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sémantiques et référentielles

II. 2.2.2 – Déficit référentiel de l’antécédent

Lors de notre première partie, nous rappelions que l’antécédent d’un pronom relatif devait être « une expression référentielle identifiant une entité particulière, spécifique ou non, et non pas, par exemple, un nom ou une expression prédicative » (Riegel et al., 2014:795, cf. § I.1.3). Par conséquent, un pronom relatif simple ne peut reprendre, par exemple, un antécédent sans déterminant exprimé ou avec un déterminant zéro. Nous reprenons pour illustrer cela l’exemple de la Grammaire méthodique de français (135a), ainsi qu’un exemple de Vaugelas qui, dans ses Remarques ([1647] 1934:385- 388), faisait les mêmes commentaires (136a)39.

38 Outre les occurrences [209] et [839], seule l’occurrence [366] est du même ressort.

39 L’explication que donne Vaugelas à ce phénomène est proche de celle des grammaires contempo-

raines : « Il faut que les deux, & le nom & le pronom soient de mesme nature, & ayent une corres- pondance reciproque, qui face que l’un se puisse rapporter à l’autre. […] Le pronom est comme une

(135a) *Il a pris peur qui était exagérée.

(136a) *Il a été blessé d’un coup de flèche, qui était empoi- sonnée.

Il nous semble cependant que dans ces exemples, LEQUEL peut être employé plus ai-

sément qu’un pronom relatif simple après un substantif avec un déterminant zéro (136b), tandis que le premier exemple demeure, il nous semble, agrammatical (135b).

(135b) *Il a pris peur, laquelle était exagérée.

(136b) ?Il a été blessé d’un coup de flèche, laquelle était empoisonnée.

Cette caractéristique aurait partie liée avec le fonctionnement sémantico-référentiel propre au pronom-déterminant, et au fait qu’il se comporte davantage comme une nou- velle expression référentielle, une forme de rappel, que comme un pronom relatif, une forme liée. Par l’intermédiaire de l’article défini et du marqueur qualitatif constitutifs de sa forme, LEQUEL apporterait à un substantif sans détermination référentielle claire-

ment attribuée, suffisamment d’identifiabilité* pour être antécédent de la subordonnée relative. Nous avons rencontré ceci dans 20 occurrences de notre corpus40

: dans ces occurrences, LEQUEL reprend un antécédent sans déterminant exprimé, ou avec un dé-

terminant zéro. Ce peut être le complément d’un verbe (137) ou d’un adjectif (138), la reprise d’un substantif déjà cité antérieurement (139), un terme générique reprenant tout un segment textuel antérieur (140) ou encore un complément prépositionnel (141).

(137) [138] Et quoy que ceste espece de maladie soit fort fascheuse, si est-ce qu’elle n’est pas si dangereuse que celle du corps, parce qu’il n’y en a point de l’ame qui soit incurable, pource que ceste ame estant spirituelle, n’est point sujette à corruption, ny à dissolution de parties, mais seulement à chan- ger de qualité, laquelle, soit bonne, soit mauvaise, s’acquiert par l’habitude et cette habitude par une volonté opiniastre, si

chose fixe & adherente, & le nom sans article, ou avec un article indéfini, est comme une chose vague & en l’air, où rien ne se peut attacher. » (Vaugelas, [1647] 1934:388). Vaugelas appelle ici « article indéfini » les déterminants zéros.

40 Outre les occurrences [138], [217], [278], [842], [837] que nous présentons ici, nous avons rencontré

ce cas dans les occurrences [62], [216], [220], [246], [269], [272], [306], [326], [572], [614], [651], [751], [794], [842] et [857].

c’est au bien, conduitte par un sain jugement, et si c’est au mal, par un jugement despravé. (Urfé, 1610)

(138) [278] Et la raison, Chrétiens, se prend de la nature de l’âme, qui, ayant sans doute ses sentiments propres, a aussi par conséquent ses plaisirs à part ; et qui, étant seule capable de se réunir à l’origine du bien et à la bonté primitive, qui n’est autre chose que Dieu, ouvre en elle-même, en s’y appliquant, une source toujours féconde de plaisirs réels, lesquels certes qui- conque a goûtés, il ne peut presque plus goûter autre chose, tant le goût en est délicat, tant la douceur en est ravissante. (Bossuet, 1662)

(139) [842] Ce divin sauveur a établi dans son église un sa-

crement par lequel il a trouvé le moyen de se communiquer aux

hommes, sacrement par lequel il vient en personne pour guérir la faiblesse, les langueurs et les infirmités des hommes, sacre- ment enfin par lequel il nous dit en termes formels : [...] ; je viendrai moi-même et je vous guérirai. (Bourdaloue, 1692)

(140) [837] Voilà ce que la réforme enfante dans le Nord

depuis le dernier siècle ; fruits par lesquels on doit juger de

l’arbre. Quel remède à ces maux ? Sera-ce l’écriture, mes frères ? Hé ! C’est-elle dont on abuse. (Fénelon, 1706)

(141) [217] [...] celle du goust coule par saillies, lesquelles n’arrivent ordinairement que trois ou quatre fois le jour, encor faut-il qu’une grande vanne de corail soit levée, et par dessous celle-là quantité d’autres fort petites qui sont d’yvoire ; sa li- queur ressemble à de la salive. (Bergerac, 1655)

Nous analysons ces occurrences selon les opérations de parcours référentiel que nous avions décrits dans notre première partie (cf. § I.1.3). Dans le cadre de la subordi- nation relative, ce parcours possède une et une seule issue, l’antécédent lui-même. Néanmoins, la valeur que capte le pronom relatif doit nécessairement avoir fait l’objet d’une détermination, définie en partie par les propriétés sémantico-référentielles de l’antécédent : si celles-ci sont vagues ou indéfinies, comme dans les exemples (137) à (141), un pronom relatif simple ne peut s’articuler autour de ces antécédents (136a). En revanche, le pronom-déterminant, par l’intermédiaire du marqueur QUEL, est apte à

effectuer un parcours de toutes les valeurs possibles que peut prendre l’antécédent avant d’en fixer une grâce à l’article défini. Un pronom relatif simple rappelle la subs- tance notionnelle ou la référence de son antécédent mais n’est pas référentiel en lui-

même ; LEQUEL est quant à lui pleinement référentiel, y compris lorsque les valeurs

possibles que peut prendre son antécédent sont nombreuses, à l’instar des exemples (140) et (141).

L’antécédent doit cependant toujours jouir d’une certaine représentation, c’est-à- dire d’une certaine identifiabilité, dans l’esprit du locuteur pour pouvoir être repris : sinon, même LEQUEL ne peut s’articuler autour de lui, comme nous l’avons vu pour les

expressions prédicatives (135a & 135b). C’est ce qu’illustre l’exemple suivant (142), seul représentant de sa catégorie.

(142) [193] Mais quelque passion que vous ayez de mourir pour moi, laquelle pourtant je n’ai méritée que par cet excès de valeur dont vous me blâmez ; souffrez neanmoins que je vous die, que vous & moi avons des pensées bien differentes : Car vous seriez bien aises de me posseder longtems, & toujours s’il se pouvoit ; & moi je mesure ma durée non pas à l’âge, mais à l’éternité. (Vaugelas, 1709)

Cette occurrence est issue de la traduction de Vaugelas de La Vie d’Alexandre. L’Académie française note qu’ici, LEQUEL ne convient pas et propose en remplacement

Ceque je n’ay pourtant mérité que par excès… (Ayres-Bennett & Caron, 1996:356).

Effectivement, la construction est étrange : cela est dû à la structure concessive qui fait office d’antécédent et dont la valeur tient à une extension permanente de ses valeurs potentielles. Il est envisagé dans cette formule l’infinité des formes possibles que peut prendre la passion, pour indiquer que la décision prise (souffrez neanmoins…) sera la même quoi qu’il advienne41. Ce parcours en extension permanente entre alors en ten-

sion avec les instructions référentielles du pronom-déterminant, qui ne peut s’articuler qu’autour de référents constitués ou potentiellement constituables. L’exemple (142) est certes à la frontière de l’acceptabilité, mais son atypisme irait dans le sens de notre hypothèse première et de l’importance du rôle qualitatif du pronom-déterminant dans l’élaboration du sens de l’énoncé.

41

Pour une analyse des mécanismes sémantiques de la concession, nous renvoyons à Morel (1996:24 sq.).