéma, Circé, 2002, p. 73.

connaissance de cette œuvre ou de cette forme »304. La traduction ne doit ni se conformer au goût du public, ni par conséquent, traduire le sens, elle se doit d’exprimer le rapport le plus intime entre les éléments constituant l’œuvre. Cela s’adresse au point de vue de la réception. Les légendes lues par le récepteur permettent l’interprétation de l’œuvre, elles en deviennent ainsi autant sa partition que sa mémoire. Dans la médiation de l’œuvre, les textes se prêtent à une confusion celle d’être un message, une communication sous la forme de " comprendre le sens de l’œuvre ". Si la tâche équivalait à rendre quelque chose au récepteur et que traducteur ne cherchait à restituer que le sens, alors cela reviendrait à vouloir procéder à la transmission inexacte d’un contenu inessentiel.