• Aucun résultat trouvé

sémantiques et référentielles

II. 1.1.2 – Par saillance syntaxique

Certaines configurations empêchent le recrutement de l’antécédent par proximité : c’est le cas, par exemple, lorsque le GN antécédent est construit avec une expansion comme un complément du nom, et que la morphologie du pronom-déterminant ne permet pas d’orienter le choix entre les deux GN candidats. Dans ces occurrences par- ticulières, il y a une hésitation quant au choix de l’antécédent (14 et 15).

(14) [119] Le gemissement de l’vniuers, gemissant et patis- sant en l’estat humble et souffrant de son sauueur : durant le- quel nous voyons le ciel et la terre s’alterer, et s’ébranler, et l’vniuers comme entrer en conuulsion et defaillance en l’eclipse de ce soleil de iustice defaillant sur la terre : et le ge- missement encore que nous apprenons de ce texte formel de l’apostre, lequel dit que toute creature gemit apres l’entiere et parfaitte execution de la deliurance deuë aux éleus et enfans de Dieu, comme ayant à estre en suitte deliurée de la seruitude de

[582] La Dorade, laquelle à mon jugement est ainsi appelee, parce

qu'estant dans l'eau elle paroist jaune, & reluit comme fin or, quant à la fi- gure approche aucunement du saumon : neantmoins elle differe en cela, qu'elle est comme enfoncee sur le dos. (Léry, 1611)

Comme nous trouvons en alternance dans cette liste des entrées prenant la forme de GN développés par diverses expansions, dont des subordonnées relatives, ou la forme de phrases composées d’un su- jet disjoint du verbe qu’il régit, le doute peut être permis. L’adverbe neantmoins semble cependant éliminer cette dernière solution, mais nous souhaitions citer l’occurrence pour mémoire.

corruption, par le comble de leur gloire, et a estre parfaictement renouuellée par leur parfait renouuellement. (Bérulle, 1623)

(15) [147] Ce qui n’est pas seulement a desirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feroient qu’on jouiroit sans aucune peine des fruits de la terre, et de toutes les com- moditez qui s’y trouvent : Mais principalement aussy pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien, et le fondement de tous les autres biens de cete vie : Car mesme l’esprit depend si fort du temperament, et de la disposi- tion des organes du cors, que s’il est possible de trouver quelque moyen, qui rende communement les hommes plus sages, et plus habiles qu’ils n’ont esté jusques icy, je croy que c’est dans la Medecine qu’on doit le chercher. (Descartes, 1637)

Dans ces exemples, la morphologie du pronom composé conduit à une ambiguïté : nous ne savons pas s’il faut raisonner en termes de saillance* locale comme précé- demment, ou si le substantif tête du GN (et son expansion) doit être recruté comme antécédent. Pour saisir comment s’opère le recrutement dans ces cas d’ambiguïté, nous avons analysé les occurrences dans lesquelles LEQUEL et son antécédent ne sont pas

directement contigus, soit 212 occurrences. Dans 120 d’entre elles (sur 212, soit 56,6%), l’antécédent est le premier GN rencontré à la gauche de LEQUEL, ce qui rejoint

nos observations précédentes sur le recrutement par saillance locale de l’antécédent (16). La non-contiguïté peut par exemple être due à une apposition, de type adjectival, modifiant le GN antécédent.

(16) [268] Mais s'il est si clair et si assuré dans ces Ré-

flexions que Dieu ne commande rien qui ne soit possible, et que

sa grave ne manque pas pour l'exécuter, n'est-ce pas dire tout ensemble et en termes formels qu'un juste manque à la grace présente et actuellement secourante, toutes les fois qu'il trans- gresse le commandement ? Ce qui suppose une grace inté- rieure, nécessaire et donnée pour le garder, laquelle on rend inutile. D'où il suit une exclusion aussi complète qu'il soit pos- sible, de l'erreur qu'on veut imputer aux Réflexions morales et au prélat qui les a approuvées. (Bossuet, 1699)

Dans les 92 occurrences restantes de non-contiguïté, un autre candidat GN aurait pu prétendre au statut d’antécédent. Plus précisément, il peut y avoir ambiguïté quant au recrutement du bon candidat :

‒ Lorsque l’antécédent est construit avec une expansion du type subordonnée relative. Ce peut être une subordonnée introduite par un pronom relatif simple (17) ou par LEQUEL (18) :

(17) [155] (II présente ce portrait aux yeux de la Discorde et de l'Envie, qui trébuchent aussitôt aux enfers, et ensuite il le présente aux chaînes qui tiennent la Paix prisonnière, les-

quelles tombent et se brisent tout à l'heure.) (Corneille, 1660)

(18) [342] Il fit tout ce qu'il put pour me persuader des siens, qui étoient de faire toujours croire aux envoyés de l'archiduc que nous étions tout à fait résolus de nous engager avec eux pour la paix générale, mais de leur dire, en même temps, que nous croyions qu'il seroit beaucoup mieux d'y engager aussi le parlement, ce qui ne se pouvoit faire que peu à peu et comme insensiblement ; d'amuser, par ce moyen, les envoyés en si- gnant avec eux un traité, qui ne seroit que comme un préalable de celui que l'on projetoit avec le parlement, lequel, par consé-

quent, ne nous obligeroit encore à rien de proche ni de tout à fait positif à l'égard de la paix générale, et lequel toutefois ne

laisseroit pas de les contenter suffisamment pour faire avancer leurs troupes. (Retz, 1679)8

‒ Lorsque l’auteur intercale divers compléments circonstanciels entre la subor- donnée et son antécédent (19) :

(19) [595] Et quelque temps apres vint le Cady avec son

Dragoman & quelques autres Turcs à la porte, lequel apres

avoir visité nos hardes, & luy avoir payé deux sequins d'or pour chacun de nous, pour le droict de la doüane nous donna licence d'entrer […] (Bénard, 1621)

‒ Lorsque l’antécédent est le sujet de la proposition matrice, que l’auteur con- serve l’ordre SVO de celle-ci et que le verbe principal est complété par un syn- tagme nominal (20) :

(20) [383] Je m'en vay tout de ce pas faire dire une messe du Saint-Esprit, à celle fin qu'il luy plaise inspirer vos parens à vous donner le mary que vous meritez. Avisez de faire en sorte que vous soyez en la maison pendant que vostre mere sera au

sermon, laquelle j'entretiendray le mieux que je pourray. (Tur-

nèbe, 1584)

‒ Enfin, lorsque l’antécédent est déterminé par un complément du nom (21). Il s’agit de la configuration prototypique mise en évidence par Vaugelas quant au rôle désambiguïsant de LEQUEL puisque qui, selon lui, fonctionne selon un prin-

cipe de saillance locale (Vaugelas, [1647]1934:115-116).

(21) [158] Je m'assure aussi que vous n'aurez jamais ouï par- ler de la cane de Montfort, laquelle tous les ans, au jour Saint- Nicolas, sort d'un étang avec ses canetons, passe au travers de la foule du peuple, en canetant, vient à l'église et y laisse de ses petits en offrande. (Sévigné, 1675)

Parmi ces exemples, certains d’entre eux semblent s’appuyer sur la morphologie de

LEQUEL pour orienter le recrutement du bon antécédent : dans les exemples (17), (18),

(20) et (21), les différents GN candidats dans le contexte gauche sont à des genres et/ou des nombres distincts. Dans ces configurations, l’emploi de LEQUEL plutôt que

qui ou que facilite la lecture de l’énoncé et évite à actualiser son interprétation une fois

pris en compte le contenu de la subordonnée relative. En revanche, cette morphologie seule ne permet pas de s’assurer du choix du bon antécédent dans les exemples (14), (15) et (19) puisque tous les candidats partagent les mêmes traits de genre et de nombre : il nous faut donc chercher un autre indice susceptible d’orienter l’interprétation de l’énoncé.

Dans 67 des 92 occurrences que nous avons analysées dans cette problématique (72,8%), l’antécédent est le GN qui occupe la fonction syntaxique la plus saillante du contexte gauche, selon l’échelle d’accessibilité* établie par Edward Keenan & Bernard Comrie (1977:66). Nous avions déjà évoqué cette échelle de saillance en citant les tra- vaux de Georges Kleiber (cf. § I.2.2), mais les travaux de Keenan & Comrie sont quant à eux directement dirigés vers les processus de relativation*. Nous citons Anna Pompei concernant leurs résultats :

The elaboration of the concept of an accessibility hierarchy goes back to works by Keenan and Comrie, who first remarked that the different syntactic positions a noun phrase may occupy in a clause show a different degree of accessibility to the relativization process, according to the hierarchy of syntactic functions shown in Figure 6 (Keenan and Comrie 1977).

subject > direct object> indirect object >

oblique object > noun complement > standard of comparison

Figure 6. Hierarchy of syntactic functions

Indeed, the comparison of a great number of languages clearly shows that noun phrases in the position of subject, direct object, and indirect object are relativized more often than noun phrases occupying other positions governed by the verb, noun complements, and the standard of comparison9. (Pompei, 2011:480)

En cas de concurrence entre plusieurs candidats antécédents, ce sera le GN le plus saillant selon cette échelle d’accessibilité qui sera recruté. Revenons sur l’exemple (19) pour illustration :

(19) [595] Et quelque temps apres vint le Cady avec son

Dragoman & quelques autres Turcs à la porte, lequel apres

avoir visité nos hardes, & luy avoir payé deux sequins d'or pour chacun de nous, pour le droict de la doüane nous donna licence d'entrer […] (Bénard, 1621)

Dans cet exemple, lequel a comme antécédent potentiel son Dragoman ; le pronom- déterminant recrute cependant le sujet postposé le Cady et non pas le complément pré- positionnel accessoire, le sens global du texte confirmant l’analyse. Le recrutement ne s’effectue ici ni par saillance locale, ni par la morphologie du pronom mais par sail- lance syntaxique, LEQUEL reprenant le GN hiérarchiquement dominant du contexte

gauche. Cela explique les tendances observées concernant les fonctions des antécé- dents du pronom-déterminant : dans 689 occurrences (sur 926, soit 74,4%), ceux-ci occupent des fonctions essentielles de la proposition matrice, sujet ou complément d’objet, comme le montrent la plupart des exemples que nous avons étudiés jusqu’à

9 [L'élaboration du concept d'une hiérarchie d'accessibilité [des antécédents] remonte aux travaux de

Keenan et Comrie qui, les premiers, remarquèrent qu'aux différentes positions syntaxiques qu'un GN pouvait occuper dans une proposition correspondait un degré distinct d'accessibilité pour le proces- sus de relativation, en accord avec la hiérarchie des fonctions syntaxiques établie dans la Figure 6 (Keenan & Comrie, 1977).

sujet > objet direct > objet indirect > objet oblique > complément du nom > élément d'une comparaison

Figure 6. Hiérarchie des fonctions syntaxiques.

En effet, la comparaison entre un très grand nombre de langues montre clairement que les GN en position de sujet, d'objet direct, et d'objet indirect sont plus souvent relativisés que les GN occupant les autres positions gouvernées par le verbe, les compléments du nom et les éléments d'une compa- raison.]

présent, et non des fonctions accessoires ou secondaires, compléments circonstanciels ou compléments du nom.

Partant, nous rencontrons ce recrutement par saillance syntaxique dans tous les exemples cités précédemment, et cela nous permet de revenir sur les exemples am- bigüs (14) et (15). Nous identifions alors les GN antécédents comme étant respective- ment ce texte formel [de l’apôtre] et la conservation [de la santé].

(14) [119] […] et le gemissement encore que nous appre- nons de ce texte formel de l’apostre, lequel dit que toute crea- ture gemit apres l’entiere et parfaitte execution de la deliurance deuë aux éleus et enfans de Dieu […] (Bérulle, 1623)

(15) [147] […] Mais principalement aussy pour la conserva- tion de la santé, laquelle est sans doute le premier bien, et le fondement de tous les autres biens de cete vie […] (Descartes, 1637)

Nous retrouvons ce recrutement par saillance syntaxique avec les LEQUEL préposi-

tionnels, en cas de concurrence morphologique ou de non-contiguïté (22) :

(22) [744] C'est proprement vn grand et magnifique portail

qui promet vn palais, et au delà duquel on ne trouve qu'vne

miserable cabane sans nuls meubles. (Scudéry, 1667)10

Dans cet exemple, duquel reprend le GN un grand et magnifique portail, et non le candidat plus proche un palais comme le confirme le sens global de l’énoncé. Inci- demment, LEQUEL recrute dans ces trois dernières occurrences et dans celles cons-

truites avec des expansions déterminatives l’intégralité du GN et non pas uniquement son expansion, ce qui est cohérent avec son rôle sémantique puisqu’il ne peut s’articuler qu’autour de référents constitués (cf. § I.1.2).

LEQUEL partage ce mode de recrutement par saillance syntaxique avec les pronoms

relatifs simples et, plus largement, avec les expressions anaphoriques* du Grand Siècle comme l’a montré Nathalie Fournier (2008:328). Dans les exemples suivants (23 et 24), les pronoms relatifs simples recrutent comme antécédent les GN occupant la fonc- tion la plus saillante du contexte gauche et non les plus proches, et ce tandis qu’aucun indice morphologique n’oriente notre lecture.

(23) Ils ont trouvé que plus ils approchoient de l'Ourse pen- dant les six mois de nuit dont on a crû que ce climat estoit tout noir, une grande lumière éclairoit l'horizon, qui ne pouvoit par- tir que du pôle, parce qu'à mesure qu'on s'en approchoit, et qu'on s'éloignoit par conséquent du soleil, cette lumière deve- noit plus grande. (Bergerac, 1655 [Q766], p. 176)

(24) Je sçay bon gré à la fortune, dequoy, comme disent nos historiens, ce fut un gentil'homme Gascon et de mon pays, qui le premier s'opposa à Charlemaigne, nous voulant donner les loix Latines et Imperiales. (Montaigne, 1580, p. 117)

Nous notons que ce recrutement par saillance syntaxique a, une nouvelle fois, une conséquence sur la morphologie du pronom-déterminant : puisque ce mode de recru- tement est partagé par les autres expressions anaphoriques du siècle, notamment par les pronoms relatifs simples, la morphologie de LEQUEL est encore à interpréter dans ces

cas de figure comme une morphologie d’accord, et non pas comme un outil désambi- guïsant.